LA NUIT DU 12/AS BESTAS

Qui a dit qu’il ne se passait rien sur les écrans de cinéma en été ? Après les poids lourds Elvis et Decision To Leave, deux autres films, issus de la sélection Cannes Première 2022, se sont taillé la part du lion. Ils ont en commun d’aborder des thèmes très contemporains, mais aussi d’être particulièrement intelligents et chargés d’atmosphères. À voir absolument.(pas de spoilers dans cet article)

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« Il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes… »

  

LA NUIT DU 12

Dominik Moll
2022
En salles depuis le 13 juillet

La nuit du 12 octobre, dans un quartier pavillonnaire de Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie, la jolie Clara, 21 ans, quitte ses amies avec lesquelles elle vient de passer la soirée, et rentre chez elle à pied. Elle ne parviendra jamais à destination. Quelques minutes plus tard, un individu masqué sorti de nulle part va lui lancer de l’essence au visage et lui mettre le feu. Son corps à demi calciné est découvert le lendemain matin. Commence pour la PJ de Grenoble, saisie de l’affaire, une enquête difficile. Pour l’inspecteur fraîchement promu (Bastien Bouillon), sa résolution va tourner à l’obsession…

Dès l’introduction du film, il est annoncé que l’affaire, inspirée d’un fait réel, n’a jamais été élucidée. Et pourtant, de frustration il n’est point. Le mystère ne nuit en rien au caractère haletant de ce polar non sans similitudes avec le Zodiac de David Fincher. Dominik Moll et son fidèle scénariste Gilles Marchand se sont inspiré d’un chapitre du livre de Pauline Guéna, 18.3 — une année à la PJ (paru en 2021 chez Gallimard), et ont travaillé en immersion avec la policière judiciaire de Grenoble. Plus que la résolution de l’enquête, c’est l’impact de celle-ci sur les enquêteurs qui a passionné Dominik Moll, cinéaste français d’origine allemande célèbre pour son insidieux Harry, un ami qui vous veut du bien. À chaque nouvelle piste, l’espoir renaît, et on suit avec passion les aléas des investigations de ces policiers chevronnés qui doivent composer avec un système judiciaire à bout de souffle. D’interrogatoire en interrogatoire, confrontés à la bêtise et à la banalité du mal qui les entoure, l’inspecteur scrupuleux et son coéquipier tombent des nues. Ils vont prendre aussi conscience de la réalité vécue par les femmes : des proies dans un monde de prédateurs. Bastien Bouillon (déjà de Seules les bêtes, le film précédent de Moll), est excellent en enquêteur taiseux et scrupuleux, adepte du vélo sur piste. Le Belge Bouli Lanners bouleverse en flic usé, sanguin et attachant, tandis qu’Anouk Grinberg crève l’écran en juge déterminée qui ne mâche pas ses mots. Accompagné par la musique planante et mélodieuse d’Olivier Marguerit, ex-membre de Syd Matters et compositeur fétiche d’Arthur Harari (Diamant noir, Onoda), La nuit du 12 revêt des accents fantastiques. Ce polar à la fois plein de noirceur et d’humanité s’achève, contre toute attente, sur une note optimiste. Le jeune inspecteur reviendra plus fort de cette expérience initiatique. Il apprendra à vivre avec les fantômes et ses démons intérieurs. La vie est tout sauf une science exacte.
1 h 55 Et avec Lula Cotton-Frapier, Pauline Serieys, Théo Cholbi, Charline Paul, Matthieu Rozé, Thibaut Évrard, Julien Frison, Johann Dionnet, Mouna Soualem…

 

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« Je me suis allongé et j’ai vu le ciel étoilé. Quand je me suis réveillé, j’étais ici, dans cette vallée. Je me disais : “Quand je serai vieux, je m’y installerai. Et je serai libre”. »
– T’aurais mieux fait de te réveiller ailleurs.»

