ANORA : éblouissante Palme d’Or

Voici donc le film qui, au dernier festival de Cannes, a coiffé au poteau Emilia Pérez pourtant en pole position pour la Palme d’Or. Mais voilà, si la comédie musicale de Jacques Audiard en a mis plein la vue et les oreilles, Anora est, à sa manière et lui aussi, irrésistible.

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« Ça te dirait d’être exclusivement avec moi ?
– 15. Cash. Et d’avance. »

 

ANORA

Sean Baker
2024
Dans les salles françaises depuis le 30 octobre
Palme d’Or du festival de Cannes 2024

Anora (Mikey Madison) préfère qu’on l’appelle Ani. À vingt-cinq ans, elle est escort-girl et stripteaseuse dans un club huppé de Manhattan. Un soir, le patron de l’établissement lui demande de s’occuper, puisqu’elle parle sa langue, d’Ivan (Mark Eydelshteyn), le fils d’un puissant oligarque russe. Ani s’exécute. Mais elle le fait si bien que le jeune homme ne veut plus la lâcher. Grâce à ce flambeur de vingt et un ans, elle découvre les joies de la vie de milliardaire (villa de luxe sur l’Hudson River, jet privé…), et lorsqu’il la demande en mariage à Las Vegas, elle accepte, pensant avoir décroché le gros lot. Le hic, c’est que lorsque les parents d’Ivan, restés en Russie, apprennent la nouvelle, ils ne goûtent guère la plaisanterie…

Sean Baker était sur un nuage en mai dernier à Cannes lorsqu’il a reçu la Palme d’Or, des mains de George Lucas qui plus est. Lui, le cinéaste indépendant, habitué aux productions fauchées, qui s’est fait une spécialité de raconter les histoires de travailleurs du sexe et de marginaux, jugées plutôt clivantes par et pour le grand public, n’en espérait peut-être pas tant. Sa joie presque enfantine était communicative. L’idée de ce film a mûri pendant une quinzaine d’années durant lesquelles le réalisateur de Red Rocket ou de The Florida Project a étroitement collaboré avec son ami de longue date, l’acteur Karren Karagulian (Toros dans le film), dont l’épouse est une Russo-Américaine de Brooklyn. L’envie de raconter une histoire qui se déroulerait dans les milieux russophones de Brighton Beach et Coney Island les taraudait. Anora est un conte de fées à l’envers, un Pretty Woman réaliste dans lequel Cendrillon se réveillerait avec la gueule de bois. Sean Baker a déniché la perle rare en la personne de Mikey Madison, jeune actrice américaine aperçue dans Once Upon A time… In Hollywood, très convaincante dans ce rôle de prostituée qui ne s’en laisse pas conter. Toute en nuances, Ani fait montre d’une belle force de caractère et d’un aplomb sidérant, mais dégage également quelque chose de d’animal et d’émouvant. C’est tout le charme de cette œuvre imprévisible et humaniste, qui se révèle d’une drôlerie inattendue lorsque débarquent les hommes de main arméniens et russes à la solde des parents d’Ivan. Bourrée d’énergie, cette aventure aux allures de grand huit entraîne des décors feutrés du club de striptease, à ceux, fantasmatiques, de la villa de luxe ou du penthouse de l’hôtel de Las Vegas, jusqu’aux lieux emblématiques de Coney Island, tous filmés de manière sensationnelle par le chef opérateur Drew Daniels. Parmi les comédiens, tous formidables, on reconnaît Yura Burisov, dans un rôle assez similaire à celui qu’il campait dans l’excellent Compartiment n° 6, de Juho Kuosmanen (Grand Prix du festival de Cannes 2021). À la fois cruelle, tendre, mélancolique et désopilante, cette fable sur la désillusion, parfaitement aboutie, fait chavirer le cœur.
2 h 19 Et avec Vache Tovmasyan, Lindsey Normington, Ivy Walk, Anton Bitter, Ross Brodar…

©stephanecardinale

 

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