BONS BAISERS DE HONG KONG My Heart Is That Eternal Rose/Man On The Brink

Disponibles depuis cet été chez Spectrum Films, éditeur indépendant français spécialiste de cinéma asiatique, ces deux perles made in Hong Kong sont à re(découvrir) d’urgence. Les films, d’excellente facture, sont accompagnés de suppléments tout bonnement remarquables.

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« Dans un monde où tout peut arriver sans qu’on s’y attende, on ne peut s’accrocher qu’à ses propres croyances. » Patrick Tam

  

MY HEART IS THAT ETERNAL ROSE (Sha Shou Hue Die Meng)

Patrick Tam
1989

Oncle Cheung (Hoi-San Kwan), ancien membre d’une triade aujourd’hui rangé des voitures, tient un bar prospère au bord de la mer, dans lequel sa ravissante fille, Lap (Joey Wang), est serveuse. Un jour, un caïd de son passé vient lui demander un service qu’il ne peut refuser : s’assurer de faire rentrer clandestinement son fils sur le territoire. Oncle Cheung accepte à contrecœur et demande à Rick (Kenny Bee), le petit ami de Lap, de lui servir de chauffeur. Les choses vont mal tourner…

Comme le précise Arnaud Lanuque, spécialiste de cinéma de Hong Kong, dans l’interview qui complète cette édition, la traduction du titre original serait plutôt Le rêve papillon du tueur. Dans tous les cas, il annonce la couleur : celle d’un romantisme exacerbé. Ce beau film, un peu oublié par les amateurs du genre, est paru en 1989, en plein âge d’or du cinéma de Hong Kong. C’est l’année de The Killer, chef-d’œuvre de John Woo, réalisateur qui a marqué de son empreinte l’ « heroic bloodshed » (« carnage héroïque »), un genre à jamais associé au cinéma de l’ex-colonie britannique. Avec ses séquences sanglantes et scènes de bravoure, My Heart Is That Eternal Rose s’inscrit dans cette lignée, même si le polar aux accents mélodramatiques de Patrick Tam tient davantage de la romance criminelle. Le cinéaste est de la même école que Wong Kar-Wai, dont le magnifique As Tears Go By était paru l’année précédente et dont Tam a porté à l’écran, en 1987, un des premiers scénarios (Final Victory). On relève d’autres points communs avec l’univers du fameux réalisateur de In The Mood For Love. Le directeur photo ici n’est autre que l’Australien Christopher Doyle, chef-opérateur attitré du cinéaste. Figure également dans la distribution l’un de ses acteurs fétiches : Tony Leung Chui-Wai. Celui-ci campe avec brio le jeune Cheung, un des hommes de main de Shen (Michael Chan Wai-Man), l’infâme chef de gang qui exploite la jolie Lap. Touché par le destin cruel de la jeune femme et secrètement amoureux d’elle, le sensible et chevaleresque Cheung va mettre sa vie en péril pour la sauver. La prestation de Tony Leung n’est pas le seul atout de ce film intense et poétique, hanté par la chanson sirupeuse et envoûtante que Lap interprète dans le club de Shen lors d’une sublime séquence. Il est peu de dire que la star taïwanaise Joey Wang, révélée par le fameux Histoires de fantômes chinois de Tsui Hark, illumine cette histoire d’amour contrariée et impossible, empreinte de mélancolie sur la fatalité et le temps perdu. Une merveille ;
1 h 30 Et avec Gordon Liu Chia-Hui, Chi-Ping Chang, Tat-Ming Cheung…

BANDE-ANNONCE

 

