BONS BAISERS DE HONG KONG My Heart Is That Eternal Rose/Man On The Brink

Disponibles depuis cet été chez Spectrum Films, éditeur indépendant français spécialiste de cinéma asiatique, ces deux perles made in Hong Kong sont à re(découvrir) d’urgence. Les films, d’excellente facture, sont accompagnés de suppléments tout bonnement remarquables.

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« Dans un monde où tout peut arriver sans qu’on s’y attende, on ne peut s’accrocher qu’à ses propres croyances. » Patrick Tam

  

MY HEART IS THAT ETERNAL ROSE (Sha Shou Hue Die Meng)

Patrick Tam
1989

Oncle Cheung (Hoi-San Kwan), ancien membre d’une triade aujourd’hui rangé des voitures, tient un bar prospère au bord de la mer, dans lequel sa ravissante fille, Lap (Joey Wang), est serveuse. Un jour, un caïd de son passé vient lui demander un service qu’il ne peut refuser : s’assurer de faire rentrer clandestinement son fils sur le territoire. Oncle Cheung accepte à contrecœur et demande à Rick (Kenny Bee), le petit ami de Lap, de lui servir de chauffeur. Les choses vont mal tourner…

Comme le précise Arnaud Lanuque, spécialiste de cinéma de Hong Kong, dans l’interview qui complète cette édition, la traduction du titre original serait plutôt Le rêve papillon du tueur. Dans tous les cas, il annonce la couleur : celle d’un romantisme exacerbé. Ce beau film, un peu oublié par les amateurs du genre, est paru en 1989, en plein âge d’or du cinéma de Hong Kong. C’est l’année de The Killer, chef-d’œuvre de John Woo, réalisateur qui a marqué de son empreinte l’ « heroic bloodshed » (« carnage héroïque »), un genre à jamais associé au cinéma de l’ex-colonie britannique. Avec ses séquences sanglantes et scènes de bravoure, My Heart Is That Eternal Rose s’inscrit dans cette lignée, même si le polar aux accents mélodramatiques de Patrick Tam tient davantage de la romance criminelle. Le cinéaste est de la même école que Wong Kar-Wai, dont le magnifique As Tears Go By était paru l’année précédente et dont Tam a porté à l’écran, en 1987, un des premiers scénarios (Final Victory). On relève d’autres points communs avec l’univers du fameux réalisateur de In The Mood For Love. Le directeur photo ici n’est autre que l’Australien Christopher Doyle, chef-opérateur attitré du cinéaste. Figure également dans la distribution l’un de ses acteurs fétiches : Tony Leung Chui-Wai. Celui-ci campe avec brio le jeune Cheung, un des hommes de main de Shen (Michael Chan Wai-Man), l’infâme chef de gang qui exploite la jolie Lap. Touché par le destin cruel de la jeune femme et secrètement amoureux d’elle, le sensible et chevaleresque Cheung va mettre sa vie en péril pour la sauver. La prestation de Tony Leung n’est pas le seul atout de ce film intense et poétique, hanté par la chanson sirupeuse et envoûtante que Lap interprète dans le club de Shen lors d’une sublime séquence. Il est peu de dire que la star taïwanaise Joey Wang, révélée par le fameux Histoires de fantômes chinois de Tsui Hark, illumine cette histoire d’amour contrariée et impossible, empreinte de mélancolie sur la fatalité et le temps perdu. Une merveille ;
1 h 30 Et avec Gordon Liu Chia-Hui, Chi-Ping Chang, Tat-Ming Cheung…

BANDE-ANNONCE

 

TEST EDITION BLU-RAY

Interactivité ****
Le combo Blu-ray-DVD (superbe visuel) enrichit le film d’excellents suppléments. Une interview d’Arnaud Lanuque (15 minutes) éclaire sur la personnalité de Patrick Tam, ancien critique qui a fait ses classes à la télévision, avant de devenir réalisateur. Cinéaste éclectique et intellectuel, connaisseur des arts et de la philosophie occidentale, Tam n’a hélas pas trouvé sa place dans un cinéma de Hong Kong devenu très commercial. S’il revient épisodiquement derrière la caméra, il est surtout devenu un éminent professeur de cinéma. Un documentaire de 50 minutes, In The Mood For Doyle, réalisé par Yves Montmayeur en 2006, est consacré au chef opérateur Christopher Doyle, Australien qui a choisi de vivre à Hong Kong. On peut y entendre, entre autres, Gus Van Sant et Olivier Assayas. Sur le Blu-ray uniquement, on profite d’une interview pleine de sagesse de Patrick Tam par Arnaud Lanuque (30 minutes) puis du producteur John Shum (12 minutes). On ne négligera pas non plus la pertinente analyse du film par l’essayiste Alex Rallo (29 minutes).

