FEMMES DES ANNÉES 2020 : La passagère/La dérive des continents (au Sud)/Un beau matin

Qu’elles soient marin-pêcheur sous l’emprise de la passion, coordinatrice pour l’Union européenne ou traductrice confrontée à la perte de mémoire d’un père intello, Cécile de France, Isabelle Carré et Léa Seydoux campent des femmes belles et fortes dans ces trois films solaires de 2022, à (re)découvrir en DVD.

 

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« C’est fou ce que tu es sûre de toi. Il n’y a jamais de demi-mesure. Tu fais toujours ce que tu veux. T’as toujours fait comme ça. »

 

LA PASSAGÈRE

Héloïse Pelloquet
2022
Paru en salles le 28 décembre 2022
Disponible en DVD chez Blaq Out le 16 mai 2023

Depuis que, dix-neuf plus tôt, elle a rencontré son mari Antoine (Grégoire Monsaingeon), marin-pêcheur natif d’une île de la côte atlantique, Chiara (Cécile de France) partage le métier de son époux et a été adoptée par les îliens. Le travail, particulièrement physique – en mer par tous les temps –, oblige le couple, très uni, à embaucher un apprenti. L’arrivée du séduisant jeune homme (Félix Lefebvre), issu d’un milieu bourgeois, va briser cette belle harmonie…

Remarquée pour ses courts-métrages, la jeune Héloïse Pelloquet signe avec ce premier long un film audacieux aux allures de mélodrame classique. Cette histoire d’adultère entre une quadragénaire énergique et un jeune homme sensible ne verse dans aucun cliché. Ancré dans un contexte social superbement dépeint (la réalisatrice a grandi sur l’île de Noirmoutier), La passagère a un formidable cachet naturaliste. Actrice aussi courageuse que son personnage, Cécile de France exprime une palette d’émotions : trouble, désir, passion, culpabilité… Ses petits regards parfois honteux, ses éclats de rire ou de colère, ont, comme toujours avec la comédienne, de confondants accents de vérité. Le jeune Félix Lefebvre, révélé par Été 85, de François Ozon, se défend avec élégance dans les scènes de sexe parfois osées, d’autant que la cinéaste filme le désir et les corps avec une sincérité qui conjure toute présomption de voyeurisme. Ce portrait d’une femme libre, épanouie, qui choisit d’assumer ses choix envers et contre tout, a quelque chose de radieux, et le film, chargé d’atmosphère, surprend jusqu’à sa dernière image. À noter que Héloïse Pelloquet est également monteuse, elle a récemment signé le montage du très beau Petite Solange, d’Axelle Ropert.
1 h 33 Et avec Jean-Pierre Couton, Imane Laurence, Ghislaine Girard, Caroline Ferrus, Gauvain Pontoizeau, Françoise Gillard…

 

Le DVD de belle facture propose de découvrir l’étonnant Côté cœur, court-métrage de 30 minutes d’Héloïse Pelloquet. Cette histoire d’adolescente frustrée (incarnée par Imane Laurence, l’interprète d’Océane dans La Passagère) se déroule également sur l’île de Noirmoutier.

 

 

 

 

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« Non, là, c’est une zone interdite, c’est dangereux. Il n’y a plus d’eau, plus d’électricité…
– Ben voilà ! C’est cette partie du camp que le président Macron doit visiter ! Vous allez me déplacer tout ce petit monde ici. Les migrants dormiront sous tente, comme à la Porte de la Chapelle. Les spectateurs comprendront mieux l’image je pense… »

 

LA DÉRIVE DES CONTINENTS (AU SUD)

Lionel Baier
2022
Paru en salles le 24 août 2022
Disponible en DVD chez Blaq Out depuis le 17 janvier 2023

Nathalie Adler (Isabelle Carré) est chargée de mission pour l’Union Européenne dans une Sicile en proie à l’afflux de migrants. À Catane, elle doit organiser la prochaine venue dans un camp de réfugiés des présidents Macron et Merkel. Ils souhaitent montrer aux médias l’efficacité de l’engagement européen en matière d’accueil. Mais alors qu’elle se débat avec les desideratas absurdes de l’attaché du cabinet présidentiel venu préparer le terrain, elle découvre que son fils (Théodore Pellerin), qui a coupé les ponts avec elle depuis des années, est un des militants de l’ONG implantée dans le camp…

