MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN

Illustrant l’adage selon lequel on est toujours prompt à détester ce qu’on a adoré, la sortie du nouveau Dolan a été pour le moins chahutée. Descendue en flammes au festival de Toronto en septembre dernier par la critique, quasi unanime à évoquer le premier faux pas du jeune prodige, cette première production à gros budget (et en anglais) du cinéaste québécois était un ratage annoncé (accumulation de retards, tournage chaotique, montage de quatre heures réduit à deux, toutes les scènes de la star Jessica Chastain coupées — son personnage ayant disparu de la version finale…). Son processus créatif complexe a failli avoir raison de la santé du réalisateur, habitué à gérer des productions plus modestes. Résultat, le film n’a pas trouvé de distributeur aux Etats-Unis. La France, heureusement, lui a tendu les bras. Verdict.

 

Debout peu importe le prix
Suivre son instinct et ses envies
Les plus essentielles
(Etienne Daho « Le premier jour du reste de ta vie »)

 

Ma vie avec John F. Donovan (The Death And Life Of John F. Donovan)

Xavier Dolan
2018
Dans les salles françaises depuis le 13 mars 2019

Douze ans après la mort prématurée de John F. Donovan (Kit Harington), star surmédiatisée de la télévision américaine, un jeune acteur (Ben Schnetzer) s’apprête à publier la correspondance qu’il avait entretenue, enfant, avec cette icône. A la journaliste plutôt sarcastique (Thandie Newton) qui l’interviewe, il raconte comment cette relation épistolaire a affecté leurs vies respectives…

Si Xavier Dolan n’existait pas, il faudrait l’inventer. Dans une époque gangrenée par le cynisme et la haine ordinaire, la candeur de ce cinéaste de vingt-neuf ans qui se fie à son intime conviction, sans peur du ridicule, a quelque chose de merveilleux. Ne pas aimer Ma vie avec John F. Donovan, c’est ne pas l’aimer lui, Dolan, qui s’y livre avec fougue, se souvient du petit garçon rêveur et passionné qu’il a été, vouant une adoration quasi obsessionnelle à ses idoles du petit écran, seule source de magie dans une existence un peu terne. Le Rupert Turner qui hurle d’extase devant l’épisode de sa série préférée, c’est Dolan gamin, fasciné par la saga Roswell, amoureux de son héros Jason Behr (qui ne l’était pas ?), et qui, à cette époque, écrivait à ses acteurs fétiches (il a récemment dévoilé une lettre restée sans réponse adressée à Leonardo DiCaprio). Alors oui, le film est bourré de défauts, à commencer par les dialogues d’une platitude étonnante (la palme revenant aux échanges entre les personnages incarnés par Thandie Newton et Ben Schnetzer). Ensuite, ce n’est pas tant l’impression de montage amputé qui dérange, mais un désagréable sentiment de déjà-vu (figures maternelles ambivalentes, scène chantée euphorique…). On déplore également la bande-son trop évidente et la superficialité de la dénonciation de l’hypocrisie en vigueur dans le monde du spectacle, qui se traduit par une avalanche de clichés édifiants. Pourtant, la magie opère. Le jeune Jacob Tremblay est ahurissant dans quasiment toutes ses scènes, et Natalie Portman, toute en retenue, est fabuleuse. Qui mieux que l’interprète du Jon Snow de Game of Thrones pouvait incarner une icône adulée, phénomène d’une génération et prisonnière de son image ? Un personnage qui émane un profond sentiment de solitude, rendu palpable par le jeu vibrant de Kit Harington. Et que dire de Susan Sarandon, bouleversante ? De Kathy Bates, impériale ? De Chris Zylka ? D’Amanda Karan ? Chose amusante, dans ce drôle de biopic sur sa propre vie, Dolan anticipe les critiques — la journaliste campée par Thandie Newton fait remarquer – avec méchanceté – que le sujet n’a que peu d’intérêt, que ce sont des malheurs de gosses de riches. Avec ses atours de roman-photo, Ma vie avec John F. Donovan est un film sous influences, celles d’un cinéaste excessif et attachant, façonné par la culture populaire (on notera le clin d’œil à My Own Private Idado) et qui ne craint pas de revendiquer son côté midinette dans un mélodrame à fois fragile et flamboyant (voir l’incroyable scène de retrouvailles sous la pluie). Douglas Sirk aurait adoré.
2h 02 Et avec Sarah Gadon, Emily Hampshire, Jared Keeso, Michael Gambon…

