LOVE & MERCY : l’incroyable destin de Brian Wilson

Il y a onze ans, le producteur passionné de musique Bill Pohlad passait derrière la caméra pour retracer le parcours édifiant de Brian Wilson, leader des Beach Boys, qui vient de disparaître, ce 11 juin 2025, à quatre-vingt deux ans. Si vous avez raté ce petit bijou, c’est le moment de vous rattraper !

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« We’re not surfers, we never have been and real surfers don’t dig our music anyway ! »
Brian Wilson

 

LOVE & MERCY

Bill Pohlad
2014
Paru dans les salles françaises le 1er juillet 2015
Disponible en DVD/Blu-ray chez ARP

Au milieu des années 60, les tubes des Beach Boys déferlent sur les ondes US, et Brian Wilson (Paul Dano), leur leader, annonce au groupe (composé, entre autres, de ses deux frères) qu’il ne montera plus sur scène avec eux et se consacrera désormais à l’écriture des chansons en studio. Alors que son génie fait l’admiration de tous, le compositeur est de plus en plus sujet à des crises d’angoisse et de schizophrénie, dues à des traumatismes d’enfance. Vingt ans plus tard, Brian Wilson (John Cusack), qui n’est plus que l’ombre de lui-même et vit sous l’emprise d’un psychiatre véreux et manipulateur (Paul Giamatti), rencontre la femme qui pourrait bien lui sauver la vie (Elizabeth Banks)…

Le biopic musical peut prendre des formes diverses et variées. Il en est des académiques, des linéaires qui relatent les événements de manière très chronologique (Ray) et des déjantés, qui tiennent davantage de la vision que de la biographie, tels Velvet Goldmine ou I’m Not There. Certains ont eu l’autorisation d’utiliser les chansons originales, d’autres non (et parmi ceux-là, certains sont cependant des bons films, Velvet Goldmine en témoigne). Love & Mercy (titre d’une chanson de Brian Wilson publiée en 1988 sur l’album éponyme) a bénéficié de l’aval et de la totale collaboration du musicien, ce qui permet non seulement d’entendre les tubes mythiques (« God Only Knows », « Good Vibrations »…), mais également d’assister, telle une petite souris qui se serait glissée dans le studio d’enregistrement, à la reconstitution de leur création. Le film ramène dès l’ouverture dans la Californie des sixties, reconstituée de manière saisissante par un travail soigné des couleurs et du grain de l’image. Très vite, on bascule dans la période sombre des années 80, et s’ensuit un va-et-vient très habile entre les deux décennies, qui permet aux séquences de se répondre mutuellement. On ne dévoilera pas tout du film, tant cette histoire (incroyable mais vraie) réserve de surprises. Basé sur un scénario de Michael A. Lerner, peaufiné par Oren Moverman (déjà scénariste de I’m Not There), Love & Mercy est signé Bill Pohlad, un passionné de la musique de Brian Wilson. Il s’agit seulement de son deuxième long-métrage en tant que réalisateur après l’obscur Old Explorers, paru en 1990. Ce fils de milliardaire et producteur réputé (12 Years A Slave, Into The Wild, The Tree Of Life, The Runaways…) qui se prépare à porter à l’écran l’histoire d’amour de Miles Davis et Juliette Gréco, a accompli ici un tour de force. Son film parvient à propulser le spectateur à l’intérieur de la tête du génial Brian Wilson, compositeur touché par la grâce, et à rendre palpable sa souffrance, sa solitude et son désarroi. Sensationnel, Paul Dano fait un Brian Wilson tourmenté troublant de ressemblance. John Cusack est littéralement bouleversant ; Paul Giamatti campe son rôle de vilain avec jubilation et Elizabeth Banks, en héroïne et personnage clé de l’histoire, n’a jamais paru aussi fabuleuse. Ce film est une merveille et son épilogue, un petit bijou.
Et avec : Jake Abel, Kenny Wormald, Brett Davern, Tyson Ritter…

 

 

UN PARFAIT INCONNU (A Complete Unknown)

Après avoir rendu hommage à Johnny Cash, le réalisateur américain James Mangold s’attaque à un autre monument de la musique : Bob Dylan, l’un des artistes les plus marquants de son époque, mais aussi l’une de ses figures les plus énigmatiques. Fabuleux !

