THE KILLER de David Fincher

Si on cherche David Fincher, c’est sur Netflix qu’on le trouve. Après la série Mindhunter et le caustique Mank (autour de la genèse de Citizen Kane), le revoilà sur sa plateforme préférée. Parce qu’elle lui offre plus de liberté de création et de moyens, ce rebelle aux diktats de l’industrie hollywoodienne désormais dédiée aux « blockbusters façon Happy Meal », y trouve son compte. Le réalisateur des cultissimes Seven ou Fight Club joue l’épure pour ce film de série B fascinant, dont le scénario tient sur un timbre-poste. Il est adapté d’une série de bandes dessinées française signée Matz et Luc Jacamon (treize tomes édités chez Casterman) et porté par un Michael Fassbinder glaçant. L’acteur caméléon s’est inspiré du personnage campé par Alain Delon dans Le Samouraï de Melville. Rien que ça. (pas de spoiler dans cette chronique)

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« Si vous êtes incapable de supporter l’ennui, ce boulot n’est pas pour vous. »

 

THE KILLER

David Fincher
2023
Disponible depuis le 10 novembre 2023 sur Netflix

Posté dans un immeuble en travaux en face d’un palace parisien, un tueur à gages froid et méthodique (Michael Fassbender) se prépare à remplir son contrat. Mais au moment venu, il rate son tir. A son tour, il devient une cible pour son employeur qui, pour le retrouver, engage une gigantesque chasse à l’homme à travers le monde… 

« Mon approche est purement logistique. » C’est ainsi que le tueur obsessionnel du film de David Fincher peut accomplir son job, sans états d’âme. Toujours la même routine : il fait du yoga, se gargarise d’aphorismes, écoute invariablement « How Soon Is Now » des Smiths au moment de passer à l’action, et ne dit pas un mot. On entre dans le film en entrant dans sa tête. Le souci du détail et la concision des mouvements, millimétrés, de cet ascète en mission ont quelque chose de fascinant. Il croyait sa petite méthodologie imparable, il va découvrir, avec surprise et non sans ironie, qu’elle est faillible. Le lascar est moins romantique que le killer campé par Timothy Olyphant dans Hitman ou que Chow Yun-Fat dans le film homonyme réalisé par John Woo (dont le remake, par le même Woo, est annoncé pour 2024). L’assassin ici joué par Michael Fassbender, à la froideur impeccable (il était déjà un robot très convaincant dans Prometheus, de Ridley Scott), se fend malgré tout de quelques pointes d’humour, noir forcément, qui laissent entendre qu’il est humain malgré les apparences. La mise en scène de Fincher, précise et fluide, n’est pas un vain exercice de style. L’épopée du tueur met en exergue la facilité avec laquelle on peut, dans un monde bourré de haute-technologie, s’introduire dans n’importe quel lieu sécurisé, exécuter des gens et effacer ses traces (l’allusion à Amazon ne manque pas de piquant). Fincher a même déclaré :

« My hope is that someone will see this film and get very nervous about the person behind them in line of Home Depot. » (J’espère que quelqu’un verra ce film et se posera des questions sur la personne derrière lui dans la file d’attente de la caisse du magasin de bricolage).

On ne s’ennuie pas une seconde, mais les amateurs d’action pure trouveront sûrement le temps long (une séquence particulièrement musclée n’a cependant rien à envier à la saga John Wick). Chapeau à la photo magnifique de Erik Messerschmidt (oscarisé pour Mank), à la partition indus-gore des fidèles Trent Reznor et Atticus Ross, et à la prestation virtuose de Tilda Swinton. La fin, inattendue, est plutôt futée.
1 h 58 Et avec Charles Parnell, Arliss Howard, Kerry O’Malley, Sophie Charlotte, Emiliano Perńia, Sala Baker…

 

LES PAPILLONS NOIRS

Par amour pour le giallo, genre voire sous-genre italien qui a connu son heure de gloire dans les 70’s avec Mario Bava et Dario Argento, Olivier Abbou et Bruno Merle ont imaginé cette mini-série sombre et audacieuse qui détonne dans le paysage télévisuel français. Cocktail de passion, de violence, de gore et d’érotisme, la saga meurtrière incroyablement ficelée et truffée de rebondissements est portée par des acteurs habités dont un Niels Arestrup impérial. (pas de spoilers dans cet article)

 

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« Avant Solange, il n’y avait rien. »

 

LES PAPILLONS NOIRS

Mini-série en 6 épisodes créée par Olivier Abbou et Bruno Merle et réalisée par Olivier Abbou
2022
Diffusée sur Arte en septembre, disponible depuis le 14 octobre sur Netflix.

