(TRÈS) CHER CINÉMA FRANÇAIS d’Eric Neuhoff

Couronné cette semaine par le Prix Renaudot dans la catégorie « Essais », le pamphlet de l’écrivain et critique Éric Neuhoff (Le Figaro, Le Masque et La Plume…) descend en flammes le cinéma français d’aujourd’hui, une manière de mieux encenser celui d’avant. Ce pavé dans la mare boursouflé de nostalgie enfonce pas mal de portes ouvertes, mais avec une drôlerie réjouissante. Soixante-cinq ans après Une certaine tendance du cinéma français, l’article mythique de François Truffaut paru dans les Cahiers du Cinéma, ce texte qui ne fait pas dans la nuance remet quelques pendules à l’heure. 

 

Photo : Fayard©Ulf Andersen

« Un pays où Isabelle Huppert est considérée comme la plus grande actrice est un pays qui va mal. » (Eric Neuhoff) 

 

(TRÈS) CHER CINÉMA FRANÇAIS

Paru le 4 septembre 2019 chez Albin Michel

Qui aime bien châtie bien. Une chose est certaine, Éric Neuhoff est un authentique amoureux du cinéma. Et même si ses coups de gueule de critique ne sont pas toujours pertinents (son avis sur Joker, « vide et répétitif… on peut le voir les yeux fermés… » était totalement à côté de la plaque), l’homme à le mérite d’assumer ses points de vue, souvent avec humour, et de ne pas faire dans le consensuel. Disons-le tout net : Il a en grande partie raison. Tout cinéphile qui a grandi dans les années 70 ne peut que partager son désarroi : le cinéma français n’est plus ce qu’il était. Mais en vérité, la société et les gens non plus. Et le 7ème art en est le triste reflet. L’industrie a changé. Aujourd’hui, les acteurs et les réalisateurs sont formatés par des écoles (La Fémis, le Cours Florent…) dans lesquelles on enseigne peut-être quelque chose, mais certainement pas à faire du cinéma (apprend-on d’ailleurs à faire du cinéma dans une école ? ). On a récemment évoqué le sujet avec Jean-Paul Civeyrac, auteur du magnifique Mes provinciales, qui fut directeur du département réalisation de la Fémis : il est clair que les étudiants qui ont eu le bonheur d’y être admis se distinguent très rarement par la suite (hormis François Ozon). Nos futurs cinéastes « se cherchent », parfois durant des années, des décennies. Puis découvrant qu’ils ne seront jamais Orson Welles, finissent souvent par régresser et travailler pour la télévision.« C’est l’ennui, le terrible ennui avec les réalisateurs d’aujourd’hui. Ils n’ont jamais l’air de blaguer. Au mieux, ce sont des profs. Au pire, de bons élèves. Ils font cinéma comme on fait médecine » écrit Éric Neuhoff qui trouve aussi que « François Ozon aurait pu sortir d’HEC. » Les films d’Olivier Assayas, Christophe Honoré, Claire Denis, Céline Sciamma, Chantal Ackerman lui donnent des boutons. Seul Arnaud Desplechin trouve grâce à ses yeux : « Cet homme a été inventé par le cinéma. Le nitrate d’argent coule dans ses veines. Cela ne l’empêche pas d’être le plus littéraire de nos réalisateurs. »

Les acteurs et actrices en prennent aussi pour leur grade. Surtout Isabelle Huppert, tête de Turc d’Éric Neuhoff, « sexy comme une biscotte. Et il ajoute : comme une petite dame pincée qui trottine d’une démarche furibarde parce qu’on ne lui a pas laissé assez de pourboire. » C’est méchant, mais pas tout à fait faux (il suffit de la voir dans Frankie). Isabelle Huppert est devenue une caricature d’elle-même et elle règne pourtant sur le cinéma français (« Elle s’est embaumée de son vivant. ») C’est ainsi, les acteurs et actrices françaises ne font pas rêver. Ce n’est pas le but. Ils ressemblent à nos voisins, aux caissières du supermarché d’à côté. (« Il n’y a plus de seconds rôles. Ils occupent le haut de l’affiche. ») Le cinéma français aime le réalisme, le social. Tout ce qui est glamour est suspect. Pour les comédies romantiques, c’est un problème. Qui s’imagine dans les bras de Karin Viard ? Daniel Auteuil ? Dany Boon ? (Ah, le couple improbable Dany Boon-Sophie Marceau dans le nullissime De l’autre côté du lit…) ou de Vincent Lacoste, mis à toutes les sauces ces temps-ci ?

