OPPENHEIMER

C’est l’autre événement de l’été ! Apparu sur les écrans français le même jour que Barbie, le nouveau film de Christopher Nolan est aux antipodes de celui de Greta Gerwig. Ce portrait très documenté du « père de la bombe atomique » est porté par un Cillian Murphy égal à lui-même (totalement habité) qui restitue la complexité de ce physicien torturé, exalté et plein de contradictions. Brillant, mais un tantinet touffu.

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« Now you’re fucked up forever. » (Anxiety : Clarity – Portugal. The Man)

                                                                

OPPENHEIMER

Christopher Nolan
2023
En salles depuis le 19 juillet

En 1942, le général américain Leslie Groves (Matt Damon) recrute Robert Oppenheimer (Cillian Murphy), chercheur en physique quantique et professeur à l’Université de Berkeley, pour diriger le projet Manhattan, destiné à mettre au point la première bombe atomique de l’histoire. Dans le laboratoire ultrasecret de Los Alamos – dans le désert du Nouveau-Mexique –, Oppenheimer réunit une équipe de scientifiques. Il leur faut réussir avant d’être devancés par l’Allemagne nazie, elle aussi dans la course pour développer l’arme nucléaire… 

On pourrait penser qu’à trop vouloir en dire, à trop vouloir en faire, Christopher Nolan en a presque oublié… de faire du cinéma. Son Oppenheimer est si bavard, si chargé d’informations, qu’il exige du spectateur un effort de concentration considérable. Les allers et retours dans le temps, le passage de la couleur au noir et blanc, les circonvolutions des mêmes séquences font parfois perdre le fil. Mais si on s’accroche, le jeu en vaut la chandelle. On entre dans la tête d’Oppenheimer, personnage complexe et extraordinairement brillant. Issu d’une famille aisée de juifs allemands immigrés, passionné d’art et de poésie, il voue une haine au nazisme, ce qui explique en partie son implication dans le projet Manhattan. Yeux bleus écarquillés et amaigri pour le rôle, Cillian Murphy, interprète de l’iconique Tommy Shelby de Peaky Blinders, exprime à merveille les contradictions de ce scientifique charismatique et hermétique, peut-être le plus controversé de l’histoire (la ressemblance physique est également étonnante). Se considérant lui-même comme « le destructeur des mondes », Oppenheimer sera ensuite et à jamais hanté par les victimes d’Hiroshima et Nagasaki. C’est toute la problématique du film, totalement d’actualité en ces temps d’interrogation sur l’intelligence artificielle : que vaut la morale face à la science, face au progrès ? La fascination de Nolan pour la figure du physicien curieusement humaniste provient de sa découverte de la biographie American Prometheus : The Triumph And Tragedy Of J. Robert Oppenheimer, écrite par Kai Bird et Martin J. Sherwin, récompensée par le Prix Pulitzer en 2006. Le livre est à la base du film. Autant dire que les informations distillées sont d’une justesse redoutable. Comme dans le cas de l’épopée Apollo, on est souvent sidéré par la tournure que prend ce récit édifiant. La séquence d’essai atomique, du nom de code Trinity, laisse bouche bée. Nolan a délaissé les effets spéciaux numériques créés par ordinateur au profit de trucages à l’ancienne et le résultat n’en est que plus impressionnant. Si la mise en scène éblouit, les dialogues font mouche, et les acteurs (un défilé de stars) excellent. Mentions spéciales à Matt Damon, en militaire sarcastique et humain, à Emily Blunt, très juste en épouse révoltée, et à Tom Conti, en Albert Einstein (on lui doit la plus belle scène du film). On regrette simplement la durée excessive de cette leçon d’histoire, que Nolan a souhaitée exhaustive, au risque de la rendre indigeste.
3 heures. Et avec Robert Downey Jr., Josh Hartnett, Florence Pugh, David Krumholtz, Alden Ehrenreich, Jason Clarke, Tony Goldwyn, Tom Conti, Kenneth Branagh, Matthew Modine, Casey Affleck, Rami Malek, Gary Oldman…

SICARIO

Jusqu’où peut aller un gouvernement pour combattre le mal ? C’est la question que pose le thriller d’action de Denis Villeneuve, événement cinéma de l’automne, même s’il a fait chou blanc à Cannes, en mai dernier. Le cinéaste canadien, dont la cote a monté en flèche après le très atmosphérique Prisoners entraîne dans l’enfer de la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, zone de non-droit régie par les cartels de la drogue. Mise en scène efficace, scènes de bravoure à couper le souffle… Côté formel, Denis Villeneuve chasse sur les terres de Kathryn Bigelow, mais cette démonstration de force lui permet surtout de parler de morale, d’éthique et de la frontière entre le bien et le mal, ici personnifiés par une agent du FBI idéaliste et un consultant au service du gouvernement, au passé et intentions troubles. Un rôle ambigu, incarné par un Benicio Del Toro impérial.