Alors qu’il peine à entamer son deuxième roman, Mody, alias Adrien Winckler (Nicolas Duvauchelle), se voit proposer par un vieil homme, Albert Desiderio (Niels Arestrup), la tâche de retranscrire son histoire d’amour passionnelle avec Solange, disparue. Il prétend avoir tant aimé « cette fille de boche » dont la mère se prostituait que, pour la protéger, il a basculé dans le crime. Au fil des confessions du septuagénaire, Adrien va découvrir l’épouvantable passé de « tueur en série» de ce dernier…

On doit à Olivier Abbou la série Maroni, ainsi que le scénario et la mise en scène de séries b (tels que les thrillers Territoires et Madame Hollywood…). Olivier Merle est, entre autres, le réalisateur de la comédie Felicità avec Pio Marmaï. Leur alliance a engendré une série qui, le moins qu’on puisse écrire, ne fait pas dans la dentelle. On ne la recommandera pas aux âmes sensibles. Mais si on détourne parfois le regard devant la violence de certaines scènes, l’habileté avec laquelle les auteurs ont troussé le récit, façon puzzle, force l’admiration. Comme dans la récente mini-série Le serpent, autre histoire d’un tueur en série (inspirée de faits-réels celle-là), le va-et-vient dans le temps confère à l’intrigue un vrai dynamisme, d’autant que la reconstitution des années 70 se révèle bluffante. La mise en scène stylisée rend hommage au cinéma de genre italien, et certaines astuces pour accentuer le suspense sont dignes d’Hitchcock. On s’identifie au personnage d’Adrien (convaincant Nicolas Duvauchelle), qui accepte le job sans se douter des répercussions qu’il aura sur sa propre existence. Comme lui, on découvre peu à peu l’étendue de l’horreur, qui va crescendo à mesure des révélations édifiantes (et glauques…) et on se fait balader dans un jeu de piste. Les jeunes Albert et Solange, Bonnie and Clyde tordus, sont campés par deux acteurs exceptionnels, Alyzée Costes et Axel Granberger. La performance de ce dernier lui a valu le Prix du Meilleur acteur au festival Séries Mania, au printemps dernier. Les excellents Sami Bouajila, Alice Belaïdi, Brigitte Catillon, Lola Créton et Marie Denarnaud ajoutent également leur pierre à cet édifice. Même si on peut parfois reprocher aux auteurs d’avoir un peu chargé la mule et de ne pas avoir approfondi l’aspect psychologique, le caractère fascinant de ce thriller à faire dresser les cheveux sur la tête est indéniable. Et pour un rebondissement de plus, sachez que l’écrivain Gabriel Katz a été chargé par les créateurs d’imaginer Les papillons noirs tel que Mody aurait pu l’écrire dans la série. L’ouvrage, homonyme, est paru le 7 septembre dernier aux éditions du Masque.
6 épisodes de 60 minutes. Et avec Nicolas Wanczyckin, Henny Reents…

 

LA NUIT DU 12/AS BESTAS

Qui a dit qu’il ne se passait rien sur les écrans de cinéma en été ? Après les poids lourds Elvis et Decision To Leave, deux autres films, issus de la sélection Cannes Première 2022, se sont taillé la part du lion. Ils ont en commun d’aborder des thèmes très contemporains, mais aussi d’être particulièrement intelligents et chargés d’atmosphères. À voir absolument.(pas de spoilers dans cet article)

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« Il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes… »

  

LA NUIT DU 12

Dominik Moll
2022
En salles depuis le 13 juillet

La nuit du 12 octobre, dans un quartier pavillonnaire de Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie, la jolie Clara, 21 ans, quitte ses amies avec lesquelles elle vient de passer la soirée, et rentre chez elle à pied. Elle ne parviendra jamais à destination. Quelques minutes plus tard, un individu masqué sorti de nulle part va lui lancer de l’essence au visage et lui mettre le feu. Son corps à demi calciné est découvert le lendemain matin. Commence pour la PJ de Grenoble, saisie de l’affaire, une enquête difficile. Pour l’inspecteur fraîchement promu (Bastien Bouillon), sa résolution va tourner à l’obsession…

