PRISCILLA

Un an après le monumental Elvis de Baz Luhrmann, le biopic de Sofia Coppola s’attache à la personnalité de l’épouse de la star et grand amour de sa vie. Cette histoire d’un couple hors-norme, complexe autant qu’édifiante, est portée par deux jeunes acteurs talentueux : Cailee Spaeny et Jacob Elordi. Experte en mélancolie et en portraits de femmes enfermées dans des prisons dorées, Sofia Coppola était la cinéaste idéale pour traduire les états d’âme de cette baby doll en marche vers la liberté.

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« I want a life of my own… »

  

PRISCILLA

Sofia Coppola
2023
Depuis le 3 janvier 2024 dans les salles françaises

En 1959, dans la ville de garnison allemande où son père, capitaine de l’armée de l’air américaine, a été affecté, la jeune Priscilla Beaulieu (Cailee Spaeny), quatorze ans, s’ennuie. Au club culturel local où elle s’est rendue après l’école, elle a été remarquée par un soldat américain qui lui a proposé de l’emmener à un concert d’Elvis Presley (Jacob Elordi). La star effectue son service militaire sur une base toute proche et a le mal du pays…

Après Marie-Antoinette, Priscilla. Sofia Coppola se penche à nouveau sur le destin d’une adolescente confrontée à la cruauté d’un monde aux apparences de conte de fées. Lorsqu’elle rencontre Elvis à la fin des années 50, Priscilla a quatorze ans. Il a en a dix de plus. Elle prétendra que leur rencontre a été le fruit du hasard, mais la plupart des biographes vont insister sur les talents de stratège de la jeune fille. Quoi qu’il en soit, le film de Sofia Coppola épouse la version de son héroïne, telle qu’elle l’a livrée dans Elvis And Me, son livre publié en 1985. Comme un contrepoint au magistral Elvis de Baz Luhrmann, l’intimiste Priscilla montre l’envers du décor de la vie de ce couple hypermédiatisé, et exploite un angle que le cinéaste australien s’était contenté d’effleurer (joliment au demeurant). Sofia Coppola est souvent raillée pour ne filmer que le vide et l’ennui, c’est aussi son talent. Priscilla n’est peut-être pas un « grand » film tel que Elvis pouvait l’être, mais un beau film, assurément. Dès les premières images, le savoir-faire de la réalisatrice de Virgin Suicides resplendit. La délicatesse de la mise en scène, la reconstitution presque fétichiste des décors, des costumes et des accessoires émerveillent. La cinéaste n’a pas été autorisée à utiliser des chansons d’Elvis, mais la musique, signée Sons Of Raphael, et les titres de la bande-son (par Frankie Avalon, Brenda Lee, The Shadows, The Ronettes ou Dolly Parton) font le job. Le beau Jacob Elordi, jeune acteur australien révélé en 2018 par la production Netflix The Kissing Booth, et star de la série Euphoria, fait un Elvis extrêmement charismatique et parfois troublant de ressemblance. Sa grande taille (1 m 93) contraste avec celle de l’actrice Cailee Spaeny, plutôt proche d’1 m 50 (Priscilla était petite elle aussi — 1 m 57), qui prête ses traits juvéniles à cette adolescente amoureuse et sous emprise. Curieusement assorti, le couple suscite d’emblée un sentiment de malaise. C’est parce qu’elle paraissait discrète et sage que Priscilla a séduit Elvis, las des groupies hystériques et des starlettes ambitieuses. Elle finira par être prise à son propre piège. En accord avec les parents de la jeune fille, et au grand dam de cette dernière, leur relation est restée chaste jusqu’au mariage, en 1967 ! Tout cela est édifiant. Priscilla brosse aussi le portrait d’une époque. Les frasques, Elvis les faisait ailleurs qu’à Graceland, sur les plateaux de tournage ou lors des tournées avec son groupe. Princesse sans pouvoir, Priscilla, elle, se devait d’attendre gentiment son retour, d’être une sainte. Sois belle et tais-toi. Cependant, elle lui a pardonné autant qu’elle a pu, sachant qu’elle était la seule à voir la face cachée de sa star d’époux, sa fragilité et la pression qu’il endurait constamment. Le temps et la dépendance aux médicaments d’Elvis finiront par avoir raison de la patience de la femme la plus enviée du monde. La Belle au bois dormant aura mis treize ans à se réveiller.
1h 53 Et avec Ari Cohen, Dagmara Dominczik, Tim Post, Lynne Griffin, Dan Beirne…

OSCARS 2023 : bienvenue dans le multivers !

