OSCARS 2023 : bienvenue dans le multivers !

La 95ème édition des Oscars qui s’est déroulée le 12 mars au Dolby Theatre de Hollywood, à Los Angeles, a joué la carte de l’apaisement. Encore hantés par le scandale Will Smith de l’année précédente, les organisateurs ont confié les rênes de la soirée à l’humoriste et animateur de télévision Jimmy Kimmel qui, à défaut de génie, a fait preuve de professionnalisme. On est loin de Ricky Gervais… Quelques saillies méritent néanmoins d’être signalées.

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©Myung J.Chun/LA Times

« On dit que Hollywood n’a plus d’idées. Même Steven Spielberg a dû faire un film sur Steven Spielberg. »

« Une belle année pour la diversité. On a des nommés de tous les quartiers de Dublin. »

 « S’il se passe quelque chose d’imprévisible ou de violent, faites la même chose que la dernière fois : rien. Restez totalement impassibles et, vous verrez, tout se passera bien. »

 

PALMARÈS
 

 

LA RAZZIA EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE


©Jeff Kravitz/Film Magic

La cérémonie, terriblement sage et consensuelle, ne restera pas dans les annales, mais son palmarès a pris des allures de petite révolution. Les onze nominations attribuées à Everything Everywhere All At Once avaient étonné, mais les sept Oscars raflés par ce film déjanté, truffé de références et souvent confus – mêlant univers parallèles (le multivers) et famille dysfonctionnelle –, laissent pantois. Non pas qu’il ne méritât pas de récompenses, mais autant de trophées pour une œuvre conceptuelle au message gentillet, à laquelle, personnellement, j’aurais également donné, tant qu’on y était, l’Oscar du film le plus épuisant, me semble totalement injustifié. EEAAO, son titre en abrégé, n’a laissé aucune miette aux autres poids lourds en lice, à savoir Les Banshees d’Inisherin (9 nominations), Elvis (8 nominations) ou encore The Fabelmans (7 nominations). Babylon, la fresque grandiose de Damien Chazelle avec une Margot Robbie géniale et même pas nommée, passe lui aussi à la trappe. Forcément, on se dit que Hollywood marche sur la tête. Mais le palmarès fait écho aux goûts du public américain, qui a fait un triomphe à EEAAO, érigé en phénomène de l’année aux US, alors que les films de Damien Chazelle et de Steven Spielberg ont fait un flop. À son tour, Hollywood semble tourner le dos au cinéma classique et a encensé, dimanche, une nouvelle génération de réalisateurs, trentenaires et issus du Web, en même temps qu’une certaine forme de liberté de création. C’est un bouleversement, mais faut-il s’en réjouir ?

Everything Everywhere All At Once (tout partout à la fois) de Daniel Scheinert et Daniel Kwan a ainsi remporté devant un public en liesse les Oscars du Meilleur Film, Meilleur réalisation, Meilleure actrice, Meilleurs seconds rôles masculin et féminin, Meilleur scénario original et Meilleur montage (mérité celui-ci). Les Daniels comme on les surnomme, ont fait leurs armes dans l’univers du clip et de la publicité. Déjà culte, leur premier long-métrage réalisé en 2016, Swiss Army Man, avec Paul Dano et Daniel Radcliffe, narrait la rencontre d’un homme en dépression et d’un cadavre pétomane. Leurs discours n’ont pas manqué de sel.


©Todd Heisler/The New York Times

« Ce qu’on peut faire de mieux, c’est se protéger les uns les autres du chaos qui nous entoure. Le monde est en train de changer très rapidement. Nos histoires le racontent au mieux. Parfois c’est un peu effrayant de voir que les films racontent l’histoire année après année, alors que sur Internet, les histoires se racontent seconde par seconde. » Daniel Kwan

« Le génie, ça ne vient pas de nulle part. Ça ne vient pas d’une vision. Ça s’incarne par un collectif. On est juste des produits de notre environnement. Il y a de la grandeur chez chacun d’entre nous, peu importe qui nous sommes. Merci à ceux qui ont trouvé la clé pour libérer le génie qui est en moi. » Daniel Kwan

« Merci à ma mère et mon père de ne pas avoir écrasé ma créativité lorsque je réalisais des films d’horreur vraiment tordus, ou des comédies bizarroïdes ou quand je m’habillais avec des vêtements de fille et que je ne menaçais absolument personne. » Daniel Scheinert

 Après avoir remporté le Golden Globe, la sympathique Michelle Yeoh, qui fut la reine du cinéma d’action à Hong Kong dans années 90 avant de poursuivre une carrière internationale, décroche également l’Oscar de la Meilleure actrice. La compagne de Jean Todt devient la première comédienne d’origine asiatique à recevoir ce trophée. Elle a eu le triomphe modeste.


