OSCARS 2020

 

 (Rob Latour/Shutterstock)

« D’aucuns disent qu’il ne faut pas rencontrer ses héros. Mais si vous avez de la chance, vos héros, ce sont vos parents. » (Laura Dern, fille de Diane Ladd et Bruce Dern, Oscar du Meilleur second rôle 2020.)

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C’est au Théâtre Dolby de Los Angeles que s’est déroulée, le 9 février, la 92ème cérémonie des Oscars, avancée de quelques semaines pour coller à celle des Golden Globes. Après le tollé provoqué par cette décision, la cérémonie devrait cependant retrouver sa date coutumière de fin février-début mars l’an prochain. Sans présentateur, à l’instar de l’année précédente, la soirée a été rythmée par les interventions des uns et des autres et des prestations musicales diverses. Après l’ouverture façon broadway de Janelle Monae, Chris Rock et Steve Martin y sont allés de leurs blagues, imputant la disparition du maître de cérémonie à Twitter. Ils ont remarqué que la sélection des réalisateurs nominés « manquait de vagins », et ont confié à Martin Scorsese qu’ils avaient adoré la saison 1 de The Irishman

« On va passer une bonne soirée à ne pas être maîtres de cérémonie ce soir ! »

 

Si la cérémonie s’est révélée plutôt consensuelle, l’audace est venue du palmarès, une première dans l’histoire du 7ème art.

 (Reuters/Mario Anzuoni)

En effet, c’est un film en langue non anglaise, Parasite, du génial Sud-Coréen Bong Joon-ho (lire ma critique), qui a raflé les trophées les plus prestigieux. Ce bijou noir déjà mondialement acclamé et multi-récompensé (Palme d’Or à Cannes, Golden Globe du Meilleur film étranger…) a non seulement remporté l’Oscar attendu du Meilleur film international, mais également ceux du Meilleur film, Meilleur réalisateur et Meilleur scénario original. Le raz de marée Bong Joon-ho a englouti les rêves de Quentin Tarantino, Martin Scorsese, Sam Mendes et Todd Philips. Au regard de la concurrence, pas sûr qu’il était nécessaire de lui octroyer autant de récompenses. Once Upon A Time… In Hollywood ou 1917, pour ne citer qu’eux, sont également des tours de force. On doit cet événement notable à la nouvelle composition de l’Académie dont les membres comptent depuis 2018 davantage de femmes, de minorités ethniques et de jeunes. Bong Joon-ho lui-même n’en est pas revenu, et le sympathique réalisateur n’a pas omis de rendre hommage à Martin Scorsese, un de ses maîtres à filmer, pour lequel il a fait se lever la salle.

(Kevin Winter/Getty Images)
« Merci, je vais boire jusqu’au petit matin. »

 

Le reste du palmarès est peu ou prou le même que celui des Golden Globes et c’est tant mieux.

Sacré Meilleur acteur de l’année pour sa performance ahurissante dans Joker, Joaquin Phoenix remporte son premier Oscar. Très ému, il a rendu hommage à son frère River, a également évoqué le combat contre l’injustice et l’individualisme, la protection des animaux et celle de la planète, et parlé de l’importance du pardon et d’accorder des deuxièmes chances.

(Noel West/The New York Times)
« Je ne sais pas ce que je serais sans le cinéma. »

 

(Al Seib/Los Angeles Time)

Renée Zellweger remporte son deuxième Oscar (après celui du Meilleur Second rôle dans Cold Mountain) pour Judy, de Rupert Goold. Elle a dédié son trophée à Judy Garland qui n’avait reçu en son temps (1940) qu’un Oscar spécial de « Meilleure jeune actrice ».

 

(Kevin Winter/AFP)

A cinquante-six ans, Brad Pitt reçoit enfin son premier Oscar (du Meilleur second rôle) pour sa prestation irrésistible dans Once Upon A Time… In Hollywood (lire ma critique). Sa petite blague sur Donald Trump n’est pas passée inaperçue : « Ils m’ont dit que j’avais quarante-cinq secondes ici, soit quarante-cinq secondes de plus que ce que le Sénat a accordé à John Bolton cette semaine. » (Allusion au fait que la majorité du Sénat a refusé d’entendre de nouveaux témoins anti-Trump, dont son ancien conseiller John Bolton).

