SICARIO

Jusqu’où peut aller un gouvernement pour combattre le mal ? C’est la question que pose le thriller d’action de Denis Villeneuve, événement cinéma de l’automne, même s’il a fait chou blanc à Cannes, en mai dernier. Le cinéaste canadien, dont la cote a monté en flèche après le très atmosphérique Prisoners entraîne dans l’enfer de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, zone de non-droit régie par les cartels de la drogue. Mise en scène efficace, scènes de bravoure à couper le souffle… Côté formel, Denis Villeneuve chasse sur les terres de Kathryn Bigelow, mais cette démonstration de force lui permet surtout de parler de morale, d’éthique et de la frontière entre le bien et le mal, ici personnifiés par une agent du FBI idéaliste et un consultant au service du gouvernement, au passé et intentions troubles. Un rôle ambigu, incarné par un Benicio Del Toro impérial.

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« You’re asking me how the watch is made. For now, just keep your eye on the time. » 

 

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Denis Villeneuve
2015 (projeté en compétition au festival de Cannes 2015 et dans les salles françaises depuis le 7 octobre)

En Arizona, en recherchant des otages, une unité d’élite du FBI découvre de nombreux corps mutilés dans une maison appartenant à narcotrafiquant. Kate Macer (Emily Blunt), l’agent de terrain chargée de l’affaire, se voit aussitôt proposer d’intégrer une cellule d’intervention clandestine dirigée par la CIA et le ministère de la défense, afin d’arrêter le chef du cartel mexicain responsable des meurtres. Mais la jeune femme est vite désemparée par les méthodes de barbouzes du chef de l’opération, l’agent de la CIA Matt Graver (Josh Brolin) et par la personnalité trouble du consultant colombien qui l’accompagne (Benicio Del Toro), d’autant que les deux hommes prennent un malin plaisir à la laisser dans le brouillard…

« Sicario », comme expliqué en préambule de ce film, est l’équivalent de « sicaire » en français, un terme qui remonte à l’antiquité hébraïque et tombé en désuétude, qui signifie « tueur à gages ». Pour des raisons évidentes, il est revanche toujours en vigueur en Italie, au Mexique et en Colombie. Il est aussi au cœur du dilemme posé par le film de Denis Villeneuve. Peut-on, quand on est un représentant de la loi, s’allier avec des tueurs ? Doit-on combattre le mal par le mal, ou comme le souhaite Kate Macer, respecter la morale, coûte que coûte ? A l’idéalisme de la jeune femme, Matt Graver, incarné par un savoureux Josh Brolin, oppose un pragmatisme absolu : la fin justifie les moyens. Cet antagonisme crée une tension palpable entre ces personnages contraints pourtant de s’entendre pour survivre. C’est à travers les yeux de Kate, tenue constamment dans le flou, qu’on découvre l’enfer de Juarez, où la mort peut surgir à chaque coin de rue, ce qui vaut la plus belle des scènes de bravoure du film. La violence est sèche, radicale, mais la mise en scène impressionne autant que le thème anxiogène de la musique de l’Islandais Jóhann Jóhannsson qui accompagne chaque montée de tension (quelque peu inspiré du « Sense Of Doubt » de David Bowie…). Le chaos ambiant et le caractère hostile de cette région aride sont magnifiquement mis en valeur par la photographie solaire aux couleurs saturées de Roger Deakins, chef opérateur fétiche des frères Coen et déjà à l’œuvre sur Prisoners, qui confère au film, dont on doit le scénario à l’acteur Taylor Sheridan (vu dans Sons of Anarchy), des allures de western moderne. Visuellement, cette immersion dans les opérations de terrain rappelle beaucoup le travail de Kathryn Bigelow (dans Démineurs ou Zero Dark Thirty), laquelle s’embarrasse beaucoup moins de questions morales. C’est d’ailleurs peut-être le point faible du film, qui s’attarde un peu trop sur les questionnements de la naïve Kate, au risque de friser la caricature (la scène finale, elle-même, laisse un peu perplexe… ). Denis Villeneuve a du talent, des obsessions louables, mais parfois aussi des gros sabots. En matière de direction d’acteur en revanche, il excelle. Et plus que la prestation d’Emily Blunt, c’est celle de Benicio Del Toro qui fascine. Aux antipodes de son interprétation haute en couleurs de Pablo Escobar dans le récent Paradise Lost, l’acteur portoricain est ici extrêmement troublant en bête de guerre qui ne dévoile jamais son jeu. Rien que pour lui, le film vaut le détour.
Et avec Daniel Kaluuya, Victor Garber, Jon Berthal, Jeffrey Donovan..

