HOLLYWOOD, dans l’ombre des studios

 

 

Publié le mois dernier par Lobster Films, ce splendide coffret 3-DVD permet de découvrir trois petits bijoux des années 30, réalisés en marge de l’industrie et de la censure, alors que, justement, le Code Hays entrait en vigueur à Hollywood. Restaurés pour la première fois d’après les négatifs originaux 35 mm, ces films qui font la part belle aux personnages féminins enchantent par leur audace et leur modernité.

 

(Click on the planet above to switch language.)

 

 

WOMAN IN THE DARK

Phil Rosen
1934

À cause de son tempérament fougueux, le séduisant John Bradley (Ralph Bellamy) a tué un homme lors d’une bagarre et écopé de trois ans de prison. À sa sortie, il s’installe dans la maison isolée de son défunt père avec l’intention de mener une existence paisible. Mais un soir de tempête, alors qu’il tente de convaincre la fille du shérif (Nell O’Day) — celle qui lui a valu ses ennuis — de rentrer chez elle, débarque une très belle femme en robe de soirée (Fay Wray). Elle s’est foulé la cheville en s’enfuyant à pied de la demeure de son riche protecteur (Melvyn Douglas)…

Distribué par la RKO, Woman In The Dark, parfois repris en français sous le titre Traqués, est l’adaptation d’une nouvelle publiée un an plus tôt par Dashiell Hammett, le maître du roman noir, auteur, entre autres, du Faucon maltais. La belle Fay Wray, l’inoubliable interprète de la fiancée de King Kong, apparaît d’abord comme la femme fatale (celle par qui les ennuis arrivent) avant de dévoiler sa vraie nature. Mis en scène par Phil Rosen, réalisateur d’origine allemande qui avait débuté comme caméraman et s’était fait connaître au temps du muet, le film possède tous les ingrédients du genre auxquels vient se greffer une bonne dose d’humour. On retrouve le célèbre Melvyn Douglas, deux fois Oscarisé, et Ralph Bellamy ; il fera plus tard une carrière prolifique en tant qu’« éternel second rôle » et campe ici le héros au grand cœur (et macho quand même…). Mais ce sont les personnages féminins qui tirent leur épingle du jeu. La fille du shérif, futée, écoute aux portes et agit dans le dos de son père. Quant à la belle demoiselle en détresse, si elle montre volontiers ses jambes, elle ne manque pas non plus de tempérament. Une scène est en cela remarquable : dans une discussion avec son avocat, ce dernier ne cesse tout en parlant de lui mettre la main sur la cuisse. Elle y pose alors discrètement la sienne tenant sa cigarette afin que le balourd se brûle :

« Hey, mais qu’est-ce qui vous prend ? Si quelque chose vous dérange, faites-le savoir !
– C’est ce que j’ai fait. »

1 h 08 Et avec Roscoe Ates, Ruth Gillette, Reed Brown Jr.

 

Le film est accompagné de deux courts-métrages d’époque : Bedlam Of Beards, de Ben Holmes et Masks and Memories de Roy Mack.

 

BACK PAGE

Anton Lorenze
1934

Jeune reporter pour un journal d’une grande ville, Jerry Hampton (Peggy Shannon), trop audacieuse au goût de patron, est renvoyée. Grâce à l’aide de son prétendant (Russell Hopton), elle trouve une place de rédactrice en chef dans un quotidien de province sur le déclin. Il va lui falloir d’abord convaincre le directeur (Claude Gillingwater) car ce dernier, qui s’attendait à l’arrivée d’un homme, a plutôt des réserves quant à confier les rênes à une femme, aussi intrépide soit-elle…

Cette comédie pétillante est l’œuvre d’un dénommé Anton Lorenze, qui serait le pseudonyme d’un metteur en scène célèbre, dont l’identité reste encore un mystère aujourd’hui. On suit avec plaisir les aventures de la fougueuse Jerry Hampton au prénom équivoque, féminine et féministe jusqu’au bout des ongles, bien décidée à prouver qu’elle est aussi compétente, sinon plus, que ses homologues masculins.

