LOVE & FRIENDSHIP

Projetée dans les salles françaises au début de l’été, l’adaptation de Lady Susan, de Jane Austen, par Whit Stillman, est passée quasiment inaperçue. Pourtant, illuminée par une Kate Beckinsale impériale en reine des garces, cette comédie de mœurs, sarcastique et spirituelle, est totalement jubilatoire. Et si le film, jamais académique, est aussi réussi, c’est parce que, comme la romancière anglaise, le réalisateur des remarquables Metropolitan, Les derniers jours du disco ou Barcelona est lui aussi un fin observateur, volontiers moraliste, de ses congénères (soit, en ce qui le concerne, de la haute société américaine). En mettant en exergue l’aspect satirique, trop souvent négligé, de l’écriture de Jane Austen, Whit Stillman lui a rendu à la fois hommage et justice. Un coup de maître !

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« Ma chère Alicia, quelle erreur n’avez-vous pas commise en épousant un homme de son âge… trop sénile pour être aimable et trop jeune pour mourir. » Jane Austen (Lady Susan)

 

Love & Friendship

Whit Stillman
2016 (Dans les salles françaises depuis le 22 juin)

A la fin du XVIIIème en Angleterre, les tribulations de Lady Susan Vernon (Kate Beckinsale), jeune veuve égoïste, immorale et extrêmement séduisante, font frémir la haute société. Sa situation financière et sa réputation se dégradant, elle est contrainte de chercher de riches époux, pour elle et sa fille adolescente. En attendant, Lady Susan est condamnée à dépendre de la générosité de son beau-frère fortuné chez qui elle a trouvé refuge, au grand dam de son épouse (Emma Greenwell), qui craint qu’elle ne jette son dévolu sur son jeune frère Reginald (Xavier Samuel)…

Jamais publié du vivant de Jane Austen (il l’a été par son neveu en 1871, cinquante-quatre ans après la mort de l’écrivain), le court roman épistolaire Lady Susan a ceci de remarquable qu’il a été écrit entre 1793 et 1795 (la date précise est sujette à controverse), par une Jane Austen alors âgée d’environ dix-huit ans. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la future auteur d’Orgueil et préjugés faisait déjà preuve d’un sens aigu de l’observation et maniait l’ironie en virtuose. Cependant, si Lady Susan est probablement le personnage féminin le plus manipulateur, opportuniste et dénué de scrupules de toute son œuvre, il n’apparaît pas, ici, entièrement condamnable. Son intelligence et sa vivacité d’esprit rendent ses remarques truculentes, et certaines de ses attitudes révèlent chez elle une certaine humanité. Car Stillman sauve toujours ses personnages. De fait, le film est la coïncidence parfaite des univers du réalisateur et de la célèbre romancière, dont il est un admirateur de longue date (il a même été à deux doigts de réaliser Raison et sentiments, qui a finalement échu à Ang Lee). Stillman a confié regretter que hormis celle d’Ang Lee, les adaptations d’Austen soient trop souvent sentimentales ou académiques, comme si leurs auteurs en écartaient d’emblée tous les aspects satiriques, qui sont pourtant caractéristiques de son œuvre. D’ailleurs, le titre Love & Friendship choisi par Stillman (alors n’y est réellement question ni de l’un, ni de l’autre) est inspiré de celui d’une parodie des romans épistolaires sentimentaux en vogue au XVIIIe, que Jane Austen avait écrite pour amuser sa famille lorsqu’elle était adolescente (elle l’avait orthographié Love & Freindship). Réputée impossible (roman épistolaire oblige), l’adaptation de Lady Susan a été peaufinée durant plusieurs années par le cinéaste, qui a conservé, en les simplifiant, beaucoup des dialogues originaux, et enrichi astucieusement l’épilogue un peu trop abrupt. Il en résulte une comédie de mœurs raffinée et trépidante, parfois burlesque ou touchante, à laquelle l’humour décalé confère une modernité évidente. Ce ballet incessant et étourdissant d’allers et venues des protagonistes est mis en scène avec maestria, et servi par une brochette de comédiens sensationnels. La Britannique Kate Beckinsale, déjà interprète en 1996 d’une autre héroïne de Jane Austen dans le téléfilm Emma, est parfaite. Elle retrouve ici sa partenaire des Derniers jours du disco, Chloë Sevigny, égérie du cinéma indépendant américain (et de Stillman en particulier) qui campe avec malice la confidente et seule amie de la scandaleuse Lady Susan. On saluera également la prestation loufoque (très « Ricky Gervais ») de Tom Bennett, et la douceur d’Emma Greenwell, qui figurait cette même année au générique d’Orgueil et préjugés et zombies de Burr Steers. Enfin, les amoureux du style de Whit Stillman se réjouiront de savoir que de nouveaux épisodes de la série The Cosmopolitans, dont il a signé le pilote diffusé en 2014 et resté sans suite depuis, devraient bientôt voir le jour. Bien sûr, Chloë Sevigny est de la partie.
1h 32 Et avec Stephen Fry, Morfydd Clark, Jenn Murray, Jemma Redgrave, James Fleet, Lochlann O’Mearáin…

BANDE-ANNONCE

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