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PRISONERS : critique AFAP

 

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MÉMOIRES DE JEUNESSE (TESTAMENT OF YOUTH)

Adaptation poignante du célèbre roman autobiographique de la pacifiste Vera Brittain, Mémoires de jeunesse relate le destin brisé de quatre jeunes gens durant la Première Guerre mondiale. Un mélodrame passionné et humaniste, beau et tragique, qui met en exergue la fragilité de l’existence, la brutalité de la guerre et la force morale des femmes, témoins impuissants de la folie des hommes. En héroïne exaltée, et aussi têtue que Scarlett O’Hara, Alicia Vikander y est sensationnelle.

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« Notre génération ne sera plus jamais insouciante ou optimiste. » Vera Brittain

  

Mémoires de jeunesse (Testament Of Youth)

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James Kent
2014 (2h 10, dans les salles françaises depuis le 23 septembre 2015)

En 1914, dans la campagne anglaise, Vera Brittain (Alicia Vikander), jeune fille de bonne famille, rêve de devenir écrivain et essaie désespérément de convaincre ses parents conservateurs de la laisser tenter le concours d’admission à Oxford, où son frère Edward (Taron Egerton) est déjà étudiant. C’est ce dernier qui finira par convaincre son père lors d’un week-end où il a invité des amis de sa promotion. Vera tombe rapidement sous le charme de l’un d’entre eux, Roland Leighton (Kit Harington), un poète qui l’encourage vivement à écrire. Mais la guerre éclate…

Doté d’un titre plus pertinent en version originale (celui du roman) Mémoires de jeunesse n’a pas pour vocation de décrire les horreurs de la Première Guerre mondiale, mais plutôt de se pencher sur ses conséquences à travers l’expérience d’une jeune fille, mise à l’épreuve de manière particulièrement redoutable. Si le film s’attarde sur les scènes de bonheur d’avant-guerre, les promenades dans la campagne, les après-midi au bord du lac, les disputes, les colères, les premiers émois amoureux, c’est pour mieux renforcer l’effet de déchirement qui va suivre. Pour ces jeunes gens promis à un destin radieux, emportés comme des fétus de paille dans le tourbillon de l’histoire, c’est un monde qui va bientôt s’écrouler. L’image du film elle aussi s’assombrit tout en gagnant en nervosité, tandis qu’elle se resserre sur Vera. Les hommes partis au front, les femmes se rongent les sangs, alors que petit à petit, la réalité des horreurs leur explose au visage. Pour Vera, plus question de poésie. Il lui faut agir. Elle choisit d’endosser l’uniforme d’infirmière, d’abord pour soigner ceux qui reviennent, puis rejoint la France, afin d’être plus proche de ceux qu’elle aime. Là-bas, elle découvrira que du côté ennemi, la souffrance est la même, et que la jeunesse est tout aussi sacrifiée. Actrice douée et incontournable du moment, la Suédoise Alicia Vikander (Royal Affair, Ex Machina, Agents très spéciaux: Code U.N.C.L.E) offre ses traits gracieux et son regard buté à cette battante prête à soulever des montagnes et qui se fait un devoir de se relever de tout. Car c’est là le message de ce film moins académique que son titre, qui engage à faire face à l’impossible et s’adresse aux jeunes générations. Et si ce grand mélodrame humaniste bouleverse, il ne cède jamais au sentimentalisme et conserve la même dignité que son héroïne. Très fidèle à l’œuvre de Vera Brittain, s’inspirant non seulement de son roman Testament Of Youth mais également de ses journaux intimes et de sa correspondance, le film a suscité l’enthousiasme de Lady Shirley Williams, fille de l’écrivain et cofondatrice du parti social-démocrate britannique (membre actif de la Chambre des Lords jusqu’en 2004). Il bénéficie d’une mise en scène efficace de James Kent, réalisateur issu de la télévision anglaise, et qui signe ici son premier long-métrage, d’une photo sublime de Rob Hardy et d’une distribution de haute volée. Autour des chevronnés Dominic West, Emily Watson, Miranda Richardson ou Hayley Hatwell, on reconnaît l’exquis Colin Morgan (révélé par la série Merlin) et la coqueluche Kit Harington, délesté de ses fanfreluches de Jon Snow de Game Of Thrones, et dont la prestation se révèle bien plus qu’honorable. Ce film implacable hante longtemps après la projection.

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THE MUSKETEERS

Tombé en désuétude depuis des lustres, le genre « cape et d’épée » revient en force avec la série anglaise The Musketeers, créée en 2014 par la BBC et qui fait un tabac outre-Manche. Très librement inspirée de l’œuvre d’Alexandre Dumas, elle s’en détache pour mieux y revenir et célèbre avec brio les valeurs de camaraderie, d’héroïsme, et le romanesque du fameux roman Les trois mousquetaires. Personnages sexy et charismatiques, humour volontiers spirituel, complots en veux-tu en voilà, action et romance tous azimuts, décors somptueux… The Musketeers renoue avec les séries populaires des sixties, mais revisite également l’histoire (et des sujets qui résonnent curieusement avec l’actualité) avec une jolie modernité. Pas de surenchère de violence, de sexe ni de cynisme, soit un parti pris à contre-courant qui apparaît comme une véritable bouffée d’air. En attendant la troisième saison prévue courant 2016, les deux premières viennent de paraître en Blu-ray et DVD.

