LES PAPILLONS NOIRS

Par amour pour le giallo, genre voire sous-genre italien qui a connu son heure de gloire dans les 70’s avec Mario Bava et Dario Argento, Olivier Abbou et Bruno Merle ont imaginé cette mini-série sombre et audacieuse qui détonne dans le paysage télévisuel français. Cocktail de passion, de violence, de gore et d’érotisme, la saga meurtrière incroyablement ficelée et truffée de rebondissements est portée par des acteurs habités dont un Niels Arestrup impérial. (pas de spoilers dans cet article)

 

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« Avant Solange, il n’y avait rien. »

 

LES PAPILLONS NOIRS

Mini-série en 6 épisodes créée par Olivier Abbou et Bruno Merle et réalisée par Olivier Abbou
2022
Diffusée sur Arte en septembre, disponible depuis le 14 octobre sur Netflix.

Alors qu’il peine à entamer son deuxième roman, Mody, alias Adrien Winckler (Nicolas Duvauchelle), se voit proposer par un vieil homme, Albert Desiderio (Niels Arestrup), la tâche de retranscrire son histoire d’amour passionnelle avec Solange, disparue. Il prétend avoir tant aimé « cette fille de boche » dont la mère se prostituait que, pour la protéger, il a basculé dans le crime. Au fil des confessions du septuagénaire, Adrien va découvrir l’épouvantable passé de « tueur en série» de ce dernier…

On doit à Olivier Abbou la série Maroni, ainsi que le scénario et la mise en scène de séries b (tels que les thrillers Territoires et Madame Hollywood…). Olivier Merle est, entre autres, le réalisateur de la comédie Felicità avec Pio Marmaï. Leur alliance a engendré une série qui, le moins qu’on puisse écrire, ne fait pas dans la dentelle. On ne la recommandera pas aux âmes sensibles. Mais si on détourne parfois le regard devant la violence de certaines scènes, l’habileté avec laquelle les auteurs ont troussé le récit, façon puzzle, force l’admiration. Comme dans la récente mini-série Le serpent, autre histoire d’un tueur en série (inspirée de faits-réels celle-là), le va-et-vient dans le temps confère à l’intrigue un vrai dynamisme, d’autant que la reconstitution des années 70 se révèle bluffante. La mise en scène stylisée rend hommage au cinéma de genre italien, et certaines astuces pour accentuer le suspense sont dignes d’Hitchcock. On s’identifie au personnage d’Adrien (convaincant Nicolas Duvauchelle), qui accepte le job sans se douter des répercussions qu’il aura sur sa propre existence. Comme lui, on découvre peu à peu l’étendue de l’horreur, qui va crescendo à mesure des révélations édifiantes (et glauques…) et on se fait balader dans un jeu de piste. Les jeunes Albert et Solange, Bonnie and Clyde tordus, sont campés par deux acteurs exceptionnels, Alyzée Costes et Axel Granberger. La performance de ce dernier lui a valu le Prix du Meilleur acteur au festival Séries Mania, au printemps dernier. Les excellents Sami Bouajila, Alice Belaïdi, Brigitte Catillon, Lola Créton et Marie Denarnaud ajoutent également leur pierre à cet édifice. Même si on peut parfois reprocher aux auteurs d’avoir un peu chargé la mule et de ne pas avoir approfondi l’aspect psychologique, le caractère fascinant de ce thriller à faire dresser les cheveux sur la tête est indéniable. Et pour un rebondissement de plus, sachez que l’écrivain Gabriel Katz a été chargé par les créateurs d’imaginer Les papillons noirs tel que Mody aurait pu l’écrire dans la série. L’ouvrage, homonyme, est paru le 7 septembre dernier aux éditions du Masque.
6 épisodes de 60 minutes. Et avec Nicolas Wanczyckin, Henny Reents…

 

ÊTRE CARY GRANT

« Tout le monde veut être Cary Grant. Même moi, je veux être Cary Grant. »      Cary Grant

 

