SUFFRAGETTE CITY

En ce 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, et tandis que beaucoup d’entre-elles sont encore sous le joug de l’oppression dans le monde, retour sur la première vague de militantisme féministe.

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« On vous arrêtera.
– En faisant quoi ? En nous enfermant toutes ? On est la moitié de l’humanité, vous ne nous arrêterez pas. »

 

Les suffragettes (Suffragette)

Sarah Gavron
2015

Paru dans les salles françaises le 18 novembre 2015

En 1912 à Londres, Maud (Carey Mulligan), blanchisseuse pauvre, mariée et mère d’un jeune garçon, est incitée par une collègue à rejoindre les suffragettes. Sous la houlette de l’impétueuse Emmeline Pankhurst (Meryl Streep), ces femmes de conditions diverses sont déterminées à obtenir l’égalité avec les hommes, à commencer par le droit de vote. À leurs revendications, le gouvernement oppose une répression brutale, les obligeant à se radicaliser et à entrer en clandestinité. Petit à petit, Maud va prendre conscience de l’injustice de sa condition, et devenir un soldat de la cause, au risque de tout perdre…

Le cinéma s’est très peu penché sur l’histoire des suffragettes, dont l’évocation a toujours été teintée d’ironie et de condescendance. Paru en 2015, l’année où l’Arabie saoudite a, pour la première fois, autorisé les femmes à voter, le film de la Britannique Sarah Gavron répare cet impair et rend à ces pionnières un hommage légitime. Car si le mot a une connotation charmante, le sort réservé par la police de George V à ces militantes, considérées comme des anarchistes, lui, ne l’était pas. Emprisonnées, battues, torturées, et honnies par leur entourage (le plus souvent pour des caillassages de vitrines ou autres dégâts matériels), elles finiront par durcir leurs actions en s’attaquant à des sites stratégiques. Sarah Gavron (Rendez-vous à Brick Lane, Rocks…) et sa scénariste Abi Morgan à laquelle on doit les scénarios de Shame, La dame de fer et l’excellente série The Hour (dont les deux vedettes, Romola Garai et Ben Whishaw, sont présentes ici) ont choisi de s’attacher à une héroïne fictive, dont le destin va s’entremêler avec celui des véritables figures du féminisme de l’époque, telles Emmeline Pankhurst, incarnée par Meryl Streep, et l’infortunée Emily Davison (Natalie Press). Carey Mulligan prête sa grâce et sa force de caractère à cette blanchisseuse discrète qui comprend soudainement qu’il n’y a rien d’inéluctable à sa vie misérable d’ouvrière exploitée et assujettie à la loi masculine. Cette manière d’entrelacer la petite histoire à la grande confère au film une justesse et une humanité éclatantes. Sans pour autant être académique, cette reconstitution méticuleuse de l’Angleterre troublée des années 1910 fait un cours d’histoire idéal pour les adolescents d’aujourd’hui. Ce qui fait d’ailleurs regretter cette fin un peu trop expédiée.
1 h 48 Et avec Anne-Marie Duff, Helena Bonham Carter, Brendan Gleeson, Samuel West

PENTAGON PAPERS (The Post)

Une fois encore, Steven Spielberg fait vibrer sa fibre idéaliste. En digne héritier de Capra et de Ford, le réalisateur de Lincoln en appelle ici à une des valeurs fondamentales de la démocratie, la liberté de la presse, et rend hommage au journalisme d’investigation tel qu’il n’aurait jamais dû cesser d’exister. En grand conteur qu’il est, aidé par des auteurs sensationnels, dont Josh Singer, auquel on doit déjà le scénario de Spotlight, Spielberg a reconstitué ce préquel de l’affaire du Watergate à la façon d’un thriller d’action, avec un sens du rythme et du suspense éblouissant. Une leçon d’histoire et de cinéma, portée par deux monstres sacrés : Meryl Streep et Tom Hanks.