La 95ème édition des Oscars qui s’est déroulée le 12 mars au Dolby Theatre de Hollywood, à Los Angeles, a joué la carte de l’apaisement. Encore hantés par le scandale Will Smith de l’année précédente, les organisateurs ont confié les rênes de la soirée à l’humoriste et animateur de télévision Jimmy Kimmel qui, à défaut de génie, a fait preuve de professionnalisme. On est loin de Ricky Gervais… Quelques saillies méritent néanmoins d’être signalées.

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©Myung J.Chun/LA Times

« On dit que Hollywood n’a plus d’idées. Même Steven Spielberg a dû faire un film sur Steven Spielberg. »

« Une belle année pour la diversité. On a des nommés de tous les quartiers de Dublin. »

 « S’il se passe quelque chose d’imprévisible ou de violent, faites la même chose que la dernière fois : rien. Restez totalement impassibles et, vous verrez, tout se passera bien. »

 

PALMARÈS
 

 

LA RAZZIA EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE


©Jeff Kravitz/Film Magic

La cérémonie, terriblement sage et consensuelle, ne restera pas dans les annales, mais son palmarès a pris des allures de petite révolution. Les onze nominations attribuées à Everything Everywhere All At Once avaient étonné, mais les sept Oscars raflés par ce film déjanté, truffé de références et souvent confus – mêlant univers parallèles (le multivers) et famille dysfonctionnelle –, laissent pantois. Non pas qu’il ne méritât pas de récompenses, mais autant de trophées pour une œuvre conceptuelle au message gentillet, à laquelle, personnellement, j’aurais également donné, tant qu’on y était, l’Oscar du film le plus épuisant, me semble totalement injustifié. EEAAO, son titre en abrégé, n’a laissé aucune miette aux autres poids lourds en lice, à savoir Les Banshees d’Inisherin (9 nominations), Elvis (8 nominations) ou encore The Fabelmans (7 nominations). Babylon, la fresque grandiose de Damien Chazelle avec une Margot Robbie géniale et même pas nommée, passe lui aussi à la trappe. Forcément, on se dit que Hollywood marche sur la tête. Mais le palmarès fait écho aux goûts du public américain, qui a fait un triomphe à EEAAO, érigé en phénomène de l’année aux US, alors que les films de Damien Chazelle et de Steven Spielberg ont fait un flop. À son tour, Hollywood semble tourner le dos au cinéma classique et a encensé, dimanche, une nouvelle génération de réalisateurs, trentenaires et issus du Web, en même temps qu’une certaine forme de liberté de création. C’est un bouleversement, mais faut-il s’en réjouir ?

Everything Everywhere All At Once (tout partout à la fois) de Daniel Scheinert et Daniel Kwan a ainsi remporté devant un public en liesse les Oscars du Meilleur Film, Meilleur réalisation, Meilleure actrice, Meilleurs seconds rôles masculin et féminin, Meilleur scénario original et Meilleur montage (mérité celui-ci). Les Daniels comme on les surnomme, ont fait leurs armes dans l’univers du clip et de la publicité. Déjà culte, leur premier long-métrage réalisé en 2016, Swiss Army Man, avec Paul Dano et Daniel Radcliffe, narrait la rencontre d’un homme en dépression et d’un cadavre pétomane. Leurs discours n’ont pas manqué de sel.


©Todd Heisler/The New York Times

« Ce qu’on peut faire de mieux, c’est se protéger les uns les autres du chaos qui nous entoure. Le monde est en train de changer très rapidement. Nos histoires le racontent au mieux. Parfois c’est un peu effrayant de voir que les films racontent l’histoire année après année, alors que sur Internet, les histoires se racontent seconde par seconde. » Daniel Kwan

« Le génie, ça ne vient pas de nulle part. Ça ne vient pas d’une vision. Ça s’incarne par un collectif. On est juste des produits de notre environnement. Il y a de la grandeur chez chacun d’entre nous, peu importe qui nous sommes. Merci à ceux qui ont trouvé la clé pour libérer le génie qui est en moi. » Daniel Kwan

« Merci à ma mère et mon père de ne pas avoir écrasé ma créativité lorsque je réalisais des films d’horreur vraiment tordus, ou des comédies bizarroïdes ou quand je m’habillais avec des vêtements de fille et que je ne menaçais absolument personne. » Daniel Scheinert

 Après avoir remporté le Golden Globe, la sympathique Michelle Yeoh, qui fut la reine du cinéma d’action à Hong Kong dans années 90 avant de poursuivre une carrière internationale, décroche également l’Oscar de la Meilleure actrice. La compagne de Jean Todt devient la première comédienne d’origine asiatique à recevoir ce trophée. Elle a eu le triomphe modeste.


