MICHAEL CIMINO : M le maudit


Cimino

« I don’t make movies intellectually. I don’t make movies to make a point. I make movies to tell stories about people. »

 

A la tristesse suscitée par l’annonce de la disparition soudaine, à soixante-dix-sept ans, de Michael Cimino, figure légendaire du cinéma américain, se mêle aussi et forcément un énorme sentiment de frustration. Depuis son septième et dernier long-métrage, Sunchaser, loin d’avoir fait l’unanimité en 1996, vingt ans se sont écoulés, un silence artistique regrettable entrecoupé d’un seul court-métrage en 2007 (pour le film Chacun son cinéma, consacré au 60ème anniversaire du Festival de Cannes).

Pourtant, des projets, ce grand rêveur en a eu jusqu’au dernier jour ((adapter La condition humaine de Malraux, réaliser un remake du Rebelle de King Vidor, mettre en scène un film sur le Tour de France… ), sans que jamais, ils ne se concrétisent. Certes, financer un film du réalisateur de La porte du Paradis, le plus grand fiasco de l’histoire du cinéma, n’était pas une mince affaire. Mais surtout, le voulait-il vraiment ? L’enfant terrible chéri des cinéphiles, après des abus de chirurgie esthétique, était devenu méconnaissable physiquement depuis des années et vivait entre New York, Los Angeles et son ranch du Montana. En 2001, il a écrit un roman (Big Jane, publié chez Gallimard). Conversations en miroir, un drôle de livre de mémoires suivi d’A Hundred Oceans, un roman autoportrait, paraît trois ans plus tard chez le même éditeur. Après s’être longtemps tu, Michael Cimino parlait depuis quelque temps volontiers aux journalistes et notamment des malentendus dont il a fait toujours les frais. Au journal Libération, il avait confié en 2001 : « Quand j’ai fait Le Canardeur, on m’a traité d’homophobe, Quand j’ai fait Voyage au bout de l’enfer, on m’a traité de fasciste, après La porte du Paradis, j’étais marxiste, après L’année du dragon, raciste… ». A la faveur de la restauration de plusieurs de ses œuvres, dont les publications en Blu-ray chez Carlotta ont fait figure d’événements, il s’est souvent exprimé en évoquant son travail avec une passion intacte, teintée d’amertume et d’ironie.

Michael

 

Michael Cimino est probablement né à New York en 1939 (la date semble incertaine…). Diplômé en art et en architecture (il vouait un culte à l’architecte Frank Lloyd Wright), il entre dans le 7ème Art par la porte de la publicité et cosigne en 1972 le scénario de Silent Running, du maître des effets spéciaux Douglas Trumbull, puis de Magnum Force de Ted Post. Car le talent de Michael Cimino a déjà interpellé Clint Eastwood, qui lui a proposé de produire son premier long-métrage. Thunderbolt and Lightfoot paraît en 1974 sous le titre français, Le Canardeur. Cette histoire d’amitié entre un braqueur désenchanté (Eastwood) et un jeune aventurier fougueux (Jeff Bridges) est filmée en Cinémascope et plans larges dans les décors naturels du Montana. Cher à Cimino, l’Ouest américain mythique sera une constante de son œuvre. (Critique Le canardeur)

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Mais Michael Cimino s’apprête à tourner ce qui restera comme son chef-d’œuvre et le seul de ses films qui fera l’unanimité. Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter) fresque épique et métaphorique de plus de trois heures remportera cinq Oscars en 1979 dont ceux du Meilleur film et Meilleur réalisateur. Cette épopée de trois amis ouvriers sidérurgistes (Robert De Niro, Christopher Walken et John Savage), partis de leur paisible Pennsylvanie pour aller faire la guerre au Vietnam, irradie d’une puissance émotionnelle rare. Le film allie démesure et intimisme, comme ceux de John Ford ou Luchino Visconti, deux des grandes influences du cinéaste. Il s’ouvre sur une séquence de mariage d’une durée de trois quarts d’heure, un panoramique joyeux dans la vie de gens ordinaires qui annonce la tragédie à venir. Cette scène anormalement longue frappera les esprits, à l’instar de celle de la roulette russe à laquelle joue le personnage de Christopher Walken, devenue séquence d’anthologie.

