WISHLIST NOËL 2023

Douze cadeaux (et plus) à s’offrir entre cinéphiles (l’ordre n’a pas d’importance).

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1 – Le plus attendu

PAUL NEWMAN – LA VIE EXTRAORDINAIRE D’UN HOMME ORDINAIRE
Autobiographie fondée sur des entretiens et témoignages recueillis par Stewart Stern
Traduit par Serge Chauvin
Éditions La Table Ronde (24,50 €)
Novembre 2023

« Il était intègre. Il chérissait obstinément son intimité, et se sentait toujours emprunté quand il donnait une interview. Le simple fait que notre père ait pu envisager d’écrire le livre que vous avez entre les mains nous paraît profondément étrange, et pourtant, il poursuivit ce projet pendant cinq ans. Il l’avait conçu comme une offrande à sa descendance, et peut-être aussi comme un moyen de rétablir publiquement la vérité… »

Ces mots sont ceux de Melissa Newman, la fille cadette de Paul Newman et Joanne Woodward, qui a signé la préface de cette autobiographie passionnante. À partir de 1986, la star des mythiques Butch Cassidy et le Kid, Luke la main froide, La chatte sur un toit brûlant ou de L’Arnaque s’était livré, façon confession intime, à son ami Stewart Stern, fameux scénariste de la Fureur de vivre. Un temps, le projet de ce livre fut abandonné. La mort de l’icône puis celle de Stern auraient pu avoir raison de son existence. Mais la famille, aidée par la productrice et amie Emily Wachtel, a sorti des tiroirs tous ces précieux entretiens, ainsi que témoignages des proches réalisés à l’époque. À la limite de l’autoflagellation, hanté par le syndrome de l’imposteur à cause de sa beauté qui a amplement contribué à sa renommée et qu’il ressentait comme une malédiction, Paul Newman, l’un des acteurs les plus mystérieux au monde, et un peu oublié aussi, se révèle enfin. Un événement.

 

2 – Le plus aquaboniste

ET MOI, ET MOI, ET MOI
Jacques Dutronc
Éditions le cherche midi (18,90 €)
Novembre 2023

Insubmersible Dutronc, qui planqué sur sa planète corse, se rappelle de temps en temps au bon souvenir du public. Après la tournée avec son fils Thomas, achevée en décembre 2022, voici les mémoires tant attendues du plus désinvolte des chanteurs français, et acteur (plutôt bon) à l’occasion. D’ailleurs ici, les passages concernant le cinéma ne manquent pas de sel :

« Zulawski, il fallait presque se mettre en porte-jarretelles pour le séduire ; Maurice Pialat, pour le séduire, il fallait presque lui casser la gueule. » 

Sur Romy Schneider : « Elle ne jouait pas, jamais… Elle avait une telle force qu’il fallait être un colosse pour lui résister. Je me faisais l’effet d’être une Mini Cooper en face d’un 38 tonnes. » 

Derrière ces bons mots constants, reflets de l’intelligence et de la lucidité du trublion, pointent souvent de la tendresse, des regrets, et même un brin de nostalgie. Un régal !

 

3 – Le plus absurde

ZÉRO GRAVITÉ
Woody Allen
Editions Stock (22 €)
Août 2023

Woody Allen n’est plus en odeur de sainteté, mais il a toujours du talent et des bons mots en réserve. Trois ans après sa truculente autobiographie (voir critique) , il est revenu l’été dernier dans le paysage littéraire avec un recueil de nouvelles jubilatoires, dont certaines étaient parues dans le New Yorker entre 2008 et 2013. Un concentré d’absurde et d’humour, qui fera le bonheur de ses fans.

