ÊTRE CARY GRANT

« Tout le monde veut être Cary Grant. Même moi, je veux être Cary Grant. »      Cary Grant

 

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ÊTRE CARY GRANT

Photo Bettmann

Martine Reid
Essai publié chez Gallimard le 13 mai 2021

Icône de l’âge d’or d’Hollywood, roi de la screwball comedy (la comédie loufoque) et de la « comédie de mariage », Cary Grant a illuminé de sa présence et de son charme moult chefs-d’œuvre, signés par les plus grands réalisateurs de son temps : Howard Hawks, George Cukor, Leo McCarey, Frank Capra, Alfred Hitchcock, Stanley Donen… Mais que dissimulaient réellement son flegme séduisant, son sens de la dérision et son élégance à toute épreuve ? Martine Reid, professeur et spécialiste de la littérature féminine du 19ème siècle, s’est penchée sur l’énigme de l’acteur à l’irrésistible fossette (« un menton en fesses d’ange » selon Mae West).

« En 1932, la direction de Paramount Pictures a transformé un Anglais d’origine modeste, Archibald Alexander Leach, né à Bristol en 1904, en leurre de cinéma. Pour ce faire, elle a commencé par lui attribuer un nom de fantaisie, composé de trois syllabes faisant office de nom mirage, d’indice scintillant. Il a été baptisé Cary Grant pour incarner un type, moitié clown, moitié héros sentimental, dont le public de cinéma est alors particulièrement friand. Une fois pourvu de ce nom, comme un chien porte un collier, un prisonnier son matricule, l’homme a été maquillé, habillé de neuf, placé sous le feu des projecteurs. »

Avec Mae West dans Je ne suis pas un ange (I’m Not Angel) de Wesley Ruggles (1933)

L’enfance d’Archibald Alexander Leach, futur Cary Grant, n’a pas été radieuse. S’il s’est appliqué à l’oublier, il n’en a jamais véritablement guéri : des parents de condition modeste vite désunis, une mère instable qui disparaît du jour au lendemain. On lui dit qu’elle est morte d’une crise cardiaque, en fait, elle a été internée. Elle refera surface des années plus tard. Le jeune Archie, qui a déjà traversé l’Atlantique avec la troupe d’artistes de cirque dont il fait partie, apprend sa résurrection par une lettre au ton laconique de son père (l’alcoolisme aura raison de ce dernier en 1935). Changer d’identité, en même temps que de continent, était alors salutaire pour le jeune Archie Leach qui fera plusieurs métiers dans le music-hall avant de tenter sa chance au cinéma. Ironiquement, il donnera son patronyme au petit chien qu’il s’offrira avec un de ses premiers cachets d’acteur.

Toute sa vie, explique Martine Reid, Cary Grant sera soumis à cette double-identité, comme il l’a confié lui-même :

« J’ai passé la plus grande partie de ma vie à osciller entre Archie Leach et Cary Grant, peu sûr de chacun d’eux, les suspectant tous les deux. »

Plus qu’aucun autre réalisateur, Alfred Hitchcock saura formidablement bien tirer profit de cette ambiguïté et de la part d’ombre de l’acteur. Dans La mort aux trousses, il est constamment pris pour un autre. Et dans Soupçons, le comportement équivoque de son personnage de playboy volontiers menteur amène sa riche épouse à penser qu’il a l’intention de se débarrasser d’elle. Le comédien est si convaincant que, comme elle, le spectateur se demande durant tout le film si cet homme séduisant n’est pas un être épouvantablement machiavélique.

Mais si Hitchcock en avait été tenté, ni le public, ni le comédien lui-même n’avaient envie d’écorner l’image si lisse acquise avec le temps :

« Il demeurera jusqu’à la fin de sa carrière tel que le cinéma l’a figé : aussi honnête que beau, aussi vrai que bon, dusse-t-il disséminer cette bonté derrière une dureté de façade… »


Avec Ingrid Bergman dans Les enchaînés (Notorious) d’Alfred Hitchcock

Son un mètre quatre-vingt-sept, sa manière de porter le costume (il est régulièrement élu « Homme le plus séduisant » ou « élégant de l’année » par les magazines), et son sourire narquois aurait fait de ce natif d’Albion un James Bond de rêve. Sollicité par son ami Albert R. Broccoli, le producteur de la saga, avant le tournage de James Bond 007 contre Dr No, Grant a cependant décliné la proposition, ne souhaitant pas s’engager dans une franchise. D’autant qu’au début des années 60, l’acteur n’a plus le même enthousiasme à incarner l’homme idéal. Et puis, dans sa vie privée, ce n’est pas la même chanson. Tous ses mariages (il a convolé à cinq reprises), hormis le dernier, seront des échecs. Tourmenté, autoritaire, anxieux, maniaque, facilement dépressif avec une tendance à la neurasthénie (il subira un traitement au LSD), il a poussé ses moitiés à jeter l’éponge bien vite. Un seul enfant naîtra de ses unions, Jennifer, fille de Dyan Cannon, en 1966. Bien que les rumeurs de bisexualité aient circulé dès ses débuts, et notamment lors de sa vie en collocation avec Randolph Scott dans les années 30, rien n’a réellement éclaté au grand jour. L’acteur lui-même a toujours démenti et sa fille a révélé dans son livre de souvenirs que ces rumeurs amusaient beaucoup son père.


