En tête des programmes les plus regardés de la saison sur Netflix, la phénoménale Le jeu de la dame est une réussite à tous points de vue. Jamais les échecs n’ont semblé aussi sexy que dans cette mini-série de sept épisodes adaptée du roman homonyme de Walter Tevis. De son aveu, Scott Frank, coscénariste et réalisateur du show, a imaginé ce qu’aurait pu être un film sur les échecs mis en scène par Douglas Sirk. Résultat : du romanesque, de la magnificence, de l’élégance et des acteurs vibrants… Il y a tout ça dans cette fiction palpitante ancrée dans la réalité historique et transcendée par une jeune actrice étonnante, Anya Taylor-Joy.
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« Les plus forts sont ceux qui n’ont pas peur d’être seuls, ceux qui savent prendre soin d’eux. »
LE JEU DE LA DAME (The Queen’s Gambit)
Minisérie Netflix créée par Scott Frank et Allan Scott
Diffusée depuis le 23 octobre 2020
Au milieu des années 50 au Kentucky, Elizabeth Harmon (Isla Johnston) perd sa mère, qui l’élevait seule, dans un accident de voiture duquel elle réchappe miraculeusement. La fillette de neuf ans est placée un orphelinat et se distingue autant par son caractère introverti que par son intelligence. Un jour, au sous-sol de l’école, elle tombe sur le concierge de l’établissement (Bill Camp) en train de jouer seul aux échecs. Fascinée, Elizabeth lui demande de l’initier en cachette. Très vite, elle se révèle incroyablement douée. Elle se met à développer une véritable obsession pour ce jeu qui la rassure, mais aussi une addiction aux tranquillisants distribués chaque matin à l’école…
The Queen’s gambit, qui a donné son titre au livre et à la minisérie en version originale, est le nom d’une stratégie d’ouverture dans le jeu d’échecs. Un jeu, il faut le souligner, où la dame (la reine) est aussi la pièce la plus puissante. Ainsi, l’ascension de Beth Harmon, prodige des échecs, se confond avec celle la prise de pouvoir d’une jeune femme plongée dans un monde d’hommes, et qui leur dame continuellement le pion (avec une assurance souvent jubilatoire). Dans cette période de Guerre froide, où les tensions entre l’Amérique et la Russie sont exacerbées, les échecs deviennent un terrain emblématique. À d’infimes anachronismes près, la reconstitution des années 50-60 est si bluffante qu’on pourrait croire que Beth Harmon a réellement existé. Que nenni, le personnage est sorti tout droit de l’imagination de l’écrivain américain Walter Tevis, fameux auteur, entre autres, de L’arnaqueur, La couleur de l’argent ou de L’homme qui venait d’ailleurs, qui ont généré tous trois des films mémorables. Joueur d’échecs lui-même, le romancier disparu en 1984 s’est inspiré de la figure de Bobby Fisher, champion américain aussi génial que paranoïaque, auquel Edward Zwick a consacré un film en 2016 (Le prodige – Pawn Sacrifice — critique en fin de page). Pour s’assurer du réalisme des parties, Tevis avait fait relire son manuscrit par le professeur d’échecs réputé Bruce Pandolfini — c’est même ce dernier qui lui aurait suggéré le titre du livre. Mais Beth Harmon doit aussi beaucoup à la personnalité de l’écrivain lui-même, dépressif et névrosé, dont l’addiction à l’alcool, notoire, était aussi celle de beaucoup de ses protagonistes et notamment du Thomas Jerome Newton incarné par David Bowie dans L’homme qui venait d’ailleurs de Nicolas Roeg. La jeune Anya Taylor-Joy, repérée en 2015 dans The Witch de Robert Eggert et vue depuis dans Split et Glass de M. Night Shymalan, Peaky Blinders ou le récent Emma adapté de Jane Austen, s’est emparée du personnage avec délectation. Avec ses yeux immenses et son visage impénétrable, elle dégage quelque chose d’animal et confère une intensité et une étrangeté singulière à ce récit initiatique. Car plus que les échecs, c’est la psychologie de Beth Harmon qui fascine. Pétrie de traumatismes, fragile sous sa carapace, la jeune femme à l’intelligence hors du commun doit se construire en dépit de son environnement pour trouver sa place dans le monde. Même lorsqu’elle semble avoir toutes les cartes en main, ses actions sont imprévisibles. L’adaptation