REDÉCOUVRIR TRUFFAUT : Le dernier métro/La peau douce en Blu-ray

François Truffaut photographié par Pierre Zucca 

De tous les cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est François Truffaut que je préfère. De toute cette bande de jeunes loups, il est avec Chabrol celui dont le cinéma s’est révélé le plus romanesque, le plus accessible aussi. Mais il est surtout celui pour lequel j’éprouve, depuis toujours, une vraie tendresse. Probablement parce que cet homme qui ne vivait que pour le cinéma aimait, non seulement les femmes, mais les gens. L’enfant terrible de la critique, autrefois provocateur et arrogant, s’est métamorphosé en réalisateur attentif aux autres, bienveillant et généreux. Alors que douze de ses œuvres majeures sont disponibles sur Netflix, deux films sont récemment parus en Blu-ray chez Carlotta, en versions magnifiquement restaurées et truffées d’excellents suppléments.

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« Alors voilà, il y a deux femmes en vous…
– Oui, mais malheureusement, aucune des deux n’a envie de coucher avec vous. »

 

LE DERNIER MÉTRO

François Truffaut
1980
Disponible en Blu-ray, DVD et Coffret Collector chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

1942. Paris est occupé. Lucas Steiner (Heinz Bennent), le directeur juif du Théâtre Montmartre, a officiellement fui la France, confiant à son épouse Marion (Catherine Deneuve) les rênes de l’endroit qu’elle dirige avec ses collaborateurs les plus fidèles. Ainsi, l’acteur et réalisateur Jean-Loup Cottins (Jean Poiret) est charger de mettre en scène la nouvelle pièce, La disparue, en s’appuyant sur les consignes laissées par Lucas Steiner. Marion en partage la vedette avec une nouvelle recrue, le jeune et entreprenant comédien Bernard Granger (Gérard Depardieu)…

Malgré ses dix César obtenus en 1981, le plus grand succès au box-office de François Truffaut (avec les Quatre cents coups) a parfois décontenancé la critique, jugeant (comme le réalisateur lui-même d’ailleurs) que la retenue du cinéaste avait un peu nui à l’émotion. Pourtant, comme Les quatre cents coups – encore –, Le dernier métro est un des films les plus personnels du réalisateur « né de père inconnu », qui avait dix ans en 1942 et a découvert, bien plus tard, que son père biologique était juif. Il lui tenait à cœur d’évoquer cette période particulière à travers le prisme du théâtre et d’en montrer la confusion, les compromis, les petits arrangements plus ou moins douteux, l’héroïsme et la lâcheté ordinaire, et le sentiment d’insécurité permanent. Ainsi, la réussite du Dernier métroprovient moins des aléas de l’histoire d’amour que des détails de cette reconstitution documentée et de l’authenticité des personnages secondaires, les petites mains : l’ingénue pleine d’ambition campée par Sabine Haudepin, la fidèle habilleuse jouée par Paulette Dubost, le régisseur débrouillard (Maurice Risch) ou la décoratrice aux mœurs libres (Andréa Ferréol). Si le cinéaste avait puisé dans ses souvenirs personnels et de son entourage, il s’était aussi beaucoup inspiré des anecdotes racontées par les artistes de l’époque, Jean Marais et Sacha Guitry en tête. Ainsi, le critique collabo et antisémite incarné par Jean-Louis Richard, complice d’écriture de longue date de Truffaut, est une émanation d’un véritable journaliste auquel Jean Marais a un jour cassé la figure, comme le fait le personnage de Gérard Depardieu dans le film. La précision de l’écriture et des dialogues se retrouve dans la mise en scène épurée. La photo du génial Nestor Almendros sublime la mise en abyme et les trompe-l’œil qui entremêlent savamment la vie et le théâtre, le réel et l’illusion. Muse du cinéaste depuis La sirène du Mississippi, Catherine Deneuve excelle dans la peau de ce personnage écrit tout spécialement pour elle, tenu au double-jeu, froid seulement en apparence, car aussi passionné que celui que campe le jeune, fougueux et formidable Depardieu. D’ailleurs, en clin d’œil à La sirène du Mississippiqui avait subi un échec cuisant en 1969, François Truffaut a replacé quelques-uns de ses dialogues dont celui-ci, devenu culte :

« Tu es belle. Si belle que te regarder est une souffrance.
– Hier, vous disiez que c’était une joie.
– C’est une joie et une souffrance. »

2 h 11. Et avec Aude Loring, Alain Tasma, Jean-Pierre Klein, René Dupré, Martine Simonet, Richard Borhringer…

 

TEST COFFRET ULTRA COLLECTOR N°19

Le coffret, dont le visuel exclusif est signé Jonathan Burton, inclut le Blu-ray, le DVD et un livre de deux cents pages dirigé par Jérôme Wybon, composé de nombreux documents d’archives et de textes contemporains autour du film.

