SACRIFICE (BURNING BUSH)

Résonnant comme un écho aux récents événements en Ukraine, la mini-série d’Agnieszka Holland revient sur une page tragique de l’occupation de la Tchécoslovaquie par l’Union Soviétique. Conçue comme un thriller judiciaire à suspense, cette saga en trois épisodes de 80 minutes reconstitue l’histoire avec une authenticité qui fait froid dans le dos.

 

Sacrifice – Burning Bush (Horící ker)

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Mini-série tchèque créée en 2013 par Agnieszka Holland et Stepan Hulik
Double-DVD Editions Montparnasse paru le 1er avril 2014 (Diffusée sur Arte le 27 et 28 mars 2014)

Le 16 janvier 1969, Jan Palach, sage étudiant en faculté de lettres, s’immole par le feu en pleine journée, sur la place Venceslas à Prague. Dans la lettre retrouvée dans son cartable, le jeune homme revendique son geste comme un acte de protestation contre l’occupation soviétique. Il appelle à la grève des ouvriers et annonce que si des mesures en faveur de la liberté d’expression ne sont pas prises, d’autres étudiants s’embraseront. Pour prévenir le mouvement populaire qui s’annonce, le gouvernement entreprend de discréditer et de faire passer Palach pour un déséquilibré. Malgré les intimidations policières, une jeune avocate humaniste, Dagmar Buresova (Tatiana Pauhofova), accepte de défendre la mère dévastée de Palach, qui intente un procès en diffamation contre un député à la solde des Soviétiques…

Il avait vingt et un ans et il ne voulait pas mourir. Son sacrifice, devenu un symbole de résistance et de liberté, a traumatisé la Tchécoslovaquie. La réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, alors étudiante à l’Académie du Film de Prague, a assisté, le 21 août 1968, à l’invasion du pays par les troupes du Pacte de Varsovie sous commandement soviétique. Cette agression a mis un terme au processus démocratique et aux réformes libérales engagées au printemps avec l’arrivée au pouvoir d’Alexander Dubcek. Un générique très explicite suffit à la cinéaste pour décrire le passage de la liberté à l’oppression, et l’authenticité de la reconstitution impressionne dès les premières minutes. Les jeunes et les étudiants, qui avaient été galvanisés par l’espoir d’une ouverture vers l’Occident, sont les premiers touchés par cette « normalisation » qui rétablit la censure et la répression policière. La série débute par l’immolation de Jan Palach, qui fait l’effet d’une bombe. La passivité et l’indifférence des Tchèques envers l’occupation sont alors remises en question dans tout le pays. Le régime et la police sont aussitôt sur les dents pour trouver les éventuels « suiveurs » de Palach, tandis qu’ils le décrédibilisent dans les médias. Accablée après avoir découvert les propos dévastateurs d’un député dans le journal, Madame Palach entreprend de l’attaquer pour diffamation. Le leader des étudiants lui conseille de se tourner vers Dagmar Buresova, jeune avocate spécialisée dans les affaires estudiantines. La jeune femme, mère de deux petites filles, commence par refuser cette mission impossible, vouée à l’échec et non sans danger, puis se ravise. La bataille pour réhabiliter l’honneur de Jan Palach ainsi que son sacrifice héroïque, va devenir la sienne, même si il ne fait aucun doute que dans cette partie, les dés sont pipés. C’est ce combat pour la justice, du pot de terre contre le pot de fer, qui est conté avec minutie en trois épisodes passionnants. Tournée à Prague, avec des acteurs tchèques, la reconstitution propulse dans cette Tchécoslovaquie sous chape de plomb communiste, et la mise en scène d’Agnieszka Holland, nominée aux Oscars en 1992 pour Europa Europa, et qui a récemment collaboré aux excellentes séries The Killing et Treme, est sobre, réaliste et sans effets mélodramatiques appuyés. On peut reprocher à cette série produite par HBO Europe son austérité, ses quelques longueurs et ce petit manque de peps qui lui aurait permis de séduire un large public. Mais les passionnés d’histoire, en revanche, seront à la fête. Et si son statut de mini-série « déjà diffusée » lui a valu d’être écartée des nominations à l’Oscar du Meilleur film étranger, Sacrifice a été récompensée dans plusieurs festivals, et a raflé huit Lions (les prix les plus prestigieux attribués aux œuvres de cinéma et de télévision tchèques) en 2013.

