La ressortie en vidéo d’un film avec Audrey Hepburn est toujours un événement. Les éditions Carlotta ont concocté un écrin magnifique pour la comédie la plus lubitschienne de Billy Wilder, tournée à Paris en 1956 et qui paraît pour la première fois en Blu-ray. On y suit les tribulations de la fille d’un détective privé qui s’éprend du playboy milliardaire de trente ans son aîné que son père est chargé de filer. À l’époque, la bande-annonce ne faisait pas dans la dentelle : « Quand une fille sans aucune expérience entre dans le jeu de l’homme le plus expérimenté au monde… » Piquante, osée et un brin nostalgique, cette comédie romantique brillamment écrite est (comme les robes de Givenchy), cousue sur mesure pour Audrey Hepburn, qui mène ici Gary Cooper par le bout du nez.
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« Tout en vous est parfait.
– Je suis trop maigre. J’ai les oreilles décollées, les dents de travers et le cou bien trop long…
– C’est possible, mais j’adore l’ensemble. »
ARIANE (Love In The Afternoon)
Billy Wilder
1957
En coffret Ultra Collector chez Carlotta depuis le 18 novembre, disponible en éditions Blu-ray et DVD séparées
Ariane (Audrey Hepburn), jeune étudiante au Conservatoire, est la fille de Claude Charasse, le détective privé le plus compétent de Paris (Maurice Chevalier). En cachette de son père, elle ne cesse de fouiner dans ses dossiers. Toutes ces affaires d’adultère, qu’elle considère plutôt comme des histoires d’amours contrariées, la font rêver. Un jour, elle entend fortuitement un mari trompé fou de rage (John McGiver) annoncer à son père qu’il compte tuer l’amant de sa femme. L’homme visé est Frank Flannagan (Gary Cooper), un milliardaire américain, businessman et séducteur notoire. Tout doit se passer dans la suite de ce dernier, au Ritz. Sans en toucher un mot à son père, Ariane décide d’intervenir…
Il y a comme un air d’Emily In Paris dans le prologue de cette comédie sophistiquée de Billy Wilder où la voix off de Maurice Chevalier décrit la capitale française comme « la ville de l’amour ». Trois ans après Sabrina, qui avait décroché un Oscar et cinq nominations, le génial cinéaste dirige à nouveau l’exquise Audrey Hepburn. Pour la première fois, il s’est affranchi des studios hollywoodiens et c’est en indépendant qu’il produit et réalise Love In The Afternoon (titre bien plus explicite que le chaste Ariane) pour lequel il choisit de travailler avec le scénariste I. A. L. Diamond (Chérie, je me sens rajeunir) qui deviendra dès ce tournage son collaborateur attitré. Ce brillant mathématicien d’origine roumaine (I. A. L. est l’abréviation de Interscholastic Algebra League) qui s’était détourné d’une carrière d’ingénieur pour devenir scénariste, avait un certain génie pour le comique de situation. Avec Billy Wilder, sa mécanique allait se révéler d’une efficacité redoutable. La précision de l’écriture resplendit dans cette comédie souvent poussée jusqu’à l’absurde (comme en témoigne la scène de beuverie de Flannagan, renvoyant sans cesse la table à roulettes aux musiciens tziganes). Le cinéaste s’amuse à faire du Lubitsch, son maître à penser. Mais s’il est fait des allusions aux existentialistes — en témoigne notamment ce portrait d’Ariane fait par Flannagan : « Vous avez ce côté parisien, ce ‘petit quelque chose’ dit-on Rive Gauche, ce piquant soupçon d’apéritif… » —, on peut cependant s’étonner qu’à l’aube de la Nouvelle Vague (la même année, Louis Malle tourne Ascenseur pour l’échafaud), ce film affiche un aspect incroyablement suranné. L’air de Fascination, valse tzigane composée en 1904 par Dante Pilade Marchetti, en guise de gimmick, la présence de Maurice Chevalier, les décors en trompe-l’œil d’Alexandre Trauner… cette vision nostalgique d’un Paris romanesque et qui pétille est celle que réalisateur d’origine autrichienne avait conservée de la capitale française lors de son exil en France dans