LE PERIOD DRAMA SE DÉCHAÎNE (La chronique des Bridgerton/ Harlots/The Great)

Les séries en costumes ont le vent en poupe. Même la France s’y met (Le bazar de la Charité, Paris Police 1900, Les aventures du jeune Voltaire…). Coquine, sulfureuse et haute en couleurs, l’américaine La chronique des Bridgerton, apparue sur Netflix à Noël 2020, a donné un coup de fouet au period drama, en séduisant un public peu habitué au genre. Retour sur cette série phénomène ainsi que sur deux pépites à découvrir absolument.

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« S’il n’y avait pas de mères trop zélées à tous les coins de rue, cette période de l’année serait moins atroce » Simon Bassett, duc de Hastings

 

LA CHRONIQUE DES BRIDGERTON (Bridgerton) Saison 1

Série américaine créée en 2020 par Chris Van Dusen d’après les livres de Julia Quinn
Diffusée sur Netflix depuis le 25 décembre 2020

En 1813, à Londres, voici venue la saison des mondanités. Parmi les nouvelles prétendantes au mariage, qui doivent être présentées à la reine, Daphné Bridgerton (Phoebe Dynevor), issue d’une des familles les plus influentes de Grosvenor Square, est probablement la plus exquise. D’ailleurs, elle va être la seule à recevoir un compliment de la souveraine, ce qui lui vaut de devenir la cible de la mystérieuse et impitoyable Lady Whistledown, la chroniqueuse qui divulgue chaque semaine de manière anonyme les potins de la haute-société. Pour échapper à cela et à un prétendant trop embarrassant, la jeune fille décide de sceller un pacte avec le beau duc de Hastings (Regé-Jean Page), héritier fortuné, lui aussi harcelé par des intrigantes, et qui n’a aucune intention de se marier…

Servie pour les fêtes de fin d’année, idéale pour remonter le moral des troupes en temps de pandémie, La chronique des Bridgerton est une production Shondaland, la société de Shonda Rhimes, à laquelle on doit les mastodontes Scandal, Murder ou Grey’s Anatomy ; autant dire qu’on n’est pas, ici, au royaume de la subtilité. La série, aussi corsée que corsetée, est basée sur la saga de l’Américaine Julia Quinn, spécialisée dans la romance historique « à l’eau de rose ». Contrairement à ses consœurs britanniques produites par la BBC, et en particulier aux adaptations des œuvres de Jane Austen où le moindre baiser est proscrit, le show créé en 2020 par Chris Van Dusen fait dans l’audace et le subversif, mais parfois avec des gros sabots. L’acteur Regé-Jean Page a déclaré chez Jimmy Fallon que la série était le croisement des univers de Jane Austen, Gossip Girl et 50 nuances de Grey. De fait, ici, l’amour ne s’arrête pas à la porte de la chambre à coucher. Il ne suffit pas d’évoquer l’éducation sexuelle de la jeune Daphné, il faut en montrer explicitement l’apprentissage le temps de scènes à l’érotisme soft, dont une, séquence clé de l’intrigue, est traitée par les scénaristes avec une légèreté quelque peu discutable. Quant à la peinture de la Régence anglaise (1811-1820), elle se révèle plutôt pittoresque. Partant du fait que les origines de la reine Charlotte, épouse du roi George III, sont toujours sujettes à controverse de la part des historiens, la voici ici noire, campée par l’actrice guyano-anglaise Golda Rosheuvel. Ce mariage royal interracial aurait engendré une société multiculturelle (colorblind) où les aristocrates sont aussi bien blancs que noirs sans que personne ne trouve à y redire. Un parti pris assumé par Chris Van Dusen, pour réécrire l’histoire en mode « et si… » et qui tend à démontrer que le monde d’alors était bien plus diversifié qu’on croit. La chronique des Bridgerton se dévore comme un plaisir coupable, car même si tout cela ne vole pas très haut, on se laisse embarquer par le tourbillon d’intrigues, mais aussi par la beauté un peu kitsch des décors, des costumes, de la bande-son truffée de tubes pop revisités, et par les personnages attachants. Plus que Phoebe Dynevor, c’est Claudia Jessie, l’interprète d’Eloïse, la sœur de Daphné, et Nicola Coughlan (Penelope Fatherington), qui tirent leur épingle du jeu. Mention spéciale également à la chevronnée Polly Walker (Portia Featherington), toujours excellente. Quant au beau Regé-Jean Page, coqueluche de ces dames et bon acteur de surcroît, il se murmure qu’il figure désormais sur la liste des prétendants au rôle de James Bond. La saison 1 compte huit épisodes. La deuxième est attendue courant 2021. À noter que si Lady Whistledown cultive le mystère, sa voix est bien reconnaissable : c’est celle de Julie Andrews.
8 épisodes d’environ 1 h. Et avec Jonathan Bailey, Harriet Cains, Bessie Carter, Ruth Gemmel, Luke Newton, Luke Thompson, Ben Miller, Ruby Barker, Joanne Henry, Jessica Madsen…