BANDE-ANNONCE
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Test DVD :

Interactivité
Pas de bonus, hélas.

Image ***
Format : 1.77
Très belle définition pour cette image qui restitue les partis pris de la photo aux teintes neutres.

Son **
DD 2.0 en tchèque sous-titré français
Une seule piste, très correcte, et adéquate au style intimiste de la série.
 

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LE SECRET DERRIÈRE LA PORTE

 

Carlotta publie ce mois-ci, en DVD et Blu-ray, un des plus beaux films de Fritz Lang, en version soigneusement restaurée. La psychanalyse est au cœur de ce thriller à suspense aux atours fantastiques, divinement servi en 1947 par une des actrices fétiches du cinéaste : Joan Bennett.

(Click on the planet above to switch language.) 

 

Le secret derrière la porte (Secret Beyond The Door)

Joan Bennettt as Celia Lamphere in SECRET BEYOND THE DOOR (1948, Fritz Lang).

Fritz Lang
1947 (DVD/Blu-ray Nouveau master restauré paru chez Carlotta Films le 20 mars 2014)

En vacances au Mexique, Celia Barrett (Joan Bennett), riche héritière new-yorkaise, tombe sous le charme de Mark Lamphere (Michael Redgrave), un séduisant architecte américain. Le coup de foudre est réciproque et ils se marient aussitôt. Le bonheur est de courte durée. En pleine lune de miel, Mark part précipitamment à New York pour des raisons obscures. Il demande à son épouse de l’attendre dans son manoir de famille sur la côte Est. Dans cette demeure austère, Celia découvre la face cachée de l’homme qu’elle vient d’épouser : sa première femme est morte dans des circonstances mystérieuses, et il a un fils dont il lui a caché l’existence. Comble d’étrangeté, Mark a une passion singulière : il reconstitue, dans la maison, des pièces qui ont été le théâtre d’un meurtre…

Quatrième et dernière collaboration de l’actrice Joan Bennett avec Fritz Lang après les remarquables Chasse à l’homme, La femme au portrait et La rue rouge, Le secret derrière la porte rejoint par bien des aspects, formels et narratifs, le cinéma d’Alfred Hitchcock. A la différence des drames précités, le fantastique s’invite ici d’emblée. Le mystère fait son apparition dès les premières minutes, avec la voix-off de Celia, qui, l’espace d’un instant, a ressenti le souffle de la mort autour de l’homme dont elle vient de s’éprendre. Comme dans un conte initiatique (on pense inévitablement à Barbe Bleue), l’héroïne va devoir affronter une série d’épreuves, tandis qu’elle s’interroge sur la véritable personnalité de son époux, au comportement de plus en plus étrange. Les similitudes avec Rebecca, le roman de Daphné du Maurier, dont Hitchcock a signé l’adaptation en 1940, sont également frappantes : la première épouse est décédée dans des circonstances mystérieuses ; la maison recèle des secrets, des pièces interdites, et ses occupants semblent tous avoir quelque chose à cacher… Introduites dès les premières minutes, l’angoisse et la tension vont crescendo. Lang fait se déchaîner les éléments (pluie diluvienne, éclairs, coups de tonnerre, nappes de brouillard) et multiplie les effets horrifiques venus tout droit du cinéma expressionniste allemand dont il a été un des maîtres. Le noir et blanc sied aux jeux d’ombres, et on ne compte plus les plans iconiques de la silhouette glamour de Joan Bennett se découpant dans l’obscurité des couloirs, ou ceux du visage illuminé ou inquiétant du fade Michael Redgrave (père de Vanessa Redgrave). Dans cette imagerie gothique, le personnage de Celia, très ancré dans la réalité et non dénué d’humour, détonne. Joan Bennett n’est plus la créature fatale de La femme au portrait. La femme qu’elle campe ici se distingue par son indépendance, son courage et son intelligence. L’amour pour son étrange époux est plus fort que la peur qu’il lui inspire. Pour comprendre et sauver l’homme qu’elle aime, elle sait qu’elle doit, coûte que coûte, découvrir l’origine de ses pulsions. Cinéaste du crime par excellence, Lang (comme Hitchcock) s’intéresse à la psychologie de l’assassin (voir M Le maudit). On peut regretter que les mécanismes de la névrose de Mark finissent par être décryptés de manière un tantinet simpliste, et n’y voir qu’un certain engouement du cinéaste pour la psychanalyse, alors en vogue dans le cinéma hollywoodien (Hitchcock a réalisé La maison du Dr Edwardes deux ans plus tôt). Mais tout pédagogique qu’il soit et en dépit de son échec commercial, Le Secret derrière la porte demeure un film intense et flamboyant, porté par une Joan Bennett au sommet de son art.