DE Niro

Voyage 2
Meryl

Le succès de Voyage au bout de l’enfer est tel qu’à quarante ans, Michael Cimino devient le wonder boy du cinéma américain, et se voit offrir un pont d’or pour réaliser un projet qui lui tient à cœur : La porte du Paradis (Heaven’s Gate). Evocation de la Guerre du comté de Johnson où, en 1892, des riches éleveurs de bétail du Wyoming ont persécuté et fait massacrer des petits colons et éleveurs immigrés qui leur faisaient concurrence — avec l’accord tacite des autorités fédérales — cette fresque gigantesque et flamboyante permet à Cimino de revenir sur les fondements de la société américaine. Il y explore à nouveaux les mythes du Far West, renouant à sa manière avec la grandeur de Naissance d’une nation de Griffith. Mais le perfectionnisme obsessionnel du cinéaste va jouer contre lui. Le budget explose, la durée du tournage aussi : un cauchemar pour la compagnie United Artists, qui se sent prise au piège, et panique littéralement en découvrant le premier montage… de plus de cinq heures ! Le cinéaste le réduira à 3 h 38. A la sortie du film, les critiques fustigeront la narration éclatée, le manque d’action, l’aspect contemplatif, les erreurs historiques, et parleront unanimement de fiasco. La redoutable Pauline Kael a écrit : « J’ai vu beaucoup de films plus ratés que celui-ci, mais sans doute aucun qui présente un tel mélange fumeux et morose de virtuosité visuelle, d’ambition démesurée et d’écriture bâclée. » Un nouveau montage de 2 h 29 ne sauvera pas l’affaire, au contraire, et rendra l’œuvre quasiment incohérente. Ni le studio ni Cimino ne se relèveront de cette Bérézina, qui sonna le glas du Nouvel Hollywood. Pourtant, au fil des années, La porte du Paradis a gagné des admirateurs. Restauré en 2013 et présenté dans sa version initiale de 3 h 38, il sera réhabilité en grande pompe en tant que classique et chant du cygne du cinéma d’auteur des années 70. Comme beaucoup de grands films maudits, il est aujourd’hui culte.

Paradise

Paradis

La porte

La période de purgatoire de Michael Cimino, devenu la bête noire des producteurs, durera cinq ans, jusqu’à ce que Dino De Laurentiis lui propose un film de commande, une adaptation de L’année du dragon, un roman de Robert Daley. Dénonçant la main mise des triades chinoises sur Chinatown, ce western urbain est mis en scène de manière flamboyante par le cinéaste, qui n’a rien perdu de sa maestria. En Stanley White, policier intègre et tête brûlée, nostalgique d’un idéal américain disparu, Mickey Rourke trouve l’un de ses plus beaux rôles. Malgré ses innombrables qualités, le film essuiera un échec aux Etats-Unis. C’est pourtant le dernier chef-d’œuvre du cinéaste. (Critique L’année du dragon)

Pont

Rourke

Le génie de Michael Cimino ne s’exprimera plus que par fulgurances dans les trois films qui suivront, malmenés par la critique de l’époque. En 1987, Le Sicilien ou l’épopée du bandit Salvatore Giuliano, est accueilli par une volée de bois vert (le cinéaste lui-même confiera s’être trompé en offrant le rôle à Christophe Lambert).

CLambert

Desperate

Lelly

 

Deux ans plus tard, Desperate Hours, remake fiévreux de La maison des otages, de William Wyler, passe quasiment inaperçu, tandis que Sunchaser, l’un des films les plus personnels de Cimino, passionné par la cause indienne, est fustigé pour son sentimentalisme. C’est pourtant cet enchevêtrement d’émotion et de brutalité, d’idéalisme, de lyrisme échevelé et de nostalgie d’une Amérique désormais fantasmée qui fait la force de l’art de cet amoureux des grands espaces. Et on peut aussi voir dans sa filmographie une boucle parfaite. Partie d’un road movie dans le Montana pour s’achever sur un autre, dans le désert Navajo, en Arizona.

Sunch

LE-CANARDEUR west 2

« Faire du cinéma, c’est inventer une nostalgie pour un passé qui n’a jamais existé. »
(Michel Cimino, Conversations en miroir)

Livre

 

 

Pour en savoir plus sur les démons qui agitaient Michael Cimino, on conseille vivement la lecture du livre de l’historien et critique Jean-Baptiste Thoret,  Cimino : Les voies perdues de l’Amérique (Flammarion).

 

 

 

À lire également : critique WE BLEW IT de Jean-Baptiste Thoret

 

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