LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT, LE LIVRE

Mis à l’honneur au sein de la Rétrospective John Ford que l’on peut découvrir jusqu’au 23 février 2015 à la Cinémathèque de Paris (avec, le 13 février, une conférence du directeur de la programmation et critique Jean-François Rauger sur le film), le chef-d’œuvre de John Ford revient aussi en librairie, dans la collection Frontières éditée par Télémaque, dédiée aux livres qui ont inspiré les plus grands westerns. Après Les Cheyennes de Mari Sandoz, Little Big Man de Thomas Berger et La flèche brisée d’Elliott Arnold, La prisonnière du désert, d’Alan Le May, bénéficie d’un ouvrage complet et surtout d’une traduction intégrale. On y trouve une préface du producteur et scénariste Andrew J. Fenady (Chisum) consacrée à John Wayne, et un avant-propos Eric Leguèbe (le journaliste et critique, spécialiste de John Ford, est disparu en 2002), truffé d’anecdotes sur l’adaptation et le tournage du western mythique.

La prisonnière

« Ces gens-là avaient cette forme de courage, qui, peut-être, est le plus précieux don de l’être humain : le courage de ceux qui simplement persévèrent, passent à l’épreuve suivante, au-delà de toute endurance raisonnable, pensant rarement à eux-mêmes comme à des victimes, et surtout ne se prenant jamais pour des héros. » Alan Le May, épigraphe du livre La prisonnière du désert

 

La prisonnière du désert (The Searchers)

 

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Alan Le May
1954 – Nouvelle édition française, traduction intégrale (par René Tesnière) revue et corrigée, parue le 22 janvier 2015 aux Editions Télémaque – 368 pages (18 euros)

Quelques années après la Guerre de Sécession, le Texas, territoire indien déserté par l’armée et les Rangers, est isolé et dangereux. Un soir, des Comanches assaillent le modeste ranch d’Henry Edwards, et massacrent toute la famille, sauf les deux filles, Lucy et la jeune Debbie, qu’ils enlèvent. Très vite, le cadavre de Lucy est retrouvé, mais tout porte à croire que Debbie est vivante. Durant des années, Amos, le frère d’Henry, et son neveu Martin, vont traquer les ravisseurs. Mais plus le temps passe et plus Amos redoute de retrouver une étrangère…

Dans le western, « il y a un avant et un après La prisonnière du désert » affirme Eric Leguèbe dans la préface du livre d’Alan Le May. Paru en 1956, la même année qu’une cinquantaine de westerns, dont les excellents Coup de fouet en retour, de John Sturges, La loi du Seigneur de William Wyler ou encore Sept hommes à abattre de Budd Boetticher, le film de John Ford, par son caractère épique et universel, est celui qui transcende le genre et continue d’inspirer tout le cinéma américain. Depuis 2008, il est d’ailleurs considéré par l’American Film Institute comme le plus grand western de tous les temps.

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Jeffrey Hunter et John Wayne dans La prisonnière du désert, 1956

A l’origine de ce chef-d’œuvre absolu, il y a un livre d’Alan Le May, écrivain américain né en 1899 à Indianapolis, et disparu en 1964 après avoir signé de nombreux romans sur l’Ouest ainsi que des scénarios de westerns qu’il a parfois produits (avec sa compagnie Lemay-Templeton, Eagle Lion). De ses livres adaptés au cinéma, on retiendra, entre autres, le magnifique Le vent de la plaine (The Unforgiven), de John Huston, non sans similitudes avec La prisonnière du désert. Audrey Hepburn y campait une jeune fille adoptée à sa naissance par une famille de pionniers. Soupçonnée d’être indienne, elle se retrouvait cruellement bannie de sa communauté à laquelle elle inspirait une véritable haine.