 

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« Quelle position occupez-vous dans cette maison ?
– Debout, en amazone, à cru, allongée. Et vous, quelle est la vôtre ? »

 

HARLOTS (Les filles de joie)

2017-2019
Série anglo-américaine créée par Moira Buffini et Alison Newman
Trois saisons, disponibles En DVD et Blu-ray chez Koba Films, en intégrale ou éditions séparées

En 1763, Margaret Wells (Samantha Morton), propriétaire d’une maison close située dans les bas-fonds de Londres, souhaite à tout prix s’établir dans les quartiers plus huppés afin que ses filles puissent profiter d’une clientèle fortunée. Cette ambition n’est pas du goût de sa rivale et ancienne patronne, la retorse Lydia Quigley (Lesley Manville), qui fournit déjà la haute société dans sa maison de grand standing. Tandis qu’entre les deux femmes, les coups bas et tordus se multiplient, Margaret tente de trouver un protecteur à sa fille cadette, Lucy (Eloise Smyth), belle et cultivée, et qui n’a aucune prédisposition pour le métier…

La série Harlots (Harlot signifie prostituée ou fille de joie) est la formidable création de la talentueuse scénariste Moira Buffini (Jane Eyre, Tamara Drewe, The Dig… ) et de la comédienne Alison Newman (Les enquêtes de Morse, Femmes de footballeurs…). Contrairement à ce que le sujet laisserait entendre, et à l’opposé de La chronique des Bridgerton (voir plus haut) on ne dénote ici aucune complaisance ni aucun voyeurisme. Les deux scénaristes se sont emparées du livre The Covent Garden Ladies, de l’historienne Hallie Rubenhold, qui s’est livrée à un véritable travail d’investigation au sujet de l’une des publications anglaises les plus sulfureuses du XVIIIe siècle, Harris’s List Of Covent Garden Ladies. Ce guide a répertorié chaque année de 1757 à 1795 le nom des filles de joie et leurs spécialités, avec évaluations et tarifs à l’appui (son homologue français s’intitulait L’almanach des demoiselles de Paris, de tout genre et de toutes les classes ou Calendrier du plaisir). Harlots propose en quelque sorte la vision inversée de ce drôle d’inventaire écrit par des hommes. Ici, le regard sur la société est celui des prostituées, et ce sont elles les héroïnes, comme l’étaient également les protagonistes de l’excellente série française Maison close. À Londres, à l’ère georgienne, une femme sur cinq se prostitue à cause de la pauvreté. Elles sont courtisanes célèbres et aisées, entretenues ou non, filles de la rue où pensionnaires de bordels. Elles ont toutes une histoire et leurs tribulations mettent en exergue la condition de la femme, la répression de l’homosexualité, les inégalités et l’hypocrisie en vigueur dans une société puritaine marquée par le conservatisme religieux. Ces êtres déconsidérés sont aussi des guerrières qui se battent pour leur indépendance et se défaire du joug des hommes (contrairement aux femmes mariées qui doivent se plier aux convenances, certaines prostituées jouissent d’une vraie liberté). La série suit l’affrontement de deux propriétaires de maison close, liées par un passé commun et qui se détestent ouvertement. Elles sont incarnées par deux formidables comédiennes anglaises : Samantha Morton (Minority Report, Control, The Walking Dead…) toute en gouaille, parlé cru et rondeurs, et Lesley Manville (The Crown, Phantom Thread, Another Year…), toute en perfidie. Autour d’elles gravitent des actrices de tempérament dont la belle Jessica Brown Finlay, vue dans Downton Abbey, Holli Dempsey, Kate Fleetwood, Eloise Smyth et la star américaine Liv Tyler, qui porte admirablement la perruque Marie-Antoinette. On se régale de ces joutes verbales et ces jeux de dupes où la violence et la mort s’invitent de temps à autre, autant qu’on aime la solidarité entre ces filles, courageuses et attachantes. Quant à la reconstitution de Londres (et notamment les quartiers de Soho, Covent Garden et St James Square), elle force l’admiration, comme la beauté des décors et des costumes, et la musique electro-pop anachronique et baroque de Rael Jones. Arrêtée en 2019, Harlots compte trois saisons… remarquables.
3 x 8 épisodes. Et avec Josef Altin, Bronwyn James, Pippa Bennett-Warner, Danny Sapani, Douggie McMeekin, Dorothy Atkinson, Julian Rhind-Tutt, Jordon Stevens, Hugh Skinner, Edward Hogg, Nicola Coughlan…

