COMME UN CHIEN ENRAGÉ (At Close Range)

Bonheur de cette fin d’été, la parution chez Carlotta de la version restaurée HD d’un diamant brut des années 80, porté par la confrontation de deux acteurs intenses : Sean Penn et Christopher Walken. L’édition Prestige Limitée (Blu-ray+DVD) est enrichie d’un entretien exclusif et édifiant avec le réalisateur James Foley et de memorabilia de toute beauté. En un mot : indispensable !

 

 

« Like father. Like Son. Like Hell. »

 

Comme un chien enragé (At Close Range)

James Foley
1986
En Edition Prestige Limitée (Blu-ray+DVD) et DVD simple chez Carlotta depuis le 22 août 2018

Depuis qu’il a quitté l’école, Brad Whitewood Jr. (Sean Penn) est un peu désœuvré dans la petite ville rurale de Pennsylvanie où il vit avec son frère (Christopher Penn), sa mère (Millie Perkins) et sa grand-mère (Eileen Ryan, mère de Sean Penn dans la vie). Alors qu’il vient de tomber amoureux de Terry (Mary Stuart Masterson), encore lycéenne, son père (Christopher Walken), qui avait déserté le foyer depuis longtemps, réapparaît. Malgré les avertissements de sa mère, Brad ne tarde pas à tomber sous le charme de cet homme séduisant qui se livre à des activités aussi mystérieuses que louches…

A elle seule, la scène d’ouverture, sur la version instrumentale de « Live To Tell », chanson écrite spécialement pour le film par Madonna et Patrick Leonard, est un bijou. On y voit Brad Jr. (Sean Penn) errer la nuit au volant de sa vieille voiture, tourner autour de la place de sa petite bourgade et tomber sous le charme du sourire d’une jeune fille qui traîne là avec une bande de jeunes. Une séquence hypnotique qui donne le ton de ce film noir intensément attachant, un drame shakespearien aux accents lyriques devenu culte avec le temps. Desservi par un titre français saugrenu, At Close Range avait été découvert avec enthousiasme au festival de Deauville en 1986, même si, faute de campagne de promotion substantielle, il avait capoté au Etats-Unis. Le jeune réalisateur James Foley, dont le premier long-métrage, Reckless, était paru deux ans auparavant, avait été imposé par son ami Sean Penn. L’étoile montante du cinéma américain d’alors et petit ami de Madonna s’était emballée pour le scénario de Nicholas Kazan (fils d’Elia) inspiré d’une histoire vraie, qui avait défrayé la chronique dix ans plus tôt : un père criminel avait mis à prix la tête de son propre fils. Amour, trahison, haine, vengeance… Oscillant constamment entre romantisme et cruauté, le film, précurseur du Animal Kingdom de l’Australien David Michôd, est illuminé par les performances de ses acteurs principaux : Sean Penn qui roule des mécaniques façon Marlon Brando dans Un tramway nommé désir et met une intensité formidable dans toutes les scènes, même les plus fleur bleue — Christopher Walken, aussi ambigu et terrifiant que Robert Mitchum dans La nuit du chasseur — Mary Stuart Masterson, émouvante et gracieuse en petite amie amoureuse. On notera les jolies prestations de Candy Clark et Crispin Glover, et la présence du tout jeune Kiefer Sutherland. Palette de déclinaisons de « Live To Tell », la bande-originale signée Patrick Leonard donne des frissons. Un bémol à cette belle ouvrage, le plan final, totalement raté, ce qui, pour les amoureux du film, demeure un grand mystère…
1 h 56 Et avec Tracey Walter, R. D. Call, David Strathairn…

BANDE-ANNONCE

 

Test Blu-ray :

 

Interactivité ***
On se réjouit de cet entretien de 30 minutes avec James Foley, réalisateur hétéroclite, qui ignore ce qu’est la langue de bois. S’il revient abondamment sur la genèse et la création du film, il parle franchement de sa carrière « compliquée » et de la place des cinéastes dans le système hollywoodien de l’époque. Avec une certaine amertume dans la voix, il évoque ses mauvais choix, son manque de discernement, la difficulté d’être un réalisateur libre et bankable, mais pense malgré tout que son meilleur film est à venir. Le cinéaste de l’excellent Glengarry Glenn Ross (1992) a en effet surtout exercé ses talents dans les clips vidéo (de Madonna, en particulier), les films de commande (il a  signé les deux derniers épisodes de 50 nuances de Grey) ou dans les séries télé (il a entre autres réalisé douze épisodes de House Of Cards entre 2013 et 2014). On veut donc croire, comme lui, qu’il n’a pas dit son dernier mot. La bande-annonce d’époque figure également au programme. Le coffret de l’Edition Prestige Limitée comprend également la version DVD, le fac-similé du dossier de presse d’époque, l’affiche du film et huit reproductions de photos d’exploitation d’époque. 