©Kevin Winter/Getty Images

« Mesdames, Mesdemoiselles, ne permettez à personne de vous dire que vous êtes allées trop loin, que vous en demandez trop… Je dois dédier cet Oscar à ma mère, à toutes les mères, car ce sont elles les super-héroïnes du monde. Sans elles, aucun ni aucune d’entre nous ne serait ici ce soir. »

 

Même si on espérait une autre issue, on s’est réjoui malgré tout du bonheur des deux improbables élus à l’Oscar du Meilleur second rôle, dont l’implication physique dans le film force le respect. L’acteur d’origine vietnamienne Ke Huy Quan, qui fut en 1984 (à douze ans) le gamin d’Indiana Jones et le temple maudit, puis de la bande des Goonies, remporte son trophée devant les yeux émerveillés de Steven Spielberg.


©Kevin Winter/Getty Images
« J’ai du mal à croire que ça m’arrive à moi ! C’est ça le rêve américain. »

 

Jamie Lee Curtis, cultissime interprète de Laurie Strode dans la saga Halloween, n’en revenait pas non plus d’avoir gagné :


©ABC

« Mon père et ma mère avaient tous les deux été nommés dans des catégories différentes… Je viens de gagner un Oscar !  »

En effet, ni Tony Curtis, nommé à l’Oscar du Meilleur acteur pour La chaîne, de Stanley Kramer, ni Janet Leigh, nommée à l’Oscar du Meilleur second rôle pour Psychose, de Hitchcock, n’ont remporté le trophée durant leur carrière.

 

LE COME BACK

On attendait Austin Butler ou Colin Farrell, mais c’est le revenant Brendan Fraser, ex-beau gosse des années 90 (Radio Rebels, George de la jungle, La momie…), quasiment disparu des radars depuis quinze ans, qui gagné l’Oscar du Meilleur acteur, pour son rôle de professeur obèse dans le film de Darren Aronofsky, The Whale. Le film repart également avec l’Oscar des meilleurs maquillages.

©Kevin Winter/Getty Images

« Donc le multivers, ça ressemble à ça. »

 

À L’OUEST, TOUJOURS DU NOUVEAU

Avec ses quatre Oscars (sur neuf nominations), le germanique À l’ouest, rien de nouveau, dernière adaptation en date du livre de Erich Maria Remarque (la Première Guerre mondiale vue par un jeune soldat allemand), s’en sort plutôt bien. Après avoir brillé aux BAFTA (il y avait décroché pas moins de sept trophées, dont celui du Meilleur film), cette reconstitution éprouvante signée Edward Berger (réalisateur de l’excellente série Deutschland 83) rafle quatre Oscars : Meilleur film étranger, Meilleure photo (de James Friend), Meilleurs décors et Meilleure musique signée Volker Bertelmann. À noter qu’il est paru directement sur Netflix.

 

LES AUTRES

Le féministe Women Talking a reçu l’Oscar de la Meilleure adaptation (en l’occurrence d’un ouvrage de Miriam Toews) et c’est sa réalisatrice et coscénariste, l’actrice Sarah Polley, qui est venu chercher la statuette.


©Kevin Winter/Getty Images

« Merci à l’Académie de ne pas avoir été offensée par le fait que les mots Women et Talking soient si proches l’un de l’autre. Ce film dépeint une démocratie radicale où les femmes se parlent et s’écoutent. »

 

C’est l’adaptation sombre et politique de Pinocchio par Guillermo del Toro qui remporte, logiquement, l’Oscar du Meilleur film d’animation.


©Lapresse

« L’animation c’est du cinéma à part entière. L’animation n’est pas un genre ou une catégorie. L’animation est prête à passer un nouveau cap. »

 

Contrairement à celle des Golden Globes, l’Académie des Oscars a refusé de présenter un discours préenregistré du président ukrainien. Cependant, le trophée du Meilleur documentaire est allé à Navalny, réalisé par le Canadien Daniel Roher. Il relate l’ascension politique d’Alexeï Navalny, chef de l’opposition russe, puis la tentative d’assassinat à laquelle il a réchappé. Le dissident est aujourd’hui en détention à l’isolement.


