A HOUSE OF DYNAMITE

Et si un missile nucléaire tiré d’on ne sait où menaçait de s’abattre sur le sol américain ? La première réalisatrice oscarisée de l’histoire revient en force avec un thriller géopolitique d’un réalisme époustouflant, aussi pertinent que gonflé, qui relance le débat sur la prolifération des armes nucléaires dans le monde.

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« J’ai écouté un podcast. Le type disait : “On a construit une maison remplie de dynamite. On a accumulé les bombes, les plans. Les murs sont prêts à s’effondrer… Mais on est restés dedans.” »

   

A HOUSE OF DYNAMITE

Kathryn Bigelow
2025
Diffusé sur Netflix depuis le 24 octobre 2025

 

 Sur les écrans d’une base de défense américaine située en Alaska, les soldats détectent une activité inquiétante dans le ciel. Un missile nucléaire, en provenance du Pacifique, se dirige tout droit vers le continent américain. Très vite, c’est le branle-bas de combat au Pentagone. Les protocoles sont déclenchés par le ministère de la Défense. Dans la salle de crise de la Maison Blanche, échangeant par écrans interposés, les responsables, militaires ou diplomates ont dix-huit minutes pour comprendre, trouver une parade et aider le président (Idris Elba) à prendre une décision…

D’aucuns diront qu’une fois encore, l’Amérique joue à se faire peur. Mais Kathryn Bigelow n’est pas Roland Emmerich, ni Michael Bay. Elle, son truc, c’est l’authenticité, le travail de terrain. Et si elle n’a rien à prouver dans le cinéma d’action (Point Break au hasard…), elle ne se contente pas de faire du spectacle. Ici, elle a bien l’intention de véhiculer un message. Depuis la fin de la guerre froide, la menace de la bombe atomique est un concept plus ou moins abstrait chez la plupart des Occidentaux. Elle est pourtant bien réelle, et dans l’anxiogène A House Of Dynamite, Bigelow la rend palpable. La réalisatrice, influencée autant par Point limite de Sidney Lumet que par la série 24 heures chrono, donne en effet à l’inimaginable une réalité impressionnante. Après Démineurs, qui lui a valu son Oscar de la mise en scène, Zero Dark Thirty et le sous-estimé Detroit, la cinéaste explore à nouveau les points faibles de son pays Le scénario très documenté de Noah Oppenheim (un nom prédestiné…), scénariste de Zero Day ou Jackie – il est l’ex-président de NBC News —, décrit habilement la course contre la montre de cette crise sans précédent, et la manière dont chacun va devoir la gérer. Pour cela, Oppenheim a scindé le récit en trois parties, façon Rashômon d’Akira Kurosawa. Chaque volet met en exergue un personnage clé, et permet de suivre l’intrigue selon des angles différents.

On constate que malgré leur colossal arsenal militaire et leur préparation pointue pour parer à toutes les éventualités, lorsque le pire arrive, diplomates, spécialistes, hauts gradés et dirigeants n’en mènent pas large. Le film met en exergue les fragilités humaines tout comme la vulnérabilité de l’hyper puissance qu’est l’Amérique. Le cœur de la réalisatrice, on le sait, va aux soldats, aux gens de terrain et aux hommes et aux femmes qui dédient leur vie à servir et à protéger. Bigelow s’attache à donner de la grandeur et de l’humanité aux petites mains, individus ordinaires sous pression extrême, ceux dont même l’abnégation est héroïque. Ils ont ici le visage de Rebecca Ferguson, Gabriel Basso, Jason Clarke, Jonah Hauer-King, Anthony Ramos, Greta Lee… La cinéaste s’attache aux détails (un petit dinosaure en plastique placé par un enfant dans un escarpin, les regards d’incompréhension et d’affolement des employés de la Maison Blanche…), pour mieux montrer les conséquences de l’horreur qui se profile. Certes, il y a un soupçon de sentimentalisme, mais il ne ternit en rien la maestria de cette série B menée tambour battant, intelligente (la fin, bien que controversée, est brillante) et nécessaire. Car ce manifeste pacifiste engage à une réflexion sur une escalade particulièrement dangereuse. À l’heure où l’on apprend que la Russie vient de mettre au point un nouveau missile à propulsion nucléaire, d’une portée (en théorie) illimitée, la mise en garde de Kathryn Bigelow, réalisatrice courageuse et futée, est loin d’être superflue.
1 h 52 Et avec Jared Harris, Tracy Letts, Moses Ingram, Willa Fitzgerald, Kaitlyn Dever, Renée Elise Goldsberry, Kyle Allen…

À CAUSE D’UN ASSASSINAT/SENS UNIQUE

Cet été, sont parus deux Blu-ray inédits en France, mettant à l’honneur deux films « de complot » qui ont marqué leur époque, mais pas de la même façon.