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ÊTRE CARY GRANT

Photo Bettmann

Martine Reid
Essai publié chez Gallimard le 13 mai 2021

Icône de l’âge d’or d’Hollywood, roi de la screwball comedy (la comédie loufoque) et de la « comédie de mariage », Cary Grant a illuminé de sa présence et de son charme moult chefs-d’œuvre, signés par les plus grands réalisateurs de son temps : Howard Hawks, George Cukor, Leo McCarey, Frank Capra, Alfred Hitchcock, Stanley Donen… Mais que dissimulaient réellement son flegme séduisant, son sens de la dérision et son élégance à toute épreuve ? Martine Reid, professeur et spécialiste de la littérature féminine du 19ème siècle, s’est penchée sur l’énigme de l’acteur à l’irrésistible fossette (« un menton en fesses d’ange » selon Mae West).

« En 1932, la direction de Paramount Pictures a transformé un Anglais d’origine modeste, Archibald Alexander Leach, né à Bristol en 1904, en leurre de cinéma. Pour ce faire, elle a commencé par lui attribuer un nom de fantaisie, composé de trois syllabes faisant office de nom mirage, d’indice scintillant. Il a été baptisé Cary Grant pour incarner un type, moitié clown, moitié héros sentimental, dont le public de cinéma est alors particulièrement friand. Une fois pourvu de ce nom, comme un chien porte un collier, un prisonnier son matricule, l’homme a été maquillé, habillé de neuf, placé sous le feu des projecteurs. »

Avec Mae West dans Je ne suis pas un ange (I’m Not Angel) de Wesley Ruggles (1933)

L’enfance d’Archibald Alexander Leach, futur Cary Grant, n’a pas été radieuse. S’il s’est appliqué à l’oublier, il n’en a jamais véritablement guéri : des parents de condition modeste vite désunis, une mère instable qui disparaît du jour au lendemain. On lui dit qu’elle est morte d’une crise cardiaque, en fait, elle a été internée. Elle refera surface des années plus tard. Le jeune Archie, qui a déjà traversé l’Atlantique avec la troupe d’artistes de cirque dont il fait partie, apprend sa résurrection par une lettre au ton laconique de son père (l’alcoolisme aura raison de ce dernier en 1935). Changer d’identité, en même temps que de continent, était alors salutaire pour le jeune Archie Leach qui fera plusieurs métiers dans le music-hall avant de tenter sa chance au cinéma. Ironiquement, il donnera son patronyme au petit chien qu’il s’offrira avec un de ses premiers cachets d’acteur.

Toute sa vie, explique Martine Reid, Cary Grant sera soumis à cette double-identité, comme il l’a confié lui-même :

« J’ai passé la plus grande partie de ma vie à osciller entre Archie Leach et Cary Grant, peu sûr de chacun d’eux, les suspectant tous les deux. »

Plus qu’aucun autre réalisateur, Alfred Hitchcock saura formidablement bien tirer profit de cette ambiguïté et de la part d’ombre de l’acteur. Dans La mort aux trousses, il est constamment pris pour un autre. Et dans Soupçons, le comportement équivoque de son personnage de playboy volontiers menteur amène sa riche épouse à penser qu’il a l’intention de se débarrasser d’elle. Le comédien est si convaincant que, comme elle, le spectateur se demande durant tout le film si cet homme séduisant n’est pas un être épouvantablement machiavélique.

Mais si Hitchcock en avait été tenté, ni le public, ni le comédien lui-même n’avaient envie d’écorner l’image si lisse acquise avec le temps :

« Il demeurera jusqu’à la fin de sa carrière tel que le cinéma l’a figé : aussi honnête que beau, aussi vrai que bon, dusse-t-il disséminer cette bonté derrière une dureté de façade… »