Image ***
Format : 1.77
Une copie très propre, vaporeuse parfois, mais le plus souvent magnifiquement contrastée, qui met en valeur la photo aux couleurs symboliques de Christopher Doyle (cascades de bleus, de rouges, de violets…).

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en cantonais sous-titré français
Une fois n’est pas coutume, c’est la version mono, plus dynamique, qui s’en sort le mieux. La version 5.1, aux effets essentiellement frontaux, est bien trop timide.

 

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« À bien des égards, le policier infiltré est le sous-genre du polar le plus emblématique de Hong Kong, et le plus symbolique de la confusion identitaire de ses citoyens. » Arnaud Lanuque

 

 

MAN ON THE BRINK (Bin Yuen Yan)

Alex Cheung
1981

Jeune agent de la police de Hong Kong nouvellement promu, Ho Wing-Chiu (Eddie Chan) est intègre et animé d’intentions louables. Un jour, son supérieur (Lun Chia) lui propose de prendre du galon s’il accepte d’infiltrer un gang de triades. Il ne doit révéler sa nouvelle identité à personne, pas même à sa petite amie. Au début, Ho prend la mission comme un jeu. Mais passer d’un monde à l’autre va devenir de plus en plus difficile…

Man On The Brink est le deuxième long-métrage d’Alex Cheung, dont le premier film, Cops And Robbers (Dian Zhi Bing Bing), sur les écrans en 1979, avait fait figure de petite révolution dans l’univers du polar hongkongais. Réalisateur issu de la télévision, Cheung prise le réalisme, la caméra à l’épaule et le tournage en extérieur, dans les rues grouillantes de préférence. Son sens du rythme, les prises de vues subjectives et la représentation de la violence (on s’intéresse aux conséquences plus qu’à la glorification de celle-ci) font également merveille dans ce Man On The Brink tourné deux ans plus tard. Inspiré des confidences d’un ex-policier qui avait travaillé sous couverture, le film narre la descente aux enfers d’un jeune flic intègre qui va peu à peu perdre son identité et ses repères. Eddie Chan, étoile montante à l’époque, incarne admirablement ce jeune homme de bonne volonté dont la vie bascule irrémédiablement dans le chaos. La crise existentielle de Ho est au cœur de ce polar sombre, implacable, viscéral et d’une grande honnêteté, qui ne cherche pas à rendre les scènes d’action héroïques ou spectaculaires. Men On The Brink met également en lumière la corruption qui gangrène la police locale et les rapports tendus entre celle-ci et la police coloniale, la première tolérant mal d’être dirigée par la seconde. Ce double jeu constant reflète les paradoxes de Hong Kong, écartelée entre traditions locales séculaires et valeurs occidentales. Applaudi par la critique à sa sortie, le polar d’Alex Chung est, selon les observateurs, à l’origine d’un sous-genre, celui du policier infiltré, qui offrira au cinéma de Hong Kong ses plus beaux coups d’éclat : City On Fire, de Ringo Lam (1987), À toute épreuve, de John Woo (1992) ou Infernal Affairs d’Andy Lau et Alan Mak (2002). La scène finale est mémorable.
1 h 40 Et avec Oi-Tsu Fung, Hing-Yin Kam, Ling Wei Chen, Ka Wai Cheung…

BANDE-ANNONCE

 

TEST EDITION BLU-RAY

Interactivité ****
Comme dans l’édition de My Heart Is That Eternal Rose, on profite ici d’un travail éditorial soigneux : présentation d’Arnaud Lanuque (8 minutes) et analyse par Alex Rallo (20 minutes). Le Blu-ray enrichit le programme d’une autre salve de suppléments, à commencer par une longue interview du réalisateur (72 minutes), qui insiste sur le fait que le job de flic infiltré était quasiment inconnu du public dans les années 70 (et que lui-même n’en avait jamais entendu parler !). Une sympathique table ronde consacrée au film, enregistrée à Hong Kong en 2019, permet de découvrir toute l’équipe (75 minutes). On peut également avoir un aperçu du tournage grâce à des images capturées en 8 mm : on y voit le cinéaste, caméra à l’épaule, courir derrière ses acteurs, et les diriger pour le combat de rue (14 minutes). Enfin l’équipe du Podcast Steroid — Exégèse des Gros Bras revient sur le film dans un numéro spécialement enregistré pour cette édition. La bande-annonce figure également au menu.