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« Ce qui vous crée des ennuis est cela même qui vous rend précieux… »

  

À CAUSE D’UN ASSASSINAT (The Parallax View)

Alan J. Pakula
1974
Coffret Ultra Collector Blu-ray + DVD + Livre disponible depuis le 17 juin 2025 chez Carlotta Films

Le 4 juillet 1971, jour de l’anniversaire de l’Indépendance des États-Unis, le sénateur démocrate Charles Carroll, candidat à la présidence, est abattu en pleine réception à Seattle. L’enquête conclut à un acte isolé perpétré par un déséquilibré. Trois ans plus tard, la journaliste Lee Carter (Paula Prentiss), témoin du drame, alerte son confrère et ex-amant Joseph Frady (Warren Beatty) sur le fait que la plupart des personnes qui ont assisté à l’événement sont, depuis, mortes dans des circonstances suspectes. La jeune femme semble terrorisée, mais elle ne parvient pas pour autant à convaincre Frady. Quelques jours après, elle est victime d’un accident fatal…

Les assassinats politiques successifs commis dans les années 60 ont traumatisé l’Amérique. Le mystère entourant l’identité du ou des meurtriers de JFK a particulièrement ébranlé la confiance du peuple à l’égard de ses dirigeants. À la fin de la décennie, l’idée d’un complot ourdi dans les plus hautes sphères de l’état s’est largement répandue outre-Atlantique, a fortiori dans le camp démocrate, dont l’acteur Warren Beatty a embrassé la cause. La politique sera même la priorité du golden-boy durant la décennie suivante (ami de Bob Kennedy, il sera ensuite le fervent soutien du candidat George McGovern). Ce n’est donc pas un hasard si on le retrouve tête d’affiche de ce film d’Alan J. Pakula, qui s’intercale, dans la « trilogie de la conspiration » du cinéaste, entre Klute et Les Hommes du président.

Contrairement à ces deux œuvres, À cause d’un assassinat, dont le titre original est bien plus pertinent, revêt un aspect abstrait, presque expérimental, notamment dans sa dernière partie. Ce thriller paranoïaque tourné en plein scandale du Watergate paraît d’ailleurs la même année que Conversation secrète, de Francis Ford Coppola, avec lequel il partage les ambiances dépressives et une certaine déshumanisation. Si le début du film laisse entrevoir une intrigue à la Hitchcock, ce n’est qu’un faux-semblant. Dans sa quête de vérité, le héros journaliste sera tour à tour manipulé et happé dans les trous noirs d’une machination de grande ampleur. Warren Beatty, particulièrement mutique, semble disparaître dans des décors gigantesques et très géométriques photographiés par le génial Gordon Willis (Le Parrain, Manhattan…). La musique dissonante signée Michael Small contribue à l’atmosphère cauchemardesque de ce thriller à la limite du fantastique, dont une scène n’est pas sans rappeler Orange mécanique. Adoré par la critique et emblématique du Nouvel Hollywood, ce film militant n’a pourtant pas eu les faveurs du public à sa sortie. De fait, il n’a rien « d’aimable ». Et en dépit de ses qualités artistiques, il suscite un sentiment de frustration (rythme très lent, récit parfois décousu, psychologie peu fouillée du protagoniste, démonstration pataude…). On peut lui préférer Klute ou Les Hommes du président.
1 h 42 Et avec Hume Cronyn, Walter McGinn, Kelly Thordsen, William Daniels, Chuck Waters…

  

TEST EDITION ULTRA COLLECTOR BLU-RAY

 

Carlotta a mis les petits plats dans les grands pour cette très belle édition exhaustive, limitée et numérotée à 2 500 exemplaires, dont le visuel est une création de Laurent Durieux.

