STELLA EST AMOUREUSE de Sylvie Verheyde

Quatorze ans après le remarqué Stella, Sylvie Verheyde met en scène la suite des aventures de sa jeune héroïne et double de fiction, confrontée cette fois aux doutes et aux tumultes de l’année du baccalauréat. La décennie 80, les boîtes de nuit, les chansons pop… c’est toute l’atmosphère d’une époque que la cinéaste restitue avec authenticité dans cette chronique bourrée de charme et, somme toute, intemporelle. Cette merveille existe désormais en DVD.

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« Mais je rêve encore… »

 

STELLA EST AMOUREUSE

Sylvie Verheyde
2022
Paru en salles le 14 décembre 2022
Disponible en DVD chez KMBO depuis le 18 avril 2023

1985. Stella Vlaminck (Flavie Delangle) passe son premier été sans les parents, en Italie, avec ses copines d’un milieu plus favorisé que le sien. Mais à la rentrée, à Paris, c’est le bac qui se profile, et même si l’adolescente feint de ne pas y attacher d’importance, elle sait qu’il déterminera son avenir. Tandis que ses amies visent les grandes écoles, Stella doit faire face à la séparation de ses parents et au manque d’argent. Un jour, une copine l’entraîne aux Bains Douches, temple de la nuit parisienne. La lycéenne est fascinée par cet espace de liberté, au point que le lieu va devenir sa deuxième maison…

Stella est amoureuse appartient à un genre dans lequel le cinéma français excelle souvent : le film sur l’adolescence. Les 400 coups, Diabolo menthe, Passe ton bac d’abord, La boum, Le péril jeune, LOL… chaque génération a le sien. Sylvie Verheyde (Un frère, Stella, Confessions d’un enfant du siècle, Sex Doll, Madame Claude…) s’est souvenue de la lycéenne qu’elle était pour dépeindre cette période très particulière, l’année de Terminale, celle de tous les possibles. Stella cherche sa voie alors que le foyer familial prend l’eau et que ses amies, elles, semblent avoir un avenir tout tracé. La réussite du film tient à l’équilibre entre le drame et la comédie, combinaison subtile qui répond aux états d’âme de la jeune héroïne (on remarquera que ses initiales sont celles de la réalisatrice elle-même). Pas de clichés sur l’ado rebelle, pas plus que sur les parents négligents. Chacun tente de surmonter les aléas de sa propre existence, avec suffisamment d’amour. Stella se fait fort de masquer sa peur de l’avenir par un flegme stoïque et un mutisme qui la rend mystérieuse. Dans le rôle-titre, Flavie Delangle, repérée dans l’adaptation franco-belge de la série norvégienne Skam, joue juste. Benjamin Biolay, en père irresponsable, est drôle (il est un des acteurs fétiches de la réalisatrice), Marine Foïs (qui reprend le rôle créé par Karole Rocher dans Stella), touchante, et la brochette des jeunes comédiens, épatante. Si le film revêt autant de personnalité, c’est qu’il est inspiré de la propre expérience de la cinéaste, qui dépeint admirablement cette atmosphère des Bains Douches qui fascine tant Stella. Ceux qui les ont vécues le savent, les boîtes de nuit dans les années 80 étaient des lieux magiques, et celle-ci, comme Le Palace ou le Gibus à l’époque, l’était particulièrement. Le club avait pour devise : « Riches ou pauvres, jeunes ou vieux, célèbres ou inconnus, mais pas de gens ordinaires. » Comme Tony Manero dans La fièvre du samedi soir, on y venait pour danser, mais aussi s’inventer une vie, plus glamour, plus sexy. Baignée par la musique hypnotique de Nousdeuxtheband et des tubes eighties adhoc, cette chronique, entre légèreté et mélancolie, possède un charme fou.
1 h 50 Et avec Louise Malek, Prune Richard Agathe Saliou, André, Paul Manniez, Thierry Neuvic, Claire Guineau…

 

 

 

Paru chez KMBO, le DVD ne propose qu’un seul supplément, le clip de la jolie chanson, « Je rêve encore » interprétée dans le film par Flavie Delangle et André, et composée par Nousdeuxtheband. 

 

 

 

 

Les revenants – 2 – HAPPY VALLEY Saison 3

Sept ans après la deuxième saison, voici le retour de la grande Catherine, Cawood de son nom — alias Sarah Lancashire – pour un troisième et ultime tour de piste. Un épilogue grandiose !