©Kevin Winter/Getty Images

« Mesdames, Mesdemoiselles, ne permettez à personne de vous dire que vous êtes allées trop loin, que vous en demandez trop… Je dois dédier cet Oscar à ma mère, à toutes les mères, car ce sont elles les super-héroïnes du monde. Sans elles, aucun ni aucune d’entre nous ne serait ici ce soir. »

 

Même si on espérait une autre issue, on s’est réjoui malgré tout du bonheur des deux improbables élus à l’Oscar du Meilleur second rôle, dont l’implication physique dans le film force le respect. L’acteur d’origine vietnamienne Ke Huy Quan, qui fut en 1984 (à douze ans) le gamin d’Indiana Jones et le temple maudit, puis de la bande des Goonies, remporte son trophée devant les yeux émerveillés de Steven Spielberg.


©Kevin Winter/Getty Images
« J’ai du mal à croire que ça m’arrive à moi ! C’est ça le rêve américain. »

 

Jamie Lee Curtis, cultissime interprète de Laurie Strode dans la saga Halloween, n’en revenait pas non plus d’avoir gagné :


©ABC

« Mon père et ma mère avaient tous les deux été nommés dans des catégories différentes… Je viens de gagner un Oscar !  »

En effet, ni Tony Curtis, nommé à l’Oscar du Meilleur acteur pour La chaîne, de Stanley Kramer, ni Janet Leigh, nommée à l’Oscar du Meilleur second rôle pour Psychose, de Hitchcock, n’ont remporté le trophée durant leur carrière.

 

LE COME BACK

On attendait Austin Butler ou Colin Farrell, mais c’est le revenant Brendan Fraser, ex-beau gosse des années 90 (Radio Rebels, George de la jungle, La momie…), quasiment disparu des radars depuis quinze ans, qui gagné l’Oscar du Meilleur acteur, pour son rôle de professeur obèse dans le film de Darren Aronofsky, The Whale. Le film repart également avec l’Oscar des meilleurs maquillages.

©Kevin Winter/Getty Images

« Donc le multivers, ça ressemble à ça. »

 

À L’OUEST, TOUJOURS DU NOUVEAU

Avec ses quatre Oscars (sur neuf nominations), le germanique À l’ouest, rien de nouveau, dernière adaptation en date du livre de Erich Maria Remarque (la Première Guerre mondiale vue par un jeune soldat allemand), s’en sort plutôt bien. Après avoir brillé aux BAFTA (il y avait décroché pas moins de sept trophées, dont celui du Meilleur film), cette reconstitution éprouvante signée Edward Berger (réalisateur de l’excellente série Deutschland 83) rafle quatre Oscars : Meilleur film étranger, Meilleure photo (de James Friend), Meilleurs décors et Meilleure musique signée Volker Bertelmann. À noter qu’il est paru directement sur Netflix.

 

LES AUTRES

Le féministe Women Talking a reçu l’Oscar de la Meilleure adaptation (en l’occurrence d’un ouvrage de Miriam Toews) et c’est sa réalisatrice et coscénariste, l’actrice Sarah Polley, qui est venu chercher la statuette.


©Kevin Winter/Getty Images

« Merci à l’Académie de ne pas avoir été offensée par le fait que les mots Women et Talking soient si proches l’un de l’autre. Ce film dépeint une démocratie radicale où les femmes se parlent et s’écoutent. »

 

C’est l’adaptation sombre et politique de Pinocchio par Guillermo del Toro qui remporte, logiquement, l’Oscar du Meilleur film d’animation.


©Lapresse

« L’animation c’est du cinéma à part entière. L’animation n’est pas un genre ou une catégorie. L’animation est prête à passer un nouveau cap. »

 

Contrairement à celle des Golden Globes, l’Académie des Oscars a refusé de présenter un discours préenregistré du président ukrainien. Cependant, le trophée du Meilleur documentaire est allé à Navalny, réalisé par le Canadien Daniel Roher. Il relate l’ascension politique d’Alexeï Navalny, chef de l’opposition russe, puis la tentative d’assassinat à laquelle il a réchappé. Le dissident est aujourd’hui en détention à l’isolement.