Le film, restauré en 2K à partir d’un scan 4K, offre une très belle qualité d’image et de son. Les suppléments sont passionnants. Le livre de Jean-Baptiste Thoret (160 pages, 40 photos d’archives), revient abondamment sur la genèse du film, dont le tournage s’est déroulé pendant une grève des scénaristes, ainsi que sur son contexte politique. Il inclut en outre deux interviews de Pakula. Au menu des bonus du Blu-ray, on trouve une analyse du cinéaste Alex Cox (15 minutes), un entretien avec Jon Boorstin, assistant sur le film (les deux documents existaient déjà sur l’édition Criterion) et un autre, inédit, avec le réalisateur français Nicolas Pariser, qui évoque « le cinéma du complot » (27 minutes).

 

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« Wanna dance ?
– The twist ? No thank you. »

 

SENS UNIQUE (No Way Out)

Roger Donaldson
1987
Blu-ray et DVD disponibles depuis le 25 juin 2025 chez BQHL

Héros de la marine américaine, le lieutenant Tom Farrell (Kevin Costner), est recruté par Scott Pritchard (Will Patton) un ami d’université devenu conseiller du secrétaire à la Défense David Brice (Gene Hackman). Tom doit assurer la liaison entre le Pentagone et le service des renseignements concernant une affaire délicate de sous-marin. Lors d’une soirée électorale, le fringant militaire tombe sous le charme d’une jeune femme pétillante (Sean Young) avec laquelle il entame une aventure torride. Il ignore qu’elle est la maîtresse de David Brice. Ce dernier, soupçonnant une infidélité de sa belle, lui fait une crise de jalousie et la tue accidentellement. Suivant l’avis de son conseiller, il décide de faire porter le chapeau au second amant de la jeune femme, et charge l’infortuné Tom de retrouver l’homme en question…

1987 était l’année de la consécration pour Kevin Costner, repéré deux ans plus tôt dans Silverado, de Lawrence Kasdan. Le beau gosse déjà féru de western va en effet casser la baraque avec deux films, Les Incorruptibles, de Brian De Palma, et ce Sens unique, thriller d’espionnage sexy où son charisme fait des étincelles. À la barre, l’Australien Roger Donaldson, installé en Nouvelle-Zélande (il est le premier cinéaste néo-zélandais à avoir été distribué aux États-Unis), auteur, trois ans auparavant, du remake peu inspiré des Révoltés du Bounty – Mel Gibson y succédait tant bien que mal à Marlon Brando et Clark Gable. Donaldson s’illustrera ensuite avec les populaires Cocktail, La Mutante ou Le Pic de Dante, et plus récemment avec The Recruit, Burt Munro ou Braquage à l’anglaise.

Plus à l’aise dans le thriller, le réalisateur signait avec Sens unique un efficace film de série B, truffé de suspense et d’ingéniosité. On accroche pour de bon à cette intrigue sinueuse, qui virevolte du cœur du Pentagone et s’insinue jusque dans les milieux de la CIA et du KGB. Un concept hitchcockien que l’on doit surtout à Kenneth Fearing, l’auteur du livre dont est tiré le scénario, intitulé Le Grand horloger (The Big Clock). Ce roman noir avait déjà été porté brillamment à l’écran en 1948 par John Farrow, puis trois décennies plus tard par Alain Corneau lequel, faute d’avoir pu en acquérir les droits, se contentera de le transposer (plutôt adroitement) dans Police Python 357. Le héros, journaliste dans le récit d’origine (flic dans la version de Corneau) devient militaire chez Donaldson dans un contexte de Guerre froide. En dépit de personnages un peu trop caricaturaux et, surtout, d’un twist final improbable, ce jeu du chat et de la souris au rythme soutenu (la musique est de Maurice Jarre), et qui fit un tabac à sa sortie, se revoit sans déplaisir. Will Patton excelle en âme damnée du ministre ; Sean Young, l’inoubliable androïde de Blade Runner, fait une femme fatale aussi drôle que sexy et, à la faveur d’un petit rôle, on y découvre la mannequin Iman, pas encore Madame David Bowie…
1 h 54 Et avec Howard Duff, George Dzundza, Jason Bernard, Fred Thompson…

TEST BLU-RAY

 

Une édition de très belle facture. La définition de l’image (contrastée et lumineuse) est particulièrement impressionnante. Le son, très frontal, est un peu en deçà.