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« Tous ces gens veulent que je sois quelqu’un d’autre. Qu’ils me laissent…
– Te laissent quoi ?
– Être ce qu’ils ne veulent pas que je sois. »

 

UN PARFAIT INCONNU (A Complete Unknown)

James Mangold
2024
Dans les salles françaises depuis le 29 janvier 2025

En 1961, Bob Dylan (Timothée Chalamet) a vingt ans. Guitare sur le dos, pas un sou en poche, il débarque de son Minnesota natal à New York. Il est bien décidé à rencontrer son maître, Woodie Guthrie, le chantre de la musique populaire américaine. Ce dernier (Scott McNairy), atteint d’une grave maladie dégénérative, réside désormais à l’hôpital. Dans la chambre, Dylan le trouve en compagnie de Pete Seeger (Edward Norton), autre pionnier du folk. Amusés par cette arrivée impromptue, les deux amis invitent le jeune troubadour à leur jouer quelque chose. Ils vont être sidérés…

Il est moins sexy que Elvis Presley ou Mick Jagger, moins glam que David Bowie, et pourtant Bob Dylan est peut-être le plus rock’n’roll d’entre tous. Et, assurément, le plus rebelle. C’est ce qui frappe dans ce biopic de James Mangold qui, entre autres mérites, a celui de permettre d’approcher un peu la psyché de l’icône de la pop music, poète et auteur au génie incontestable (le premier chanteur à avoir remporté un Prix Nobel, qu’il n’est pas venu chercher…), mais à la personnalité insaisissable, presque abstraite. Individualiste forcené, Dylan brouille constamment les pistes, exècre le star-system, les postures, la popularité, et refuse d’entrer dans les cases. Qu’il s’agisse d’art ou de relations humaines. Il traite ses petites amies avec désinvolture et une négligence qui confine à la cruauté. Timothée Chalamet, comme on pouvait s’y attendre, incarne magnifiquement cette figure pleine de contradictions, et parvient, grâce à son charisme naturel, à rendre attachant ce sale gosse insolemment doué qui prétend ne vouloir être que lui-même. Autre prouesse de l’acteur : il chante et joue lui-même les chansons (à l’instar de la plupart des comédiens du film). À ce titre, les séquences musicales sont bluffantes et, on s’en félicite, beaucoup de morceaux sont joués dans leur intégralité. Le cinéaste déjà réalisateur en 2005 d’un magistral film sur Johnny Cash (Walk The Line — voir ma critique ici), s’est focalisé sur une période précise de la vie de Dylan : de son arrivée à New York jusqu’à son passage à la guitare électrique, en 1965, qui a grandement contrarié la communauté folk. Le scénario, écrit par Mangold et Jay Cocks, se base sur le livre du journaliste Elijah Wald paru en 2015, Dylan Goes Electric ! :Newport, Seeger, Dylan And The Night That Split The Sixties (la version française est disponible chez Rivages). Un parfait inconnu, traduction de A Complete Unknown, vers tiré de la monumentale chanson « Like A Rolling Stone » n’est pas la première fiction consacrée à Bob Dylan. En 2007, Todd Haynes avait réalisé un portrait kaléidoscopique de l’artiste aussi audacieux que déroutant (voir ma critique ici). La forme adoptée par Mangold, plus traditionnelle, est susceptible de séduire un public plus large, aficionados comme néophytes. Dès les premiers plans, la reconstitution de ce Greenwich Village mythique et aujourd’hui disparu, éblouit dans les moindres détails. La distribution décoiffe également. Edward Norton émeut en Pete Seeger, le mentor éperdument admiratif de son poulain. Monica Barbaro en Joan Baez, et Boyd Holdbrook en Johnny Cash, sont magnifiques. Elle Fanning fait une bouleversante Suze Rotolo — rebaptisée ici Sylvie Russo à la demande de Bob Dylan lui-même — la petite amie et muse des débuts qui figure sur la pochette de l’album Freewheelin’. Car si Martin Scorsese n’avait pas été autorisé à rencontrer l’artiste lors de la conception du documentaire No Direction Home, James Mangold, lui, a pu échanger avec le musicien, qui a validé le scénario. Il a également adoubé Timothée Chalamet via un tweet. Quant à savoir s’il a pris la peine de voir le film, c’est une autre histoire.
2 h 21 Et avec Joe Tippett, Eriko Atsune, Dan Fogler, Will Harrison, Charlie Tahan, Laura Kariuki…

Viva ELVIS !