 

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Aramis : « Let him take the credit. We don’t need praise or glory.
Porthos : Praise and glory are two of my favorite things. »

 

The Musketeers 

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Série britannique coproduite par BBC One et BBC America, créée par Adrian Hodges en 2014
Diffusée pour la première fois en janvier 2014 sur BBC One (Saisons 1 et 2 en DVD et Blu-ray chez Francetv distribution)

En 1630 en France. Alors qu’ils se rendent à Paris pour porter une pétition au roi Louis XIII, deux honorables Gascons, D’Artagnan père et fils, s’arrêtent dans une auberge pour la nuit. Des brigands masqués, menés par le mousquetaire Athos, font alors irruption et tuent l’aubergiste. En tentant de s’interposer, le père de D’Artagnan est mortellement blessé. Ce dernier (Luke Pasqualino), n’a désormais qu’un but : retrouver Athos et venger son père…

Les puristes de l’œuvre d’Alexandre Dumas ont dû crier à la gageure, et pourtant on retrouve dans cette série anglaise tout ce qui fait le charme du roman Les trois mousquetaires, lequel, faut-il le rappeler, est lui-même une fiction adaptée de personnages réels. Ne pas se fier non plus aux deux premiers épisodes, les moins réussis du show, même s’ils annoncent les enjeux à venir. Petit à petit, Adrian Hodges (scénariste de My Week With Marilyn) et sa productrice Jessica Pope ont trouvé le ton juste, l’harmonie entre la légèreté et le drame, et la série a gagné en profondeur. La distribution est un sans-faute, à commencer par le quatuor héroïque, campé par des acteurs extrêmement charismatiques. Luke Pasqualino (Skins, The Borgias, Snowpiercer) campe un D’Artagnan pur et fougueux à souhait, et sa romance avec la pétillante Constance Bonacieux (Tamla Kari), suffragette avant l’heure, est un régal. Affublée d’un époux ridicule, et bien qu’elle passe le plus clair de son temps à se faire kidnapper, emprisonner, menacer de mort, Constance saute sur toutes les occasions pour jouer les justicières, et se jeter dans la bagarre aux côtés des garçons. Plus romantique encore et plus ténébreux, Athos, campé par l’excellent Tom Burke (Only God Forgives, The Hour) est hanté par son passé, soit sa passion fatale pour Milady de Winter (Maimie McCoy), la Mata Hari de l’époque, qui va lui revenir en pleine figure. Aramis, l’homme à femmes de la bande, a le charme de Santiago Cabrera (Merlin, Heroes), tandis que Porthos (Howard Charles), doté d’une stature aussi imposante que son humour pince-sans-rire, réserve des surprises. On citera aussi l’exquise Alexandra Dowling, délicate interprète d’Anne D’Autriche, la « demoiselle en détresse » du royaume, et Ryan Gage (l’infâme Alfrid du Hobbit), qui apporte à Louis XIII une excentricité et un aspect comique inattendu. Quant aux vilains Richelieu (Peter Capaldi) et Rochefort (Marc Warren), ils sont à la hauteur de leur réputation. Tournée en extérieur dans les environs de Prague, cette superproduction se distingue par la beauté de ses décors et de la reconstitution du Paris du XVIIe. Le Louvre et les jardins royaux ont été recréés de manière bluffante, et certains épisodes en mettent plein les mirettes (voir L’éclipse funèbre). Mise en valeur par une mise en scène virevoltante et une bande-son épique, cette série réjouissante, un brin fleur bleue, se savoure comme une bonne bande dessinée. Mine de rien et sans se prendre au sérieux, The Musketeers séduira les nostalgiques des héros au cœur pur, de plus en plus rares à la télévision. Par les temps qui courent, plus qu’un plaisir coupable, c’est un plaisir tout court.

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Test DVD :

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Interactivité *
Les deux coffrets 4-DVD comprennent dix épisodes de 52 minutes. Seule la deuxième saison bénéficie d’un bouquet de suppléments. Il s’agit de six mini-reportages d’environ quatre minutes sur les coulisses du tournage, très sympathiques au demeurant. On y découvre les dessous de la reconstitution et de la création des décors, ainsi qu’une interview du compositeur Paul Englishman, qui livre ses secrets de fabrication jusqu’à l’enregistrement de sa musique par le Grand Orchestre Philharmonique de Prague.

Image ***
Format : 1.77
Une image de toute beauté, qui met en valeur la richesse des costumes et des décors. On dénotera même parfois un léger grain, qui l’empêche d’apparaître trop lisse.

Son ***
DD 2.0 en français et anglais sous-titré
Une piste dynamique, surtout en version originale, à privilégier.

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