Un seul bonus au programme, mais appréciable : il s’agit d’une solide présentation du film par le journaliste Vincent Nicolet, de Culturopoing, qui aborde avec brio tous les aspects de ce succès des années 80 (28 minutes).

 

 

EDDINGTON

Descendu en flammes par la critique lors de sa présentation au festival de Cannes dernier, où il était en compétition, l’impopulaire Eddington a réussi à inverser la tendance au point de s’imposer trois mois plus tard comme « Le film de l’été 2025 ». Ce n’est que justice pour le quatrième long-métrage du réalisateur des cauchemardesques Hereditary, Midsommar et Beau Is Afraid. Ici, il se penche sur le cas de l’Amérique au temps du Covid, tournant selon lui de l’histoire d’une société qui ne fait plus la différence entre ce qui est réel et ce qui ne l’est pas.  Emmenée par un Joaquin Phoenix littéralement possédé, cette satire hystérique aux allures de western, aussi drôle que flippante, est surtout terriblement pertinente.(PAS DE SPOILERS DANS CET ARTICLE)

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« Comment en est-on arrivé là ? »

 

EDDINGTON

Ari Aster
2025
Dans les salles françaises depuis le 16 juillet 2025

Mai 2020. Quelques jours après le meurtre de George Floyd à Minneapolis, les États-Unis font face à des émeutes et des manifestations antiracistes. Mais ce qui préoccupe surtout Joe Cross (Joaquin Phoenix), shérif de la petite ville d’Eddington au Nouveau-Mexique, ce sont les mesures pour limiter la propagation du Covid-19 (distanciation, port du masque…) mises en place par le maire (Pedro Pascal) qu’il a dans le collimateur depuis longtemps…

Le chaos. C’est à cela que ressemble le dernier opus en date de Ari Aster, cinéaste américain réputé pour ses fims horrifiques et malaisants. Avec Eddington, son quatrième long-métrage, le quadragénaire s’attaque cette fois aux dérives de l’Amérique, à la fracture sociale (le Civil War de Alex Garland, n’est pas loin), et met dans une même cocotte-minute tous les fléaux modernes : addiction aux réseaux sociaux, débilité, racisme, wokisme, anti-wokisme, complotisme, désinformation, paranoïa, corruption, violence… Dans une ville en vase clos, deux personnalités s’affrontent : un maire progressiste qui favorise l’implantation d’un data center, et un shérif pétri de névroses et de rancœurs, époux d’une femme dépressive et épié par une belle-mère conspirationniste. L’obligation du port du masque sera chez ce gardien de la paix au bord de l’implosion (et asthmatique de surcroît…) la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Joaquin Phoenix, déjà de Beau Is Afraid, s’en donne à cœur joie dans la peau de ce loser frustré qui part en vrille. Son comportement erratique et absurde (puis extrême) suscite souvent l’hilarité. Pedro Pascal est impeccable en maire pas si propre sur lui qui ne cesse d’humilier et de damer le pion à son rival. Dans ce western magnifiquement photographié par Darius Khonji, où le téléphone portable a remplacé les armes à feu, quasiment chaque personnage est, à sa manière, un syndrome de la déliquescence de la société contemporaine. Chronique d’une catastrophe annoncée, Eddington, excessif et outré (l’épilogue est carrément grotesque), est un miroir à peine déformant de son époque et d’un monde en perdition dont le sort est entre les mains de psychopathes avérés. Hélas, c’est le nôtre.

 À noter qu’Eddington n’existe pas. La ville du Nouveau-Mexique qui sert de décor au film se nomme en réalité Truth or Consequences. Ironie ? On ne sait pas…

2 h 28. Et avec Emma Stone, Austin Butler, Luke Grimes, Michael Ward, Deirdre O’Connell, Clifton Collins Jr., Matt Gomez Hidaka, William Belleau, Amelie Hoeferle, Cameron Mann…