JUSTE LA FIN DU MONDE

Choisir de voir un Dolan au cinéma, c’est prendre le risque d’être chahuté, agacé parfois et bouleversé souvent. Rares, aujourd’hui, sont les réalisateurs qui suscitent autant de curiosité et d’excitation. Pour autant, passer pour un prodige n’a rien de confortable, et Xavier Dolan, cinéaste aussi écorché et vif que ses films, semble ne mettre aucune distance entre son art et les autres. Il s’expose ainsi, inconsidérément, à la cruauté des journalistes et des réseaux sociaux. Comme ses personnages, ce jeune homme de vingt-sept ans éprouve le besoin désespéré d’être aimé de tous. A Cannes cette année, on l’a vu déçu comme un gosse, vexé d’avoir raté la Palme d’Or, considérant son Grand Prix comme un lot de consolation, prêt à remettre son œuvre en question pour quelques mauvaises critiques. Tout ce « cinéma », qui n’en est pas un, le rend insupportable pour les uns, attachant pour les autres. Une chose est certaine, il émane une fraîcheur et une force extraordinaire de cette ambition doublée d’une hypersensibilité assumée, dans un monde aseptisé où le cynisme est roi.

 

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« Et pourtant, ce n’est qu’un déjeuner en famille. C’est pas la fin du monde. »

 

Juste la fin du monde

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Xavier Dolan
2016 (Dans les salles françaises depuis le 21 septembre)
Grand Prix et Prix du Jury œcuménique à Cannes 2016

Après une absence de douze ans, Louis (Gaspard Ulliel), rend visite à sa famille pour annoncer sa mort prochaine…

Il n’avait pas envisagé les choses ainsi. Louis pensait pouvoir se réconcilier avec le passé, avec les siens, trouver du réconfort. Mais, à peine arrivé, il doit se rendre à l’évidence : personne ne lui a pardonné son absence de douze ans, ponctuée de simples cartes postales. Xavier Dolan propulse son héros, en même temps que le spectateur, dans le chaos. Tout le monde parle fort, en même temps, et la caméra virevolte de l’un à l’autre en plans serrés (on pense au Faces de Cassavetes). La mère de Louis (Nathalie Baye), outrageusement fardée, est hystérique. Suzanne, sa jeune sœur (Léa Seydoux), joue les branleuses, et le grand frère, Antoine (Vincent Cassel), rugit plus qu’il ne parle, a la raillerie facile, et se chamaille avec tout le monde. En permanence. Seule Catherine (Marion Cotillard), la femme d’Antoine que Louis ne connaît pas encore, est effacée, timide, mais mal à l’aise. Le contraste entre ce jeune homme, doux, posé et bienveillant, et cette meute donne le vertige. Louis est étranger à sa propre famille, comme il devait l’être enfant. Le mélange de rancœurs, de jalousie et d’admiration (Louis est l’intellectuel de la famille, un auteur qui a réussi) est un poison violent. Comment pourraient-ils lui pardonner de leur avoir tourné le dos, et ne pas prendre son silence pour du mépris ? Le vide ne se comble pas aisément, chacun en fait trop et n’en dit pas assez. Louis ne peut jamais en placer une, interrompu aussitôt par une pique de son frère ou le babillage de sa mère. Le parti pris de la mise en scène (jamais de plans larges) crée une sensation d’asphyxie. La maison est sombre, la chaleur suffocante. Les blessures sont des plaies ouvertes et la souffrance est palpable. On pardonne au réalisateur de Mommy ses petites facilités, car de ce chaos jaillit une vérité saisissante. Rarement, hormis chez Cassavetes (encore), l’incommunicabilité entre les êtres n’aura été si poignante, l’amour-haine dans la cellule familiale si bien illustrée. L’univers de Xavier Dolan et celui de Jean-Luc Lagarce, auteur de la pièce dont le film est adapté, se sont magnifiquement télescopés. On en sort secoué, ébranlé, en état de choc.
1h 37

BANDE-ANNONCE (concoctée par Xavier Dolan, elle est un petit bijou à elle seule…)

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