 

Taika Waititi entre Natalie Portman et Timothée Chalamet (Steve Granitz/WireImage)

Tandis que Laura Dern, unanimement adorée, est sacrée Meilleur second rôle féminin de l’année pour sa performance dans Marriage Story de Noah Baumbach (elle a offert le discours le plus touchant de la soirée — voir plus haut), dans la catégorie Meilleur scénario adapté, c’est Jojo Rabbit du facétieux Mauri Néo-Zélandais Taika Waititi, d’après un roman de Christine Leunens, qui l’a emporté, au nez et à la barbe de l’attendu Les filles du Docteur March de Greta Gerwig.

 

 

Malgré l’écrasante victoire de Parasite, les autres favoris ont néanmoins grappillé quelques récompenses techniques :

 


1917 (dix nominations), de Sam Mendes, remporte les Oscars de la Meilleure photo (du maître Roger Deakins), du mixage sonore et des effets spéciaux.

 


Après avoir empoché l’Oscar du Meilleur second rôle pour Brad Pitt, Once Upon A Time… In Hollywood (dix nominations), de Quentin Tarantino, remporte celui des Meilleurs décors et direction artistique.

 


Le Mans 66 (Ford v Ferrari), de James Mangold, est salué par les Oscars du Meilleur montage et du montage sonore

 

Joker (lire ma critique), de Todd Phillips (onze nominations) s’empare aussi de l’Oscar de la Meilleure musique, signée de l’Islandaise Hildur Guõnadóttir.

 


En guise de lot de consolation, Les filles du Docteur March (six nominations) repart avec l’Oscar des Meilleurs costumes (lire ma critique).

 


Revenant sur la triste affaire Roger Ailes, de Fox News, Scandale (Bombshell), de Jay Roach, remporte l’Oscar des Meilleurs maquillages et coiffures.

 

Catégorie Film d’animation, l’excellent J’ai perdu mon corps des Français Jérémy Clapin et Marc du Pontavice n’a hélas pas fait le poids face à Toy Story 4, de Josh Cooley, Mark Nielsen et Jonas Rivera.

 

L’Oscar du Meilleur documentaire est revenu à American Factory, de Steven Bognar, Julia et Jeff Reichert. Il évoque le choc des cultures entre ouvriers américains et chinois expatriés, à la suite de l’implantation en Ohio d’une multinationale appartenant à un milliardaire chinois.

 

(Kevin Winter/Getty Images)

Enfin, Elton John et Bernie Taupin ont logiquement remporté l’Oscar de la Meilleure chanson de l’année avec « (I’m Gonna) Love Again » pour Rocketman. Et si la prestation au piano de l’artiste n’est pas passée inaperçue, on a particulièrement apprécié le joli montage d’extraits de films transcendés par des chansons, du Lauréat à Breakfast Club. Il s’est achevé sur 8 Mile, avec Eminem en personne venu interpréter « Lose Yourself », qui avait obtenu en 2003 l’Oscar de la Meilleure chanson. Ce moment plutôt réjouissant n’a pas plu au commentateur de Canal+ Laurent Weil. Aux côtés d’un Didier Allouch embarrassé, le pseudo-journaliste de cinéma ne s’est pas privé de dire à quel point il ne comprenait pas la présence du rappeur aux Oscars, jugeant même sa prestation pourtant acclamée par la salle « chiantissime et sans aucun intérêt ». Chacun appréciera.

(Marshall Mathers aka Eminem)

 

Le meilleur et le pire

On notera les interventions des hilarantes Kristen Wiig, Maya Rudolph et Olivia Colman, particulièrement réussies, contrairement à la reprise de « Yesterday » par la chanteuse Billie Eilish durant l’hommage aux disparus de l’année, où figuraient les Françaises Agnès Varda et Anna Karina. Chouette aussi, le « moment » Keanu Reeves-Diane Keaton venus remettre l’Oscar du Meilleur film international. Après avoir fait une arrivée remarquée sur le tapis rouge au bras de sa mère, l’interprète de John Wick a eu bien du mal à canaliser son ex-partenaire (et ex tout court) de Tout peut arriver de Nancy Meyers, qui semblait totalement à l’ouest.

(Chris pizzello/Shutterstock)

 

Les grands perdants

En dépit de ses dix nominations et de ses innombrables qualités, The Irishman est reparti bredouille. Martin Scorsese a une fois de plus cette année fait les frais de sa collaboration avec Netflix. Aux Oscars comme aux Golden Globes, les films qui ne sont pas projetés en salles ne sont pas reconnus par les votants. Ça se tient. Un seul Oscar (celui du Meilleur second rôle féminin) pour le remarquable Marriage Story, de Noah Baumbach (6 nominations), avec des impressionnants Scarlett Johansson et Adam Driver, c’est peu. Là aussi, c’est l’effet Netflix.