©Invision

« Je dédie cet Oscar à Alexeï Navalny et à tous les prisonniers politiques. On n’a pas oublié ton message Alexeï : il ne faut pas avoir peur de s’opposer aux dictateurs. »

L’épouse d’Alexeï Navalny a renchéri :


©Kevin Winter/Getty Images
« Je rêve du jour où tu seras libéré, où mon pays sera libéré. Garde des forces mon amour. »

 

L’Oscar des Meilleurs costumes est allé à Ruth E. Carter pour Black Panther : Wakanda Forever, de Ryan Coogler, un camouflet pour Catherine Martin et son travail prodigieux sur Elvis.

Sans surprise, le trophée des effets spéciaux est allé à Avatar 2, de James Cameron, et Top Gun : Maverick, de Joseph Kosinski, a décroché l’Oscar du Meilleur son.

 

 


©AP/Chris Pizzelo

Prétendantes à l’Oscar de la Meilleure chanson originale, Lady Gaga (pour Top Gun) a chanté, Rihanna aussi — pour Black Panther (toute la salle s’est levée dans une sorte de grande communion…), mais elles se sont fait damer le pion par « Naatu Naatu », la chanson de RRR, le film fou de l’Indien S. S. Rajamouli. La chorégraphie bollywoodienne sur scène était de toute beauté et la statuette est revenue aux compositeur et parolier M. M. Keeravani et Chandrabose.


©Myung J.Chun/LA Times

« Quand j’étais petit, j’écoutais les Carpenters, et aujourd’hui, je tiens un Oscar dans ma main. »

 

CHAGRIN


©Reuters

John Travolta, très ému, a présenté In Memoriam, l’hommage aux disparus (Olivia Newton-John et Kirstie Alley, deux de ses partenaires et amies figurant dans la séquence) tandis que, sur scène, Lenny Kravitz chantait son titre « Calling All Angels », en s’accompagnant au piano. Si les décès de Anne Heche, de Charlbi Dean (la jeune héroïne de Sans Filtre, pourtant nommé) ou de Paul Sorvino n’ont curieusement pas été mentionnés, Jean-Luc Godard et Jacques Perrin n’ont pas été oubliés.


©Patrick T. Fallon/Getty Images


Anne Heche dans Six jours sept nuits d’Ivan Reitman en 1998

 

FAUTE DE GOÛT

Venu remettre l’Oscar du meilleur décor en compagnie d’Andie MacDowell sa partenaire de Trois mariages et un enterrement, Hugh Grant a fait montre d’un humour tout britannique :


©Kevin Winter/Getty Images

« On est ici pour deux raisons. La première est de rappeler l’importance de mettre de la crème hydratante tous les jours. Andie fait ça depuis vingt-neuf ans quotidiennement et moi pas une seule fois. Elle est encore sublime et moi je ressemble à un scrotum. »

 

DÉCEPTIONS

Qu’importe les Oscars. Elvis (voir ma critique), Les Banshees d’Inisherin (voir ma critique), Babylon (voir ma critique) et The Fabelmans restent pour moi les grands films à encenser ; Austin Butler et Colin Farrell, les meilleurs acteurs ; Margot Robbie, la Meilleure actrice.

 

LE PLUS BEAU LOOK

Ça tombe bien, la plus belle, c’était elle, Michelle Yeoh, magnifique dans sa robe Dior Haute Couture.


©Michael Yada/A.M.P.A.S.

 

RAZZIE AWARDS 2023

La veille des Oscars, avait lieu la cérémonie des Razzie Awards, qui récompensent le pire du cinéma. Voici les lauréats de 2022, et là aussi, on est dans le multivers :

Pire film : Blonde de Andrew Dominik
Pire acteur : Jared Leto pour Morbius de Daniel Espinosa
Pire second rôle féminin: Adria Arjona pour Morbius
Pire second rôle masculin : Tom Hanks pour Elvis de Baz Luhrmann
Pire remake : Pinocchio de Guillermo del Toro
Pire scénario : Andrew Dominik pour Blonde
Pire réalisateur : Machine Gun Kelly et Mod Sun pour Good Mourning
Prix spécial de la Rédemption : Colin Farrell 

Viva ELVIS !