« Faisant montre d’un sang-froid impérial malgré la pression, je me fendis d’un rire décontracté qui ne fut pas sans évoquer le crissement du chat lorsque vous le passez à la déchiqueteuse. »

 

4 – Le plus engagé

DELPHINE SEYRIG
Coffret Blu-ray 6 films
Arte Éditions (45 € sur la boutique Arte, 59,99 prix Fnac)
Novembre 2023

Non Delphine Seyrig, disparue en 1990, n’a pas été que l’extravagante Fée des Lilas de Peau d’âne, même si ce personnage reste iconique, et pas que pour les cinéphiles (Ah ! sa fameuse façon de chanter « La situation mérite attention » …). Cette engagée dans la lutte féministe s’est souvent attachée, en tant qu’actrice, à camper des femmes peu représentées à l’écran.

2023 a vu la ressortie sur les écrans de ses films majeurs en versions restaurées 4K, aujourd’hui disponibles en Blu-ray. Le coffret rassemble ainsi La Musica (1967) de Marguerite Duras et Paul Seban ; Les lèvres rouges (1971) de Harry Kümel ; Le jardin qui bascule (1975) de Guy Gilles ; Aloïse (1975) de Liliane de Kermadec, Jeanne Dielman 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1976) de Chantal Akerman, ainsi que Sois belle et tais-toi ! suivi du moyen et du court-métrage Maso et Miso vont en bateau, et S.C.U.M. Manifesto, tous trois réalisés par Seyrig et le collectif Les Insoumises en 1976. Cinq heures de suppléments enrichissent cette magistrale édition, élaborée en partenariat avec la Cinémathèque française.

DELPHINE SEYRIG – UNE VIE
Mireille Brangé
Éditions Nouveau Monde (10,90 €)
Octobre 2023 (Première édition 2018)

Pour compléter le coffret, on peut se procurer cette réédition du livre de Mireille Brangé en format poche (on le trouve aussi broché). Professeur de littérature générale et comparée à Paris XIII, l’auteur, spécialiste du rapport entre écrivains et cinéma, brosse un portrait très complet de celle qui fut l’égérie de Resnais, admirée par Truffaut et Duras, et qui a tant cherché à échapper à son image.

« On la croit sophistiquée, et ses goûts élitistes : on découvre en s’approchant qu’elle aime le rock, la musique pop, est intarissable sur les protest-singers et les chansons populaires des années 30 qu’elle connaît par cœur. »

 

5 – Le plus dévergondé

WHAT’S NEW PUSSYCAT? (Quoi de neuf, Pussycat ?)
Combo Blu-ray + DVD
Rimini Éditions (24,99 €)
Novembre 2023

Si elle tient davantage de la curiosité que du chef-d’œuvre, cette comédie totalement loufoque, foutraque et débridée réalisée en 1965 par Clive Donner se doit être dans toute bonne vidéothèque. Il s’agit en effet du premier film écrit par Woody Allen (et sa première apparition à l’écran) et de la première musique composée en solo pour le cinéma par le génial Burt Bacharach (La chanson-titre, interprétée par Tom Jones, fera un tube). Cette œuvre pop, totalement dans l’air de son temps — en pleine révolution culturelle et sexuelle –, est également entrée dans les annales grâce à sa distribution : Peter O’Toole, Peter Sellers, Romy Schneider, Ursula Andress, Capucine, Paula Prentiss… À l’origine, ce film sur les déboires d’un séducteur était un projet de Warren Beatty, qui devait même incarner le personnage de Peter O’Toole, avant d’être évincé par son partenaire de production ! L’édition est enrichie d’une interview du génial Peter Sellers et d’une présentation pertinente de Philippe Guedj qui parle de What’s New Pussycat? comme d’une « capsule temporelle pleine de joie de vivre, et qui illustre le chaos dans lequel il a été créé. »

 

6 – Le plus insoumis

BETTE DAVIS : FATIGUÉE D’ÊTRE MOI
Anne-Capucine Blot
Capricci Stories (11,50)
Juin 2023

À cause de ses choix de rôles complexes et souvent ingrats, Bette Davis reste la plus étonnante des icônes américaines. En juillet 2023, le festival de La Rochelle lui a rendu hommage via une rétrospective de ses rôles les plus marquants. Parallèlement, Anne-Capucine Blot, habilleuse de cinéma et collaboratrice de la revue Brefcinéma, a signé ce joli essai, mettant en exergue les épisodes les plus significatifs de sa vie tumultueuse. Forcément, on aime.