 

AS BESTAS

Rodrigo Sorogoyen
2022
En salles depuis le 20 juillet

Antoine et Olga Denis (Denis Ménochet et Marina Foïs), couple de jeunes quinquagénaires français, sont installés depuis deux ans dans un petit village misérable des montagnes de Galice, à l’ouest de l’Espagne. Ils pratiquent une agriculture écoresponsable et restaurent gratuitement des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Ce qui s’annonçait idyllique va prendre un tour différent. Parce qu’ils ont refusé de signer un projet lucratif de construction d’éoliennes dans le village, Antoine et Olga vont s’attirer la haine de certains locaux, et en particulier de leurs proches voisins Xan et Lorenzo Anta (Luis Zahera et Diego Anido), deux frères, deux paysans frustes, deux brutes…

Le magnifique plan au ralenti qui ouvre le film (deux hommes capturent des chevaux à mains nues pour les immobiliser au sol) évocation d’une tradition locale ancestrale, résonne comme une mise en garde. De fait, ce thriller rural aux atours de western distille un sentiment de menace permanente, de dérapage imminent. Tandis qu’Olga reste en retrait, la tension va crescendo entre Antoine et les frères Anta qui vont passer des regards en biais aux petits mots blessants, puis aux injures et au harcèlement brutal. Le cinéma de genre est un domaine que le réalisateur espagnol de El Reino et Madre maîtrise totalement. Les autochtones paraissent aussi sauvages que les paysages dans lesquels ils ont grandi. Leur haine pour ces étrangers, Français de surcroît, lettrés et donc arrogants, est palpable. À chaque confrontation, l’atmosphère est irrespirable. Même le chien fait des sales coups. On a envie de crier, à ce couple d’inconscients, de plier bagage, illico presto. Tout cela va mal finir. Il y eut des précédents : Jean de Florette, Les Chiens de paille… On frémit à chaque apparition de Luis Zahera, comédien espagnol fétiche du cinéaste, absolument terrifiant. Et pourtant, on comprend la rage et la frustration de ces paysans du cru qui travaillent une terre aride pour une bouchée de pain et n’ont aucune perspective. « Ils sont dangereux parce qu’ils n’ont rien à perdre. » dit fort justement Olga (formidable Marina Foïs) à son époux déterminé à camper sur ses positions. Rodrigo Sorogoyen excelle dans la direction d’acteurs. Il a privilégié les plans-séquences pour laisser aux comédiens davantage de liberté. À ce titre, la scène entre Olga et sa fille (excellente Marie Colomb repérée dans la série Laëtitia) est une leçon de cinéma. As Bestas signifie “Les bêtes”, en galicien. Cette peinture de l’humanité et de ses monstres fait l’effet d’une claque. Accroché au fauteuil, on ne voit pas passer les 2 h 17.
Et avec José Manuel Fernández y Blanco, Luisa Merelas…

 

LA FORME DE L’EAU : Oscar 2018 du Meilleur film

Bon, moi, j’étais plutôt team 3 Billboards, les panneaux de la vengeance. Mais l’Académie des Oscars a préféré récompenser le conte fantastique de Guillermo del Toro qui a donc raflé, la nuit dernière, quatre trophées dont celui du Meilleur film et Meilleur réalisateur. Ainsi, c’est quasiment avec son œuvre la moins intéressante que cinéaste mexicain aura obtenu la consécration. Infantile, glauque, et bien trop sage malgré sa splendeur visuelle, La forme de l’eau ne m’a pas bouleversée une seconde…

 

« Oh, would I tell you about the place ? A small city near the coast, but far from everything else. »

  

La forme de l’eau (The Shape Of Water)

Guillermo del Toro
2017
Dans les salles françaises depuis le 21 février 2018
Lion d’Or du festival de Venise 2017
Golden Globes 2018 du Meilleur réalisateur et de la Meilleure musique (Alexandre Desplat)
Oscars 2018 des Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleure musique et Meilleure direction artistique