©Invision

« Je dédie cet Oscar à Alexeï Navalny et à tous les prisonniers politiques. On n’a pas oublié ton message Alexeï : il ne faut pas avoir peur de s’opposer aux dictateurs. »

L’épouse d’Alexeï Navalny a renchéri :


©Kevin Winter/Getty Images
« Je rêve du jour où tu seras libéré, où mon pays sera libéré. Garde des forces mon amour. »

 

L’Oscar des Meilleurs costumes est allé à Ruth E. Carter pour Black Panther : Wakanda Forever, de Ryan Coogler, un camouflet pour Catherine Martin et son travail prodigieux sur Elvis.

Sans surprise, le trophée des effets spéciaux est allé à Avatar 2, de James Cameron, et Top Gun : Maverick, de Joseph Kosinski, a décroché l’Oscar du Meilleur son.

 

 


©AP/Chris Pizzelo

Prétendantes à l’Oscar de la Meilleure chanson originale, Lady Gaga (pour Top Gun) a chanté, Rihanna aussi — pour Black Panther (toute la salle s’est levée dans une sorte de grande communion…), mais elles se sont fait damer le pion par « Naatu Naatu », la chanson de RRR, le film fou de l’Indien S. S. Rajamouli. La chorégraphie bollywoodienne sur scène était de toute beauté et la statuette est revenue aux compositeur et parolier M. M. Keeravani et Chandrabose.


©Myung J.Chun/LA Times

« Quand j’étais petit, j’écoutais les Carpenters, et aujourd’hui, je tiens un Oscar dans ma main. »

 

CHAGRIN


©Reuters

John Travolta, très ému, a présenté In Memoriam, l’hommage aux disparus (Olivia Newton-John et Kirstie Alley, deux de ses partenaires et amies figurant dans la séquence) tandis que, sur scène, Lenny Kravitz chantait son titre « Calling All Angels », en s’accompagnant au piano. Si les décès de Anne Heche, de Charlbi Dean (la jeune héroïne de Sans Filtre, pourtant nommé) ou de Paul Sorvino n’ont curieusement pas été mentionnés, Jean-Luc Godard et Jacques Perrin n’ont pas été oubliés.


©Patrick T. Fallon/Getty Images


Anne Heche dans Six jours sept nuits d’Ivan Reitman en 1998

 

FAUTE DE GOÛT

Venu remettre l’Oscar du meilleur décor en compagnie d’Andie MacDowell sa partenaire de Trois mariages et un enterrement, Hugh Grant a fait montre d’un humour tout britannique :


©Kevin Winter/Getty Images

« On est ici pour deux raisons. La première est de rappeler l’importance de mettre de la crème hydratante tous les jours. Andie fait ça depuis vingt-neuf ans quotidiennement et moi pas une seule fois. Elle est encore sublime et moi je ressemble à un scrotum. »

 

DÉCEPTIONS

Qu’importe les Oscars. Elvis (voir ma critique), Les Banshees d’Inisherin (voir ma critique), Babylon (voir ma critique) et The Fabelmans restent pour moi les grands films à encenser ; Austin Butler et Colin Farrell, les meilleurs acteurs ; Margot Robbie, la Meilleure actrice.

 

LE PLUS BEAU LOOK

Ça tombe bien, la plus belle, c’était elle, Michelle Yeoh, magnifique dans sa robe Dior Haute Couture.


©Michael Yada/A.M.P.A.S.

 

RAZZIE AWARDS 2023

La veille des Oscars, avait lieu la cérémonie des Razzie Awards, qui récompensent le pire du cinéma. Voici les lauréats de 2022, et là aussi, on est dans le multivers :

Pire film : Blonde de Andrew Dominik
Pire acteur : Jared Leto pour Morbius de Daniel Espinosa
Pire second rôle féminin: Adria Arjona pour Morbius
Pire second rôle masculin : Tom Hanks pour Elvis de Baz Luhrmann
Pire remake : Pinocchio de Guillermo del Toro
Pire scénario : Andrew Dominik pour Blonde
Pire réalisateur : Machine Gun Kelly et Mod Sun pour Good Mourning
Prix spécial de la Rédemption : Colin Farrell 

LE CAS BABYLON

Le cinéaste de La La Land s’empare de l’histoire d’Hollywood au temps du muet et réalise une fresque monumentale, volontiers outrancière, pour montrer la débauche, la luxure et la liberté incroyable qui ont accompagné l’industrie naissante du cinéma. Très documenté, ce film impressionnant et plus sombre qu’il n’y paraît oscille constamment entre burlesque et tragédie. Flop de l’année aux États-Unis, Babylon n’en finit pas de diviser la critique. Une chose est certaine, Margot Robbie y fait une performance hallucinante. Et chose encore plus dingue, elle n’est même pas nommée à l’Oscar.