de The Queen’s Gambit était dans les tiroirs depuis l’année de la parution du roman. Le producteur et scénariste écossais Allan Scott (pseudonyme d’Allan Shiach), collaborateur récurrent de… Nicolas Roeg (il a, entre autres, coécrit le scénario du chef-d’œuvre Ne vous retournez pas) en avait acquis les droits en 1992. Après les défections de Michael Apted et Bernardo Bertolucci, un temps intéressés, c’est l’acteur australien Heath Ledger, joueur d’échecs de talent — enfant déjà, il remportait des tournois prestigieux — et, comme Beth, accro aux antidépresseurs, qui intentait d’en faire sa première réalisation (Ellen Page était pressentie pour le rôle principal). Sa mort prématurée en 2008 a interrompu le projet qui était pourtant sur les rails. Une décennie après, c’est finalement pour Netflix et avec Scott Frank qu’Allan Scott a pu concrétiser son ambition. Auteur des scénarios de Hors d’atteinte, Minority Report, Logan et réalisateur de The Lookout, Balade entre les tombes sans oublier la création de la géniale minisérie Godless, Scott Frank était un partenaire inespéré. Épaulés pour les aspects techniques par le maître Bruce Pandolfini (toujours lui…) et le champion Garry Kasparov, les deux Scott ont magistralement orchestré cette adaptation à laquelle la mise en scène de Frank a donné un fabuleux panache : costumes glamour, décors somptueux, musique — les tubes des 60’s de Donovan à Georgie Fame en passant par The Monkeys, Shocking Blue ou Martha and the Vandellas font leur petit effet et parfois se déhancher Beth de manière renversante ! Même les parties d’échecs (la tâche la plus délicate selon le cinéaste) sont filmées avec audace (plans séquences, plans rapprochés, split-screens, accélérés etc.). Parmi la jeune garde d’acteurs surdoués, on reconnaît Thomas Brodie-Sangster (déjà dans Godless), Harry Melling (le Dudley Dursley de la saga Harry Potter), Jacob Fortune-Lloyd ou Millie Brady (la belle Aethelflaed de The Last Kingdom). Mentions spéciales également à Isla Johnston, l’interprète de Beth enfant, et Marielle Heller, peut-être le personnage le plus touchant. Tous ces talents concourent à faire de ce show un petit bijou. On vibre à chaque instant de ce parcours semé d’embûches. Que l’on soit amateur d’échecs ou profane, on revient de ce jeu-là totalement subjugué.
7 épisodes de 55 minutes. Et avec Moses Ingram, Marcin Dorocinski, Dolores Carbonari, Matthew Dennis Lewis, Russell Dennis Lewis, Patrick Kennedy…
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Le prodige (Pawn Sacrifice)
Edward Zwick
2014 – Blu-ray et DVD parus en janvier 2016 chez Metropolitan
L’histoire vraie de Bobby Fischer (Tobey Maguire), le prodige américain des échecs. En 1972, en pleine Guerre froide, à l’âge de vingt-neuf ans, il se prépare à affronter en Islande le Russe Boris Spassky (Liv Schreiber), champion du monde en titre, lors de ce qui s’annonce déjà comme le match du siècle. Certain d’être invincible, Bobby doit cependant affronter une paranoïa galopante, qui le rend totalement ingérable…
On lui reproche souvent son académisme, mais sa mise en scène aspire surtout à servir les histoires qu’il raconte. Et Edward Zwick, réalisateur de Glory, Légendes d’automne, Le dernier samouraï, Blood Diamond, Les insurgés… aime le romanesque. Ainsi, même s’il revêt des atours classiques, son biopic sur Bobby Fischer se révèle un film intense et passionnant, hanté par le conflit mental de son héros paranoïaque, toujours sur le fil entre le génie et la folie. Conscient de l’aspect peu cinématographique de son sujet, le cinéaste replace constamment l’action dans le contexte géopolitique et culturel, et insiste sur le côté « rock star » de Fischer, n’hésitant pas à le montrer sous ses jours les plus antipathiques. Doté d’un titre bien plus inspiré en version originale (Pawn Sacrifice, « le sacrifice du pion »), Le prodige réussit à allier brillamment la paranoïa associée à la Guerre froide avec celle du gosse de Brooklyn, adulé du monde entier, mais prisonnier de ses obsessions.
1h 55 Et avec Peter Sarsgaard, Michael Stuhlbarg, Lily Rabe, Robin Weigert, Evelyn Brochu…