Avec Ingrid Bergman dans Les enchaînés (Notorious) d’Alfred Hitchcock

Son un mètre quatre-vingt-sept, sa manière de porter le costume (il est régulièrement élu « Homme le plus séduisant » ou « élégant de l’année » par les magazines), et son sourire narquois aurait fait de ce natif d’Albion un James Bond de rêve. Sollicité par son ami Albert R. Broccoli, le producteur de la saga, avant le tournage de James Bond 007 contre Dr No, Grant a cependant décliné la proposition, ne souhaitant pas s’engager dans une franchise. D’autant qu’au début des années 60, l’acteur n’a plus le même enthousiasme à incarner l’homme idéal. Et puis, dans sa vie privée, ce n’est pas la même chanson. Tous ses mariages (il a convolé à cinq reprises), hormis le dernier, seront des échecs. Tourmenté, autoritaire, anxieux, maniaque, facilement dépressif avec une tendance à la neurasthénie (il subira un traitement au LSD), il a poussé ses moitiés à jeter l’éponge bien vite. Un seul enfant naîtra de ses unions, Jennifer, fille de Dyan Cannon, en 1966. Bien que les rumeurs de bisexualité aient circulé dès ses débuts, et notamment lors de sa vie en collocation avec Randolph Scott dans les années 30, rien n’a réellement éclaté au grand jour. L’acteur lui-même a toujours démenti et sa fille a révélé dans son livre de souvenirs que ces rumeurs amusaient beaucoup son père.


Avec son épouse, l’actrice Dyan Cannon, et sa fille Jennifer


Cary Grant dans l’un de ses derniers films, Charade, de Stanley Donen (1963), aux côtés d’Audrey Hepburn

En universitaire, Martine Reid s’attarde un peu trop sur la mécanique du star system et la fabrication des mythes. Mais son portrait désenchanté et mélancolique de Cary Grant ne manque pas de pertinence. Il s’achève par la mort de l’acteur, à quatre-vingt-deux ans, le 29 novembre 1986, provoquée par une crise cardiaque survenue dans un hôtel de Davenport (Iowa) où il était venu donner une conférence sur… lui-même ! Il n’empêche : Cary Grant continue à vivre à l’écran, au gré des rediffusions des chefs-d’œuvre que les nouvelles générations découvrent avec le même émerveillement. Et que dire des comédies virevoltantes comme Indiscrétions, La dame du vendredi ou L’impossible Monsieur Bébé, elles lui ont assuré la jeunesse éternelle.

« Sa manière de se mouvoir dans l’espace à grandes enjambées, de tirer parti de sa hauteur avec un aplomb facétieux, de saisir doucement ses interlocutrices par les bras alors qu’il tente de les convaincre de la justesse de ses vues, de manifester, par l’expression de son visage, le décalage entre ce qu’il dit et ce qu’il pense, de partir de beaux éclats de rire ou encore d’attendre, sincèrement conquis parfois mais toujours secrètement amusé, le moment de glisser une déclaration d’amour… »


Avec Katharine Hepburn dans L’impossible Monsieur Bébé (Bringing Up Baby), d’Howard Hawks (1938)


Avec Jean Arthur dans Seuls les anges ont des ailes (Only Angels Have Wings) d’Howard Hawks (1939)


Avec Rosalind Russel et Ralph Bellamy dans La dame du vendredi (His Girl Friday) d’Howard Hawks (1940)


Avec James Stewart et Katharine Hepburn dans Indiscrétions (The Philadelphia Story) de George Cukor (1940)


Getty Images Archives

LA MORT AUX TROUSSES et LA SIRÈNE DU MISSISSIPPI au Studio

En avril, on ne se découvre pas d’un fil(m), on va au cinéma. Au Havre, ce mois-ci, c’est au Studio qu’on peut redécouvrir des films de John Ford, Eric Rohmer, Jean-Luc Godard, Dino Risi, Tex Avery, mais aussi le vénéneux Passion (1964) de Yasuzo Masumura, grande figure de la Nouvelle vague japonaise, ou Zorba le Grec (1964) de Michael Cacoyannis, pour revoir Anthony Quinn et Alan Bates danser le sirtaki (danse inédite, créée spécialement pour le film).

