Les revenants – 2 – HAPPY VALLEY Saison 3

Sept ans après la deuxième saison, voici le retour de la grande Catherine, Cawood de son nom — alias Sarah Lancashire – pour un troisième et ultime tour de piste. Un épilogue grandiose !

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« Are you f…..g serious ? »

 

HAPPY VALLEY Saison 3

2023
Série créée en 2014 par Sally Wainwright
La saison 3, diffusée initialement sur la BBC en janvier et février 2023, est disponible sur Canal + depuis mars 2023
Les deux premières saisons ont remporté, entre autres récompenses, quatre BAFTA Awards

Si vous n’avez jamais vu la série, article sur la saison 1 ICI

À quelques semaines de la retraite, la sergente Catherine Cawood (Sarah Lancashire) de la police de Halifax (West Yorkshire) a déjà la tête dans sa virée en Himalaya en jeep, qu’elle planifie depuis quelque temps. Mais la découverte des restes du corps d’un malfrat lié à son ennemi de toujours, Tommy Lee Royce (James Norton), fait ressurgir des vieux démons. D’autant qu’elle ne tarde pas à apprendre que ce dernier a été transféré, pour bonne conduite, dans une prison de la région et qu’il reçoit régulièrement la visite de Ryan (son fils et celui de la fille de Catherine). L’adolescent qu’elle a élevé et qui vit chez elle lui avait bien caché cette relation. Forcément Catherine voit rouge…

On l’avait quittée désenchantée, après avoir déjoué une tentative de manipulation du psychopathe qui avait poussé sa fille au suicide (après l’avoir violée…), et une sordide affaire d’inceste, « une banale histoire de gens de la campagne » comme elle la décrivait. Sept ans après, Catherine s’apprête sans regrets à rendre son uniforme, usée par ce métier exigeant où pourtant elle excelle. Elle s’inquiète toujours autant pour son petit-fils devenu adolescent dont elle guette, dans le comportement parfois emporté, les éventuels signes de ressemblance avec son sinistre père. Forcément, la découverte de la trahison du jeune homme sera difficile à pardonner. Sept ans, c’est aussi le laps de temps qui était nécessaire à Sally Wainwright, la créatrice du show, pour achever l’histoire. Il fallait attendre que Ryan, incarné par le même et excellent Rhys Connah, ait l’âge adéquat pour pouvoir se confronter à la figure de ce père damné dont Catherine et son entourage lui ont caché les affreux secrets. Même si la saison intègre une intrigue autour d’une femme battue à laquelle se mêle un trafic de drogue (le genre d’affaires qui fait le quotidien des flics d’Halifax), c’est bien la trahison et la vengeance qui nourrissent ces six épisodes incroyablement intenses. La violence de certaines scènes — qui avait valu à la série des critiques lors de sa parution en 2014 — est toujours assumée par la scénariste, qui a bénéficié des conseils de policiers et ne voulait en aucun cas édulcorer la réalité du métier. Mais plus que la violence physique (Catherine Cawood passe la moitié de la saison avec des bleus sur le visage…), c’est surtout la profondeur psychologique du show qui impressionne. La haine ici n’est pas un vain mot. Elle ronge Catherine Cawood comme elle ronge Tommy Lee Royce au fond de sa cellule. Pourtant, Sally Wainwright met constamment de la nuance et de la complexité, et exploite remarquablement chaque personnage, laissant à chacun sa part d’humanité. Puissante, parfois sidérante, Happy Valley parvient avec maestria à maintenir l’équilibre entre le drame familial et l’intrigue policière à suspense. La distribution dans son ensemble fait un sans-faute. Si le séduisant James Norton, en méchant retors, et Siobhan Finneran en sœur gaffeuse et touchante de Catherine, sont formidables, Sarah Lancashire force toujours l’admiration. Véritable badass et particulièrement douée d’empathie, Catherine Cawood est désormais considérée comme un trésor national outre-Manche. Elle est truculente avec son air buté, ses reparties bougonnes (des gros mots à foison), sa propension à prendre ses collègues pour des imbéciles (à raison la plupart du temps), sa clairvoyance de détective et son empressement à défendre la veuve et l’orphelin. Il ne lui aura fallu que trois petites saisons pour devenir une icône. On la regrette déjà.
6 épisodes d’environ 60 minutes.Et avec Charlie Murphy, Mark Stanley, Amit Shah, Rick Warden, Jack Bandeira, Olivier Huntingdon, Derek Riddell, Con O’Neill… La chanson du générique est toujours « Trouble Town », de Jake Bugg.