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« Are you f…..g serious ? »

 

HAPPY VALLEY Saison 3

2023
Série créée en 2014 par Sally Wainwright
La saison 3, diffusée initialement sur la BBC en janvier et février 2023, est disponible sur Canal + depuis mars 2023
Les deux premières saisons ont remporté, entre autres récompenses, quatre BAFTA Awards

Si vous n’avez jamais vu la série, article sur la saison 1 ICI

À quelques semaines de la retraite, la sergente Catherine Cawood (Sarah Lancashire) de la police de Halifax (West Yorkshire) a déjà la tête dans sa virée en Himalaya en jeep, qu’elle planifie depuis quelque temps. Mais la découverte des restes du corps d’un malfrat lié à son ennemi de toujours, Tommy Lee Royce (James Norton), fait ressurgir des vieux démons. D’autant qu’elle ne tarde pas à apprendre que ce dernier a été transféré, pour bonne conduite, dans une prison de la région et qu’il reçoit régulièrement la visite de Ryan (son fils et celui de la fille de Catherine). L’adolescent qu’elle a élevé et qui vit chez elle lui avait bien caché cette relation. Forcément Catherine voit rouge…

On l’avait quittée désenchantée, après avoir déjoué une tentative de manipulation du psychopathe qui avait poussé sa fille au suicide (après l’avoir violée…), et une sordide affaire d’inceste, « une banale histoire de gens de la campagne » comme elle la décrivait. Sept ans après, Catherine s’apprête sans regrets à rendre son uniforme, usée par ce métier exigeant où pourtant elle excelle. Elle s’inquiète toujours autant pour son petit-fils devenu adolescent dont elle guette, dans le comportement parfois emporté, les éventuels signes de ressemblance avec son sinistre père. Forcément, la découverte de la trahison du jeune homme sera difficile à pardonner. Sept ans, c’est aussi le laps de temps qui était nécessaire à Sally Wainwright, la créatrice du show, pour achever l’histoire. Il fallait attendre que Ryan, incarné par le même et excellent Rhys Connah, ait l’âge adéquat pour pouvoir se confronter à la figure de ce père damné dont Catherine et son entourage lui ont caché les affreux secrets. Même si la saison intègre une intrigue autour d’une femme battue à laquelle se mêle un trafic de drogue (le genre d’affaires qui fait le quotidien des flics d’Halifax), c’est bien la trahison et la vengeance qui nourrissent ces six épisodes incroyablement intenses. La violence de certaines scènes — qui avait valu à la série des critiques lors de sa parution en 2014 — est toujours assumée par la scénariste, qui a bénéficié des conseils de policiers et ne voulait en aucun cas édulcorer la réalité du métier. Mais plus que la violence physique (Catherine Cawood passe la moitié de la saison avec des bleus sur le visage…), c’est surtout la profondeur psychologique du show qui impressionne. La haine ici n’est pas un vain mot. Elle ronge Catherine Cawood comme elle ronge Tommy Lee Royce au fond de sa cellule. Pourtant, Sally Wainwright met constamment de la nuance et de la complexité, et exploite remarquablement chaque personnage, laissant à chacun sa part d’humanité. Puissante, parfois sidérante, Happy Valley parvient avec maestria à maintenir l’équilibre entre le drame familial et l’intrigue policière à suspense. La distribution dans son ensemble fait un sans-faute. Si le séduisant James Norton, en méchant retors, et Siobhan Finneran en sœur gaffeuse et touchante de Catherine, sont formidables, Sarah Lancashire force toujours l’admiration. Véritable badass et particulièrement douée d’empathie, Catherine Cawood est désormais considérée comme un trésor national outre-Manche. Elle est truculente avec son air buté, ses reparties bougonnes (des gros mots à foison), sa propension à prendre ses collègues pour des imbéciles (à raison la plupart du temps), sa clairvoyance de détective et son empressement à défendre la veuve et l’orphelin. Il ne lui aura fallu que trois petites saisons pour devenir une icône. On la regrette déjà.
6 épisodes d’environ 60 minutes.Et avec Charlie Murphy, Mark Stanley, Amit Shah, Rick Warden, Jack Bandeira, Olivier Huntingdon, Derek Riddell, Con O’Neill… La chanson du générique est toujours « Trouble Town », de Jake Bugg.

THE FABELMANS : la fabrique du génie

Steven Spielberg revisite son enfance et son adolescence dans cette fable humaniste à la fois intime et universelle. Déclaration d’amour à la famille et au cinéma, le film a fait un four aux États-Unis (comme Babylon), mais a suscité des critiques dithyrambiques en France. Ce n’est peut-être pas le chef-d’œuvre escompté, mais on en sort émerveillé.