 

Looks

Côté couture, Natalie Portman avait fait fort avec sa cape « Dark Vador » (Dior) brodée du nom des réalisatrices non-nominées, et la robe de Janelle Monae (Ralph Lauren) n’aurait pas non plus détonné dans Star Wars. Tout au long de la soirée, il y eut de la dentelle, du frou-frou, de l’asymétrique et du déstructuré, mais l’audace ne paie pas toujours. Du coup, l’Oscar de la plus belle robe AFAP revient à Renée Zellweger (en Armani), sobre et classe, ex-aequo avec Penélope Cruz (en Chanel), classique, mais sublime.

 

LES FILLES DU DOCTEUR MARCH

Intitulée en français Les quatre filles du Docteur March, la précédente adaptation de l’œuvre culte de Louisa May Alcott, réalisée en 1994 par Gillian Armstrong, est restée dans les mémoires. Chaleureux, sensible et attachant, transcendé par une Winona Ryder rayonnante en Jo, ce film familial est aujourd’hui un classique qu’on ne se lasse pas de revoir à Noël. Qu’à cela ne tienne, vingt-cinq ans après, l’égérie du cinéma indépendant américain Greta Gerwig (compagne de Noah Baumbach), interprète inoubliable de Frances Ha et réalisatrice du remarqué Lady Bird, n’a pas eu peur de s’emparer du livre qui a bercé son enfance pour y imposer sa vision, plus féministe et moderne. Verdict.

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« I can’t get over my disappointment at being a girl. »

  

Les filles du Docteur March (Little Women)

Greta Gerwig
2019
Dans les salles françaises depuis le 1er janvier
Six nominations aux Oscars 2020

Alors que la Guerre de Sécession fait rage, la modeste famille March, dont le père pasteur est au front, s’est organisée pour faire tourner la maison. Pendant que la mère (Laura Dern) se dévoue auprès des nécessiteux, les quatre filles ont chacune leur tâche. Leur récréation : se retrouver dans le grenier pour jouer les pièces imaginées par la plus rebelle d’entre elles, Joséphine, dite « Jo » (Saoirse Ronan), un vrai garçon manqué qui ne rêve que d’écriture et d’indépendance…

On compte depuis le début du siècle dernier un nombre considérable d’adaptations du livre en deux volumes de Louisa May Alcott (publiés en 1868 et 1869), que ce soit au cinéma, à la télévision ou en dessin animé. Les plus grandes stars hollywoodiennes se sont frottées aux personnages des sœurs March, y compris Katharine Hebpurn, Joan Bennett, Janet Leigh, Elizabeth Taylor et, plus récemment, Claire Danes et Kirsten Dunst. C’est donc avec curiosité qu’on aborde ce Little Women circa 2019, en se demandant comment Greta Gerwig allait parvenir à apporter un regard neuf sur cette oeuvre initiatique, implantée depuis des lustres dans l’inconscient collectif. Premier parti pris de la scénariste-cinéaste : jouer avec la chronologie à coups d’allers et retours entre les époques. Le film débute ainsi par la dernière partie de l’intrigue, dévoilant une Jo adulte, qui bataille pour publier ses écrits. L’intention de Greta Gerwig est évidente : mettre en exergue la dimension féministe du roman à travers son héroïne frondeuse et dénoncer la condition de la femme du XIXème siècle. Pourtant, la réalisatrice ne parvient pas à échapper totalement à une certaine forme d’académisme. Bien qu’éparpillés, les moments clés du livre sont bien présents (et heureusement…) ; le temps de flash-backs (les cheveux brûlés de Meg, le premier bal, la chute d’Amy dans le lac gelé…). Cette agitation souvent euphorique est joliment filmée, sous les effluves de la musique très conventionnelle d’Alexandre Desplat. Efficace aussi, la mise en scène, qui sert parfaitement les personnages, tous charmants et incarnés par une brochette d’acteurs chevronnés. Saoirse Ronan fait une Jo (blonde…) sensible, butée et très convaincante, le surdoué Timothée Chalamet un Laurie émouvant et plein de fraîcheur, et Meryl Streep une Tante March savoureuse (« Je n’ai peut-être pas toujours raison, mais je n’ai jamais tort. »). Mais c’est surtout dans la deuxième partie du film, plus fidèle à l’auteur qu’à son roman, que Greta Gerwig excelle. Les atermoiements de Jo et ses questionnements sont traités avec une sensibilité remarquable. Voir cette forte tête tenter de retenir l’enfance et le temps qui passe, comme si elle seule avait conscience de la perte d’un paradis, a quelque chose d’incroyablement poignant. Rien que pour ça, Les filles du Docteur March mérite l’admiration.
2 h 15. Et avec Florence Pugh, Emma Watson, Louis Garrel, Elisa Scanlen, James Norton, Chris Cooper, Tracy Letts…

