SNOWPIERCER – LE TRANSPERCENEIGE : En avant toute !

Tombé amoureux de la bande dessinée éponyme française dont le premier tome est paru en 1982, le Coréen Bong Joon-ho, audacieux réalisateur de Memories Of Murders et The Host, a consacré huit années à son adaptation. En résulte un mélange des genres aussi sidérant que réussi, un film d’auteur aux allures de blockbuster, spectaculaire, baroque et poétique. 

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Snowpiercer – Le Transperceneige

Bong Joon-ho
2013

Depuis dix-sept ans, la Terre est plongée dans un climat glaciaire suite à une catastrophe écologique survenue en 2014, qui a exterminé toute forme de vie. Les survivants sont réfugiés dans un train gigantesque, qui roule sans s’arrêter autour du globe et produit ses propres ressources. Tandis que les nantis vivent confortablement en tête de convoi, les pauvres sont entassés comme des bêtes dans les wagons de queue privés de lumière du jour. Le maintien de cet ordre est assuré par des soldats qui n’hésitent pas à faire usage de la force. Mais depuis quelque temps, à l’arrière, la révolte gronde. Un petit groupe mené par Curtis (Chris « Captain America » Evans, très bien) élabore un plan pour remonter jusqu’au wagon de tête, et prendre le contrôle de la machine…

A l’origine, Le Transperceneige est une bande dessinée futuriste française, culte pour les affranchis, de Jean-Marc Rochette, Jacques Lob et Benjamin Legrand. L’œuvre, dont le premier tome est paru en 1982, était quelque peu oubliée, lorsqu’en 2005, le cinéaste coréen Bong Joon-ho l’a découverte, par le plus grand des hasards, dans une petite librairie de Séoul. Le réalisateur des fameux Memories Of Murder et The Host s’est attelé durant les huit années suivantes à l’adaptation de ce récit post-apocalyptique, qu’il s’est, en quelque sorte, réapproprié. Le résultat est époustouflant. Après une mise en condition plutôt efficace, cette coproduction américano-franco-coréenne, coécrite avec Kelly Masterson (scénariste de 7 h 58 ce samedi-là), enchaîne les surprises (et missions) à la manière d’un jeu de plates-formes. Chaque partie du train est séparée par une porte a priori infranchissable, et chacune permet d’accéder à un univers bien distinct, inconnu des rebelles et a fortiori du spectateur. Le réalisateur revisite un siècle de cinéma en passant des décors de wagons de queue crasseux et sombres à d’autres, somptueux, aux couleurs explosives. Mais plus les rebelles avancent dans le train, plus ils y laissent des plumes et des illusions. Le bonheur n’est pas là où on l’imagine, l’humanité et la vérité non plus. Entre deux discours sur la condition humaine (le système totalitaire dépeint ici n’est pas très loin de celui de THX 1138 de George Lucas), le cinéaste instille une dose d’humour qui désamorce les effets pompeux. Amateur de science-fiction ou pas, il ne faut pas bouder ce Metropolis en mode horizontal, qui revisite l’éternelle lutte des classes avec originalité (le grotesque et la folie baroque chère au cinéaste de The Host, dans lequel un monstre surgissait des eaux et terrorisait la population de Séoul, sont toujours de mise) à coups d’images souvent stupéfiantes de beauté. Et lorsqu’on sait que John Hurt, Ed Harris, Tilda Swinton, Jamie « Billy Elliot » Bell, Song Kang-ho (acteur fétiche du cinéaste, hilarant dans Le Bon, La Brute et le Cinglé) et Octavia Spencer sont de la partie, on n’hésite plus, on fonce !

