L’évocation de la genèse, entre naturalisme et heroic fantasy, par le cinéaste de Requiem For A Dream et Black Swan, n’a pas fait l’unanimité auprès de la critique en 2014. Censurée dans plusieurs pays arabes, elle a également divisé la communauté chrétienne. Pourtant, ce grand film épique et métaphysique est loin de prendre l’eau de toutes parts. Si les partis pris esthétiques sont discutables, Noé suscite de passionnantes réflexions. Un blockbuster intelligent étant plutôt rare, séance de rattrapage avec le Blu-ray.
« Tout ce qui était beau, tout ce qui était bien, nous l’avons écrasé.
A présent, tout recommence.
Air, eau, terre, plante, poisson, oiseau et bête. Le Paradis revient.
Mais cette fois, il n’y aura aucun homme.
Si nous entrions dans le Jardin, ce serait pour le détruire à nouveau. »
Noé (Noah)
Darren Aronofsky
2014
En DVD/Blu-ray chez Paramount Home Entertainment depuis le 12 août 2014
Au commencement, il n’y avait rien. Puis furent créés le ciel, la terre, la lumière, les animaux, et enfin, l’homme et la femme. Mais ces derniers cédèrent au péché. Chassés du jardin d’Eden, ils eurent trois fils, Caïn, Abel et Seth. Caïn, par jalousie, tua Abel. Durant dix générations, ses descendants semèrent la dévastation. Sur cette terre désormais agonisante, le sage Noé (Russell Crowe), descendant de Seth, tente de survivre avec son épouse (Jennifer Connelly) et ses trois jeunes garçons. Un jour, il reçoit la vision prémonitoire d’une apocalypse. Le Créateur, en passe de rayer l’humanité de la carte pour restaurer la pureté du monde, lui assigne la mission de bâtir une arche gigantesque, afin de sauver sa famille et tous les animaux du cataclysme…
Au commencement, il y avait un poème que Darren Aronofsky avait écrit à l’adolescence pour exprimer sa fascination envers la figure mythique de Noé. Il aura fallu attendre plusieurs décennies pour qu’il parvienne à porter l’histoire du patriarche biblique à l’écran. En 2006, l’échec financier de The Fountain faillit avoir raison de ce projet ambitieux, ranimé par le succès de Black Swan, cinq fois nominé aux Oscars en 2011. Entre deux, le cinéaste de Pi, Requiem For A Dream et The Wrestler avait peaufiné le scénario avec son scénariste Ari Handel dans un roman graphique, conçu avec le dessinateur canadien Niko Henrichon, et dont le premier tome est paru au Lombard en 2011. Très fidèle au scénario de la bande dessinée, la version cinématographique s’inspire de la Genèse pour livrer une vision naturaliste et écolo qui fait écho à l’actualité. L’homme, se désole Noé, est le principal artisan de son malheur. Le personnage, campé par un Russell Crowe extrêmement convaincant, est d’abord un héros noble et courageux avant que le dégoût pour sa propre espèce ne le fasse sombrer dans une noirceur inquiétante. Petit à petit, l’épopée biblique vire au drame shakespearien. Instrument du Créateur, dont le dessein est implacable, Noé perd son libre arbitre et sa bonté naturelle. Il s’érige en dictateur et devient un monstre de cruauté, même envers sa propre famille. Pure création du cinéaste et de son scénariste, la psychologie du personnage a suscité l’ire d’une grande partie de la communauté catholique. A la fois fort et faible, Noé ressemble aux antihéros torturés chers à Darren Arofnosky, même si le réalisateur s’aventure sur un terrain nouveau pour lui : le film d’action spectaculaire. Tournée en grande partie en Islande, dans des paysages qui n’ont rien à envier à la Nouvelle-Zélande du Seigneur des Anneaux, l’épopée, tantôt intime, tantôt cosmique (le déluge est bien la séquence de bravoure attendue), en appelle à des visuels audacieux, parfois hallucinants, à l’heroic fantasy et au surréalisme. Certes, les effets spéciaux en images de synthèse (réservés notamment au bestiaire) font parfois un peu toc, mais cette vision très personnelle et grandiose des textes « sacrés » ne manque ni de cohérence, ni de pertinence. Darren Aronofsky, athée, jongle avec la théologie et le merveilleux, et place l’humain au centre de sa fable, illuminée par la présence des sensationnels Russell Crowe, Emma Watson, Ray Winstone, Jennifer Connelly et du jeune Logan Lerman.
Test Blu-ray :
Interactivité**
Le programme est constitué de trois reportages d’environ 20 minutes sur les coulisses du tournage, ponctués d’interventions de Darren Aronofsky, du chef opérateur Matthew Libatique et même de Russell Crowe, toujours d’humeur joyeuse. Le premier document emmène en Islande et met en exergue les conditions de tournage difficiles, le second évoque la construction de l’Arche dans un arboretum d’Oyster Bay à Long Island, et le troisième est consacré au tournage à l’intérieur de l’Arche. Si ces trois films sont plutôt réussis, on regrette toutefois l’absence d’un commentaire audio ou d’une interview du réalisateur. A noter que le DVD est inclus dans l’édition.
Image ****
Format : 1.85
Un sans-faute pour cette image d’une grande pureté. Les contrastes sont probants, même dans les séquences les plus sombres. Les couleurs sont chatoyantes et les noirs d’une profondeur abyssale.
Son ****
DTS-HD Master Audio 71 en anglais
DD 5.1 en français
Sous-titres français non imposés
Gros avantage à la piste non-compressée, réservée à la version originale, qui sert admirablement les montées de tension, la musique et les scènes de bravoure. Grâce au caisson de basses, le déluge va faire trembler vos murs ! Un peu en deçà et moins immersif, le DD 5.1 français tient malgré tout la route.
Si certains aspects m’ont paru assez bouffons, j’ai été très touchée par le Noé interprêté par Russel Crowe : moins biblique et plus humain que la norme.