 

7– Le plus culte

AMERICAN GRAFFITI 4K ULTRA HD
Édition limitée Steelbook 50ème anniversaire
Universal Pictures France (24,99 €)
Novembre 2023

On ne se lasse pas de redécouvrir le petit bijou réalisé en 1973 par George Lucas, film emblématique de la jeunesse américaine du début des 60’s, doté d’une bande originale décoiffante. On y trouve un nouvel étalonnage des couleurs (on déplore cependant l’absence du grain d’origine), un DTS-HD Master Audio 5.1 percutant en version originale, et des suppléments pour la plupart déjà au menu des éditions précédentes : commentaire audio du réalisateur, essais des acteurs, making of de Laurent Bouzereau ainsi qu’une featurette inédite.

 

8 – Le plus girly

GRACE KELLY – L’UNIVERS ILLUSTRÉ D’UNE ICÔNE DE LA MODE
Megan Hess
Editions L’imprévu (22 €)
Octobre 2023

Après Audrey Hepburn et Marilyn Monroe, la célèbre dessinatrice américaine Megan Hess se penche sur l’itinéraire de celle qui fut l’égérie d’Alfred Hitchcock avant de devenir princesse. Comme toujours, c’est glamour, chic et sublime. L’ouvrage existe également dans sa version originale américaine, encore plus raffinée.

 

9 – Le plus nostalgique

DES MOMENTS DE CINÉMA
François Guérif
Éditions La Grange Batelière (22€)
Avril 2023

Le spécialiste du polar, créateur de la collection Rivages/Noir et cinéphile averti (on lui doit des ouvrages de référence sur Clint Eastwood ou Steve McQueen) a réuni ici des interviews effectuées dans les années 1980 et 1990, à l’âge d’or de la VHS. On peut y savourer cinquante entretiens, de longueur inégale, réalisés à la faveur de sorties cinéma, en salles ou en vidéo. D’Isabelle Adjani à Francis Ford Coppola en passant par François Truffaut, Michel Audiard ou Ennio Morricone, ce sont des témoignages sur le 7ème art pertinents et parfois inattendus.

À Brigitte Lahaie : 

« Que pensez-vous de la phrase de Godard : “Avant on avait appris à filmer au-dessus de la ceinture. Nous aurions dû apprendre à filmer au-dessous ?”
– C’est une phrase que je vais apprendre et garder pour mes futures interviews. Je la trouve très juste. »

À Lino Ventura :

« Y a-t-il un film que vous regrettez ne pas avoir tourné ?
– Ça m’est arrivé d’y penser, mais je ne m’en souviens plus. Ah si, le dernier, c’était
Les choses de la vie. »

 

10 – Le plus monumental

LE CINÉMA D’AGNÈS VARDA – Longs et courts
Coffret 14 DVD
Arte Éditions (60 €)
Octobre 2023

2023, c’était l’année Delphine Seyrig, mais aussi Agnès Varda, célébrée par la Cinémathèque française dans une exposition toujours en cours (elle s’achèvera le 28 janvier 2024), accompagnée de rediffusions des films sur Arte, de DVD et d’un vinyle.

Record battu pour ce coffret imposant et exhaustif, qui revient sur l’œuvre de la réalisatrice pionnière disparue en 2019, qui a inspiré des générations de cinéastes. Onze longs-métrages — incluant les fameux Cléo de 5 à 7 ou Sans toit ni loi — et seize courts, sont ici réunis, enrichis de suppléments tout aussi imposants (8h), dont une éblouissante leçon de cinéma par Agnès Varda elle-même (2h).