Au début des années 60, à Baltimore, Elisa (Sally Hawkins) jeune femme muette (mais entendante) vit une existence plutôt solitaire. Elle a pour seuls amis son voisin, Giles (Richard Jenkins), un illustrateur sexagénaire sur lequel elle veille avec tendresse, et Zelda (Octavia Spencer), agent d’entretien, comme elle, dans un centre de recherche spatiale. Un jour, en faisant le ménage dans le laboratoire secret, Elisa découvre une créature mi-homme mi-poisson retenue prisonnière dans une cuve. Cet amphibien déniché dans un fleuve d’Amazonie par le Colonel Strickland (Michael Shannon), chef de la sécurité du site, est soumis quotidiennement à un traitement particulièrement brutal. A l’insu de tous, la jeune femme parvient à entrer en contact avec cet être mystérieux, dont elle va peu à peu tomber amoureuse…

On est bien d’accord, Guillermo del Toro est un maître. Qui a vu L’Echine du diable ou Le Labyrinthe de Pan ne peut qu’en être convaincu. Depuis Cronos, le film de ses débuts, je suis fan et même les controversés Pacific Rim et la récente série The Strain m’ont grandement emballée. Ses bidouillages horrifiques, sa passion pour les monstres et son sens de la démesure vont toujours de pair, chez lui, avec des images puissantes et un sens aigu de la mise en scène. D’où l’immense sentiment de frustration éprouvé devant La forme de l’eau, sorte de « boursouflade » nourrie de toutes ses obsessions et influences, et hommage au cinéma de genre de son enfance. En tête : L’étrange créature du Lac noir de Jack Arnold et La créature est parmi nous de John Sherwood. Mais plus que l’hommage à la série B, ce qui déborde ici, c’est l’influence de Terry Gilliam et d’un de ses disciples, Jean-Pierre Jeunet (par voie de presse, ce dernier a d’ailleurs accusé le réalisateur mexicain de plagiat). Le film baigne dans une esthétique rétro-futuriste, les tons bleu-vert, et a toutes les caractéristiques du cauchemar (tel ce long couloir qui mène à l’appartement d’Elisa). Les visuels, certes, impressionnent, mais si le cinéaste a mis les formes, il a négligé le fond, et les personnages se révèlent bien trop stéréotypés. Le camp des gentils se compose de quatre laissés pour compte (une handicapée, une femme noire, un gay vieillissant au chômage, un communiste), les méchants sont caricaturaux à souhait (Michael Shannon a mis le paquet), à l’instar des espions russes (on est en pleine Guerre froide), plutôt comiques au demeurant. Dans ce cabinet de curiosités hélas, tout est convenu, téléphoné (annoncé même) jusqu’à ce monstre policé et cette histoire d’amour précipitée, à laquelle on voudrait croire, mais qui sonne faux. Il émane même un malaise diffus de cette naïveté surjouée par cette Amélie Poulain aux tendances zoophiles. Le réalisateur mexicain a dédié son film à l’amour et au cinéma. Mais il y avait davantage de romantisme et d’émotion dans The Strain ou même dans Hellboy II. Y brillait un amphibien bien plus attachant, Abe Sapien, déjà incarné par Doug Jones, l’acteur derrière le poisson de La forme de l’eau. L’Oscar, Guillermo del Toro le méritait déjà, et bien davantage, pour Le labyrinthe de Pan.
2h 03 Et avec Michael Stuhlbarg, David Hewlett, Nick Searcy, Stewart Arnott, Lauren Lee Smith…

BANDE-ANNONCE






 

PACIFIC RIM : Le sens de la démesure

Contre toute attente, c’est à Guillermo del Toro, le réalisateur du traumatisant  Labyrinthe de Pan, qu’on doit le blockbuster le plus titanesque de l’été 2013. Secrets de fabrication dans les bonus du Blu-ray…

PACIFIC RIM

PACIFIC RIM

Guillermo del Toro
2013 (Warner Home Vidéo)