 

Mention spéciale pour la version Blu-ray, qui met en valeur l’excellent travail des chefs opérateurs qui ont collaboré à la série. Les bonus ne sont pas légion mais on profite de d’interviews passionnantes (des créatrices, de Liv Tyler) ainsi que de secrets de tournage, et notamment de la reconstitution de ce Londres georgien.

 

 

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« Ne voulez-vous donc pas voir une Russie forte et dynamique, débordante d’idées humanistes et progressistes, où l’on vivrait avec dignité et résolution ?
– Si, bien sûr, tout comme voir un cochon qui parle ou un chien en cuisine. Mais je crains de mourir désenchanté. »

 

THE GREAT

Série américaine créée par Tony McNamara
Diffusée pour la première fois sur la chaîne américaine Hulu en mai 2020, disponible sur Starzplay

Il y a fort longtemps, au milieu du XVIIIe siècle, la jeune Catherine (Elle Fanning), qui vient d’épouser le tsar Pierre III (Nicholas Hoult), arrive à la cour de Russie pleine d’espoir. Issue d’une famille de la noblesse allemande désargentée, cette jeune fille cultivée férue des philosophes des Lumières, mesure la chance qui lui est offerte et est prête à aimer sans réserves son mari. Elle déchante en découvrant que Pierre est un enfant gâté, stupide et cruel, et que ses courtisans ne valent pas mieux. Très vite, avec l’aide de sa servante Marial, noble déchue (Phoebe Fox), elle fomente un complot pour renverser le tsar…

Derrière cette série satirique, qui fut d’abord une pièce de théâtre, on ne s’étonne pas de trouver Tony McNamara, coscénariste de La favorite qui avait valu à Olivia Colman l’Oscar de la Meilleure actrice en 2019. C’est même en lisant le scénario de The Great, déjà en projet à l’époque, que Yorgos Lanthimos a trouvé le ton idéal pour son biopic féroce sur la reine Anne. Plus légère et déjantée que La favorite cependant, The Great se penche avec humour, ironie, et un certain sens de l’absurde, sur la jeunesse et l’ascension de la Grande Catherine. C’est une jeune femme sensée et éclairée qui déboule, comme un chien dans un jeu de quilles, dans la cour d’un tyran débauché, entouré de courtisans à sa botte et qui mène le pays à sa perte. Incultes, ignares et fiers de l’être, les gens de la cour sont incapables de soutenir une quelconque conversation sans trivialité. Tout comme les situations, souvent grotesques, les dialogues ne sont pas piqués des vers.