STAR WARS : L’ascension de Skywalker

A propos d’une série qui n’avait pas tenu toutes ses promesses, quelqu’un d’avisé m’a récemment confié : « Il y a longtemps que je ne la regardais plus pour ses qualités propres, mais pour “retrouver mes amis”. » C’est un peu le sentiment que l’on éprouve devant le dernier épisode de la dernière trilogie de la saga Star Wars. Quarante-deux ans après Un nouvel espoir, L’ascension de Skywalker fait plus que jamais vibrer la fibre nostalgique, malgré un évident manque d’audace narrative et d’inventivité de la part d’une jeune génération de créateurs trop respectueux de l’œuvre et de sa horde de passionnés fétichistes. (pas de spoilers dans cette critique)

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« We had each other, that’s how we won. »

 

Star Wars : L’ascension de Skywalker (Episode IX – The Rise Of Skywalker)

J. J. Abrams
2019
Dans les salles françaises depuis le 18 décembre 2019

Après la mort de Luke Skywalker, Rey (Daisy Ridley), dernier espoir des Jedi, s’entraîne auprès de la Générale Leia Organa (Carrie Fisher), toujours à la tête de la Résistance. Mais alors que le maléfique Kylo Ren (Adam Driver) tient désormais les rênes du Premier Ordre, une menace encore plus terrible plane sur la Galaxie…

Le réveil de la force (lire critique), réalisé en 2015 par J. J. Abrams sous l’égide de Disney, avait redonné du peps à une saga qui s’était quelque peu fourvoyée au début du nouveau millénaire. En renouant avec la recette éprouvée avec succès dans les épisodes originaux, la nouvelle trilogie semblait partir du bon pied. Las, Les derniers Jedi, le deuxième épisode mis en scène en 2017 par Rian Johnson, s’est avéré franchement décevant, la présence envahissante des « anciens » pesant lourdement sur un film qui semblait vouloir absolument tourner le mythe en ridicule (les personnages de Luke Skywalker et Leia en tête). Conscient du problème et soucieux de clore l’histoire avec panache, J. J. Abrams est retourné au charbon. Si L’ascension de Skywalker n’est pas le chef-d’œuvre espéré (trop de recyclage de plans, de personnages et de punchlines issus de la première trilogie, sans compter un emprunt éhonté au discours d’Aragorn dans Le Retour du Roi), il tient ses promesses sur les plans de l’action, de l’aventure et de l’émotion, et offre un final sinon grandiose, du moins très satisfaisant. Emaillé de séquences spectaculaires et souvent magnifiques, le film insiste sur la rivalité et relation ambiguë entre Rey et Kylo Ren, permettant à Adam Driver de faire montre de son infini talent. Indiscutablement, la présence de l’acteur nommé aux Oscars pour Marriage Story cette année est un atout de taille. Constamment habité par son personnage déchiré entre le bien et le mal, il insuffle de la tragédie grecque et du lyrisme dans cette épopée galactique en mal de scénario où l’humour bon enfant tient trop souvent lieu de dialogues. Mais qu’importe. Puisque pour des millions de spectateurs, Star Wars, c’est bien plus que du cinéma, J. J. Abrams n’a pas lésiné sur les références flatteuses de nostalgie. Et ça marche. Il y a quelque chose d’étrange dans le fait d’avoir assisté à la naissance d’une saga et d’avoir vieilli avec elle. Nul doute que d’autres intrigues verront le jour, mais cet épisode IX imparfait boucle miraculeusement la boucle et force à faire le deuil, de la saga et pas seulement. Après ça, rien ne sera plus jamais pareil.
2 h 22 Et avec John Boyega, Oscar Isaac, Domnhall Gleeson, Richard E. Grant, Keri Russell, Mark Hamill, Joonas Suotamo, Naomi Hackie, Anthony Daniels, Harrison Ford…