La Terre est le théâtre d’une guerre impitoyable depuis que des créatures géantes et monstrueuses, les Kaijus, ont surgi de l’océan Pacifique profitant d’une brèche apparue entre deux plaques tectoniques, formant un portail entre deux dimensions. Les hommes ont répliqué en fabriquant des Jaegers, robots gigantesques contrôlés en simultané par deux pilotes reliés par un pont neuronal. Les Jaegers ont d’abord eu le dessus, mais en 2020, les Kaijus sont revenus, plus gigantesques encore, et plus meurtriers. Cinq ans plus tard, alors que le programme Jaeger a été abandonné par l’armée, faute de résultats, la résistance, menée par Stacker Pentecost (Idris Elba), rappelle sur le terrain l’un des meilleurs pilotes, Raleigh Becket (Charlie Hunnam, le Jax de Sons Of Anarchy), traumatisé par la mort de son frère durant un combat contre un Kaiju…

Ainsi donc, c’est à ce blockbuster que l’on doit l’éloignement des écrans du génial Guillermo del Toro, dont le film précédent, HellBoy 2, remontait à 2008. Le cinéaste mexicain à l’imagination fertile s’est fait plaisir en renouant avec la passion de son enfance : le cinéma de genre japonais et les mecha, dessins animés issus du manga, peuplés de robots immenses (Goldorak, Evangelion…). La Planète comme terrain de jeu, le cinéaste s’en est donné à cœur joie, mettant en scène des séquences de destruction massive et des combats titanesques à faire pâlir Roland Emmerich. Pourtant, Guillermo del Toro prend le soin de toujours rester à hauteur d’homme. L’humain reste le moteur de la machine, et son intelligence. La démesure et l’abracadabrantesque sont alliés à un souci constant de réalisme et obéissent à une logique très étudiée. Face à des monstres qui semblent provenir des pires cauchemars et des peurs enfantines (voir l’épatante scène dans laquelle la petite Mako est pourchassée par un Kaiju gigantesque dans les rues de Tokyo), les hommes ont leurs failles et leur bravoure. En cela, Raleigh rejoint le Luke Skywalker de Star Wars. C’est un héros au cœur pur, qui veut sauver le monde coûte que coûte, et sa détermination trouve un écho magnifique dans la musique épique composée par Ramin Djawadi (Game Of Thrones). Un peu bourrin comme il se doit pour un divertissement de genre, pimenté d’humour (dans le rôle du nerd-savant fou, Charlie Day en fait des tonnes) et d’éclats romantiques (sublime séquence de l’apparition de Mako – Rinko Kikuchi – sous une pluie battante), Pacific Rim n’en demeure pas moins un film d’esthète, qui permet de constater que le réalisateur du Labyrinthe de Pan n’a rien perdu de son génie visuel. Impressionnant !

BANDE-ANNONCE

MakoChild

PACIFIC RIM

Test Blu-ray 2D :

Interactivité***
De la création des Kaiju et des Jaegers à celle de la musique, tous les secrets du tournage sont divulgués par Guillermo del Toro au long d’une multitude de reportages et de dessins de production, répartis sur le premier et le second disque. Le cinéaste insiste sur la liberté de sa création, et confie que son film est moins un hommage qu’une manière d’instiller du sang neuf à un genre qui a bercé son enfance et nourri son imaginaire. Un bémol néanmoins dans ce programme : seuls les anglophones pourront profiter du commentaire audio du réalisateur.

Image ****
Format : 1.85
Rutilante et détaillée, elle met en valeur le travail du chef opérateur mexicain Guillermo Navarro, déjà responsable de la photo de L’Echine du Diable et du Labyrinthe de Pan. La définition est exemplaire et la sensation de relief, saisissante, même en 2D.

Son : ****
DTS-HD 5.1 et DD 5.1 en anglais
DTS-HD 7.1 en français
Sous-titres français non-imposés
Prévenir les voisins tant ça déménage dans tous les canaux ! Le caisson de basses fait littéralement trembler le sol. Le 5.1 anglais n’a rien à envier à au 7.1 de la version française (d’autant qu’on profite de la voix profonde de Charlie Hunnam). Puissante, enveloppante et pourtant limpide, la piste DTS-HD propulse la musique de Ramin Djawadi dans les étoiles.

Existe aussi en DVD et Edition Ultimate Blu-ray 3D 

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