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 Test DVD :

Interactivité**
Le film est suivi d’un très beau portrait de l’actrice Joan Bennett, dont le texte, de Christian Viviani, est paru dans Positif en 1991 (10 minutes). Un second document (17 minutes) est consacré aux réflexions pertinentes de Fritz Lang sur la fascination de l’être humain pour le meurtre et la sienne en particulier. Ses propos sont extraits de son entretien avec Alfred Eibel publié dans le livre Trois lumières, écrits pour le cinéma. Un diaporama complète le programme.

Image ***
Format : 1.33
Belle restauration, qui permet de redécouvrir le film dans des conditions idéales. Les contrastes de ce noir et blanc sont saisissants, même si quelques plans sont parfois un peu granuleux.

Son : ***
DD 1.0 en anglais sous-titré français
Sous-titres français imposés
Fidèle à la piste d’origine, ce Mono, très propre, est satisfaisant. Les dialogues sont clairs. Les effets sonores et la musique bénéficient d’un beau relief.

Les fans de Fritz Lang et de Joan Bennett pourront également se tourner vers l’excellente édition DVD de la collection Classics Confidential de Wild Side Video, qui regroupe La rue rouge et La femme au portrait, accompagnés d’un livre de Jean-Ollé Laprune.

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LA VIE D’ADÈLE – Chapitres 1 et 2

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Injustement écartée du palmarès des César 2014, où malgré ses huit nominations et face à une concurrence plutôt médiocre, elle n’a remporté que celui du Meilleur espoir féminin, la Palme d’Or de Cannes 2013 débarque en DVD/Blu-ray. Au-delà des polémiques, retour sur une œuvre à la fois éblouissante et déconcertante, unanimement acclamée par la critique.

 

La vie d’Adèle – chapitres 1 et 2

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Abdellatif Kechiche
2013
(DVD/Blu-ray Wild Side Video paru le 26 février 2014)

En terminale L au lycée Pasteur de Lille, Adèle (Adèle Exarchopoulos) aime lire, notamment La vie de Marianne, au programme de français cette année. Adèle plaît aux garçons, mais s’inquiète de ne pas être vraiment amoureuse, même de Thomas (Jérémy Laheurte), le lycéen avec lequel elle vient d’avoir une aventure. En revanche, elle ne cesse de penser à cette fille aux cheveux bleus qu’elle a croisée l’autre jour sur la place et qui lui a jeté un regard troublant. Un soir, elle décide de partir à sa recherche dans les bars gays de la ville…