Autre problème abordé par Neuhoff : pourquoi diable les acteurs français n’articulent-ils pas ? Nicolas Duvauchelle aurait probablement du talent s’il n’était pas la plupart du temps inaudible (sous-titres exigés). L’auteur revient également sur le pensum de la cérémonie des César (qu’il regarde quand même), sur la « dure » vie des critiques de cinéma, qui se farcissent des navets à longueur de temps et, du coup, en font des tonnes lorsqu’ils décèlent, quelque part ou par accident, une once de talent (Les Inrockuptibles ont même été jusqu’à comparer Zahia à Bardot !).  « La critique est suiveuse. Ses bêlements accompagnent la sortie d’œuvres banales, prévisibles. S’enthousiasmer pour des fadaises ne l’a jamais effrayée. Quelle chance elle a ! Elle découvre un chef-d’œuvre par semaine. »

 

Hélas, Claude Sautet, Jean-Pierre Melville, François Truffaut, Louis Malle ou Eric Rohmer ne sont plus et la relève se fait attendre (oui, il reste Jean-Luc Godard, mais ce qu’il en reste est insupportable). On ne fantasme plus sur des actrices belles à se damner (comme tous les gens de goût, Neuhoff a un faible pour Joanna Shimkus dans Les aventuriers…). Et Il est vrai qu’à de rares exceptions près, le cinéma français manque généralement d’audace, d’imagination, d’inventivité et de talent. Qui osera dire que Jusqu’à la garde, de Xavier Legrand, César du Meilleur film en 2019, n’a pas des allures de téléfilm (en dépit d’indéniables qualités). Quant au Grand bain de Gilles Lellouche, au mieux, c’est un film à sketches. Les petits mouchoirs de Guillaume Canet n’enthousiasme que les spectateurs qui n’ont jamais été embarqués par le tourbillon d’un film de Sautet. Les acteurs veulent être cinéastes. Mettre la main à la caméra pour (faire) oublier qu’ils jouent comme des pieds. Et iIs cumulent les fonctions de scénariste et dialoguiste (de ce côté aussi, le marasme est flagrant ). Les « fils et filles de » pullulent. Et puis comme l’écrit Neuhoff : « Cette génération a une fâcheuse tendance à insister sur le côté emmerdant. »

Et pourtant, dans l’océan de films français qui se déverse chaque année dans les salles, on découvre de temps à autre de merveilleuses vagues. Des œuvres qui n’ont rien à envier au cinéma d’ailleurs. Car si en France, on ne sait visiblement pas (plus) filmer l’action (les films de genre sont sous-représentés), il y a des domaines dans lesquels on excelle : le drame psychologique, la comédie de mœurs, voire parfois la comédie tout court. Il faudrait envoyer les films de Pierre Salvadori dans l’espace et les extraterrestres découvriraient le meilleur de l’esprit d’ici. Alors pour contredire (un peu) Eric Neuhoff, voici dix longs-métrages datant des cinq dernières années que j’ai adorés. Pour des raisons diverses, ils laissent à penser que le cinéma français n’est ni mort ni enterré. Ou comme il l’écrit en ouverture du son livre : pas « HS. Kaputt. Finito. »

 

Les combattants de Thomas Cailley — 2014

 

Elle l’adore de Jeanne Herry — 2014

 

Dans la cour de Pierre Salvadori — 2014

 

Comme un avion de Bruno Podalydès — 2015

 

Marguerite de Xavier Giannoli — 2015

 

Ma Loute de Bruno Dumont — 2016

 

Un petit boulot de Pascal Chaumeil — 2016

 

Mektoub, My Love : Canto Uno d’Abdellatif Kechiche — 2017

 

Mes provinciales de Jean-Paul Civeyrac — 2018

 

Guy de Alex Lutz — 2018

 

 