VIVA VARDA !
Collection Ecoutez le cinéma ! (21,99 €)
Septembre 2023

Pour enrichir l’expérience, découvrez cet album vinyle consacrée à la musique et chansons des films d’Agnès Varda. On y retrouve des compositions de Michel Legrand, la voix envoutante de Corinne Marchand, mais aussi l’hommage de Vincent Delerm, « La vie Varda ».

 

11 – Le plus fondamental

RÉTROSPECTIVE DOUGLAS SIRK, LES MÉLODRAMES ALLEMANDS
Coffret Blu-ray édité par Capricci (61,20 €)
Octobre 2023

On connaît mieux la période américaine du réalisateur de Ce que le ciel permet, Le secret magnifique ou Le mirage de la vie. Moins sa période allemande, la première. Ce coffret Blu-ray propose de redécouvrir sept mélodrames de Douglas Sirk qui se nommait encore Hans Detlef Sierck, tournés dans son pays d’origine entre 1935 et 1937. Restaurés en 2K ou 4K par la Fondation Murnau, ces premiers chefs-d’œuvre du génial cinéaste sont assortis de trois courts-métrages inédits de Sirk et d’un livret de 48 pages.

 

12 – Le plus enthousiaste

CINÉMA SPÉCULATIONS
Quentin Tarantino
Editions Flammarion (25 €)
Mars 2023

Quentin Tarantino rend hommage au cinéma qu’il aime à la manière d’un Peter Biskind. Avec sa verve et sa propension à déplacer les montagnes, cet admirateur de la critique Pauline Kael s’attarde sur le Nouvel Hollywood, les Movie Brats que sont Scorsese, Coppola, Spielberg etc. et évoque ses films culte, dont Bullitt, de Peter Yates, Guet-Apens de Sam Peckinpah, Delivrance de John Boorman, Sœurs de sang de Brian De Palma ou L’évadé d’Alcatraz de Don Siegel. Tout comme ses anecdotes, ses portraits d’acteurs et réalisateurs sont truculents :

« Et puis il y a Steve McQueen dans le rôle de Frank Bullitt… Rarement, dans toute l’histoire de Hollywood, les stars de cinéma étant ce qu’elles sont, une star de ciné en a fait si peu pour un résultat si grandiose, comme McQueen avec ce rôle dans ce film. Il ne fait pratiquement rien, mais personne dans l’histoire du cinéma n’a fait rien à la manière de Steve McQueen. »

 

On peut également faire un petit tour sur le site de la Boutique des Cahiers du Cinéma, où les livres et hors-séries sont proposés à des prix attractifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

Et joyeux Noël !

 

THE KILLER de David Fincher

Si on cherche David Fincher, c’est sur Netflix qu’on le trouve. Après la série Mindhunter et le caustique Mank (autour de la genèse de Citizen Kane), le revoilà sur sa plateforme préférée. Parce qu’elle lui offre plus de liberté de création et de moyens, ce rebelle aux diktats de l’industrie hollywoodienne désormais dédiée aux « blockbusters façon Happy Meal », y trouve son compte. Le réalisateur des cultissimes Seven ou Fight Club joue l’épure pour ce film de série B fascinant, dont le scénario tient sur un timbre-poste. Il est adapté d’une série de bandes dessinées française signée Matz et Luc Jacamon (treize tomes édités chez Casterman) et porté par un Michael Fassbinder glaçant. L’acteur caméléon s’est inspiré du personnage campé par Alain Delon dans Le Samouraï de Melville. Rien que ça. (pas de spoiler dans cette chronique)

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« Si vous êtes incapable de supporter l’ennui, ce boulot n’est pas pour vous. »

 