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Burt Lancaster et Audrey Hepburn dans Le vent de la plaine (The Unforgiven) de John Huston, 1960

Ce thème du racisme et de l’intolérance, qui se trouve également au cœur de la Prisonnière du désert, a longtemps jeté l’opprobre sur John Ford et le conservateur notoire John Wayne lui-même, son personnage affichant dans le film sa haine envers les Indiens. Pourtant, le western, encore plus que le livre dont il est adapté (par le prestigieux journaliste et scénariste Frank S. Nugent), dénonce au contraire les exactions et les humiliations infligées au peuple indien par l’armée américaine soucieuse de défendre les colons. Les certitudes du personnage ambigu incarné par John Wayne (Ethan sera le rôle préféré de la carrière de l’acteur au point qu’il prénommera ainsi l’un de ses fils) seront ébranlées au fur et à mesure de cette traque infernale. Eric Leguèbe souligne d’ailleurs l’amitié que John Ford entretenait avec les Indiens Navajos de Monument Valley, où a été tourné le film, et auxquels il a confié des rôles de Comanches. Les Cheyennes, entre autres, témoigne à quel point le cinéaste s’est fait un point d’honneur à dépeindre, avec le plus d’authenticité possible, la réalité de la vie des Indiens, constamment bernés par le gouvernement américain, responsable d’un des plus grand génocides de l’histoire.

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Sal Mineo dans  Les Cheyennes (Cheyenne Autumn), John Ford (1964)

La prisonnière du désert illustre aussi magnifiquement le conflit entre civilisation et vie sauvage. Alan Le May, comme le révèle Eric Leguèbe, s’était inspiré pour cette épopée d’une histoire vraie survenue en 1864. Un ouvrier agricole noir avait défrayé la chronique au Texas pour avoir recherché et sauvé, après une longue traque, des membres de sa famille et de son employeuse, enlevés lors d’un raid sanglant de Comanches et de Kiowas. Au fil de la lecture, on notera quelques différences avec l’adaptation, qui reste malgré tout très fidèle au livre (entre autres, Ethan se prénomme Amos, Laurie finit par en épouser un autre, et la conclusion n’est pas tout à fait la même). Le style est âpre, sans fioritures, mais les admirateurs du film éprouveront à la lecture une émotion étrange, peut-être celle que procure la certitude que les mots d’Alan Le May étaient prédestinés à la caméra de Ford et à la puissance visuelle de son cinéma.

 

« Cependant, Mart et Amos fouillaient partout, attendaient, alors que Bonnet Bleu n’arrivait toujours pas. Au début du printemps, ils achetèrent d’autres chevaux, d’autres mulets, regarnirent leurs ballots, et, une fois de plus, se mirent à la recherche d’Indiens qui sans cesse s’éloignaient et se dérobaient dans les régions désolées de leur territoire. »

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La prisonnière du désert, John Ford, 1956, avec John Wayne, Jeffrey Hunter, Vera Miles, Natalie Wood, Henry Brandon, Harry Carey Jr, War Bond…

 

La collection Frontières, dirigée par Olivier Delavault :

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Les amoureux de westerns peuvent également se tourner vers l’excellente collection L’Ouest, le vrai, née en 2013 chez Actes Sud et dirigée par Bertrand Tavernier. On y trouve, entre autres, Terreur apache de W. R. Burnett, La captive aux yeux clairs et La route de l’Ouest d’Alfred Bertram Guthrie Jr.

Lien Rétrospective John Ford à la Cinémathèque

 

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HOLLYWOOD DANS LES ANNÉES 30

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Les amoureux de l’âge d’or d’Hollywood seront comblés par ce livre conçu, illustré et écrit par deux passionnés : le graphiste allemand Robert Nippoldt, et son compatriote critique de cinéma Daniel Kothenschulte. Nommé Meilleur livre de cinéma de l’année 2014 par l’Institut du Film de Berlin, cet ouvrage magnifique, publié par Taschen, ramène à cette époque mythique où les stars rivalisaient de glamour, et les réalisateurs et directeurs de studios, de mégalomanie. Cherry sur le gâteau, cette merveille est disponible à un prix très abordable.

 

Hollywood dans les années 30
Robert Nippoldt et Daniel Kothenschulte
2014 Taschen Couverture rigide (21,6 x 34 cm, 160 pages) € 39,99

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L’histoire des grains de beauté dessinés sur le visage de Jean Harlow (avec carte à l’appui et références des films), celle des lettres du sigle Hollywood, symbole de la grandeur des studios, en piteux état durant les années 70, et dont la réparation de certaines lettres abimées a été financée en 1978 par la rock star Alice Cooper, ou celle, édifiante, de la création d’Autant en emporte le vent, figurent parmi les légendes narrées avec humour par Daniel Kothenschulte, critique de cinéma et pianiste de films muets, et illustrées par des dessins très stylisés de Robert Nippoldt, à l’initiative de ce magnifique ouvrage.