Avec son épouse, l’actrice Dyan Cannon, et sa fille Jennifer


Cary Grant dans l’un de ses derniers films, Charade, de Stanley Donen (1963), aux côtés d’Audrey Hepburn

En universitaire, Martine Reid s’attarde un peu trop sur la mécanique du star system et la fabrication des mythes. Mais son portrait désenchanté et mélancolique de Cary Grant ne manque pas de pertinence. Il s’achève par la mort de l’acteur, à quatre-vingt-deux ans, le 29 novembre 1986, provoquée par une crise cardiaque survenue dans un hôtel de Davenport (Iowa) où il était venu donner une conférence sur… lui-même ! Il n’empêche : Cary Grant continue à vivre à l’écran, au gré des rediffusions des chefs-d’œuvre que les nouvelles générations découvrent avec le même émerveillement. Et que dire des comédies virevoltantes comme Indiscrétions, La dame du vendredi ou L’impossible Monsieur Bébé, elles lui ont assuré la jeunesse éternelle.

« Sa manière de se mouvoir dans l’espace à grandes enjambées, de tirer parti de sa hauteur avec un aplomb facétieux, de saisir doucement ses interlocutrices par les bras alors qu’il tente de les convaincre de la justesse de ses vues, de manifester, par l’expression de son visage, le décalage entre ce qu’il dit et ce qu’il pense, de partir de beaux éclats de rire ou encore d’attendre, sincèrement conquis parfois mais toujours secrètement amusé, le moment de glisser une déclaration d’amour… »


Avec Katharine Hepburn dans L’impossible Monsieur Bébé (Bringing Up Baby), d’Howard Hawks (1938)


Avec Jean Arthur dans Seuls les anges ont des ailes (Only Angels Have Wings) d’Howard Hawks (1939)


Avec Rosalind Russel et Ralph Bellamy dans La dame du vendredi (His Girl Friday) d’Howard Hawks (1940)


Avec James Stewart et Katharine Hepburn dans Indiscrétions (The Philadelphia Story) de George Cukor (1940)


Getty Images Archives

SCREWBALL : Divine Comédie

Tous les amoureux de comédies romantiques le savent, il n’y a pas plus chic, plus spirituel, plus jubilatoire que la comédie screwball hollywodienne. Les excentriques Indiscrétions (The Philadelphia Story, 1940) de George Cukor, L’Impossible monsieur Bébé (Bringing Up Baby, 1938) et La dame du vendredi (His Girl Friday, 1940) de Howard Hawks, ou Cette sacrée vérité (The Awful Truth, 1937) de Leo McCarey comptent parmi les chefs-d’œuvre du genre. Grégoire Halbout, angliciste et docteur en études cinématographiques, enseignant à Sciences Po et Paris 5 – René Descartes, s’est penché sur le sujet, qu’il a creusé sans modération dans La comédie screwball hollywoodienne 1934-1945, l’ouvrage qu’il vient de publier chez Artois Presses Université.

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« Screwball est un mot étroitement associé aux sports de balle, à commencer par le billard et le cricket, où il désigne un mouvement de torsion au moment de frapper la boule ou la balle… Les notions immédiatement corrélées à l’expression screwball expriment l’idée d’un comportement déviant, d’un tour qui prend par surprise. » Grégoire Halbout

PhilsdelphiaStory_WEB Katharine Hepburn, John Howard, Cary Grant et James Stewart dans Indiscrétions (The Philadelphia Story)

Issu de la thèse de doctorat de l’auteur, ce livre d’érudit, sous-titré Sexe, amour et idéaux démocratiques, revient sur les origines du genre et le replace dans le contexte de la société américaine, alors en pleine libéralisation de ses mœurs. On y apprend que même si ses prémices se font sentir dans le cinéma muet et dans la comédie sophistiquée, la comédie screwball prend son envol en 1934, avec trois films en particulier : New York-Miami, de Frank Capra, Train de luxe (Twentieth Century) d’Howard Hawks et L’Introuvable (The Thin Man) de W. S Van Dyke (premier épisode d’une truculente saga illuminée par le tandem William Powell-Myrna Loy). Historique, stylistique, esthétique, politique, sociologique, tous les aspects du genre sont décryptés par Grégoire Halbout qui n’omet pas d’évoquer les relations tendues avec la censure de l’époque (le code Hays est en vigueur), qui n’appréciait guère les écarts de langage et les tenues légères (peignoirs ou pyjamas !) de ces comédies loufoques. Ainsi, on découvre que L’impossible monsieur Bébé est « un des films les plus fréquemment cités pour illustrer le pouvoir du langage et des dialogues à double-sens dans la comédie américaine ». Il est aussi « le film screwball contenant le plus grand nombre de mots à connotation sexuelle ».

Si le livre semble parfois un peu technique, il est une véritable mine d’informations, tel cet inventaire des meilleures comédies screwball par réalisateur, qui fera le bonheur des cinéphiles.

screwballClaudette Colbert et Clark Gable dans New York-Miami (It Happened One Night)

impossible-monsieur-bebe-06-gKatharine Hepburn et Cary Grant dans L’impossible monsieur Bébé (Bringing Up Baby)

18444941.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxIrene Dunne et Cary Grant dans Cette sacrée vérité (The Awful Truth)