SUFFRAGETTE CITY

En ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, et tandis que beaucoup d’entre-elles sont encore sous le joug de l’oppression dans le monde, retour sur la première vague de militantisme féministe.

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« On vous arrêtera.
– En faisant quoi ? En nous enfermant toutes ? On est la moitié de l’humanité, vous ne nous arrêterez pas. »

 

Les suffragettes (Suffragette)

Sarah Gavron
2015

Paru dans les salles françaises le 18 novembre 2015

En 1912 à Londres, Maud (Carey Mulligan), blanchisseuse pauvre, mariée et mère d’un jeune garçon, est incitée par une collègue à rejoindre les suffragettes. Sous la houlette de l’impétueuse Emmeline Pankhurst (Meryl Streep), ces femmes de conditions diverses sont déterminées à obtenir l’égalité avec les hommes, à commencer par le droit de vote. À leurs revendications, le gouvernement oppose une répression brutale, les obligeant à se radicaliser et à entrer en clandestinité. Petit à petit, Maud va prendre conscience de l’injustice de sa condition, et devenir un soldat de la cause, au risque de tout perdre…

Le cinéma s’est très peu penché sur l’histoire des suffragettes, dont l’évocation a toujours été teintée d’ironie et de condescendance. Paru en 2015, l’année où l’Arabie saoudite a, pour la première fois, autorisé les femmes à voter, le film de la Britannique Sarah Gavron répare cet impair et rend à ces pionnières un hommage légitime. Car si le mot a une connotation charmante, le sort réservé par la police de George V à ces militantes, considérées comme des anarchistes, lui, ne l’était pas. Emprisonnées, battues, torturées, et honnies par leur entourage (le plus souvent pour des caillassages de vitrines ou autres dégâts matériels), elles finiront par durcir leurs actions en s’attaquant à des sites stratégiques. Sarah Gavron (Rendez-vous à Brick Lane, Rocks…) et sa scénariste Abi Morgan à laquelle on doit les scénarios de Shame, La dame de fer et l’excellente série The Hour (dont les deux vedettes, Romola Garai et Ben Whishaw, sont présentes ici) ont choisi de s’attacher à une héroïne fictive, dont le destin va s’entremêler avec celui des véritables figures du féminisme de l’époque, telles Emmeline Pankhurst, incarnée par Meryl Streep, et l’infortunée Emily Davison (Natalie Press). Carey Mulligan prête sa grâce et sa force de caractère à cette blanchisseuse discrète qui comprend soudainement qu’il n’y a rien d’inéluctable à sa vie misérable d’ouvrière exploitée et assujettie à la loi masculine. Cette manière d’entrelacer la petite histoire à la grande confère au film une justesse et une humanité éclatantes. Sans pour autant être académique, cette reconstitution méticuleuse de l’Angleterre troublée des années 1910 fait un cours d’histoire idéal pour les adolescents d’aujourd’hui. Ce qui fait d’ailleurs regretter cette fin un peu trop expédiée.
1 h 48 Et avec Anne-Marie Duff, Helena Bonham Carter, Brendan Gleeson, Samuel West

SPENCER, princesse sous influence

Emboîtant le pas à la série The Crown qui est parvenue, avec brio, à donner une réalité aux membres de la famille la plus impénétrable d’Angleterre, Pablo Larraín se penche sur le cas de la princesse Diana. Spencer se focalise sur trois jours pendant les festivités de Noël 1991, à l’issue desquels Lady Di décidera de se séparer de Charles. Audacieux, surréaliste, et incarné par une Kristen Stewart habitée, ce portrait poétique a quelque chose de vertigineux.