les années 30, après avoir fui l’Allemagne nazie. D’ailleurs, la comédie est une adaptation du roman Ariane, jeune fille russe, de Claude Anet (auteur de Mayerling), déjà porté à l’écran en 1931 — et de manière plus crue — par Paul Czinner, compatriote de Wilder. Sous ses atours charmants, Love In The Afternoon parle de sexualité et d’une liaison entre une très jeune fille et un homme vieillissant qui pourrait être son père. Ce sujet tabou, licencieux, a fortiori dans un film hollywoodien, fit tiquer la censure, et Wilder dut manœuvrer habilement (les dialogues sont truffés de sous-entendus) et faire quelques concessions, notamment dans l’épilogue. Après Humphrey Bogart et Fred Astaire, c’est à un autre vétéran d’Hollywood que la juvénile Audrey Hepburn donne ici la réplique. Le géant Gary Cooper (deuxième choix du réalisateur qui aurait préféré Cary Grant) n’est pas franchement à l’aise dans ce rôle de vieux séducteur désabusé, même si son personnage est une émanation non fortuite de celui qu’il incarnait en 1938 dans La huitième femme de Barbe-Bleue de Lubitsch, coécrit par… Billy Wilder. L’acteur, qui avait surtout été convaincu par l’idée de tourner à Paris qu’il adorait, a malgré tout « ses petits moments », comme lors de la séquence à l’Opéra, où, par ennui, il ne peut s’empêcher de faire le clown, ou lorsqu’il passe de l’amusement à la jalousie la plus tenace. Quant à Audrey Hepburn, sublime, touchante, gracieuse — Flannagan, ignorant son nom, la surnomme « brindille » (« thin girl ») —, remarquablement mise en valeur par Wilder, elle est à elle seule un enchantement.
2 h 10 Et avec Van Doude, Lise Bourdin, Olga Valéry, Audrey Young (Madame Wilder à la ville)…
TEST COFFRET ULTRA COLLECTOR N° 18
Ce coffret dont le visuel est une création de Deanna Hallsall comprend l’édition Blu-ray, le DVD et un livre de 160 pages, Le romanesque triomphant : Ariane de Billy Wilder. Il est constitué de plusieurs interviews, analyses et critiques parues dans Positif depuis les années 70 mettant en lumière le film et le travail de Billy Wilder.
Interactivité ***
Le programme de suppléments reprend peu ou prou celui du DVD de 2009 (le visuel des éditions simples est également le même) et y ajoute un inédit de poids, Portrait d’un homme à « 60% parfait », documentaire sur Billy Wilder réalisé par Annie Tresgot et Michel Ciment en 1980. Ciment avait interviewé le réalisateur chez lui en Californie. Pour le reste, on retrouve le reportage instructif conduit par N. T. Binh, critique à Positif, qui se penche sur les archives papier et photos d’Ariane, conservées comme tant d’autres, à la Cinémathèque française (26 minutes). Il y interviewe également la fille de Michel Kokas, le leader du groupe de musiciens tziganes qui accompagne Flannagan partout où il se rend. Le journaliste revient ensuite sur les thèmes développés dans le film et insiste sur l’influence de Lubitsch chez Billy Wilder (26 minutes). Un entretien avec Hubert de Givenchy permet d’en savoir plus sur sa complicité avec Audrey Hepburn (9 minutes). On y apprend que sollicité pour faire les costumes de Sabrina, il avait accepté pensant qu’il allait enfin habiller Katharine Hepburn, qu’il admirait. Le charme d’Audrey a eu vite raison de son désappointement et seule la mort de l’actrice en 1993 mettra un terme à cette amitié et collaboration devenues légendaires. La bande-annonce d’époque figure également au menu et témoigne de la belle restauration du film.
Image ***
Format : 2.40
La restauration en 2K est probante. Certaines scènes sont d’une netteté, d’une luminosité et d’un contraste sidérants. D’autres sont moins précises. Une inégalité qui ne nuit cependant pas au confort du visionnage.
Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en VOST et français
Équilibrée, sans souffle ni parasite aucun, la piste mono est tout à fait correcte pour un film de cet âge. Version originale à privilégier.