Interactivité ****
Le programme mêle les suppléments provenant d’anciennes éditions à des documents inédits. On retrouve la présentation et le commentaire audio de Serge Toubiana accompagné de l’historien Jean-Pierre Azéma, auxquels se joint parfois Gérard Depardieu. Ce dernier se souvient de la première rencontre avec Truffaut, qu’il considérait jusqu’alors comme un « bourgeois ». Même si la qualité de l’image n’est pas idéale, on savoure la présence du numéro de l’émission de TF1 Les Nouveaux rendez-vous, datant de septembre 1980. Ève Ruggieri recevait sur son plateau François Truffaut, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu (11 mn). Le cinéaste répond ensuite au regretté Claude-Jean Philippe, dans un document audio diffusé en 1980 sur France Culture (46 mn). On ne négligera pas non plus le numéro de L’invité du jeudi, émission présentée en décembre 1980 par Anne Sinclair consacrée à François Truffaut, qui livre beaucoup de ses secrets. Plus récent, le documentaire de Robert Fisher réalisé en 2009 réunit des acteurs et membres de l’équipe du film, qui se remémorent le tournage (Paulette Dubost y est truculente). On peut découvrir également une scène coupée, et Petite Graine, court métrage de Tessa Racine, assistante de Nestor Almendros sur Le dernier métro, un hommage très personnel au réalisateur.

Image ****
Format : 1.66
Restaurée en 2014 par MK2 et la Cinémathèque française, le négatif original a été numérisé en 4K et restauré en 2K image par image sous la supervision du directeur photo Guillaume Schiffman, fils de Suzanne Schiffman, la collaboratrice de François Truffaut. Autant dire que le résultat est magnifique et très fidèle à l’image d’origine.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Une seule piste, propre et très harmonieuse, tout à fait convenable pour ce film intimiste.

 

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« Tu sais ce que disait Sacha Guitry ?
– Non.
– “Elle bâillait devant moi. Je lui ai dit : ‘Bâille, bâille’…” »

 

LA PEAU DOUCE

François Truffaut
1964
Disponible en édition Prestige et Blu-ray simple chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

Pierre Lachenay (Jean Desailly) est écrivain. Ce quadragénaire mène une existence bien réglée dans le XVIe arrondissement de Paris avec son épouse Franca et leur fille Sabine. Un jour, il se rend à Lisbonne pour donner une conférence sur Balzac. Dans l’hôtel où il est descendu se trouve également Nicole, la jeune et jolie hôtesse de l’air (Françoise Dorléac) qu’il avait remarquée durant le vol….

« La Peau douce, c’est la vieille France contre la Nouvelle Vague » a dit fort justement le critique Nicolas Saada : un bourgeois conformiste typique de la France gaullienne campé par Jean Desailly (parfait dans ce rôle ingrat) contre la jeunesse, la spontanéité et la beauté insolente de Françoise Dorléac. D’après un scénario original écrit par Truffaut et son ami Jean-Louis Richard, le film a été réalisé dans l’urgence, après le merveilleux Jules et Jim et alors que le projet de Fahrenheit 451 peinait à prendre forme. S’il n’a pas rencontré son public à l’époque, c’est que les spectateurs ont eu quelques difficultés à adhérer au personnage de Pierre Lachenay (le nom est emprunté à l’ami d’enfance de Truffaut, Robert Lachenay), maladroit, pathétique souvent, et in fine peu sympathique. François Truffaut en avait pleinement conscience, mais c’était le prix à payer pour ne pas tomber dans une certaine complaisance qui lui faisait horreur. Il y a en effet de la cruauté dans cette peinture de l’adultère, qui apparaît à la fois comme un film noir et un film à suspense. Ce n’est pas un hasard. La peau douce se ressent de l’influence d’Alfred Hitchcock, l’un des maîtres de Truffaut. La mise en scène est précise (découpage au cordeau, éclairages malins, échanges de regards, plans resserrés…), le rythme soutenu et la tension dramatique constante. Le tout est admirablement servi par la musique de Georges Delerue et la photo en noir et blanc de Raoul Coutard. Enfin, on souligne la présence de Françoise Dorléac dans un de ses plus beaux rôles, filmée avec un fétichisme évident par François Truffaut, qui l’adorait. La divine comédienne disparaîtra tragiquement trois ans plus tard, à l’âge de vingt-cinq ans. Les cinéphiles ne s’en sont jamais vraiment remis.
1 h 53. Et avec Nelly Benedetti, Sabine Haudepin, Daniel Ceccaldi, Laurence Badie, Maurice Garrel, Jean-Louis Richard…