Dès l’introduction du film, il est annoncé que l’affaire, inspirée d’un fait réel, n’a jamais été élucidée. Et pourtant, de frustration il n’est point. Le mystère ne nuit en rien au caractère haletant de ce polar non sans similitudes avec le Zodiac de David Fincher. Dominik Moll et son fidèle scénariste Gilles Marchand se sont inspiré d’un chapitre du livre de Pauline Guéna, 18.3 — une année à la PJ (paru en 2021 chez Gallimard), et ont travaillé en immersion avec la policière judiciaire de Grenoble. Plus que la résolution de l’enquête, c’est l’impact de celle-ci sur les enquêteurs qui a passionné Dominik Moll, cinéaste français d’origine allemande célèbre pour son insidieux Harry, un ami qui vous veut du bien. À chaque nouvelle piste, l’espoir renaît, et on suit avec passion les aléas des investigations de ces policiers chevronnés qui doivent composer avec un système judiciaire à bout de souffle. D’interrogatoire en interrogatoire, confrontés à la bêtise et à la banalité du mal qui les entoure, l’inspecteur scrupuleux et son coéquipier tombent des nues. Ils vont prendre aussi conscience de la réalité vécue par les femmes : des proies dans un monde de prédateurs. Bastien Bouillon (déjà de Seules les bêtes, le film précédent de Moll), est excellent en enquêteur taiseux et scrupuleux, adepte du vélo sur piste. Le Belge Bouli Lanners bouleverse en flic usé, sanguin et attachant, tandis qu’Anouk Grinberg crève l’écran en juge déterminée qui ne mâche pas ses mots. Accompagné par la musique planante et mélodieuse d’Olivier Marguerit, ex-membre de Syd Matters et compositeur fétiche d’Arthur Harari (Diamant noir, Onoda), La nuit du 12 revêt des accents fantastiques. Ce polar à la fois plein de noirceur et d’humanité s’achève, contre toute attente, sur une note optimiste. Le jeune inspecteur reviendra plus fort de cette expérience initiatique. Il apprendra à vivre avec les fantômes et ses démons intérieurs. La vie est tout sauf une science exacte.
1 h 55 Et avec Lula Cotton-Frapier, Pauline Serieys, Théo Cholbi, Charline Paul, Matthieu Rozé, Thibaut Évrard, Julien Frison, Johann Dionnet, Mouna Soualem…

 

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« Je me suis allongé et j’ai vu le ciel étoilé. Quand je me suis réveillé, j’étais ici, dans cette vallée. Je me disais : “Quand je serai vieux, je m’y installerai. Et je serai libre”. »
– T’aurais mieux fait de te réveiller ailleurs.»

 

AS BESTAS

Rodrigo Sorogoyen
2022
En salles depuis le 20 juillet

Antoine et Olga Denis (Denis Ménochet et Marina Foïs), couple de jeunes quinquagénaires français, sont installés depuis deux ans dans un petit village misérable des montagnes de Galice, à l’ouest de l’Espagne. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et restaurent gratuitement des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Ce qui s’annonçait idyllique va prendre un tour différent. Parce qu’ils ont refusé de signer un projet lucratif de construction d’éoliennes dans le village, Antoine et Olga vont s’attirer la haine de certains locaux, et en particulier de leurs proches voisins Xan et Lorenzo Anta (Luis Zahera et Diego Anido), deux frères, deux paysans frustes, deux brutes…

Le magnifique plan au ralenti qui ouvre le film (deux hommes capturent des chevaux à mains nues pour les immobiliser au sol) évocation d’une tradition locale ancestrale, résonne comme une mise en garde. De fait, ce thriller rural aux atours de western distille un sentiment de menace permanente, de dérapage imminent. Tandis qu’Olga reste en retrait, la tension va crescendo entre Antoine et les frères Anta qui vont passer des regards en biais aux petits mots blessants, puis aux injures et au harcèlement brutal. Le cinéma de genre est un domaine que le réalisateur espagnol de El Reino et Madre maîtrise totalement. Les autochtones paraissent aussi sauvages que les paysages dans lesquels ils ont grandi. Leur haine pour ces étrangers, Français de surcroît, lettrés et donc arrogants, est palpable. À chaque confrontation, l’atmosphère est irrespirable. Même le chien fait des sales coups. On a envie de crier, à ce couple d’inconscients, de plier bagage, illico presto. Tout cela va mal finir. Il y eut des précédents : Jean de Florette, Les Chiens de paille… On frémit à chaque apparition de Luis Zahera, comédien espagnol fétiche du cinéaste, absolument terrifiant. Et pourtant, on comprend la rage et la frustration de ces paysans du cru qui travaillent une terre aride pour une bouchée de pain et n’ont aucune perspective. « Ils sont dangereux parce qu’ils n’ont rien à perdre. » dit fort justement Olga (formidable Marina Foïs) à son époux déterminé à camper sur ses positions. Rodrigo Sorogoyen excelle dans la direction d’acteurs. Il a privilégié les plans-séquences pour laisser aux comédiens davantage de liberté. À ce titre, la scène entre Olga et sa fille (excellente Marie Colomb repérée dans la série Laëtitia) est une leçon de cinéma. As Bestas signifie “Les bêtes”, en galicien. Cette peinture de l’humanité et de ses monstres fait l’effet d’une claque. Accroché au fauteuil, on ne voit pas passer les 2 h 17.
Et avec José Manuel Fernández y Blanco, Luisa Merelas…