Marial : « Comment était votre nuit ?
Catherine : J’ai réussi à ne pas me faire violer ? Et la vôtre ?
Marial : Pareil. S’ils inventent un jour autre chose de plus pratique que les boutons, on est toutes dans la merde. »

Après de nombreux déboires, Catherine va devenir une experte en manipulation, parvenant à tourner la bêtise de son époux à son avantage. Mais Peter est un tyran complexe. Il dissimule mal une enfance triste et un complexe d’Œdipe. Sa fragilité émotionnelle désarçonne parfois son épouse qui finit par le prendre en pitié. En parfaite alchimie, les doués Elle Fanning et Nicholas Hoult (déjà dans La favorite) rivalisent de drôlerie. Leur performance leur a valu à chacun une nomination aux prochains Golden Globes. Grâce à eux et la brochette de comédiens qui leur renvoient la balle avec la même fougue, on s’amuse beaucoup durant ces onze épisodes enlevés et irrévérencieux dont les anachronismes sont totalement assumés dès le générique par la mention « An occasionally true story » (« basée sur des faits historiques, en quelque sorte »). The Great est à l’histoire de Catherine de Russie ce que MASH était à la guerre de Corée : déjantée certes, mais truffée de réflexions pertinentes (ici sur le féminisme ou la politique). Conçu pour être une mini-série, le show a tant fait l’unanimité qu’il bénéficiera d’une deuxième saison, attendue dans le courant 2021. Huzzah ! (Hourra !)
10 épisodes de 55 minutes. Et avec Sacha Dhawan, Adam Godley, Charity Wakefield, Douglas Hodge, Richard Pyros, Sebastian de Souza…

ARTICLE CONNEXE : LE COSTUME DRAMA SE PORTE BIEN

3 X GREGORY PECK (BR/DVD Le pays de la violence, La cible humaine, Les Bravados)

Photo Eileen Darby/The Life/Getty (1946)

 

Quel acteur étrange et fascinant que Gregory Peck ! Il semble à l’écran toujours embarrassé par son physique avantageux. Grand, athlétique, il n’éprouve nul besoin de rouler des mécaniques comme Charlton Heston, son partenaire de l’épatant Les grands espaces (The Big Country). Il ne suscite pas non plus la sympathie immédiate comme un James Stewart ou un Robert Mitchum. S’il a souvent été critiqué pour son jeu singulier, sa raideur et son manque de naturel, c’est que, chez lui, tout est intérieur. Gregory Peck prise les antihéros et excelle dans les personnages tourmentés. Son jeu à l’économie rejaillit sur ses films, qu’il rend « spéciaux », et qui deviennent presque un genre à part entière. Durant toute sa vie, ce progressiste dans l’âme, démocrate engagé épris de justice, a personnifié la droiture morale et l’élégance (comme par hasard, il était l’ami d’Audrey Hepburn…). Et même s’il a brillé en crapule dans Duel au soleil et Ces garçons qui venaient du Brésil, le rôle qui lui colle à la peau restera celui d’Atticus Finch, l’avocat valeureux de Du silence et des ombres… (To Kill a Mockingbird), le film dont il était le plus fier et qui lui a valu l’Oscar en 1963. Trois joyaux de la filmographie de cette icône hollywoodienne, un contre-emploi et deux quasiment sur mesure, sont disponibles en Blu-ray et DVD chez Sidonis Calysta dans des éditions remarquables.

 

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I keep a close watch on this heart of mine
I keep my eyes wide open all the time
I keep the ends out for the tie that binds
Because you’re mine, I walk the line…
Johnny Cash

  

LE PAYS DE LA VIOLENCE (I Walk The Line)

John Frankenheimer
1970
Edition Collector Combo DVD + Blu-ray + Livre disponible chez Sidonis Calysta depuis le 5 décembre 2020

Henry Tawes (Gregory Peck) est le shérif respecté d’une petite bourgade rurale du Tennessee où il ne se passe pas grand-chose. Réputé pour sa rigueur, sa droiture et son sens moral, cet homme marié et père d’une adolescente est en fait las de son existence routinière, de son couple, et aspire à autre chose. Sa rencontre avec la jeune et jolie Alma McCain (Tuesday Weld), fille d’une famille de bootleggers récemment arrivés dans le comté, va remettre sa vie en perspective…