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« You’re asking me how the watch is made. For now, just keep your eye on the time. » 

 

Sicario

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Denis Villeneuve
2015 (projeté en compétition au festival de Cannes 2015 et dans les salles françaises depuis le 7 octobre)

En Arizona, en recherchant des otages, une unité d’élite du FBI découvre de nombreux corps mutilés dans une maison appartenant à narcotrafiquant. Kate Macer (Emily Blunt), l’agent de terrain chargée de l’affaire, se voit aussitôt proposer d’intégrer une cellule d’intervention clandestine dirigée par la CIA et le ministère de la défense, afin d’arrêter le chef du cartel mexicain responsable des meurtres. Mais la jeune femme est vite désemparée par les méthodes de barbouzes du chef de l’opération, l’agent de la CIA Matt Graver (Josh Brolin) et par la personnalité trouble du consultant colombien qui l’accompagne (Benicio Del Toro), d’autant que les deux hommes prennent un malin plaisir à la laisser dans le brouillard…

« Sicario », comme expliqué en préambule de ce film, est l’équivalent de « sicaire » en français, un terme qui remonte à l’antiquité hébraïque et tombé en désuétude, qui signifie « tueur à gages ». Pour des raisons évidentes, il est revanche toujours en vigueur en Italie, au Mexique et en Colombie. Il est aussi au cœur du dilemme posé par le film de Denis Villeneuve. Peut-on, quand on est un représentant de la loi, s’allier avec des tueurs ? Doit-on combattre le mal par le mal, ou comme le souhaite Kate Macer, respecter la morale, coûte que coûte ? A l’idéalisme de la jeune femme, Matt Graver, incarné par un savoureux Josh Brolin, oppose un pragmatisme absolu : la fin justifie les moyens. Cet antagonisme crée une tension palpable entre ces personnages contraints pourtant de s’entendre pour survivre. C’est à travers les yeux de Kate, tenue constamment dans le flou, qu’on découvre l’enfer de Juarez, où la mort peut surgir à chaque coin de rue, ce qui vaut la plus belle des scènes de bravoure du film. La violence est sèche, radicale, mais la mise en scène impressionne autant que le thème anxiogène de la musique de l’Islandais Jóhann Jóhannsson qui accompagne chaque montée de tension (quelque peu inspiré du « Sense Of Doubt » de David Bowie…). Le chaos ambiant et le caractère hostile de cette région aride sont magnifiquement mis en valeur par la photographie solaire aux couleurs saturées de Roger Deakins, chef opérateur fétiche des frères Coen et déjà à l’œuvre sur Prisoners, qui confère au film, dont on doit le scénario à l’acteur Taylor Sheridan (vu dans Sons of Anarchy), des allures de western moderne. Visuellement, cette immersion dans les opérations de terrain rappelle beaucoup le travail de Kathryn Bigelow (dans Démineurs ou Zero Dark Thirty), laquelle s’embarrasse beaucoup moins de questions morales. C’est d’ailleurs peut-être le point faible du film, qui s’attarde un peu trop sur les questionnements de la naïve Kate, au risque de friser la caricature (la scène finale, elle-même, laisse un peu perplexe… ). Denis Villeneuve a du talent, des obsessions louables, mais parfois aussi des gros sabots. En matière de direction d’acteur en revanche, il excelle. Et plus que la prestation d’Emily Blunt, c’est celle de Benicio Del Toro qui fascine. Aux antipodes de son interprétation haute en couleurs de Pablo Escobar dans le récent Paradise Lost, l’acteur portoricain est ici extrêmement troublant en bête de guerre qui ne dévoile jamais son jeu. Rien que pour lui, le film vaut le détour.
Et avec Daniel Kaluuya, Victor Garber, Jon Berthal, Jeffrey Donovan..

BANDE-ANNONCE
PRISONERS : critique AFAP

 

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