TEST EDITION BLU-RAY

Interactivité ****
Le combo Blu-ray-DVD (superbe visuel) enrichit le film d’excellents suppléments. Une interview d’Arnaud Lanuque (15 minutes) éclaire sur la personnalité de Patrick Tam, ancien critique qui a fait ses classes à la télévision, avant de devenir réalisateur. Cinéaste éclectique et intellectuel, connaisseur des arts et de la philosophie occidentale, Tam n’a hélas pas trouvé sa place dans un cinéma de Hong Kong devenu très commercial. S’il revient épisodiquement derrière la caméra, il est surtout devenu un éminent professeur de cinéma. Un documentaire de 50 minutes, In The Mood For Doyle, réalisé par Yves Montmayeur en 2006, est consacré au chef opérateur Christopher Doyle, Australien qui a choisi de vivre à Hong Kong. On peut y entendre, entre autres, Gus Van Sant et Olivier Assayas. Sur le Blu-ray uniquement, on profite d’une interview pleine de sagesse de Patrick Tam par Arnaud Lanuque (30 minutes) puis du producteur John Shum (12 minutes). On ne négligera pas non plus la pertinente analyse du film par l’essayiste Alex Rallo (29 minutes).

Image ***
Format : 1.77
Une copie très propre, vaporeuse parfois, mais le plus souvent magnifiquement contrastée, qui met en valeur la photo aux couleurs symboliques de Christopher Doyle (cascades de bleus, de rouges, de violets…).

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en cantonais sous-titré français
Une fois n’est pas coutume, c’est la version mono, plus dynamique, qui s’en sort le mieux. La version 5.1, aux effets essentiellement frontaux, est bien trop timide.

 

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« À bien des égards, le policier infiltré est le sous-genre du polar le plus emblématique de Hong Kong, et le plus symbolique de la confusion identitaire de ses citoyens. » Arnaud Lanuque

 

 

MAN ON THE BRINK (Bin Yuen Yan)

Alex Cheung
1981

Jeune agent de la police de Hong Kong nouvellement promu, Ho Wing-Chiu (Eddie Chan) est intègre et animé d’intentions louables. Un jour, son supérieur (Lun Chia) lui propose de prendre du galon s’il accepte d’infiltrer un gang de triades. Il ne doit révéler sa nouvelle identité à personne, pas même à sa petite amie. Au début, Ho prend la mission comme un jeu. Mais passer d’un monde à l’autre va devenir de plus en plus difficile…

Man On The Brink est le deuxième long-métrage d’Alex Cheung, dont le premier film, Cops And Robbers (Dian Zhi Bing Bing), sur les écrans en 1979, avait fait figure de petite révolution dans l’univers du polar hongkongais. Réalisateur issu de la télévision, Cheung prise le réalisme, la caméra à l’épaule et le tournage en extérieur, dans les rues grouillantes de préférence. Son sens du rythme, les prises de vues subjectives et la représentation de la violence (on s’intéresse aux conséquences plus qu’à la glorification de celle-ci) font également merveille dans ce Man On The Brink tourné deux ans plus tard. Inspiré des confidences d’un ex-policier qui avait travaillé sous couverture, le film narre la descente aux enfers d’un jeune flic intègre qui va peu à peu perdre son identité et ses repères. Eddie Chan, étoile montante à l’époque, incarne admirablement ce jeune homme de bonne volonté dont la vie bascule irrémédiablement dans le chaos. La crise existentielle de Ho est au cœur de ce polar sombre, implacable, viscéral et d’une grande honnêteté, qui ne cherche pas à rendre les scènes d’action héroïques ou spectaculaires. Men On The Brink met également en lumière la corruption qui gangrène la police locale et les rapports tendus entre celle-ci et la police coloniale, la première tolérant mal d’être dirigée par la seconde. Ce double jeu constant reflète les paradoxes de Hong Kong, écartelée entre traditions locales séculaires et valeurs occidentales. Applaudi par la critique à sa sortie, le polar d’Alex Chung est, selon les observateurs, à l’origine d’un sous-genre, celui du policier infiltré, qui offrira au cinéma de Hong Kong ses plus beaux coups d’éclat : City On Fire, de Ringo Lam (1987), À toute épreuve, de John Woo (1992) ou Infernal Affairs d’Andy Lau et Alan Mak (2002). La scène finale est mémorable.
1 h 40 Et avec Oi-Tsu Fung, Hing-Yin Kam, Ling Wei Chen, Ka Wai Cheung…