THE KILLER

David Fincher
2023
Disponible depuis le 10 novembre 2023 sur Netflix

Posté dans un immeuble en travaux en face d’un palace parisien, un tueur à gages froid et méthodique (Michael Fassbender) se prépare à remplir son contrat. Mais au moment venu, il rate son tir. A son tour, il devient une cible pour son employeur qui, pour le retrouver, engage une gigantesque chasse à l’homme à travers le monde… 

« Mon approche est purement logistique. » C’est ainsi que le tueur obsessionnel du film de David Fincher peut accomplir son job, sans états d’âme. Toujours la même routine : il fait du yoga, se gargarise d’aphorismes, écoute invariablement « How Soon Is Now » des Smiths au moment de passer à l’action, et ne dit pas un mot. On entre dans le film en entrant dans sa tête. Le souci du détail et la concision des mouvements, millimétrés, de cet ascète en mission ont quelque chose de fascinant. Il croyait sa petite méthodologie imparable, il va découvrir, avec surprise et non sans ironie, qu’elle est faillible. Le lascar est moins romantique que le killer campé par Timothy Olyphant dans Hitman ou que Chow Yun-Fat dans le film homonyme réalisé par John Woo (dont le remake, par le même Woo, est annoncé pour 2024). L’assassin ici joué par Michael Fassbender, à la froideur impeccable (il était déjà un robot très convaincant dans Prometheus, de Ridley Scott), se fend malgré tout de quelques pointes d’humour, noir forcément, qui laissent entendre qu’il est humain malgré les apparences. La mise en scène de Fincher, précise et fluide, n’est pas un vain exercice de style. L’épopée du tueur met en exergue la facilité avec laquelle on peut, dans un monde bourré de haute-technologie, s’introduire dans n’importe quel lieu sécurisé, exécuter des gens et effacer ses traces (l’allusion à Amazon ne manque pas de piquant). Fincher a même déclaré :

« My hope is that someone will see this film and get very nervous about the person behind them in line of Home Depot. » (J’espère que quelqu’un verra ce film et se posera des questions sur la personne derrière lui dans la file d’attente de la caisse du magasin de bricolage).

On ne s’ennuie pas une seconde, mais les amateurs d’action pure trouveront sûrement le temps long (une séquence particulièrement musclée n’a cependant rien à envier à la saga John Wick). Chapeau à la photo magnifique de Erik Messerschmidt (oscarisé pour Mank), à la partition indus-gore des fidèles Trent Reznor et Atticus Ross, et à la prestation virtuose de Tilda Swinton. La fin, inattendue, est plutôt futée.
1 h 58 Et avec Charles Parnell, Arliss Howard, Kerry O’Malley, Sophie Charlotte, Emiliano Perńia, Sala Baker…

 

PRÉSUMÉS COUPABLES : Le procès Goldman/Anatomie d’une chute

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Il y a quelque chose de fascinant dans une procédure de procès pénal, a fortiori dans les procès d’assise, lesquels, hormis cas exceptionnels, ne sont pas filmés en France. La dramaturgie, la dimension théâtrale, la présence d’un public, l’exposition des passions humaines, le suspense, le verbe haut et l’éloquence des avocats, tout contribue à créer un spectacle passionnant. L’histoire du cinéma est pavée de chefs-d’œuvre du genre : Le procès de Jeanne d’Arc, Douze hommes en colère, Du silence et des ombres, Autopsie d’un meurtre, La vérité… Après le bouleversant Saint Omer d’Alice Diop paru l’année dernière, le film de procès fait un retour en force via deux œuvres magistrales, respectivement signées Cédric Kahn et Justine Triet. Dans chacun, l’accusé fait un coupable idéal. Ils ont en outre un dénominateur commun : Arthur Harari, acteur dans le premier, et coscénariste dans le second.