Époustouflant ! L’évocation de la vie du King par l’Australien Baz Luhrmann est à tomber à la renverse. Porté par un jeune acteur sensationnel dont la performance laisse sans voix (!), dopé par une mise en scène fabuleuse et un travail phénoménal sur la musique, le film emporte dans un maelstrom d’émotions. Beau à pleurer !

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« I’m gonna be forty soon, and nobody’s gonna remember me. »

  

ELVIS

Baz Luhrmann
2022
Dans les salles françaises depuis le 22 juin 2022

À la fin de sa vie, en 1997, le Colonel Parker (Tom Hanks) se remémore sa rencontre avec Elvis Presley (Austin Butler) dont il sera l’imprésario jusqu’à la mort. C’était en 1955. Le jeune chanteur venait d’enregistrer son premier disque et faisait ses débuts sur scène. Tom Parker, forain et manager d’artistes de musique country, a compris aussitôt qu’il tenait la perle rare, et la poule aux œufs d’or…

Qui aurait pensé que l’un des meilleurs films sur la musique (comprendre biopic déjanté) serait signé Baz Luhrmann, le roi de la démesure, du kitsch, du strass et du clinquant ? À côté, Bohemian Rhapsody (malgré la prestation de Rami Malek) fait figure de téléfilm. Ce qu’il est, d’ailleurs, pour les véritables amateurs de Queen. Car si Elvis se focalise sur la relation toxique entre le manager et son poulain, le biopic exprime formidablement la passion pour la musique de Presley tout en immergeant dans ces tumultueuses années 50, 60 et 70 américaines. Pour mieux cerner le contexte culturel qui a bercé l’enfance de la star, Baz Luhrmann s’est installé dans le sud des États-Unis (en revanche le film a été tourné en grande partie dans le Queensland, en Australie). C’est effectivement dans sa proximité avec la communauté noire qu’il côtoyait depuis l’enfance (Presley est né à Tupelo, dans le Mississippi) qu’il fallait aller chercher la clé de l’artiste. L’adolescent fera siens les répertoires blues et gospel, ainsi que le rhythm’n’blues des chanteurs afro-américains qu’il admirait. Le réalisateur de Moulin Rouge s’attache, et avec une tendresse non feinte, à dépeindre Elvis comme un être empreint d’une profonde spiritualité. Il n’y a pas que du vrai, mais il y en a beaucoup. Inévitablement, cette belle âme allait se faire broyer par son impresario malin et retors, faux colonel et vrai escroc (il deviendra le modèle de beaucoup de managers douteux par la suite, d’Allen Klein à Tony Defries en passant par Andrew Loog Oldham). Campé par un Tom Hanks méconnaissable, Tom Parker est roublard jusqu’au bout du cigare. L’histoire retiendra qu’il a « fait » Elvis et son malheur en même temps. À la manière de Nick Carraway dans Gatsby le magnifique, que Baz Luhrmann a porté à l’écran en 2013, c’est par le regard de Parker qu’on découvre la vie de Presley et son parcours. Austin Butler, jeune comédien formé chez Disney Channel, a travaillé durant deux ans pour entrer dans la peau de l’icône. Mieux qu’une copie, cet interprète doué (il chante la plupart des morceaux), incarne le King au-delà des espérances — Priscilla Presley elle-même n’en est pas revenue —, et ses performances scéniques sont électrisantes (celles du Comeback Special de 1968 sont même bluffantes). Curieusement, Kurt Russell, qui a campé avec brio la rock star en 1979 dans le très bon téléfilm de John Carpenter Le roman d’Elvis (Elvis en VO) était lui aussi un enfant de la télé et de l’écurie Disney. Bien sûr, la bande-son est à la sauce luhrmannienne. Elle mêle reprises par Austin Butler, chansons originales interprétées par Presley, et incursions vocales de rappeurs et musiciens de toutes générations dont Doja Cat, Denzel Curry, Tame Impala ou Eminem (mention spéciale à la reprise de If I Can Dream par Måneskin). Malgré ses atours de manège à sensation, cette œuvre hybride, romantique et follement spectaculaire montre l’humain derrière le mythe et réussit à approcher la vérité d’Elvis Presley. Du grandiose, de la démesure, du tragique, de la folie… il n’en fallait pas moins pour rendre hommage au King. Peut-être le meilleur film de Baz Luhrmann à ce jour.
2 h 39 Et avec Olivia DeJonge, Richard Roxburgh, Helen Thompson, Kodi Smith-McPhee, Luke Bracey, David Wenham, Alton Mason, Dacre Montgomery (le Billy de Stranger Things)…