BANDE-ANNONCE

 

TEST EDITION BLU-RAY

Interactivité ****
Comme dans l’édition de My Heart Is That Eternal Rose, on profite ici d’un travail éditorial soigneux : présentation d’Arnaud Lanuque (8 minutes) et analyse par Alex Rallo (20 minutes). Le Blu-ray enrichit le programme d’une autre salve de suppléments, à commencer par une longue interview du réalisateur (72 minutes), qui insiste sur le fait que le job de flic infiltré était quasiment inconnu du public dans les années 70 (et que lui-même n’en avait jamais entendu parler !). Une sympathique table ronde consacrée au film, enregistrée à Hong Kong en 2019, permet de découvrir toute l’équipe (75 minutes). On peut également avoir un aperçu du tournage grâce à des images capturées en 8 mm : on y voit le cinéaste, caméra à l’épaule, courir derrière ses acteurs, et les diriger pour le combat de rue (14 minutes). Enfin l’équipe du Podcast Steroid — Exégèse des Gros Bras revient sur le film dans un numéro spécialement enregistré pour cette édition. La bande-annonce figure également au menu.

Image ***
Format : 1.77
Une copie soignée, sans défaut majeur. Les couleurs sont naturelles et les contrastes probants, même dans les séquences nocturnes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en cantonais sous-titré français
On relève un bon dynamisme de la piste 5.1, même si elle reste principalement frontale. La piste mono, plus conservatrice, est tout à fait honorable.

La boutique SPECTRUM FILMS

LES CLASSIQUES DE L’ÉTÉ en Blu-ray : Alamo/Marché de brutes

                                            « Je ne savais pas que la nuit pouvait être si noire. » Jim Bowie (Richard Widmark)

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ALAMO (The Alamo)

John Wayne
1960
Éditions Blu-ray et DVD parues chez ESC Distribution en juillet 2021

 

En 1836, le Texas, alors gouverné par le Mexique mais peuplé par une majorité d’Américains, refuse la dictature du général Santa Anna et réclame son indépendance. Ce dernier, à la tête d’une armée de sept mille soldats aguerris, a bien l’intention de mettre ces révoltés au pas. Pour se préparer à le contrer, le commandant Houston (Richard Boone) charge le colonel Travis (Laurence Harvey) de retarder l’avance de l’armée mexicaine dans la petite mission fortifiée d’Alamo, près de la frontière. La poignée de soldats de Travis est rejointe par les volontaires menés par le légendaire Davy Crockett (John Wayne) et la petite bande de fidèles du non moins célèbre Jim Bowie (Richard Widmark). Au total, 187 hommes pour en arrêter des milliers…

 

