Depuis le décès d’Alain Delon, survenu le 18 août dernier, les salles obscures et les chaînes de télévision multiplient les diffusions de ses plus beaux films (sur les quelques quatre-vingt-dix dans lesquels il a tourné). Les jeunes générations vont pouvoir découvrir que Delon n’était pas que le César d’Astérix et Obélix aux jeux olympiques, celui qui se parodiait lui-même en 2008 dans un monologue à la fois drôle et pathétique. Hélas, l’acteur n’aura pas eu la chance, comme son ami Belmondo, d’avoir un Itinéraire d’un enfant gâté, un film testament qui aurait pu anoblir sa fin de carrière. De fait, pour aborder la légende Delon, il faut impérativement rembobiner, revenir aux années soixante et soixante-dix. Deux décennies grandioses. On peut ainsi revoir l’audacieux Plein soleil (1960), le film par lequel tout a commencé. Le nombre de gros plans sur le visage de Delon reflète la fascination du réalisateur René Clément pour cet acteur d’instinct, animal, à la beauté saisissante. Même Patricia Highsmith, l’auteur du livre (Monsieur Ripley), a chanté les louanges de cette adaptation très libre et plus ambiguë qu’elle n’aurait osé l’imaginer. Cette beauté du diable, totalement assumée par le comédien, a inévitablement fait chavirer l’esthète Luchino Visconti qui le dirigera dans deux chefs-d’œuvre : Rocco et ses frères et Le Guépard. Clément profitera encore de l’ambiguïté et du magnétisme de l’acteur dans Les Félins, où il donne la réplique à une mutine Jane Fonda. Delon joue à cette époque sur tous les tableaux, alignant films d’auteur et cinéma populaire. Il sublime L’Éclipse, d’Antonioni et éblouit dans Mélodie en sous-sol de Verneuil, aux côtés de Jean Gabin, qu’il vénère. Et puis, en 1967, dans Le Samouraï, de Jean-Pierre Melville, il campe Jef Costello, peut-être le rôle de sa vie. Ce tueur à gages mutique, beau et élégant va faire de lui une icône internationale, et notamment en Asie. Considéré comme un dieu vivant au Japon, Delon a aussi été (et est toujours) la référence ultime pour le cinéma d’action hongkongais et coréen (The Killer, de John Woo, Vengeance de Johnnie To, A Bittersweet Life de Kim Jee-woon…). Sous la direction de Melville, il tournera encore le fabuleux Cercle rouge et l’intrigant Un flic. Dans cet ultime film du réalisateur qui débute par une inoubliable séquence de braquage à Saint-Jean-de-Monts, sous une pluie battante, l’acteur campe pour la première fois un rôle de policier, ce qui deviendra chez lui une habitude. Il y apparaît tout aussi taiseux, froid et ambigu. Puis il y aura les remarquables Les Aventuriers, La Piscine, Le Clan des Siciliens, Le Professeur, Monsieur Klein, L’homme pressé… Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ne furent pas aussi fécondes. Déjà producteur, ce control freak s’est également pris pour un réalisateur, et a fait preuve d’un manque de discernement dans ses collaborations. Quelque part, son heure était passée. Et puis, il ne s’est jamais remis de la disparition de ses mentors, amours et amis : Jean Gabin, Lino Ventura, Romy Schneider, Maurice Ronet, Mireille Darc… Il les a rejoints au paradis des monstres sacrés, dont les noms évoquent une France et un cinéma disparus. Delon était le dernier des géants. Il demeurera une icône. Désormais, il ne reste plus que des comédiens.
Avec Marie Laforêt dans Plein soleil, de René Clément (1960)
Avec Annie Girardot dans Rocco et ses frères,de Luchino Visconti (1960)
Avec Monica Vitti dans L’Éclipse,de Michelangelo Antonioni (1962)
Dans Le Guépard, de Luchino Visconti (1963)
Avec Jean Gabin dans Mélodie en sous-sol, d’Henri Verneuil (1963)
Dans Les Félins, de René Clément (1965)
Avec Lino Ventura dans Les Aventuriers, de Robert Enrico (1967)
Dans Le Samouraï, de Jean-Pierre Melville (1967)
Avec Romy Schneider dans La Piscine, de Jacques Deray (1968)
Dans Le Clan des Siciliens, d’Henri Verneuil (1969)
Dans Le Cercle rouge, de Jean-Pierre Melville (1970)
Avec Catherine Deneuve dans Un Flic, de Jean-Pierre Melville (1972)
Dans Le Professeur, de Valerio Zurlini (1972)
Avec Suzanne Flon dans Mr Klein, de Joseph Losey (1976)
Avec Mireille Darc dans L’Homme pressé, d’Édouard Molinaro (1977)
Alain Delon, Palme d’Or d’honneur du festival de Cannes 2019 (© A. Thuillier / AFP)