 

« Pierre Goldman, sous-entendez-vous que la police de ce pays est raciste ?
– Ah mais non seulement je le sous-entends, mais je l’affirme ! »

  

LE PROCÈS GOLDMAN

Cédric Kahn
2023
En salles depuis le 27 septembre 2023
Présenté à la Quinzaine des cinéastes de Cannes 2023

En 1974, le militant d’extrême gauche Pierre Goldman (Arieh Worthalter) est condamné à la prison à perpétuité pour quatre braquages. Mais s’il reconnaît les trois premiers, il nie toute implication dans le quatrième au cours duquel deux pharmaciennes ont perdu la vie. Il va clamer son innocence et révéler les failles du procès dans une autobiographie écrite en prison qui va lui valoir la sympathie des intellectuels de gauche. Grâce à un vice de forme, l’instruction va être annulée par la Cour de Cassation. En 1976, débute ainsi le deuxième procès de Pierre Goldman. Il sera cette fois jugé par la cour d’Amiens et défendu par Maître Georges Kiejman (Arthur Harari), un jeune avocat particulièrement doué…

Jusqu’ici, le nom de Goldman était pour moi associé à Jean-Jacques, l’auteur-compositeur-interprète phare de la variété gauloise et personnalité préférée des Français depuis plusieurs années. À l’époque de l’affaire en question, j’étais trop jeune pour m’en soucier et plus tard, j’ai appris par ouï-dire que l’artiste dont la popularité n’a d’égale que la discrétion avait eu dans sa famille un repris de justice. Mais cela restait vague. Cédric Kahn, né comme moi dans les années 60, a eu l’opportunité de découvrir à trente ans dans la bibliothèque de ses parents le livre de Pierre Goldman (demi-frère aîné de Jean-Jacques donc), intitulé Souvenirs obscurs d’un Juif polonais né en France. Il n’a jamais oublié cette figure hors normes au point de lui consacrer aujourd’hui un film. Le biopic n’étant pas sa tasse de thé, le réalisateur de La prière ou Roberto Succo a choisi d’évoquer Pierre Goldman au moment de son second procès, événement qui a défrayé la chronique en 1976. C’est sur une séquence de discussion houleuse entre les jeunes Maîtres Kiejman (Arthur Harari) et Chouraqui (Jeremy Lewin), proche de Goldman, qu’on aborde ce film puissant et passionnant qui va tenir en haleine pendant près de deux heures. La reconstitution du procès, basée sur les comptes rendus et les articles de journaux de l’époque, est étourdissante. Le bras de fer entre la partie civile (formidable Nicolas Briançon) et la défense, est intense. Dans son box, Pierre Goldman, révolutionnaire dans l’âme et provocateur en diable, vocifère, se moque ouvertement des témoins véreux ou « influencés ». Grâce à sa verve, il suscite souvent l’hilarité générale au grand dam de son avocat, contraint de lui demander « d’arrêter ses bons mots et de maîtriser ses humeurs ». Mais il assène également des vérités confondantes, et ce fameux « Je suis innocent parce que je suis innocent ! » entré dans les annales. Dans le rôle, Arieh Worthalter, acteur franco-belge – remarqué dans le récent Bowling Saturne, de Patricia Mazuy –, intense et habité, est impressionnant. Il restitue formidablement la pensée et la dialectique du braqueur intello et rebelle. Quant à Arthur Harari, il brille également dans la peau de Georges Kiejman, réfléchi, inquiet, mais déterminé à sauver son client. Dans cette arène où se joue le destin d’un homme se dessine le visage d’une France aux préjugés racistes, mais aussi celui d’une communauté juive douloureusement éprouvée. La photo est monochrome. Il n’y a pas de musique. Cette sobriété formelle a pour effet de mettre en valeur l’art oratoire et les émotions. On sort de ce huis clos groggy et totalement ébloui.
1 h 55 Et avec Stéphan Guérin-Tillié, Aurélien Chaussade, Christian Mazucchini, Jerzy Radziwilowicz (l’acteur polonais inoubliable dans L’homme de fer et L’homme de marbrede Andrzej Wajda campe le père de Pierre Goldman), Laetitia Masson, Chloé Lecerf, Didier Borga, Ulysse Dutilloy-Liégeois (le jeune Jean-jacques Goldman)…