LA PRINCESSE DE MONTPENSIER

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Bertrand Tavernier
2010

En 1567, dans une France divisée par les conflits entre Catholiques et Protestants, la jeune et fortunée Marie de Mézières (Mélanie Thierry) est contrainte d’épouser le jeune et austère Philippe de Montpensier (Grégoire Leprince-Ringuet), alors qu’elle aime son cousin, Henri de Guise (Gaspard Ulliel), qui l’aime en retour. La princesse tente de faire contre mauvaise fortune bon cœur et de rester vertueuse, mais sa beauté attise les passions. D’Henri de Guise, au puissant Duc D’Anjou (Raphaël Personnaz), en passant par le Comte de Chavannes (Lambert Wilson), son précepteur, tous la tourmentent sans relâche, au grand désespoir de son mari, fou amoureux d’elle, mais incapable d’exprimer ses sentiments…

Séduit par l’adaptation de la nouvelle de Madame de Lafayette (parue en 1662, seize ans avant le fameux roman La Princesse de Clèves) écrite par François-Olivier Rousseau, Bertrand Tavernier s’est attelé avec enthousiasme à la reconstitution de ce XVIe siècle pétri de violence, de préciosité et de passions. Manquant un peu de souffle épique, mais ne versant jamais dans l’académisme, sa Princesse de Montpensier est un bal de destins contrariés. Les jeunes gens bien nés, en proie à des maelströms d’émotions, passent des champs de bataille aux salons avec la même fougue. Interprété par la jeune garde du cinéma français, le film, très documenté, dépeint méticuleusement les mœurs de l’époque, mais reste moderne et lumineux, grâce au jeu enlevé des acteurs. Si Mélanie Thierry, un peu anachronique, n’est pas toujours convaincante, ses partenaires masculins sont épatants, en particulier Raphaël Personnaz, une révélation ! A l’instar de Grégoire Leprince-Ringuet (chargé du rôle le plus ingrat), le jeune comédien a été salué par une nomination au César 2011 du Meilleur espoir masculin pour sa performance (très glam rock). Le film a remporté le César des Meilleurs costumes (signés Caroline de Vivaise).
2h 19 Et avec Michel Vuillermoz, Florence Thomassin, Judith Chemla, Philippe Magnan.

Chronique rédigée pour Fnac.com en 2011

STELLA de Sylvie Verheyde


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STELLA

Sylvie Verheyde
2008
Paru en salles le 12 novembre 2008

En 1977, Stella (Léora Barbara), qui vit dans un modeste café d’ouvriers aux portes de Paris, fait son entrée en sixième dans un grand collège parisien. Pour la petite fille solitaire qui a l’habitude d’être livrée à elle-même dans un monde d’adultes, ce changement d’univers n’est pas des plus aisés. De rencontres en découvertes jusqu’à la première boum, cette rentrée va changer sa vie à jamais…

Remarquée en 1997 dès son premier long-métrage, Un frère, Sylvie Verheyde signe avec Stella, son troisième, un véritable petit bijou, intelligemment mis en scène et magnifiquement photographié. Inspirée de l’enfance de la cinéaste, cette chronique adolescente bouleverse littéralement, sans mièvrerie aucune, à l’image de son héroïne butée, à la fois dure et attachante. Si, dans le rôle-titre, la jeune Léora Barbara impressionne, la distribution dans son ensemble excelle. Elle réunit  Karole Rocher et Jeannick Gravelines (deux fidèles à la réalisatrice), Benjamin Biolay (sa prestation lui a valu une nomination pour le César 2009 du Meilleur second rôle masculin), Guillaume Depardieu, Christophe Bourseiller, Johan Libéreau, Thierry Neuvic, Valérie Stroh… Ni clinquante, ni pompeuse, la reconstitution des seventies françaises a des accents de vérité confondants, que soulignent les tubes de variété égrenées par le juke-box du café familial. Difficile de ne pas succomber au charme de ce film naturaliste et mélancolique, qui s’achève en beauté sur une chanson interprétée par Sylvie Verheyde. A voir absolument !
1h 13 Et avec Melissa Rodrigues, Miguel Benasayag, Anne Benoît, William Wayolle…

Rédigé pour Fnac.com en mai 2009