Réaliser Alamo était un rêve que John Wayne caressait depuis vingt ans. L’immense notoriété de l’acteur ne lui a pas pour autant permis de convaincre un studio, et c’est en indépendant qu’il s’est finalement attelé à ce projet, se chargeant de la production, de la mise en scène et endossant, en prime, le costume à franges de Davy Crockett. Le tournage, à Bracketville au Texas, fut mémorable, et le budget, colossal (John Wayne mit de longues années à s’en remettre). Il ne fallait pas lésiner sur les moyens pour rendre hommage aux héros d’Alamo  : construction du fort à l’identique ainsi qu’une partie du village, figurants par milliers, pléthore de cascadeurs, mille cinq cents chevaux, quatre cents vaches… John Wayne, qui avait tout appris de John Ford, s’est entouré d’une équipe de chevronnés dont le directeur photo William H. Clothier (Les Cheyennes, L’homme qui tua Liberty Valance…) ou le compositeur Dimitri Tiomkin — le fameux thème nostalgique The Green Leaves Of Summer accentue la puissance émotionnelle du film. Car par ses scènes d’action spectaculaires, bagarres viriles suivies de beuveries et séquences intimistes, Alamo célèbre le courage, l’esprit de sacrifice, d’indépendance, le sens de l’honneur et de l’amitié : toutes les valeurs chères au Duke et à l’Amérique. Sans manichéisme cependant, le film regorge d’humanisme et glorifie la hardiesse des combattants mexicains. Certes, tout ça manque parfois de subtilité et prend des libertés avec la vérité historique, mais on se délecte des joutes verbales entre Travis et Jim Bowie (ou entre Travis et Davy Crockett), et de l’humour bon enfant émanant des seconds rôles, certains étant des figures du western. Au grand dam de son réalisateur, cette fresque épique dont la mise en scène emprunte au classicisme de Ford, ne sera saluée que par un seul Oscar (sur sept nominations) pour le son (la campagne des Oscars, plutôt maladroite, avait joué contre le film). Aujourd’hui réhabilité, Alamo, dont la durée initiale fut très tôt amputée, ne fut pas plus un succès critique que public. En ce début des 60’s, le cinéma était en plein bouleversement. L’écume des nouvelles vagues commençait à bouillonner et ce western élégiaque n’était pas du goût de la critique. Quant au public, il connaissait trop bien la fin tragique des héros d’Alamo et n’avait nulle envie de voir mourir Wayne ou Widmark à l’écran. Enfin, la légende veut que John Ford, venu en ami sur le tournage, ait réalisé des séquences (une caméra lui avait même été allouée pour qu’il filme quelques plans). Mais de l’aveu des témoins de l’époque, peu de choses ont été conservées. John Wayne, malgré toute l’amitié et admiration qu’il portait au cinéaste, n’avait nulle envie de se faire voler la paternité de son œuvre.

 2h 35 Et avec Frankie Avalon, Patrick Wayne, Linda Cristal, Joan O’Brien, Chill Wills…

 

TEST BLU-RAY COLLECTOR ****

 

 

Version cinéma et version longue en VF et VOST
Le digipack collector Blu-ray, accompagnée d’un livret de 48 pages supervisé par Marc Toullec, propose la version cinéma du film (2 h 35) assortie d’une présentation de 38 mn par le spécialiste du western Jean-François Giré. La copie est magnifique, contrastée et très propre. Sur le second Blu-ray consacré aux suppléments, on peut découvrir la version longue du film (3 h 21), dans une copie plus médiocre, provenant d’une source analogique et dite de « qualité d’archives ». On y trouve notamment l’ouverture musicale et l’intermède, mais aussi plusieurs scènes intimistes, telles ces séquences romantiques avec Linda Cristal ou l’anniversaire de la petite Lisa Dickinson (Aissa, fille de John Wayne). Les amoureux du film apprécieront tous ces instants supplémentaires, mais aucune de ces scènes ne vient combler un quelconque manque.

 

Making of et interview de Patrick Wayne

Les autres suppléments sont excellents. Le making of du film (68 mn), réalisé en 1992, est truffé de témoignages (Budd Boetticher, le chef-opérateur William H. Clothier, Frankie Avalon…) et de séquences d’archives du tournage. On y voit John Ford sur le plateau, et comment John Wayne, un peu embarrassé par sa présence, lui avait alloué un cameraman pour l’occuper, tout en sachant qu’il ne garderait rien, ou presque, des images tournées. Dans un formidable entretien réalisé en 2021, Patrick Wayne, jeune acteur dans Alamo, dévoile la relation forte qu’il entretenait avec son père, et se remémore des anecdotes truculentes du tournage. Une visite du musée John Wayne (10 mn) à Winterset en Iowa, lieu de naissance de l’acteur, une galerie de photos et la bande-annonce originale complètent le programme.

 

 

Une édition 2-DVD est également disponible. Elle ne comprend pas la version longue ni le making of. 