BANDE-ANNONCE

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OH BOY, ballade désenchantée

Entre Frances Ha et Oslo 31, août, Oh Boy suit les errances d’un jeune Berlinois en décalage. Absurde, amer, drôle et mélancolique, ce premier film « tatiesque » en noir et blanc a emballé la critique et raflé six Lola (les César allemands) en avril 2013. Il vient de paraître en DVD.
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Oh Boy

Jan Ole Gerster
2012 (DVD Diaphana Edition Vidéo)

Niko (Tom Schilling) a bientôt trente ans et ne sait qu’en faire. Il a interrompu ses études, n’a plus de permis, ne s’assume pas financièrement, et se sent de plus en plus étranger au monde qui l’entoure. Après s’être quasiment enfui de l’appartement de sa petite amie, Niko entame une journée qui sera émaillée de rendez-vous et de rencontres tout aussi déconcertantes les unes que les autres, le sort semblant s’acharner contre lui…

Comme Frances Ha, Oh Boy traite de la jeunesse à travers un individu qui ne se sent pas à sa place. Comme Frances Ha, il est drapé dans un noir et blanc très Nouvelle Vague et se déroule dans une métropole. Ici, Berlin. Pourtant, les deux films présentent des situations quasiment inversées. L’héroïne du film de Noah Baumbach était démonstrative, enthousiaste, solaire et se comportait constamment comme un chien dans un jeu de quilles. Au contraire, le Niko oisif de Oh Boy intériorise, et sa passivité apparente contraste avec la folie ordinaire de ceux qui l’entourent. Interlocuteur intelligent, doux et attentif, il est sans cesse déconcerté par les propos et les comportements de ses congénères – son voisin collant venu lui apporter des boulettes, la serveuse du café qui s’exprime à coups de slogans publicitaires, l’ex-camarade de classe et ex-obèse qui règle ses comptes sur les planches d’un théâtre underground… Il y a du Tati dans le comique de ces situations où tous les éléments semblent s’accorder à contrecarrer les volontés du jeune homme (voir la séquence du distributeur bancaire), mises en scène de manière délicate. Si ce premier film écrit et réalisé par Jan Ole Gerster est pétri de références (à Woody Allen, Jim Jarmush, Cassavetes, Truffaut, Godard — la première scène est un clin d’œil appuyé à A bout de souffle), il n’en reste pas moins personnel, et le cinéaste de trente-quatre ans a confié s’être surtout inspiré de ses propres expériences. Le Berlin qu’il affectionne n’est pas celui de la carte postale, ni des lieux branchés. Gerster leur préfère les petits cafés populaires, les quais de métro, les recoins couverts de graffitis. Ce Berlin, qui malgré sa modernité, est encore hanté par les démons du passé, et d’où émane une certaine gravité mélancolique. Dommage que les séquences s’enchaînent à la manière de sketches un peu trop indépendants les uns des autres, comme si le réalisateur voulait rester fidèle à son héros rebelle et indécis magnifiquement campé par le charismatique Tom Schilling (repéré dans l’excellente série Generation War).Pour peu qu’on soit d’humeur, ce road-movie désenchanté, un brin amer, mais jamais triste, apparaîtra très séduisant.

Oh Boy!

BANDE-ANNONCE

Test DVD :

Interactivité*
Pas d’interview ni de véritable making of, mais on peut découvrir une séquence d’essai de l’étonnante actrice Friederike Kempter (Julika dans le film), une scène d’improvisation interprétée par Tom Schilling et Marc Hosemann réalisée un an avant le tournage, un bêtisier de 9 minutes et la bande-annonce.

Image ***
Format : 1.85
Une image souvent granuleuse, probablement fidèle à un esprit brut, et néanmoins très esthétique. La lumière est le plus souvent magnifique.

Son : **
DD 5.1 en anglais sous-titré
Ce DD 5.1 s’apparente davantage à un DD 2.0, mais sied parfaitement aux ambiances de ce film délicat. Les effluves de jazz et de piano sont joliment mis en valeur.
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FRANCES HA : éblouissant !