Zorba

On ne se privera pas non plus des deux chefs-d’œuvre ci-après, dont le premier, fondateur par essence et truffé de scènes d’anthologie, s’impose encore aujourd’hui comme une géniale leçon de cinéma.

Programme du studio

La mort aux trousses (North By Northwest)

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Alfred Hitchcock
1959

Victime d’un quiproquo, Roger Thornhill (Cary Grant), publiciste sans histoires, est enlevé par des espions qui le prennent pour un agent du contre-espionnage américain du nom de George Kaplan. Il réussit à échapper à ses agresseurs, mais personne ne veut croire à son aventure. Pour prouver sa bonne foi, Roger Thornhill se lance dans une dangereuse course-poursuite à travers les Etats-Unis, accompagné par une blonde mystérieuse (Eva Marie Saint)…

Quintessence de l’art et du savoir-faire d’Alfred Hitchcock, La mort aux trousses est probablement son film le plus populaire, dont on ne compte plus les rediffusions à la télévision. Cet ambitieux projet est né de la plume subtile du scénariste Ernest Lehman, qui travaillait en grande complicité avec le maître (Le titre original, North By Northwest est tiré d’Hamlet de Shakespeare). Tout aussi cynique mais plus léger que les deux films précédents du cinéaste (Le faux coupable et Sueurs froides), dont le sérieux lui avait été reproché par les critiques soucieux de voir la comédie disparaître de son univers, ce blockbuster avant l’heure est un déferlement d’humour, de sensualité, d’action et de suspense, transcendé par la fameuse « Hitchcock Touch » qui lui confère son charme inimitable. Tourné de part en part des Etats-Unis (Manhattan, Long Island, Chicago, Californie…), le film est truffé de scènes appartenant désormais à la mémoire collective, comme la poursuite de Cary Grant par un avion, ou la fameuse séquence du Mont Rushmore (qui fut en fait tournée en studio). Même si les cinéphiles citent plus volontiers Sueurs froides (Vertigo), La mort aux trousses reste un chef-d’œuvre absolu.

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 Rédigée pour fnac.com en août 2001

 

La sirène du Mississippi

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François Truffaut
1969

Directeur d’une fabrique de cigarettes à La Réunion, Louis Mahé (Jean-Paul Belmondo) doit épouser Julie Roussel, qu’il a rencontrée par une petite annonce et qu’il ne connaît que par ses lettres et un portrait. Or, la Julie Roussel (Catherine Deneuve) qui débarque du bateau “Le Mississippi” ne ressemble pas du tout à sa photo. Bien plus jolie, elle prétend lui avoir envoyé un faux portrait pour qu’il ne l’épouse pas uniquement pour sa beauté. Séduit, Louis se marie avec cette jeune femme étrange. Peu de temps après, il découvre qu’elle s’est s’enfuie avec sa fortune

A l’instar du précédent La mariée était en noir, ce thriller psychologique était inspiré d’un roman noir de l’auteur américain William Irish, qui avait signé le roman sous le pseudonyme de Cornell Woolrish. Face à une Catherine Deneuve inquiétante en meurtrière glaciale et dénuée d’émotion, Jean-Paul Belmondo surprenait dans ce rôle de victime de l’amour, totalement à contre-emploi. C’est peut-être la raison de l’échec essuyé par le thriller à sa sortie, en 1969. François Truffaut lui-même considérait ce film-fleuve (de deux heures) comme malade de trop de dialogues et de scènes interminables. Pourtant, cette œuvre sous-estimée explore brillamment les méandres de l’amour impossible, thème que le réalisateur traitera à nouveau (et avec plus de succès) en 1983 dans La femme d’à côté, où la femme est plus que jamais liée à la mort. Certaines répliques du film sont restées dans les mémoires :
Louis : « Tu es si belle, quand je te regarde, c’est une souffrance.
Julie : Pourtant, hier tu disais que c’était une joie.
Louis : C’est une joie et une souffrance. »

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Rédigée pour fnac.com en juin 2003 

Programme du studio