Puisqu’il est beaucoup question de cheveux dans La vie d’Adèle (les cheveux bleus d’Emma mais aussi ceux d’Adèle, car comme beaucoup de filles, l’héroïne ne cesse de les replacer, les attacher ou les défaire), on dira qu’il s’en est fallu d’un cheveu pour que le film, librement adapté de la bande dessinée de Julie Maroh, Le bleu est une couleur chaude, atteigne la perfection. C’est bien en virtuose qu’Abdellatif Kechiche traque, en gros plan, les sensations de son héroïne, dont le visage est le miroir. Car Adèle, c’est l’émotion à fleur de peau. Qu’elle rit ou qu’elle pleure, elle touche, elle bouleverse, et son interprète ne fait qu’une avec elle. Le cinéaste de L’esquive et de La graine et le mulet excelle aussi lorsqu’il filme les choses de la vie. Et tous les plans — séquences dans la salle de classe, échanges entre professeurs et élèves, conversations entre lycéens, rencontre d’Emma et Adèle, chagrin de cette dernière — sont d’une beauté sidérante. Leur authenticité touche à l’universel. A l’intemporel aussi, car ici, pas de Facebook ni autres réseaux sociaux. On y parle du hasard, du coup de foudre, de l’amour avec un grand A, de la difficulté à le trouver, à le garder, et à celle de devenir adulte, envers et contre tout. Cheveux courts, bleus, et attitudes piquées à James Dean, Emma, artiste issue de la bourgeoisie, est une homosexuelle affranchie qui s’assume totalement (Léa Seydoux est parfaite dans le rôle). Son assurance séduit d’emblée la généreuse et modeste Adèle, jeune fille en fleur, ni vraiment sage ni vraiment rebelle. Emma vient combler le vide émotionnel dont souffre l’adolescente, qui se cherche et veut vivre quelque chose de fort, enfin. L’obsession d’Adèle pour Emma qui, en un regard, lui a chaviré le cœur et le reste, n’est pas sans rappeler celle du personnage incarné par Jean-Hugues Anglade pour celui que campait Vittorio Mezzogiorno dans L’homme blessé de Patrice Chéreau. Mais Abdellatif Kechiche lui-même a ses démons. A mi-chemin, à l’issue d’une première partie enchanteresse, il choisit délibérément de rompre le charme avec une scène de sexe de sept minutes, qui détonne par sa crudité voire son obscénité. Le cinéaste est coutumier du fait. Plus charnelle que sensuelle, la représentation du sexe dans l’œuvre de Kechiche est souvent brutale (voir les tribulations du personnage incarné par Elodie Bouchez dans La faute à Voltaire). Là, elle paraît choquante. Quoi qu’en dise le cinéaste qui prétend n’avoir cherché qu’à montrer la vérité de ses personnages, le manque de naturel des actrices, qui jouent ici de manière mécanique, démonstrative, dérange. Dommage, parce que cette seule scène ternit l’éclat de ce joyau, histoire d’amour d’une rare puissance émotionnelle, légitimement récompensée par la Palme d’or à Cannes en 2013.
Avec Salim Kechiouche, Aurélien Recoing, Benjamin Siksou

BANDE-ANNONCE

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Test Blu-ray :

Interactivité**
Elle est étonnamment réduite au vu de la qualité et de la notoriété du film. On y trouve trois scènes inédites (8 minutes) dont l’une, Le Snack, montre Adèle narrant à son meilleur ami gay l’expérience sexuelle torride qu’elle vient de vivre avec Emma. Ironiquement, il y a plus de sensualité dans ses propos que dans la scène d’amour telle que Kechiche l’a filmée. On peut également découvrir 29 minutes d’interviews croisées du réalisateur et de la jeune Adèle Exarchopoulos, dont la performance a été récompensée par le César du Meilleur espoir féminin 2014. Pas d’évocation de ce qui fâche ici. La jeune actrice parle avec bienveillance d’un cinéaste qui apparaît surtout comme extrêmement exigeant. Abdellatif Kechiche, qui ne tarit pas d’éloges à son sujet, revient sur la scène de sexe controversée et se défend d’avoir voulu délibérément choquer ou malmener ses actrices, qui auraient été, selon lui « protégées par leur rôle et la caméra ». La bande-annonce et un DTS Sound Check figurent également au programme.

Image ****
Format : 2.40
La photo de Sofian El Fani est magnifiquement mise en valeur par cette image contrastée et naturelle. La définition est précise, les couleurs sont lumineuses.

Son : ****
DTS-HD Master Audio 5.1 en français
Sous-titres français pour sourds et malentendants
Audio Description
Une piste non-compressée ample et dynamique, qui soutient efficacement les bruits d’ambiance et monte en puissance lors des passages musicaux.

 

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