Le générique d’ouverture est à lui seul un petit bijou. Tandis que résonne la chanson de Johnny Cash qui a donné son titre au film en version originale, on découvre la bourgade de Gainesboro (à une heure et demie de Nashville) et ses habitants. Ces adultes, vieillards et enfants miséreux et désœuvrés sont le visage de l’Amérique profonde marquée par la Grande Dépression, où le temps semble s’être arrêté. Pour ces séquences criantes de vérité filmées au téléobjectif et au débotté, John Frankenheimer s’est inspiré du travail de la célèbre photographe Dorothea Lange. Dans le film, adapté du roman An Exile, du romancier du cru Madison Jones, cet environnement désenchanté est celui de Henry Tawes, shérif sage et respecté des lieux. Flanqué d’un adjoint vulgaire et fouineur (Charles Durning), d’une épouse dévouée mais qu’il n’aime plus (touchante Estelle Parsons), cet homme au bord de l’implosion continue malgré tout à faire preuve de conscience professionnelle. La rencontre avec la solaire Alma va déclencher un séisme. I Walk The Line, titre à double-sens, narre la chute d’Henry Tawes, qui se confond pour les spectateurs avec celle de la figure iconique de son interprète, défenseur des valeurs morales et image de la décence par excellence. Ironie de l’histoire, Frankenheimer aurait préféré Gene Hackman, avec qui il était davantage en connivence, mais la Columbia lui a imposé Peck. Le réalisateur, mécontent du travail de ce dernier sur le film – le jugeant trop raide –, lui en attribuera l’échec. C’est pourtant tout le contraire. Gene Hackman, génial acteur au demeurant, aurait été bien trop déchiffrable. Voir le noble Gregory Peck sortir de sa zone de confort pour jouer ce personnage désespéré et amoureux transi (d’une très jeune fille, qui plus est) rend Henry Tawes encore plus juste. Mal à l’aise, mutique, il est bouleversant. Le comédien conservera lui aussi une certaine amertume vis-à-vis de ce rôle, aux antipodes de sa personnalité, qui, en prime, lui vaudra à l’époque un vrai rejet de la part du public. Après des années de purgatoire, Le pays de la violence — titre français sujet à caution, mais, pourtant pertinent, choisi par Bertrand Tavernier lors de la première projection en France – a aujourd’hui été réhabilité par la critique, tout comme le film précédent de Frankenheimer — le formidable Les parachutistes arrivent (The Gypsy Moths) — avec lequel il partage de nombreuses similitudes. La mise en scène inventive, la profondeur des personnages, le caractère imprévisible de l’intrigue, tout sauf consensuelle, et la peinture pleine d’humanité des habitants de cette petite ville sans perspective, en font une œuvre cruelle, pertinente et passionnante. Les chansons ad hoc, signées Johnny Cash, écrites et composées spécialement pour le film (même I Walk The Line, enregistrée en 1956, est ici augmentée d’un couplet), sont en quelque sorte la voix intérieure d’Henry Tawes. Et puis, ce film « maudit » permet de redécouvrir aussi Tuesday Weld, « l’ange sauvage d’Hollywood » ainsi que la surnomme Olivier Père (auteur du livret de cette édition), actrice oubliée mais douée, qui campe avec brio cette lolita de campagne toute en fragilité et ambivalence.
1 h 37 Et avec, Ralph Meeker, Jeff Dalton, Lonny Chapman, Freddy McCloud…

 

TEST ÉDITION COLLECTOR COMBO

Interactivité *****
Du lourd ! Dans le DVD comme le Blu-ray, le film est enrichi d’une présentation pertinente et truffée d’anecdotes de Thierry Frémaux, qui retrace le destin de ce film mal aimé de son réalisateur, et revient sur l’implication de Bertrand Tavernier qui s’est acharné à le faire découvrir en France (30 mn). Le critique Jean-Baptiste Thoret, grand amoureux du cinéma américain des 70’s fournit un commentaire audio sur des scènes clés (20 minutes). Côté archives, on trouve un court making of et la bande-annonce d’époque, Johnny Cash chantant « The City Of New Orleans » dans le clip Riding The Rails (1974), et deux prestations live du musicien, interprétant deux morceaux du film « I Walk The Line » et « Flesh And Blood ». Enfin, le livre de 96 pages (illustré d’affiches et de photos d’archives), dont 30 sont signées par le critique et journaliste Olivier Père – actuel directeur d’Arte France Cinéma –, est un bonheur. Il revient sur l’histoire du tournage ainsi que sur les carrières de Frankenheimer, Gregory Peck et Tuesday Weld. Le livre se clôt sur une longue interview du réalisateur réalisée par Bertrand Tavernier et Michel Ciment, parue dans le numéro 122 de Positif en décembre 1970.