« Non… vous êtes trop jolie pour être intelligente…
– Ça me plairait bien si je ne cherchais pas de travail… »

« Tu es tombée sur un scoop ?
– Tombée dessus ? Non, je l’ai déterré avec ma propre hachette, et c’est génial ! »

Elle est incarnée par Peggy Shannon, qui, hélas, n’était pas dans la vie du même acabit que son personnage. Considérée comme « la nouvelle Clara Bow », cette très jolie rousse, mannequin à ses heures, avait la réputation d’être capricieuse sur les plateaux, et son penchant pour l’alcool n’était pas un secret. Cette dépendance sera la cause de sa mort prématurée en 1941, à l’âge de trente-quatre ans. En attendant, dans Back Page, elle joue avec brio les redresseuses de torts, et met à jour une vaste escroquerie envers la population fomentée par un homme d’affaires sans scrupule. On notera tout de même les entorses à l’intégrité journalistique, les propos offensants (et proférés d’un ton badin) au sujet des Indiens et la présence amusante du jeune Sterling Holloway, célèbre, entre autres pour avoir été la voix de Winnie l’ourson.
1 h 05 Et avec Rockliffe Fellowes, Edwin Maxwell, Richard Tucker, David Callis…

Le film est livré avec quatre courts-métrages d’animation de 1934, dont deux truculents épisodes de la saga Betty Boop (Betty Boop Rise To Fame et Poor Cinderella).

 

MIDNIGHT (Call It Murder)

Chester Erskine
1934

À l’issue de son procès, Ethel Saxton (Helen Flint) est condamnée à mort pour le meurtre de l’homme qu’elle aimait. Ce verdict sévère est dû à l’intervention du président du jury, le rigide Edward Weldon (O. P. Heggie). Quelques mois plus tard, le jour de l’exécution prévue à minuit, Weldon est fébrile, d’autant qu’il est décrié par la presse et l’opinion publique. Commence pour lui une soirée interminable alors que ses proches, et notamment sa fille Stella (Sidney Fox), espèrent un pardon de dernière minute…

Lors de sa ressortie en 1947, ce premier film du réalisateur, scénariste et producteur Chester Erskine est rebaptisé Call It Murder et Humphrey Bogart, devenu star entre-temps, a les honneurs de l’affiche. Même si l’acteur possède déjà ce flegme et ce ton sarcastique dont il fera sa marque, il n’a pourtant qu’un rôle mineur dans cette histoire : il campe le jeune gangster cynique dont Stella, au grand dam de son père, est follement amoureuse. Adapté d’une pièce de théâtre écrite par Claire et Paul Sifton, Midnight est une réflexion sur la peine de mort, mais force est de constater que la démonstration prend des tours assez curieux, pour ne pas écrire « tirés par les cheveux ». Même si on ne peut remettre en doute les bonnes intentions des auteurs, le rebondissement final fait fi de toute morale. Le film profite malgré tout d’une distribution solide, dont un Henry Hull parfait en journaliste aux dents longues. On retrouve également l’ingénue Sidney Fox, qui fut l’une des treize WAMPAS (Western Associated Motion Pictures Advertisers) Baby Stars de 1931, aux côtés de Joan Blondell et Frances Dee. La jeune comédienne décédera en 1942, à l’âge de trente-quatre ans, après avoir absorbé une dose excessive de barbituriques. Preuve qu’avant ou après la censure, Hollywood n’a jamais été tendre avec les actrices.
1 h 16 Et avec Lynne Overman, Granville Bates, Moffat Johnston, Richard Whorf, Margaret Wycherly…

Le film est suivi de trois courts-métrages de 1934, la comédie Everything’s Ducky, de Ben Holmes, et deux cartoons : Sinister Stuff de Steve Muffati et Grandfather’s Clock de Burt Gillett et James Tyer.