 

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« Ce qu’on entend, ce n’est pas la réalité. C’est nous, mais ce n’est pas nous. » Sandra pendant le procès

 

ANATOMIE D’UNE CHUTE

Justine Triet
2023
En salles depuis le 23 août 2023
PALME D’OR DU FESTIVAL DE CANNES 2023

Sandra (Sandra Hüller) et son époux Samuel (Samuel Theis) sont écrivains. Ils vivent depuis un an dans un chalet isolé à la montagne, avec Daniel (Milo Machado Graner), leur jeune fils malvoyant. Un jour, en revenant d’une balade avec son chien, l’enfant retrouve son père mort au pied de la maison. Il semblerait qu’il soit tombé d’un étage supérieur. À l’intérieur, sa mère, qui faisait une sieste, ne s’est aperçue de rien. Une enquête est ouverte pour mort suspecte et Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide, accident ou homicide ?

Au-delà de la polémique suscitée par le discours de Justine Triet lors de la cérémonie de clôture, est-ce qu’Anatomie d’une chute méritait la Palme d’Or à Cannes ? Oui, absolument. Même si le glaçant The Zone Of Interest de Jonathan Glazer (lauréat du Grand Prix), aussi. Curieusement, Sandra Hüller tient le rôle principal dans ces deux films. Elle était d’ailleurs attendue pour le Prix d’interprétation qui lui a échappé au profit de Merve Dizdar, pour Les herbes sèches de Nuri Bilge Ceylan. Qu’importe ! La troublante actrice allemande qui a grandi en ex-RDA a déjà été primée en Allemagne en 2006 et 2018 pour ses performances dans Requiem d’Hans-Christian Schmidt et Toni Erdmann de Maren Ade. Son talent fait l’unanimité. Et il n’est rien de dire qu’elle transcende le thriller judiciaire de Justine Triet. Ici, elle souffle constamment le chaud et le froid. Dans le film, l’abord glacial, les réponses équivoques et les regards insaisissables de Sandra jouent contre elle. Elle n’est pas assez éplorée, a les mœurs bien trop libres, bref, elle fait une coupable idéale. C’est ce que tente de démontrer, à cor et à cri, l’avocat misogyne de la partie civile campé par un Antoine Reinhartz déchaîné et souvent drôle. Justine Triet a coécrit le scénario avec son compagnon Arthur Harari (cinéaste de Diamant noir, Onoda, 10 000 nuits dans la jungle et acteur dans Le procès Goldman). Ce n’est pas anodin. Anatomie d’une chute est aussi la dissection d’un couple, la dissolution d’une histoire d’amour, ici deux artistes en rivalité. En flash-backs, les scènes de disputes sont d’une justesse confondante. Plus que dans ses opus précédents (les médiocres Sybil et Victoria), la cinéaste parvient à faire mouche dans tous les domaines et son film se révèle à la fois complexe, cérébral et organique. La mise en scène est inventive, les acteurs excellent (Swann Arlaud est, comme souvent, impeccable) et les séquences de procès qui voient la vie intime de l’héroïne jetée en pâture, sont aussi cruelles que passionnantes. Elles constituent la meilleure partie de ce jeu de pistes, un peu longuet dans son introduction. Et puis, il y a cet enfant à la maturité singulière, qui voit mal, mais ressent tout et possède la faculté de raisonnement d’un sage (étonnant Milo Machado Graner !). Le meilleur film de Justine Triet à ce jour.
2 h 32 Et avec Jenny Beth, Camille Rutherford, Saadia Bentaïeb, Sophie Fillières, Julien Comte, Anne Rotger, Arthur Harari (critique littéraire)…