 

TEST EDITION BLU-RAY

 

Interactivité ***
L’édition reprend peu ou prou le programme du DVD paru en 2000 chez MK2, c’est-à-dire le commentaire audio du coscénariste Jean-Louis Richard, animé par Serge Toubiana, et la présentation du film par ce dernier. Figurent également au menu : un petit reportage sur Françoise Dorléac et Nelly Benedetti à Cannes en 1964, une analyse de quelques scènes par François Truffaut dans le cadre de l’émission Cinéastes de notre temps (10 mn), une interview croisée du réalisateur et son actrice pour la télévision flamande (4 mn). On aime beaucoup l’analyse pertinente du film par Nicolas Saada, document inédit intitulé fort justement L’ancien et la moderne (10 mn).
 

Image ****
Format : 1.66
Un transfert d’excellente facture. L’image, lumineuse et propre, conserve un grain très cinématographique. Très bonne qualité du piqué et des contrastes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Un rendu très propre et équilibré.


 Le film est également disponible en DVD simple et Édition Prestige Limitée, combo Blu-ray/DVD incluant de la memorabilia (fac-similé du premier traitement du scénario, du dossier de presse original du film, du dossier sur le film extrait de la revue La cinématographie française, un jeu de cinq photos du film et l’affiche).

 

 

 

 

À signaler également aux amoureux de François Truffaut, cette très jolie bande dessinée parue chez Glénat en 2020, signée Marek et du spécialiste de cinéma Noël Simsolo, qui retrace la vie tumultueuse du réalisateur sentimental et passionné.

 

 

LIENS CONNEXE : CRITIQUE LA SIRÈNE DU MISSISSIPPI

QUAND J’ÉTAIS CHANTEUR

Neuf ans avant Marguerite, Xavier Giannoli mettait en scène l’histoire d’un chanteur de bal, un autre de ces personnages « en décalage » qu’il affectionne particulièrement. Inspiré par la chanson homonyme de Michel Delpech, ce film terriblement attachant était porté par deux acteurs sensationnels : Gérard Depardieu et Cécile de France. Magique !

Chanteur

« Les mecs qui deviennent ringards, c’est parce qu’ils durent. » 

 

Quand j’étais chanteur

AE - The Singer - 02

Xavier Giannoli
2006 (DVD EuropaCorp/FPE)

Dans la région de Clermont-Ferrand, Alain Moreau (Gérard Depardieu), chanteur de bal quinquagénaire un peu fatigué, tombe amoureux de Marion (Cécile De France), jeune agent immobilier fragile et séduisante. Cette rencontre va remettre sa vie en perspective…

Michel Delpech n’aura laissé que deux empreintes sur le grand écran au cours de sa carrière — dans Les bien-aimés de Christophe Honoré en 2011 (une jolie prestation) et L’air de rien de Gregory Magne et Stéphane Viard en 2012. Mais « Quand j’étais chanteur », le plus emblématique de ses tubes, n’aurait pu rêver plus bel hommage que celui que lui a rendu Xavier Giannoli dans son troisième long-métrage (après Les corps impatients et Une aventure). Le jeune cinéaste y dresse un portrait humaniste et poétique du chanteur de bal, souvent considéré comme l’archétype de la ringardise, et porte un regard tendre et sans dérision sur ce personnage décalé, qui refuse de se plier aux diktats d’une société devenue cynique. Alain Moreau, tout en gentillesse, pudeur et sobriété, contraste avec la jeune Marion, à la fois dure et vulnérable. Ces deux êtres que tout oppose et n’ont en commun que les fêlures et la même solitude, forment un couple dont l’osmose ne tient qu’à un fil. Impossible de ne pas tomber amoureux de Cécile De France, impressionnante et d’une justesse inouïe (à l’instar de Mathieu Amalric, qui n’a jamais été aussi séduisant). Les chansons populaires (Quand j’étais chanteur, L’Anamour, Comme un garçon, Vous les femmes, Pour un flirt… ), interprétées tout au long du film par Gérard Depardieu (qui s’est inspiré du vrai chanteur de bal Alain Chanone) ajoutent à la mélancolie de cette histoire d’amour atypique, hantée par Les paradis perdus de Christophe. En 2007, ce film merveilleux n’a reçu, sur sept nominations aux César, que celui du meilleur son. Un peu honteux tout de même.
(1 h 52) Et avec Christine Citti, Patrick Pineau, Catherine Salviat, Marie Kremer…

BANDE-ANNONCE

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Cécile
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TV-ce-soir-on-fond-pour-la-voix-de-Gerard-Depardieu-dans-Quand-j-etais-chanteur