 

 

 

 

 

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« Mon père était instituteur. Il est mort pendant la Dépression… Vous croyez vous battre ! Stupidement, avec une arme ! Mais il y a une autre manière : se battre, tous les jours, pour manger, s’instruire, avoir un travail et de l’amour-propre. »

 

MARCHÉ DE BRUTES (Raw Deal)

Anthony Mann
1948

Combo Blu-ray-DVD paru chez Rimini Éditions le 15 juin 2021

Le truand Joe Sullivan (Dennis O’Keefe) s’évade de la prison de San Quentin, au nord de San Francisco, avec l’aide de son amie Pat (Claire Trevor), très éprise de lui. Le réservoir de la voiture ayant été touché par les tirs des gardiens, Joe est contraint de demander de l’aide à Ann Martin (Marsha Hunt), la jeune assistante de son avocat, qui en pince pour lui. Mais celle-ci, intègre, menace de le dénoncer. Il n’a d’autre choix que de la prendre en otage, au grand dam de Pat. Joe entraîne les deux femmes dans une folle cavale, avec l’intention de retrouver son complice, le caïd Rick Cole (Raymond Burr), qui lui doit de l’argent et a fomenté son évasion. Il ignore que ce dernier a juré sa perte…

Marché de brutes paraît aux États-Unis en 1948, cinq mois après La brigade du suicide (T-Men), autre excellent film noir de Mann, déjà interprété par Dennis O’Keefe. Aujourd’hui oublié, l’acteur à la silhouette sportive s’est distingué dans des longs métrages d’action et quelques comédies, comme Brewster’s Millions d’Allan Dwan. Il n’a cependant pas le charisme ni le talent d’un James Stewart qui sera, quelques années plus tard, l’acteur fétiche de Mann, et contribuera aux chefs-d’œuvre du western réalisés par ce dernier (Winchester 73, L’appât, L’homme de la plaine…). O’Keefe donne ici la réplique à Claire Trevor, l’inoubliable prostituée de La chevauchée fantastique de John Ford, qui décrochera en 1949 l’Oscar du Meilleur second rôle pour sa performance dans Key Largo. C’est elle qui donne le ton à ce film noir désespéré, marqué par la fatalité. Il est en effet introduit par le récit de Pat, en voix off, sur une musique lancinante, façon Rebecca d’Alfred Hitchcock, qui installe aussitôt une atmosphère romanesque, onirique et désenchantée. Car en dépit de son titre viril (en français notamment), Marché de brutes est un film féminin. Alors qu’il vient de s’évader, Joe Sullivan se retrouve très vite coincé. Non seulement il a la police et ses ex-complices aux trousses (Raymond Burr et John Ireland, les brutes du film, campent des malfrats véritablement sadiques — la scène dans laquelle Rick ébouillante sa petite amie préfigure celle de Règlement de comptes de Fritz Lang), mais il est constamment déchiré entre les deux femmes qui l’accompagnent dans sa cavale. Il est reconnaissant envers celle de mauvaise vie, dite « la fatale » (qui n’en est pas moins humaine) et irrésistiblement attiré par l’honnête, garante de la morale, qui voit en lui l’homme qu’il aurait pu être. Anthony Mann filme de main de maître et à un rythme trépidant cette course-poursuite à travers la Californie. À la photo, le génial chef-opérateur John Alton, « peintre de la lumière » et alter ego du cinéaste, fait des merveilles : clairs obscurs, jeux d’ombres, brouillards, contrastes prononcés, profondeurs de champ audacieuses, cadrages inquiétants… Le film noir dans toute sa splendeur !
1 h 19 Et avec Curt Conway, Richard Fraser, Whit Bissell…

 

TEST BLU-RAY ***

 

 

Le combo Blu-ray+DVD propose le film, récemment et superbement restauré par ClassicFix, assorti d’une analyse de Jacques Demange, critique à Positif, qui met l’accent sur la maîtrise d’Anthony Mann et de son chef-opérateur (14 mn).