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« Movies are dreams that you never forget. »

 

THE FABELMANS

Steven Spielberg
2002
Dans les salles françaises depuis le 22 février 2023
Golden Globes 2023 du Meilleur film et du Meilleur réalisateur

Le 10 janvier 1952, à Philadelphie, Burt (Paul Dano) et Mitzi (Michelle Williams), les parents du jeune Sam Fabelman (Mateo Zoryon) l’emmènent pour la première fois voir un film au cinéma. Il s’agit de Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show On Earth), de Cecil B. DeMille. L’enfant de six ans, qui appréhende de se retrouver dans une salle obscure, ignore à quel point cet événement va bouleverser sa vie…

« Beaucoup de mes films s’inspirent d’expériences que j’ai vécues. Mais dans The Fabelmans, il ne s’agit plus seulement de métaphores, mais de souvenirs » a déclaré Steven Spielberg en amorce d’une des bandes-annonces de cette autobiographie sur grand écran. L’un des plus importants cinéastes de son temps — cinq de ses œuvres figurent dans la liste de l’American Film Institute des cent meilleurs films américains de l’histoire — revient ici pour la première fois explicitement sur son enfance et son adolescence, et dévoile, dans le même temps, les fondements de son cinéma. Ce projet le taraudait depuis longtemps. Il s’est imposé d’attendre la disparition de ses parents pour s’autoriser à mettre en scène l’histoire intime de sa famille, rebaptisée Fabelman, un nom symbolique pour un récit à valeur de thérapie. Il a écrit le scénario pendant le confinement avec Tony Kushner, auteur de la célèbre pièce Angels In America avec lequel il collabore depuis Munich. Tout commence par une scène grandiose, en quelque sorte la pierre angulaire de l’œuvre du cinéaste. Et puis, on pénètre dans le quotidien de la famille Fabelman. On découvre que si le père est un génie de l’informatique, un geek avant l’heure, c’est la mère qui vampirise le clan. John Cassavetes ferait dire d’elle à Peter Falk qu’elle est « spéciale ». Car Mitzi a beaucoup de points communs avec la Mabel campée par Gena Rowlands dans Une femme sous influence. Artiste contrainte d’abandonner une carrière de concertiste pour devenir femme au foyer et s’occuper de ses quatre enfants (lot de beaucoup de ses congénères à l’époque), elle évacue ses frustrations par un comportement fantasque qui confine à l’hystérie. Contrairement à son scientifique d’époux, Mitzi sera pourtant le soutien indéfectible de son fils et son premier public, celle qui, contre vents et marées, encouragera sa vocation de cinéaste et lui offrira sa première caméra. Certains ont reproché à Spielberg de faire ici l’autocélébration de sa vie (il y a effectivement des longueurs dans la première partie dédiée aux atermoiements de cette famille juive volubile), mais contre toute attente, le réalisateur n’est pas toujours tendre dans son évocation. Il n’élude pas les aspects les plus embarrassants de cette figure fantasque (également inspirée par la mère de Tony Kuschner). Elle est campée par Michelle Williams, ex-vilain petit canard de la série Dawson devenue actrice qui compte. Enlaidie pour le rôle faute à une coupe de cheveux ingrate, la comédienne ne lésine pas sur le côté exalté du personnage ni sur sa propension à susciter le malaise. Il est aisé de comprendre pourquoi le jeune Sam se réfugie dans l’imaginaire… Le cinéma est le moyen d’exorciser ses angoisses face à une situation familiale souvent explosive. L’émerveillement lorsqu’il découvre les classiques du 7ème art va de pair avec son envie de réinventer le monde, comme une façon de contrôler ce qui lui échappe dans le réel. C’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans The Fabelmans : le regard de l’enfant qui projette son film au creux de ses mains, puis de l’adolescent qui scrute la pellicule avec sa loupe, son travail méticuleux sur la table de montage, ou encore l’incrédulité lorsqu’il découvre, dans une scène façon Blow Up, l’infidélité de sa mère, à l’arrière-plan d’un film de pique-nique familial. Les dents de la mer, E. T., Il faut sauver le soldat Ryan… tout est déjà là, dans les films amateurs de Sam. Le jeune Gabriel LaBelle est bouleversant dans la peau de cet adolescent sage, mais à l’imagination débordante, dévasté par la séparation de ses parents. À ses côtés, Paul Dano est touchant en père introverti et dépassé, incapable de comprendre sa femme et ses enfants qu’il déracine au gré de ses affectations — la famille se déplace ainsi du New Jersey en Arizona jusqu’en Californie, traçant sans le savoir la trajectoire de Sam/Steven vers Hollywood. En ami du clan, Seth Rogen est formidable, à l’instar de tous les jeunes interprètes. Force est de constater qu’à l’heure de Everything Everywhere All At Once, The Fabelmans détonne par son parti pris rétro (les fidèles John Williams et Janusz Kaminski sont respectivement à la musique et la photo). Spielberg ne sacrifie rien de son univers. Il est passé à côté de la révolution pop-rock de son époque et il l’assume. Sur la plage californienne, on n’entend pas les Beach Boys, mais James Darren, et à l’université, on chante plutôt du Burt Bacharach (la sublime « Walk On By »). Le film n’est pas exempt de défauts, mais la scène finale, tirée d’une anecdote vraie, emporte tout sur son passage.
2 h 31 Et avec Judd Hirsh, Jeannie Berlin, Keeley Karsten, Julia Butters, Chloe East, Isabelle Kusman, Sam Rechner, Oakes Fegley, David Lynch…