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« Je suis une cause perdue. Je n’ai aucun avenir ici. »

 

 

SPENCER

Pablo Larraín
2021
Paru en France sur Prime Video le 17 janvier 2022

En 1991, à Sandrigham House, domaine de la reine Elizabeth II dans le Norfolk, on se prépare à fêter Noël en famille. Tout le monde est arrivé, excepté la princesse de Galles (Kristen Stewart). Au volant de sa Porsche, elle a échappé à l’escorte et aux services de sécurité pour rouler seule, mais s’est égarée sur les routes de campagne…

En 2016, dans Jackie, le cinéaste chilien Pablo Larraín auscultait le chagrin et les interrogations de la veuve de John Fitzgerald Kennedy les jours suivant l’assassinat de ce dernier. Cette fois, le réalisateur propulse dans la tête d’une autre icône, elle aussi à un moment clé de sa vie. Larraín et son scénariste Steven Knight (Peaky Blinders) n’ont pas eu la prétention de vouloir percer le mystère de Diana Spencer, dite la « princesse du peuple », ni même de relater fidèlement une page d’histoire. Le film est introduit par cette phrase : « A fable from a true tragedy » (une fable tirée d’une vraie tragédie). À la réalité (la description des rites de la famille royale est d’une grande exactitude) se mêle donc la fiction. L’ambition ici est artistique, cinématographique. Paradoxalement, c’est aussi cette distance qui permet d’approcher la vérité d’un personnage qui, vingt-cinq ans après sa mort tragique, exerce toujours une incroyable fascination. Le film est rythmé par les émotions qui traversent l’infortunée héroïne. Dix ans après son mariage en grande pompe, Diana n’est plus qu’une princesse tourmentée et malheureuse. Épouse trompée et délaissée, incomprise voire méprisée par son illustre belle-famille, elle adopte un comportement d’ado rebelle et refuse de se plier aux règles imposées qui l’infantilisent. « Tu te plains comme une gamine qui n’a pas ce qu’elle veut » lui dit avec agacement Charles, campé par l’excellent Jack Farthing, rigide et glacial à souhait. Elle erre dans les couloirs interminables du manoir, dans le parc, de jour comme de nuit, se dit hantée par le fantôme d’Anne Boleyn, l’épouse d’Henry VIII à la destinée tragique et avec qui elle se sent en connivence. On la soupçonne déjà de perdre la tête. Ce n’est pas faux, ou du moins les pédales. Ses enfants qu’elle adore tentent eux-mêmes de la raisonner. Ils sont sa seule consolation. Et puis il y a les domestiques, qui jouent parfois un double jeu : ceux qui l’aiment, ceux qui la trahissent, ceux qui l’espionnent. Kristen Stewart, toute en regards en dessous, yeux embués, inclinaisons de tête et phrasé haché reproduits à l’identique, a une classe folle dans la détresse. Elle porte de manière divine les robes de luxe, signées Chanel souvent — beaucoup de vêtements de la garde-robe de Diana ont été recréés par la costumière oscarisée Jacqueline Durran. La brume de la campagne anglaise, la musique baroque de Jonny Greenwood (Radiohead), la lumière irréelle de la photographie de la Française Claire Mathon (très inspirée du Shining et du Barry Lyndon de Kubrick) confèrent à cette œuvre hallucinatoire des atours de conte horrifique. Avant un épilogue lumineux et sublime, véritable pied de nez à la sacro-sainte institution royale, jamais désespoir n’aura été filmé de manière aussi grandiose.
1 h 57 Et avec Timothy Spall, Sean Harris, Sally Hawkins, Stella Gonet, Richard Sammel, James Harkness, Amy Manson…