Il est accompagné d’un épatant livret illustré, signé Christophe Chavdia. Le journaliste revient sur la carrière d’Anthony Mann (que Jean-Luc Godard avait surnommé « Super Mann ») et sur celle de son directeur photo John Alton, avec qui le cinéaste a écrit une sorte de « grammaire » du film noir. Il narre aussi les aléas de la production de Marché de brutes, qui eut maille à partir avec la censure de l’époque et évoque la personnalité de l’actrice Marsha Hunt, cent trois ans en 2021, ce qui fait d’elle la doyenne des comédiennes américaines vivantes !

REDÉCOUVRIR TRUFFAUT : Le dernier métro/La peau douce en Blu-ray

François Truffaut photographié par Pierre Zucca 

De tous les cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est François Truffaut que je préfère. De toute cette bande de jeunes loups, il est avec Chabrol celui dont le cinéma s’est révélé le plus romanesque, le plus accessible aussi. Mais il est surtout celui pour lequel j’éprouve, depuis toujours, une vraie tendresse. Probablement parce que cet homme qui ne vivait que pour le cinéma aimait, non seulement les femmes, mais les gens. L’enfant terrible de la critique, autrefois provocateur et arrogant, s’est métamorphosé en réalisateur attentif aux autres, bienveillant et généreux. Alors que douze de ses œuvres majeures sont disponibles sur Netflix, deux films sont récemment parus en Blu-ray chez Carlotta, en versions magnifiquement restaurées et truffées d’excellents suppléments.

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« Alors voilà, il y a deux femmes en vous…
– Oui, mais malheureusement, aucune des deux n’a envie de coucher avec vous. »

 

LE DERNIER MÉTRO

François Truffaut
1980
Disponible en Blu-ray, DVD et Coffret Collector chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

1942. Paris est occupé. Lucas Steiner (Heinz Bennent), le directeur juif du Théâtre Montmartre, a officiellement fui la France, confiant à son épouse Marion (Catherine Deneuve) les rênes de l’endroit qu’elle dirige avec ses collaborateurs les plus fidèles. Ainsi, l’acteur et réalisateur Jean-Loup Cottins (Jean Poiret) est charger de mettre en scène la nouvelle pièce, La disparue, en s’appuyant sur les consignes laissées par Lucas Steiner. Marion en partage la vedette avec une nouvelle recrue, le jeune et entreprenant comédien Bernard Granger (Gérard Depardieu)…

Malgré ses dix César obtenus en 1981, le plus grand succès au box-office de François Truffaut (avec les Quatre cents coups) a parfois décontenancé la critique, jugeant (comme le réalisateur lui-même d’ailleurs) que la retenue du cinéaste avait un peu nui à l’émotion. Pourtant, comme Les quatre cents coups – encore –, Le dernier métro est un des films les plus personnels du réalisateur « né de père inconnu », qui avait dix ans en 1942 et a découvert, bien plus tard, que son père biologique était juif. Il lui tenait à cœur d’évoquer cette période particulière à travers le prisme du théâtre et d’en montrer la confusion, les compromis, les petits arrangements plus ou moins douteux, l’héroïsme et la lâcheté ordinaire, et le sentiment d’insécurité permanent. Ainsi, la réussite du Dernier métroprovient moins des aléas de l’histoire d’amour que des détails de cette reconstitution documentée et de l’authenticité des personnages secondaires, les petites mains : l’ingénue pleine d’ambition campée par Sabine Haudepin, la fidèle habilleuse jouée par Paulette Dubost, le régisseur débrouillard (Maurice Risch) ou la décoratrice aux mœurs libres (Andréa Ferréol). Si le cinéaste avait puisé dans ses souvenirs personnels et de son entourage, il s’était aussi beaucoup inspiré des anecdotes racontées par les artistes de l’époque, Jean Marais et Sacha Guitry en tête. Ainsi, le critique collabo et antisémite incarné par Jean-Louis Richard, complice d’écriture de longue date de Truffaut, est une émanation d’un véritable journaliste auquel Jean Marais a un jour cassé la figure, comme le fait le personnage de Gérard Depardieu dans le film. La précision de l’écriture et des dialogues se retrouve dans la mise en scène épurée. La photo du génial Nestor Almendros sublime la mise en abyme et les trompe-l’œil qui entremêlent savamment la vie et le théâtre, le réel et l’illusion. Muse du cinéaste depuis La sirène du Mississippi, Catherine Deneuve excelle dans la peau de ce personnage écrit tout spécialement pour elle, tenu au double-jeu, froid seulement en apparence, car aussi passionné que celui que campe le jeune, fougueux et formidable Depardieu. D’ailleurs, en clin d’œil à La sirène du Mississippiqui avait subi un échec cuisant en 1969, François Truffaut a replacé quelques-uns de ses dialogues dont celui-ci, devenu culte :