Le réalisateur du génial Les Berkman se séparent récidive avec ce portrait d’une jeune artiste qui tente de trouver sa place à New York. Le film, paru en DVD le 5 novembre, est aussi une déclaration d’amour du cinéaste à l’actrice Greta Gerwig (sa compagne dans la vie), comédienne solaire et immensément attachante, qui crève littéralement l’écran.
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Frances Ha

Noah Baumbach
2012 (DVD Memento Films)

A vingt-sept ans, Frances Haliday (Greta Gerwig) est apprentie dans une compagnie de danse contemporaine à New York, et aspire à devenir titulaire. En attendant, elle papillonne et s’amuse comme une folle avec sa meilleure amie Sophie (Mickey Sumner), son âme sœur, avec qui elle partage un petit appartement sympa. Le jour où Sophie décide d’emménager avec son petit ami, le monde de Frances s’écroule. Trop fauchée pour garder l’appartement seule, elle doit partir à la recherche d’un nouveau chez-soi. Mais pire encore, Sophie semble s’éloigner de plus en plus…

Très discret en plus d’être beau gosse, Noah Baumbach est également un des cinéastes les plus intelligents de sa génération. Révélé en 2005 avec son remarquable Les Berkman se séparent (The Squid And The Whale), film criant de vérité sur l’histoire d’un divorce dans une famille d’intellectuels de Brooklyn, ce collaborateur de Wes Anderson pour lequel il a coécrit les scénarios de La vie aquatique et Fantastic Mr. Fox, est passé maître dans l’art de brosser des portraits subtils de personnage un peu décalés, qui en disent long sur la société et les malaises qu’elle engendre. Dans Greenberg, son précédent film de 2010, Ben Stiller campait un quadragénaire dépressif, en colère permanente contre le système, et follement misanthrope (« La jeunesse c’est du gâchis pour un jeune – J‘irais même plus loin, la vie c’est du gâchis pour les gens ».) Mais le film ne brillait que par fulgurances. Frances Ha, en revanche, est un coup de maître. Coécrit et porté par la fabuleuse et pourtant méconnue Greta Gerwig, compagne du cinéaste, ce portrait d’une jeune femme qui ne parvient pas à entrer dans l’âge adulte, à joindre les deux bouts, ni à trouver sa place, est totalement époustouflant. L’actrice est sublimée par un noir et blanc très stylisé, influencé par Manhattan de Woody Allen, la Nouvelle Vague française, et évoque aussi Shadows de Cassavetes. Noah Baumbach filme son égérie tantôt comme une star de l’âge d’or d’Hollywood, tantôt du cinéma muet (Greta Gerwig est très expressive). Frances est gaffeuse, souvent à côté de la plaque et invariablement touchante. Les garçons la jugent « incasable » et elle fait semblant d’en rire. Elle a le chic pour se mettre dans des situations impossibles, mais essuie les revers avec une expression désarmante et résiste, sans jamais perdre la foi. Comédie à la fois drôle, tendre et cruelle, qui met également en exergue la difficulté pour un jeune artiste de réussir aujourd’hui à New York (« Tous les artistes à New York sont riches »), Frances Ha est aussi attachant que son héroïne. Difficile de pas tomber sous le charme, pour ne pas dire amoureux…
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BANDE-ANNONCE

Test DVD :

Interactivité**
C’est au son de la musique de « Modern Love » de David Bowie (la chanson accompagne le générique de fin et la séquence dans laquelle Frances court dans Chinatown) qu’on accède à une intéressante interview croisée de Noah Baumbach et Greta Gerwig (vingt-deux minutes). Les deux auteurs reviennent sur les étapes de la création, la part d’autobiographie et les ambitions du film. La bande-annonce et une revue de presse très élogieuse complètent le programme.

Image ***
Format : 1.85
Probablement un peu en deçà du Blu-ray paru en zone 1, l’image du DVD est néanmoins splendide et nuancée. Elle respecte les ambitions de la photo noir et blanc tantôt limpide, tantôt granuleuse de Sam Levy.

Son : ***
DD 2.0 en français et anglais sous-titré français
On aurait aimé un DD 5.1, mais le DD 2.0 se révèle suffisamment dynamique pour mettre en valeur les musiques et chansons soigneusement choisies de la bande-son (on notera la présence de plusieurs airs de Georges Delerue, dont le « Thème de Camille », du Mépris de Godard).

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