Époustouflant ! L’évocation de la vie du King par l’Australien Baz Luhrmann est à tomber à la renverse. Porté par un jeune acteur sensationnel dont la performance laisse sans voix (!), dopé par une mise en scène fabuleuse et un travail phénoménal sur la musique, le film emporte dans un maelstrom d’émotions. Beau à pleurer !

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« I’m gonna be forty soon, and nobody’s gonna remember me. »

  

ELVIS

Baz Luhrmann
2022
Dans les salles françaises depuis le 22 juin 2022

À la fin de sa vie, en 1997, le Colonel Parker (Tom Hanks) se remémore sa rencontre avec Elvis Presley (Austin Butler) dont il sera l’imprésario jusqu’à la mort. C’était en 1955. Le jeune chanteur venait d’enregistrer son premier disque et faisait ses débuts sur scène. Tom Parker, forain et manager d’artistes de musique country, a compris aussitôt qu’il tenait la perle rare, et la poule aux œufs d’or…

Qui aurait pensé que l’un des meilleurs films sur la musique (comprendre biopic déjanté) serait signé Baz Luhrmann, le roi de la démesure, du kitsch, du strass et du clinquant ? À côté, Bohemian Rhapsody (malgré la prestation de Rami Malek) fait figure de téléfilm. Ce qu’il est, d’ailleurs, pour les véritables amateurs de Queen. Car si Elvis se focalise sur la relation toxique entre le manager et son poulain, le biopic exprime formidablement la passion pour la musique de Presley tout en immergeant dans ces tumultueuses années 50, 60 et 70 américaines. Pour mieux cerner le contexte culturel qui a bercé l’enfance de la star, Baz Luhrmann s’est installé dans le sud des États-Unis (en revanche le film a été tourné en grande partie dans le Queensland, en Australie). C’est effectivement dans sa proximité avec la communauté noire qu’il côtoyait depuis l’enfance (Presley est né à Tupelo, dans le Mississippi) qu’il fallait aller chercher la clé de l’artiste. L’adolescent fera siens les répertoires blues et gospel, ainsi que le rhythm’n’blues des chanteurs afro-américains qu’il admirait. Le réalisateur de Moulin Rouge s’attache, et avec une tendresse non feinte, à dépeindre Elvis comme un être empreint d’une profonde spiritualité. Il n’y a pas que du vrai, mais il y en a beaucoup. Inévitablement, cette belle âme allait se faire broyer par son impresario malin et retors, faux colonel et vrai escroc (il deviendra le modèle de beaucoup de managers douteux par la suite, d’Allen Klein à Tony Defries en passant par Andrew Loog Oldham). Campé par un Tom Hanks méconnaissable, Tom Parker est roublard jusqu’au bout du cigare. L’histoire retiendra qu’il a « fait » Elvis et son malheur en même temps. À la manière de Nick Carraway dans Gatsby le magnifique, que Baz Luhrmann a porté à l’écran en 2013, c’est par le regard de Parker qu’on découvre la vie de Presley et son parcours. Austin Butler, jeune comédien formé chez Disney Channel, a travaillé durant deux ans pour entrer dans la peau de l’icône. Mieux qu’une copie, cet interprète doué (il chante la plupart des morceaux), incarne le King au-delà des espérances — Priscilla Presley elle-même n’en est pas revenue —, et ses performances scéniques sont électrisantes (celles du Comeback Special de 1968 sont même bluffantes). Curieusement, Kurt Russell, qui a campé avec brio la rock star en 1979 dans le très bon téléfilm de John Carpenter Le roman d’Elvis (Elvis en VO) était lui aussi un enfant de la télé et de l’écurie Disney. Bien sûr, la bande-son est à la sauce luhrmannienne. Elle mêle reprises par Austin Butler, chansons originales interprétées par Presley, et incursions vocales de rappeurs et musiciens de toutes générations dont Doja Cat, Denzel Curry, Tame Impala ou Eminem (mention spéciale à la reprise de If I Can Dream par Måneskin). Malgré ses atours de manège à sensation, cette œuvre hybride, romantique et follement spectaculaire montre l’humain derrière le mythe et réussit à approcher la vérité d’Elvis Presley. Du grandiose, de la démesure, du tragique, de la folie… il n’en fallait pas moins pour rendre hommage au King. Peut-être le meilleur film de Baz Luhrmann à ce jour.
2 h 39 Et avec Olivia DeJonge, Richard Roxburgh, Helen Thompson, Kodi Smith-McPhee, Luke Bracey, David Wenham, Alton Mason, Dacre Montgomery (le Billy de Stranger Things)…