Image ****
Format : 2.35
Cette image HD en met plein la vue. Parfois inégale selon les plans, un peu rosée, elle est néanmoins globalement propre, lumineuse et respecte le grain originel. Cette copie s’impose comme la plus belle du film à ce jour.

Son ***
DTS Master Audio 2.0 en anglais sous-titré
DTS Master Audio 1.0 en français
La version originale s’impose avec un 2.0 bien plus ample, qui met en valeur la musique et les effets sonores.

Crédits photos

AT CLOSE RANGE © 1985 METRO-GOLDWYN-MAYER STUDIOS INC. Tous droits réservés.

AU SERVICE DE LA FRANCE Saison 2

Trois ans après la première saison, la brillante série imaginée par Jean-François Halin, le scénariste des deux OSS 117 interprétés par Jean Dujardin, est revenue en grande forme. Le réalisateur Alexandre Courtès a cédé la place à Alexis Charrier, mais on retrouve avec bonheur la même brochette de comédiens truculents ainsi qu’une musique originale, ad hoc et joliment chic, de Nicolas Godin.

 

« Mon Colonel, pourquoi a-t-on d’aussi bonnes relations avec le FLN ? Et quel est le problème exactement avec l’OAS ? Ils sont turbulents, impulsifs, voire excessifs, c’est vrai. Mais il faut dire aussi qu’ils ont l’impression de ne pas être compris alors qu’on leur a dit qu’on les avait compris… »

 

Au service de la France – Saison 2

Créée par Jean-François Halin
2018
Diffusée sur Arte en juillet 2018
Disponible depuis le 27 juin en DVD et Blu-ray chez Arte Editions

André Merlaux (Hugo Becker), la jeune recrue des services secrets français, se fait passer pour mort et est hébergé secrètement par « Moïse » (Christophe Kourotchine), son supérieur, seul dans la combine. Les deux hommes ont bien l’intention de faire tomber leur patron, le respecté Colonel Mercaillon (Wilfred Benaïche), au sombre passé de collabo et que Merlaux soupçonne d’avoir fait exécuter ses parents résistants. Mais pendant ce temps, Jacquard (Karim Barras), Calot (Jean-Edouard Bodziak) et Moulinier (Bruno Paviot) — fleuron de l’espionnage français — sont confrontés aux grands événements de cette année 1961…

Le décor ayant été planté lors de la saison précédente, cette deuxième partie se veut davantage une plongée dans la période gaullienne. Tout au long de ces douze épisodes, seront ainsi évoqués, avec une ironie dévastatrice, la décolonisation de l’Afrique, la crise de Cuba et la Baie des Cochons, les troubles en Algérie, la Guerre Froide, la construction du Mur de Berlin et tutti quanti. Etant donné que les enjeux géopolitiques échappent totalement à nos trois agents pieds nickelés (surtout Jacquard et Moulinier) qui abordent toutes les missions avec une logique de petits fonctionnaires arrogants et racistes, obsédés par leurs primes et notes de frais, les situations se révèlent d’une absurdité jubilatoire. Leurs aventures à l’étranger sont hilarantes, notamment dans un épisode surréaliste, clin d’œil à l’univers d’Hergé. Les trois machos vont aussi devoir s’accoutumer à l’affranchissement de Marie-Jo (excellente Marie-Julie Baup), qui passe de secrétaire nunuche à agent à part entière, et fait preuve de ressources insoupçonnées. Car si la saison fait la part belle à l’émancipation de la femme (la séquence de comédie musicale est très réussie), elle se fait plus émouvante lorsqu’elle évoque la répression de l’homosexualité, considérée en France en ce début des 60s comme un « fléau social ». Truffés de références (même Star Wars y passe), les dialogues spirituels, écrits par Jean-François Halin, Claire Le Maréchal et Jean-André Yerlès sont un régal, à l’instar de la bande-originale classieuse de Nicolas Godin, dont on se réjouit de la parution en vinyle et digital. Elle se révèle indispensable lors de l’Happy Hour pour crier : « Y a pot ! »
12 épisodes de 30 mn Et avec les formidables Stéphanie Fatout, Mathilde Warnier, Khalid Maadour, Antoine Gouy…

BANDE-ANNONCE




 

Test Coffret 3-DVD :

Interactivité ***
Un joli programme de suppléments vient enrichir ces douze épisodes. Le créateur et scénariste Jean-François Halin revient sur la genèse de la saison, et replace certains aspects de l’intrigue, et notamment l’homosexualité, dans le contexte de l’époque. Il exprime également son envie de rempiler pour une troisième saison, à ce jour encore non confirmée par la chaîne. Le réalisateur Alexis Charrier, qui a succédé à Alexandre Courtès, livre lui également, ses impressions, tandis que le compositeur Nicolas Godin parle de ses influences et de l’enthousiasme qu’il a eu à créer ces ambiances musicales et cet épatant générique, clin d’œil aux séries télévisées des années 60 et 70. Enfin, les trois scénaristes sont réunis pour commenter l’épisode 6 et l’épisode 12, qui révèlent au passage quelques secrets de l’intrigue.