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Si les deux auteurs ne manquent pas d’immortaliser, via des portraits piquants, les plus célèbres personnalités de l’époque — Louise Brooks, Greta Garbo, Marlene Dietrich, Charlie Chaplin, Errol Flynn, Clark Gable, Humphrey Bogart, Cary Grant, Katharine Hepburn et l’anti-girl next door Joan Crawford (« Si c’est la fille d’à côté que vous voulez voir, allez voir à côté ! ») – ils rendent également hommage à des figures moins connues du grand public, tel Ben Hecht, fameux scénariste d’une montagne de chefs-d’œuvre et même “médecin-scénariste” (il est venu à la rescousse de nombreuses productions en cours, dont Autant en emporte le vent), le maquilleur de l’horreur Jack P. Pierce, auquel on doit le masque de Frankenstein, ou Marie Dressler, sexagénaire dont la verve caustique lui avait valu d’être la star féminine la plus populaire du début des années 30. Côté réalisateurs, Fritz Lang, Ernst Lubitsch, John Ford, Tod Browning ou George Cukor n’ont pas été oubliés. Enfin, en complément de cette exquise rétrospective, on peut découvrir une carte stylisée de Los Angeles permettant de repérer l’emplacement des grands studios, une frise chronologique pointant les événements marquants de la période, et la liste de vingt-neuf films incontournables de cet âge qui fut aussi doré et scintillant que la couverture de ce livre.

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Bob Willoughby AUDREY HEPBURN

Bonne nouvelle, Taschen réédite à petit prix le superbe livre du photographe hollywoodien Bob Willoughby consacré à Audrey Hepburn, son modèle fétiche, dont il était devenu le confident au fil des années. Alternant photos de plateau et de vie privée, l’ouvrage porte principalement sur cinq films de l’actrice tournés entre 1953 et 1966 : Vertes demeures, La rumeur, Deux têtes folles, My Fair Lady et Voyage à deux.

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« Connaître Audrey Hepburn, c’était côtoyer la grâce. » Bob Willoughby

 

Bob Willoughby – Audrey Hepburn
Photographs 1953-1966
Taschen
Edition multilingue (allemand, anglais, français) 280 pages

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C’est en 1953 que Bob Willoughby photographie Audrey Hepburn pour la première fois, et tombe sous son charme. Ça se passe aux studios de la Paramount où la jeune actrice, encore inconnue, doit effectuer des photos promotionnelles pour Vacances romaines, dont le tournage vient de s’achever. Willoughby, qui a étudié le graphisme avec Saul Bass et a appris, durant les années 40, auprès des plus grands photographes hollywoodiens, est engagé par le studio pour réaliser des instantanés promotionnels. Ce genre de clichés, pris par quelqu’un d’extérieur au studio, fera de lui le pionnier (et le plus célèbre) des photographes de plateau. Il est, selon le magazine Popular Photography, « l’homme qui a inventé le photojournalisme sur les tournages ». S’il est d’abord remarqué en 1954 grâce à sa série de photos de Judy Garland sur le plateau d’Une étoile est née, c’est avec Audrey Hepburn qu’il entretiendra une amitié durable, au travail comme à la ville. On lui doit quelques-unes plus célèbres photos promotionnelles de l’actrice, mais aussi des clichés plus intimes : Audrey faisant ses courses au supermarché, jouant avec son jeune fils Sean, discutant d’un rôle avec son époux Mel Ferrer, faisant de la gymnastique dans son jardin ou endormie sur son canapé auprès du faon Ip, qui devait apparaître à ses côtés dans Vertes demeures.

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Disparu en 2009, seize ans après Audrey Hepburn, Bob Willoughby avait souhaité avec ce livre, publié pour la première fois en 2010, rendre hommage à celle qu’il voyait comme « un farfadet féminin, une créature sylvestre féerique qui, sous nos yeux, savait se transformer en princesse. » Plutôt monumental, l’ouvrage est enrichi d’un index dans lequel chaque photo profite d’un commentaire explicatif de Bob Willoughby. Bref, un livre indispensable pour les fans de l’icône.

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« Enfant, on m’a appris qu’il était mal élevé d’attirer l’attention sur soi, et qu’il ne fallait jamais, au grand jamais, se donner en spectacle… Et c’est en faisant justement cela que j’ai gagné ma vie. » Audrey Hepburn