« Tu es belle. Si belle que te regarder est une souffrance.
– Hier, vous disiez que c’était une joie.
– C’est une joie et une souffrance. »

2 h 11. Et avec Aude Loring, Alain Tasma, Jean-Pierre Klein, René Dupré, Martine Simonet, Richard Borhringer…

 

TEST COFFRET ULTRA COLLECTOR N°19

Le coffret, dont le visuel exclusif est signé Jonathan Burton, inclut le Blu-ray, le DVD et un livre de deux cents pages dirigé par Jérôme Wybon, composé de nombreux documents d’archives et de textes contemporains autour du film.

Interactivité ****
Le programme mêle les suppléments provenant d’anciennes éditions à des documents inédits. On retrouve la présentation et le commentaire audio de Serge Toubiana accompagné de l’historien Jean-Pierre Azéma, auxquels se joint parfois Gérard Depardieu. Ce dernier se souvient de la première rencontre avec Truffaut, qu’il considérait jusqu’alors comme un « bourgeois ». Même si la qualité de l’image n’est pas idéale, on savoure la présence du numéro de l’émission de TF1 Les Nouveaux rendez-vous, datant de septembre 1980. Ève Ruggieri recevait sur son plateau François Truffaut, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu (11 mn). Le cinéaste répond ensuite au regretté Claude-Jean Philippe, dans un document audio diffusé en 1980 sur France Culture (46 mn). On ne négligera pas non plus le numéro de L’invité du jeudi, émission présentée en décembre 1980 par Anne Sinclair consacrée à François Truffaut, qui livre beaucoup de ses secrets. Plus récent, le documentaire de Robert Fisher réalisé en 2009 réunit des acteurs et membres de l’équipe du film, qui se remémorent le tournage (Paulette Dubost y est truculente). On peut découvrir également une scène coupée, et Petite Graine, court métrage de Tessa Racine, assistante de Nestor Almendros sur Le dernier métro, un hommage très personnel au réalisateur.

Image ****
Format : 1.66
Restaurée en 2014 par MK2 et la Cinémathèque française, le négatif original a été numérisé en 4K et restauré en 2K image par image sous la supervision du directeur photo Guillaume Schiffman, fils de Suzanne Schiffman, la collaboratrice de François Truffaut. Autant dire que le résultat est magnifique et très fidèle à l’image d’origine.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Une seule piste, propre et très harmonieuse, tout à fait convenable pour ce film intimiste.

 

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« Tu sais ce que disait Sacha Guitry ?
– Non.
– “Elle bâillait devant moi. Je lui ai dit : ‘Bâille, bâille’…” »

 

LA PEAU DOUCE

François Truffaut
1964
Disponible en édition Prestige et Blu-ray simple chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

Pierre Lachenay (Jean Desailly) est écrivain. Ce quadragénaire mène une existence bien réglée dans le XVIe arrondissement de Paris avec son épouse Franca et leur fille Sabine. Un jour, il se rend à Lisbonne pour donner une conférence sur Balzac. Dans l’hôtel où il est descendu se trouve également Nicole, la jeune et jolie hôtesse de l’air (Françoise Dorléac) qu’il avait remarquée durant le vol….

