C’est Mark Ruffalo, l’interprète de Hulk dans la récente saga Marvel, qui est à l’origine de ce thriller judiciaire environnementaliste inspiré de faits réels, dans la lignée des films engagés d’Alan J. Pakula ou Sidney Lumet. En acteur et producteur futé, il a confié la mise en scène au talentueux réalisateur de Safe, Velvet Goldmine, Loin du Paradis ou Carol, qui a rendu cette aventure humaine passionnante et incroyablement cinématographique.
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« Le système est corrompu. On nous fait croire qu’il nous protège, mais c’est faux. Nous nous protégeons nous-mêmes, nous et personne d’autre. Ni les compagnies, ni les scientifiques, ni le gouvernement. Nous. »
Dark Waters
Todd Haynes
2019
Dans les salles françaises depuis le 26 février 2020
Le jeune et modeste avocat Robert Bilott (Mark Ruffalo) vient d’être promu dans un prestigieux cabinet d’affaires de Cincinnati (Ohio) spécialisé dans la défense de l’industrie chimique. Un matin de 1998, il est sollicité par un fermier de la petite ville de Parkersburg, en Virginie-Occidentale, celle de sa grand-mère et dont il est originaire. L’éleveur, photos édifiantes à l’appui, accuse l’usine du puissant groupe DuPont, premier employeur local, d’empoisonner l’eau et la terre, et d’être responsable de la mort de quasiment tout son cheptel. Non sans réticence, et surtout par égard pour sa grand-mère, Rob accepte de se rendre sur place. Il va découvrir que la contamination ne touche pas seulement les animaux…
Ça commence comme un film d’horreur des années 70, par un bain de minuit de jeunes gens dans une rivière à l’apparence inoffensive. Mais ici ni requin ni piranhas, juste une substance chimique toxique invisible. Nous sommes en 1975. Dès son ouverture Dark Waters en appelle aux codes et à l’esthétique de cette période du cinéma engagé, symbolisés par Klute, Les Hommes du Président ou Les trois jours du condor. Le gris sera la couleur dominante, celle des tours d’acier de Cincinnati, du ciel plombé de Parkersburg, où le scandale sanitaire a éclaté, jusqu’à la mine de Rob Billot, incarné par un Mark Ruffalo sombre, sourcilleux et inquiet. Basé sur l’article de Nathaniel Rich « The Lawyer Who became DuPont’s Worst Nightmare » (L’avocat devenu le pire cauchemar de DuPont) publié en 2016 dans le New York Times Magazine, le film reconstitue les événements avec une authenticité et une méticulosité stupéfiantes. La mise en scène de Todd Haynes, volontairement anti-spectaculaire, est presque procédurière. Elle permet de suivre avec passion les pérégrinations de cet avocat intègre, d’abord acharné à comprendre un sujet qu’il ne maîtrise pas (les substances ont des dénominations nébuleuses — PFOA, PFOS…), puis bien décidé, alors que la partie adverse lui met constamment des bâtons dans les roues, à faire éclater la vérité. Rien ne peut détourner Rob de sa mission : ni les avertissements de ses collègues cyniques, ni la lenteur des procédures, ni son épouse (excellente Anne Hathaway) que cette quête de justice qui tourne à l’obsession inquiète. La caméra de Todd Haynes saisit admirablement les états d’âme de cet homme que rien ne destinait à devenir le chevalier des laissés pour compte. Elle navigue entre les gratte-ciels de Cincinnati et les zones rurales de Virginie-Occidentale où la misère sociale saute au visage. Les formidables Tim Robbins, Bill Pullman, Bill Camp, Victor Garber ou Mare Winningham contribuent à la réussite de ce thriller d’investigation aussi haletant que militant. Tout aussi désireux de rendre hommage à une communauté gravement exposée durant plusieurs décennies que de mettre en garde contre les pratiques criminelles de l’industrie chimique dans le monde – toujours soutenue aujourd’hui par les institutions publiques – Mark Ruffalo a travaillé main dans la main avec le vrai Robert Bilott. Ici, pas de happy end à la Erin Brockovich, le constat est glaçant : « Nous sommes tous contaminés. » Ironie, même si c’est tout sauf drôle, de l’histoire : la Virginie Occidentale soutient massivement Donald Trump, dénué de conscience écologique, qui se félicite d’avoir fait abroger bon nombre de régulations de santé publique mises en place sous Barack Obama.
2 h 06 Et avec Louisa Krause, William Jackson Harper, Bruce Cromer…