« Pseudo-western », « creux », « bavard », « plombant », « qui tourne à vide », « ennuyeux »… Le nouveau cru de Quentin Tarantino a suscité une rafale de blâmes de la part des critiques (avec la même virulence déployée pour encenser récemment ce navet improbable, l’adaptation affligeante par Joann Sfar de La dame dans l’auto avec un fusil qui a dû faire se retourner Sébastien Japrisot dans sa tombe). Bien évidemment, ils sont à côté de la plaque : Les huit salopards est un petit bijou, une œuvre majeure, ultra-stylisée, certes, mais parfaitement ciselée par un cinéaste cinéphile et intelligent, qui n’en finit plus d’explorer ses obsessions et fantasmes. Et lorsqu’on aime le cinéma, le spectacle est tout simplement jouissif.
« Now Daisy, I want us to work out a signal system of communication. When I elbow you real hard in the face, that means : « Shut up ! »
Les huit salopards (The Hateful Eight)
Quentin Tarantino
2015 (sur les écrans français depuis le 6 janvier 2016)
Au cœur des montagnes enneigées du Wyoming, peu après la guerre de Sécession, une diligence mène John Ruth (Kurt Russell), chasseur de primes notoire, et sa prisonnière Daisy Domergue (Jennifer Jason Leigh) à Red Rock, où il compte bien la faire pendre. Alors que la tempête menace, ils croisent sur leur route le Major Marquis Warren (Samuel L. Jackson), un ex-soldat de l’Union devenu chasseur de primes, puis Chris Mannix (Walton Goggins), ex-renégat et nouveau shérif de Red Rock. Malgré sa méfiance, John accepte de les laisser monter à bord. Le blizzard les oblige à faire halte au relais de poste de Minnie. Mais en arrivant sur place, les trois hommes constatent que d’autres voyageurs les ont précédés…
Trois ans après le sensationnel Django Unchained, Quentin Tarantino explore à nouveau les rancœurs de l’Amérique raciste via le prisme fabuleux du western. La guerre de Sécession s’est achevée, mais les deux camps n’ont pas fini de régler leurs comptes. « When niggers are scared, that’s when white folks are safe. » dit Chris Manning. Introduit par un long plan sur le paysage enneigé dominé par un Christ en croix, magnifié par le format Ultra Panavision 70 mm à l’ancienne et la musique d’outre-tombe d’Ennio Morricone, Les huit salopards revêt l’allure d’un opéra en six actes. Il en a même le livret. Il dure deux heures et quarante-huit minutes. Autant dire que le cinéaste a pris son temps et peaufiné les préliminaires pour installer le climax et asséner le coup de grâce. « Let’s slow it down, let’s slow it way… down. » dira le Major Warren pour ralentir la cadence quand les choses s’emballeront. Un Tarantino, ça se mérite et ça se déguste. Chaque réplique est appuyée. Rien n’est laissé au hasard. A chaque entrée en scène d’un personnage, le danger guette. Toutes ces figures douteuses (de truands, vétérans, psychopathes et péquenauds mêlés), campées par une brochette d’acteurs aux petits oignons, y vont de leurs discours, anecdotes truculentes et aphorismes, sans que l’on puisse jamais distinguer la vérité du mensonge. L’imminence d’un dérapage rend la tension palpable. Ce petit monde s’observe, se jauge. Qui déclenchera les hostilités ? Comme dans Reservoir Dogs (auquel Tim Roth et Michael Madsen renvoient immanquablement), c’est à un jeu de masques que se livrent les protagonistes du film, la parole aussi affûtée que la gâchette. On a beaucoup parlé de l’empreinte de The Thing, de John Carpenter, lui aussi film d’horreur en huis clos, mais s’il est une autre influence évidente, c’est bien l’épatante série Justified, d’après feu Elmore Leonard (on sait que Tarantino a pour projet d’adapter Forty Lashes Less One, du maître du polar américain déjà à l’origine de Jackie Brown), et cela n’aura échappé à aucun fan de la saga. L’excellent Walton Goggins, nouveau venu dans la famille tarantinienne, en est justement l’un des héros. Dans Justified aussi, renégats et flics ont de la tchatche, un accent à couper au couteau, et les dames du répondant. Car l’unique femme ici ne fait pas dans la dentelle, excepté lorsqu’elle prend la guitare dans cette séquence surréaliste, pour entonner « Jim Jones At Botany Bay », chanson traditionnelle australienne, moment de poésie inattendu avant la chute inexorable et le bain de sang. La photo magnifique signée du fidèle Robert Richardson, qui renvoie à l’imagerie du « western sous la neige », un genre en soi, (Le grand silence et La chevauchée des bannis en tête), achève de rendre ce film de vengeance tendu, grand-guignolesque et violent, totalement éblouissant.
Et avec Demian Bichir, James Parks, Zoë Bell, Lee Horsley, Dana Gourrier, Channing Tatum…
J’étais peut-être trop imprégnée de « Django » et de son action échevelée… Je me suis pas mal ennuyée devant « The Hateful Eight ». Je ne pense pas que c’est un navet, il est conforme à ce que l’on attend de Tarantino, mais il m’a manquée un petit quelque chose pour être totalement emballée.
Je comprends, mais c’est tout à son honneur d’avoir voulu explorer autre chose en terme de narration. Ici, il part d’une idée simple : mettre des pourris dans la même pièce et voir ce qui se passe. Le côté théâtral peut-être déstabilisant, mais la qualité des dialogues, du jeu des acteurs et de la mise en scène en fait un film jubilatoire, jusqu’à la dernière minute. A mon avis bien sûr 😉
C’est tout à fait vrai, mais dans le genre, je préfère « Reservoir dog » !
Pour moi, c’est un bijou dont (presque) toute la force réside dans les excellents dialogues, portés par des figures tarentinesques, comme je les aime. Tout ça dans un écrin/huis clos qui ne laisse aucune place au hasard. Fan !