« La Peau douce, c’est la vieille France contre la Nouvelle Vague » a dit fort justement le critique Nicolas Saada : un bourgeois conformiste typique de la France gaullienne campé par Jean Desailly (parfait dans ce rôle ingrat) contre la jeunesse, la spontanéité et la beauté insolente de Françoise Dorléac. D’après un scénario original écrit par Truffaut et son ami Jean-Louis Richard, le film a été réalisé dans l’urgence, après le merveilleux Jules et Jim et alors que le projet de Fahrenheit 451 peinait à prendre forme. S’il n’a pas rencontré son public à l’époque, c’est que les spectateurs ont eu quelques difficultés à adhérer au personnage de Pierre Lachenay (le nom est emprunté à l’ami d’enfance de Truffaut, Robert Lachenay), maladroit, pathétique souvent, et in fine peu sympathique. François Truffaut en avait pleinement conscience, mais c’était le prix à payer pour ne pas tomber dans une certaine complaisance qui lui faisait horreur. Il y a en effet de la cruauté dans cette peinture de l’adultère, qui apparaît à la fois comme un film noir et un film à suspense. Ce n’est pas un hasard. La peau douce se ressent de l’influence d’Alfred Hitchcock, l’un des maîtres de Truffaut. La mise en scène est précise (découpage au cordeau, éclairages malins, échanges de regards, plans resserrés…), le rythme soutenu et la tension dramatique constante. Le tout est admirablement servi par la musique de Georges Delerue et la photo en noir et blanc de Raoul Coutard. Enfin, on souligne la présence de Françoise Dorléac dans un de ses plus beaux rôles, filmée avec un fétichisme évident par François Truffaut, qui l’adorait. La divine comédienne disparaîtra tragiquement trois ans plus tard, à l’âge de vingt-cinq ans. Les cinéphiles ne s’en sont jamais vraiment remis.
1 h 53. Et avec Nelly Benedetti, Sabine Haudepin, Daniel Ceccaldi, Laurence Badie, Maurice Garrel, Jean-Louis Richard…

 

TEST EDITION BLU-RAY

 

Interactivité ***
L’édition reprend peu ou prou le programme du DVD paru en 2000 chez MK2, c’est-à-dire le commentaire audio du coscénariste Jean-Louis Richard, animé par Serge Toubiana, et la présentation du film par ce dernier. Figurent également au menu : un petit reportage sur Françoise Dorléac et Nelly Benedetti à Cannes en 1964, une analyse de quelques scènes par François Truffaut dans le cadre de l’émission Cinéastes de notre temps (10 mn), une interview croisée du réalisateur et son actrice pour la télévision flamande (4 mn). On aime beaucoup l’analyse pertinente du film par Nicolas Saada, document inédit intitulé fort justement L’ancien et la moderne (10 mn).
 

Image ****
Format : 1.66
Un transfert d’excellente facture. L’image, lumineuse et propre, conserve un grain très cinématographique. Très bonne qualité du piqué et des contrastes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Un rendu très propre et équilibré.


 Le film est également disponible en DVD simple et Édition Prestige Limitée, combo Blu-ray/DVD incluant de la memorabilia (fac-similé du premier traitement du scénario, du dossier de presse original du film, du dossier sur le film extrait de la revue La cinématographie française, un jeu de cinq photos du film et l’affiche).

 

 

 

 

À signaler également aux amoureux de François Truffaut, cette très jolie bande dessinée parue chez Glénat en 2020, signée Marek et du spécialiste de cinéma Noël Simsolo, qui retrace la vie tumultueuse du réalisateur sentimental et passionné.

 

 

LIENS CONNEXE : CRITIQUE LA SIRÈNE DU MISSISSIPPI