Image ****
Format : 1.85
Image précise, soignée et contrastée. Les couleurs sont magnifiques.

Son ****
DD 5.1 et 2.0 en français
La piste 5.1 met idéalement en valeur les ambiances musicales.

 

 

 

UNE PLUIE SANS FIN

Le Grand Prix 2018 du Festival International du Film Policier de Beaune paraît sur les écrans français en pleine canicule estivale. Un timing qui ne manque pas d’ironie et pourrait bien profiter à ce petit bijou de film noir, romantique et désespéré à souhait.

 

« Vous êtes trop fort Maestro !
– Je n’y peux rien. C’est un don »

 

Une pluie sans fin (The Looming Storm – Bao Xue Jiang Zhi)

Dong Yue (Meilleur Nouveau Réalisateur aux Asian Film Awards 2018)
2017
Dans les salles françaises depuis le 25 juillet 2018

En cet hiver 1997, quelques mois avant la rétrocession de Hong Kong, la province du Yunan, dans le sud de la Chine, est confrontée à des intempéries inhabituelles. Yu Guowei (Duan Yihong), surveillant de la fonderie d’une petite ville industrielle, est sollicité par le chef de la police qui enquête sur une série de meurtres de jeunes femmes. Le corps de la dernière victime ayant été découvert, comme les précédents, aux abords de l’usine, les soupçons se portent en effet sur les employés de celle-ci. Flanqué de son jeune assistant Liu (Zheng Wei), Yu, que ses camarades surnomment « Détective Yu » à cause de son zèle et son intégrité, décide de mener les investigations en marge de la police. Sa détermination à découvrir le coupable va tourner à l’obsession…

Le titre français sied comme un gant à ce premier long-métrage du Chinois Dong Yue, qui, ce n’est pas une surprise, a commencé sa carrière comme chef-opérateur. En effet, le film frappe par sa beauté stupéfiante, ses plans magnifiques et ses atmosphères rendues presque irréelles par les ciels plombés, les pluies torrentielles et une palette de couleurs volontairement ternes et désaturées. Même si le cinéaste quadragénaire a confié avoir été influencé par Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock et Conversation secrète de Francis Ford Coppola, c’est d’abord au chef-d’œuvre coréen Memories Of Murder que l’on pense. Très vite pourtant, il apparaît évident que les motivations de Dong Yue sont autres. L’intrigue policière, inspirée d’un fait divers chinois, est surtout prétexte à dépeindre un pays en pleine mutation. En cette fin de décennie 90, l’ouverture au capitalisme d’état entraîne la fermeture des vieilles usines, réduisant les ouvriers au chômage et à la misère. La riche Hong Kong rétrocédée à la Chine fait alors rêver bon nombre de ces laissés pour compte qui aspirent à une seconde chance. Le réalisateur montre avec brio la décrépitude ambiante de ce monde qui se meurt. Très peu de touches d’humour, mais Dong Yue joue volontiers avec l’absurde. Ainsi, Yu, décoré en tant qu’employé modèle de son usine par les instances du parti – sans être valorisé pour autant – est traité avec condescendance et mépris par celles-ci, tout comme par les autorités locales. Pour son malheur, Yu ne s’en rend pas compte. Ses camarades et son disciple Liu le confortent dans l’idée qu’il est « important » et qu’il a un talent spécial pour repérer les coupables. La poursuite du tueur en série, qui tient la police en échec, devient donc « son affaire » et prend le pas sur le reste, notamment sur sa relation avec la jolie prostituée Yanzi, qu’il protège d’une bien drôle de façon. Très expressif, l’acteur Duan Yihong, star en Chine, suscite une empathie totale. Yu le solitaire, tout comme les héros de films noirs, est écrasé par la fatalité de sa destinée. Il nous entraîne dans la spirale de son obsession. Point d’orgue du film : une course-poursuite sous une pluie battante, dans la carcasse de l’usine gigantesque et le long des voies ferrées, entre deux hommes vêtus d’un même ciré dont la capuche ruisselante dissimule le visage. Une scène à couper le souffle, filmée de main de maître, climax d’un polar désespéré et impressionnant qui hante longtemps après la projection.
Chine. 2 heures. Distribué en France par Wild Bunch. Et avec : Jiang Yiyan, Du Yuan…

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