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« It’s written in the stars. I am a star. »

  

BABYLON

Damien Chazelle
2022
Depuis le 18 janvier 2023 sur les écrans français

À Los Angeles, en 1926, Manny (Diego Calva), homme à tout faire d’un riche producteur, rêve d’entrer dans le monde du cinéma. Lors d’une fête gargantuesque organisée par son boss, il rencontre une aspirante actrice culottée, Nelly LaRoy (Margot Robbie), prête à tout pour réussir. Pour son malheur, il en tombe fou amoureux…

L’histoire d’Hollywood n’est pas que strass et paillettes. Elle recèle une multitude de drames et de tragédies, notamment lors du passage du muet au parlant, qui a conduit bon nombre d’acteurs au suicide. Ainsi, Babylon — dont le titre est emprunté à la fois au livre sulfureux Hollywood Babylone (avec un « e » car le livre a d’abord été publié en France), de Kenneth Anger, et à la magnifique série Babylon Berlin — peut se voir comme la version tragique de Chantons sous la pluie, une référence dont Damien Chazelle abuse d’ailleurs dans son film. S’appuyant sur les nombreuses anecdotes contées par l’historien du cinéma Kevin Brownlow dans son ouvrage La parade est passée (The Parade’s Gone By), le cinéaste a reconstitué cette période folle, décadente, anarchique et cosmopolite des années 20 à Hollywood, quand la liberté de création (et de comportement)  était totale. L’arrivée du parlant et de la censure allait changer la donne. Tous les protagonistes sont ainsi des émanations de figures de l’époque. Nelly LaRoy emprunte à Clara Bow, la première it girl, dont les frasques étaient célèbres. Jack Conrad (Brad Pitt) est inspiré de John Gilbert, le fiancé de Greta Garbo qui a fait fantasmer des générations de midinettes. L’envoûtante Lady Fay Zhu (Li Jun Li, vue dans Wu Assassins et Devils) est un clone d’Anna May Wong, la première star d’origine chinoise, partenaire de Douglas Fairbanks dans Le voleur de Bagdad, tandis qu’Elinor St John, campée par une formidable Jean Smart, redonne vie à la piquante chroniqueuse, scénariste et romancière anglaise Elinor Glyn. Via le personnage de Ruth Adler (Olivia Hamilton), Damien Chazelle n’omet pas de pointer la présence des femmes derrière la caméra, nombreuses à cette période (Lois Weber, Dorothy Arzner, la pionnière Alice Guy…). Le cinéaste filme en virtuose les fêtes orgiaques et les tournages de péplums pharaoniques en plein désert de Californie (incroyable mise en abyme lors d’une séquence d’action à couper le souffle). Boostée par le jazz endiablé du fidèle Justin Hurwitz, la première partie de Babylon en met plein les mirettes : du Baz Luhrmann sous acide ! Margot Robbie est éblouissante, les numéros de Brad Pitt sont tordants (c’est aussi lui le plus émouvant). La distribution en jette, et même les vétérans Joe Dalessandro et Eric Roberts sont de la partie. Mais il y a quelque chose de pourri dans le royaume de Damien Chazelle, qui semble avoir une drôle de fascination pour les turpitudes, les freaks, les excréments et le vomi. Sous Hollywood, la fange ! Tout cela finit par avoir quelque chose de mortifère. Plus qu’une mélancolie, il émane de ce film fleuve (où on ne s’ennuie pas une seconde) une tristesse infinie. C’est le paradoxe de cette œuvre folle et de son cinéaste profondément amoureux du cinéma, mais qui ne peut choisir entre l’admiration et le dégoût qu’Hollywood lui inspire. Quentin Tarantino avait sublimé et idéalisé la Mecque du cinéma dans Il était une fois à Hollywood (avec Brad Pitt et Margot Robbie déjà), Damien Chazelle, lui, exprime une sorte d’amour-haine qui donne à son film un goût incroyablement amer.
3 h 09 Et avec Jovan Adepo, Flea, Olivia Wilde, Lukas Haas, Kaia Gerber, Max Minghella, Samara Weaving, Tobey Maguire…