Injustement passé inaperçu lors de sa sortie, ce film caustique joue sur le mélange des genres (et des langues) et mêle à la satire politique l’histoire d’une relation manquée entre une mère et son fils. Le réalisateur suisse, qui alterne depuis ses débuts en 2000 la fiction et le documentaire, est un fervent Européen. Il s’amuse cependant à montrer les failles de ces institutions aux initiatives louables. Ainsi, La dérive des continents (au Sud) est le troisième volet d’une tétralogie qui compte déjà Comme des voleurs (à l’Est) et Les grandes ondes (à l’Ouest). À l’instar de celle de Nathalie Adler, l’Europe est une grande famille dysfonctionnelle. L’aspect le plus réussi du film est sa partie politique, lorsqu’il prend un air de comédie italienne. L’hypocrisie de l’attaché du cabinet présidentiel français épris de sensationnalisme médiatique génère des scènes désopilantes. Entre toutes ces instances de nationalité différentes, en présence, la communication est un vrai problème. On aime aussi le côté absurde, imprévisible et burlesque des situations : une météorite atterrit sur la voiture de l’héroïne, l’obligeant à marcher dans la campagne pendant des heures et à rencontrer la population rurale. Ballottée entre son job et le désir de reconstruire la relation avec son fils, qu’elle a abandonné il y a plusieurs années pour privilégier sa liberté, Nathalie Adler est campée par une Isabelle Carré solide, rayonnante et touchante. Ce film au ton très personnel est une piquante réflexion sur notre époque.
1 h 29 Et avec Ursina Lardi, Tom Villa, Adama Diop, Daphne Scoccia…

 

 

 

Le film est enrichi d’un entretien très pertinent avec le réalisateur (26 minutes).

 

 

 

 

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« Moi, tu me vois ?
– Oui, bien sûr, je te vois.
– Et est-ce que tu peux me dire si j’ai les cheveux courts ou longs ?
– Ils pourraient être longs… »

 

Un beau matin

Mia Hansen-Løve
2022
Paru en salles le 5 octobre 2022
Disponible en DVD chez Blaq Out depuis mars 2023

Depuis la mort de son époux, Sandra (Léa Seydoux) élève seule sa fille de huit ans et partage son temps entre son travail de traductrice et les visites à son père (Pascal Greggory), professeur de philosophie réputé atteint de dégénérescence du cerveau. L’état de ce dernier empirant, le placement en Ehpad médicalisé devient urgent. Sandra et sa famille se lancent alors dans un véritable parcours du combattant. Un jour, dans un parc, elle croise Clément (Melvil Poupaud), un ami perdu de vue…

Sur un sujet grave, Mia Hansen-Løve (Tout est pardonné, Eden, L’avenir, Un amour de jeunesse…) a réalisé un film aussi éclatant que son titre. Tandis que l’esprit de son père s’efface, voici que pointe, pour Sandra, la promesse d’un amour. Deux émotions contradictoires traversent l’héroïne et deux récits se croisent de façon subtile. La vie et la mort s’enchevêtrent. La cinéaste a le mérite d’aborder des thèmes essentiels, à la fois banals et préoccupants : la maladie des parents et l’accueil dans les établissements qui leur sont dédiés. Les situations les plus épineuses sont filmées avec simplicité et délicatesse, et l’humour s’invite parfois, notamment avec le personnage campé par Nicole Garcia, interprète de la mère de Sandra, dont le franc-parler fait merveille. Toutes les scènes redoutées finissent par faire sourire : Que faire des tonnes de livres de la bibliothèque ? Comment choisir un établissement décent et digne d’un père qu’on adore ? Présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, ce film mélancolique aux accents rohmériens s’inspire de la propre expérience de la cinéaste, qui a elle-même été affectée par la maladie dégénérative de son père. Les plans sur le visage en détresse ou rêveur de Léa Seydoux traversant la ville, à pied, en bus, en métro sont éblouissants. Un beau film, qui bouleverse et console en même temps.
1 h 52 Et avec Sarah Le Picard, Catherine Vinatier, Fejria Deliba, Pierre Meunier, Camille Leban Martins…

 

Le DVD propose La leçon de cinéma Mia Hansen-Løve, animée en septembre 2022 à la Cinémathèque par Frédéric Bonnaud et Bernard Benoliel à la suite de la projection d’Un amour de jeunesse, au programme d’une rétrospective sur l’œuvre de la réalisatrice. L’essentiel de la Master Class porte sur ce film, mais la cinéaste évoque les liens avec le reste de sa filmographie, dont Un beau matin. (1 h 22)