 


« We’re talking about exposing years of government secrets…
– Is that legal ?
– What is it you think we do here for a living, kid ? »

 

Pentagon Papers (The Post)

Steven Spielberg
2017
Dans les salles françaises depuis le 24 janvier 2018
Nommé aux Oscars 2018 pour les Meilleurs film et actrice

En 1971, ayant été témoin sur le terrain des horreurs et de l’inutilité de l’engagement des forces américaines au Vietnam, l’analyste Daniel Ellsberg (Matthew Rhys) fournit au New York Times des copies de documents classifiés secret-défense. Dans ce rapport accablant commandé par le secrétaire de la Défense Bob McNamara, il était clair que dès 1966, le président Johnson savait que la guerre serait un échec. Fou de rage à la lecture des premières révélations du New York Times, Nixon obtient une injonction pour que le journal ne puisse en publier davantage. C’est alors que Ben Bradlee (Tom Hanks), fougueux rédacteur en chef du Washington Post en situation financière délicate, décide de monter à son tour au créneau et d’engager le quotidien dans la bataille. Mais il lui faut pour cela convaincre Katharine Graham (Meryl Streep), la timide directrice et propriétaire du Post, amie personnelle de McNamara. Graham est en outre ignorée par son propre conseil d’administration, composé exclusivement d’hommes peu enclins à mettre en péril la survie et la réputation du journal…

En traversant l’Atlantique, The Post, titre original du film, est devenu Pentagon Papers, en anglais pourtant, comme si la France préférait davantage mettre en avant « l’affaire » que le légendaire quotidien américain, célèbre pour avoir révélé le scandale du Watergate. « Democracy dies in darkness » (« La démocratie meurt de l’obscurité »), expression favorite de Bob Woodward, l’un des deux journalistes impliqués dans ces révélations, est d’ailleurs devenue depuis l’année dernière le slogan officiel du journal. De fait, outre l’épopée de la publication des documents secrets, Pentagon Papers éclaire aussi sur l’histoire du Post et de sa propriétaire Katharine Graham, propulsée à la tête du journal après la mort de son père et du suicide de son époux. Seule femme dans un monde d’hommes, elle est allée, non sans hésitation mais avec d’autant plus de courage, à l’encontre de son milieu et de ses conseillers qui doutaient de ses compétences. Pour camper cette héroïne inattendue, discrète et pourtant volontaire, Steven Spielberg a misé sur Meryl Streep, qu’il dirige ici pour la première fois. Il faut la voir avant une réunion, apprendre par cœur des informations comme une collégienne avant un examen, terrorisée à l’idée de parler devant un auditoire masculin. Et même lorsqu’elle s’érige contre ses conseillers, elle est mal assurée, la voix tremblotante, comme stupéfaite de sa propre audace. Quant à Tom Hanks, ici à l’opposé du personnage introverti qu’il interprétait dans Sully, de Clint Eastwood, il campe un Ben Bradlee un brin roublard, mais journaliste intègre, qui rêve autant de défendre la démocratie que de faire du Post l’égal du New York Times. Dans une Amérique chahutée par le comportement incohérent d’un Trump en roue libre, qui n’a de cesse de remettre en cause l’intégrité des journalistes et des médias via les fameuses fake news (CNN, le New York Times et le Washington Post étant ses cibles favorites), le film tombe à pic. Il rappelle aussi que le véritable journalisme est celui qui cherche des réponses, qui « creuse », comme aime le répéter Ben Bradlee à ses rédacteurs. Au scénario très « documenté » et pétri d’humanité de Liz Hannah et Josh Singer, Spielberg a instillé une touche espiègle. Et si la reconstitution (costumes, décors, accessoires) revêt un certain classicisme, la mise en scène efficace, d’une finesse diabolique et précise comme une horloge suisse, rend ce bras de fer entre la presse et le pouvoir totalement haletant. Une leçon.
1h 56 Et avec Sarah Paulson, Bob Odenkirk, Tracy Letts, Bradley Whitford, Bruce Greenwood, Alison Brie, Jesse Plemons, Will Denton…

BANDE-ANNONCE