Image ***
Format : 1.77
Une copie soignée, sans défaut majeur. Les couleurs sont naturelles et les contrastes probants, même dans les séquences nocturnes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en cantonais sous-titré français
On relève un bon dynamisme de la piste 5.1, même si elle reste principalement frontale. La piste mono, plus conservatrice, est tout à fait honorable.

La boutique SPECTRUM FILMS

UNE PLUIE SANS FIN

Le Grand Prix 2018 du Festival International du Film Policier de Beaune paraît sur les écrans français en pleine canicule estivale. Un timing qui ne manque pas d’ironie et pourrait bien profiter à ce petit bijou de film noir, romantique et désespéré à souhait.

 

« Vous êtes trop fort Maestro !
– Je n’y peux rien. C’est un don »

 

Une pluie sans fin (The Looming Storm – Bao Xue Jiang Zhi)

Dong Yue (Meilleur Nouveau Réalisateur aux Asian Film Awards 2018)
2017
Dans les salles françaises depuis le 25 juillet 2018

En cet hiver 1997, quelques mois avant la rétrocession de Hong Kong, la province du Yunan, dans le sud de la Chine, est confrontée à des intempéries inhabituelles. Yu Guowei (Duan Yihong), surveillant de la fonderie d’une petite ville industrielle, est sollicité par le chef de la police qui enquête sur une série de meurtres de jeunes femmes. Le corps de la dernière victime ayant été découvert, comme les précédents, aux abords de l’usine, les soupçons se portent en effet sur les employés de celle-ci. Flanqué de son jeune assistant Liu (Zheng Wei), Yu, que ses camarades surnomment « Détective Yu » à cause de son zèle et son intégrité, décide de mener les investigations en marge de la police. Sa détermination à découvrir le coupable va tourner à l’obsession…

Le titre français sied comme un gant à ce premier long-métrage du Chinois Dong Yue, qui, ce n’est pas une surprise, a commencé sa carrière comme chef-opérateur. En effet, le film frappe par sa beauté stupéfiante, ses plans magnifiques et ses atmosphères rendues presque irréelles par les ciels plombés, les pluies torrentielles et une palette de couleurs volontairement ternes et désaturées. Même si le cinéaste quadragénaire a confié avoir été influencé par Sueurs Froides d’Alfred Hitchcock et Conversation secrète de Francis Ford Coppola, c’est d’abord au chef-d’œuvre coréen Memories Of Murder que l’on pense. Très vite pourtant, il apparaît évident que les motivations de Dong Yue sont autres. L’intrigue policière, inspirée d’un fait divers chinois, est surtout prétexte à dépeindre un pays en pleine mutation. En cette fin de décennie 90, l’ouverture au capitalisme d’état entraîne la fermeture des vieilles usines, réduisant les ouvriers au chômage et à la misère. La riche Hong Kong rétrocédée à la Chine fait alors rêver bon nombre de ces laissés pour compte qui aspirent à une seconde chance. Le réalisateur montre avec brio la décrépitude ambiante de ce monde qui se meurt. Très peu de touches d’humour, mais Dong Yue joue volontiers avec l’absurde. Ainsi, Yu, décoré en tant qu’employé modèle de son usine par les instances du parti – sans être valorisé pour autant – est traité avec condescendance et mépris par celles-ci, tout comme par les autorités locales. Pour son malheur, Yu ne s’en rend pas compte. Ses camarades et son disciple Liu le confortent dans l’idée qu’il est « important » et qu’il a un talent spécial pour repérer les coupables. La poursuite du tueur en série, qui tient la police en échec, devient donc « son affaire » et prend le pas sur le reste, notamment sur sa relation avec la jolie prostituée Yanzi, qu’il protège d’une bien drôle de façon. Très expressif, l’acteur Duan Yihong, star en Chine, suscite une empathie totale. Yu le solitaire, tout comme les héros de films noirs, est écrasé par la fatalité de sa destinée. Il nous entraîne dans la spirale de son obsession. Point d’orgue du film : une course-poursuite sous une pluie battante, dans la carcasse de l’usine gigantesque et le long des voies ferrées, entre deux hommes vêtus d’un même ciré dont la capuche ruisselante dissimule le visage. Une scène à couper le souffle, filmée de main de maître, climax d’un polar désespéré et impressionnant qui hante longtemps après la projection.
Chine. 2 heures. Distribué en France par Wild Bunch. Et avec : Jiang Yiyan, Du Yuan…

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