Image ***
Format : 2.35
Ne pas s’attendre à la restauration du siècle. L’image proposée par le Blu-ray résulte d’un master ancien, probablement le seul à ce jour. La qualité de la définition varie d’une séquence à l’autre mais rien cependant qui n’altère le plaisir de découvrir le film, d’autant que l’ensemble reste très propre

Son ***
DTS-HD Master Audio 2.0 en VOST et français
Idem côté sonore. Une piste stéréo qui ne fait pas de vagues, mais très convenable vu l’âge du film.

 

 

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« What about my boy ? Does he think I’m a hero ?
– No, matter of fact, I heard he’s a Wyatt Earp man. »

 

LA CIBLE HUMAINE (The Gunfighter)

Henry King
1950
Combo DVD + Blu-ray disponible chez Sidonis Calysta

Jimmy Ringo (Gregory Peck) a la réputation d’être le tireur le plus rapide de l’Ouest. Et même s’il a tourné le dos à son passé violent, où qu’il aille, il se trouve toujours un excité pour vouloir se mesurer à lui, afin d’entrer à son tour dans la légende. Las de fuir d’une ville à l’autre, Jimmy aimerait renouer avec son épouse Peggy (Helen Westcott) qu’il a abandonnée il y a quelques années, et faire enfin la connaissance de son jeune fils. Mais alors qu’il se rend à Cayenne pour la retrouver, il fait escale dans un saloon et est provoqué par un jeune irresponsable. Pas de chance, ce dernier avait trois frères. Ceux-ci ne tardent pas à se lancer à sa poursuite avec la ferme intention de le venger…

Après Un homme de fer (Twelve O’Clock High), La cible humaine (parfois titré en français L’homme aux abois) est la deuxième collaboration de Gregory Peck et du cinéaste Henry King, qui feront encore quatre films ensemble, dont Bravados, autre western atypique. L’acteur prendra en quelque sorte le relais de Tyrone Power, qui était jusqu’ici le comédien fétiche du réalisateur. Le jeu détaché de Peck, à l’économie, convenait idéalement à King. Son interprétation de cet homme traqué, qui guette constamment la mort, n’en est pas moins saisissante. Le personnage de Jimmy Ringo est un clin d’œil au véritable hors-la-loi Johnny Ringo, mais l’idée du film est plus pittoresque. Elle est venue au célèbre réalisateur André De Toth. Dans le sensationnel livre d’entretiens Amis américains de Bertrand Tavernier, De Toth raconte qu’il avait remarqué, lors de ses virées dans les bars avec Errol Flynn ou Humphrey Bogart, que ceux-ci étaient constamment provoqués par de jeunes écervelés. De Toth y a vu une similitude avec ce que devaient vivre, au quotidien, les as de la gâchette du vieil Ouest. Avec son scénariste de talent William Bowers, le réalisateur rédige un premier synopsis de The Gunfighter et songe à Gary Cooper. Hélas Coop’, contrairement à De Toth, n’est pas en contrat avec Darryl Zanuck. Ce dernier, refusant de dépenser un centime pour débaucher l’acteur, lui impose Gregory Peck. Pour De Toth, ce comédien à l’allure de professeur est un choix rédhibitoire, une erreur de casting. Il ne tarde pas à claquer la porte, laissant la responsabilité du projet à Bowers qui, dès lors, va collaborer avec le cinéaste Henry King, amené sur le projet par Gregory Peck. Tourné en noir et blanc, La cible humaine a une beauté crépusculaire qui resplendit dès le générique. Épuré, intelligemment mis en scène, le film, dénué de musique, démystifie le hors-la-loi et joue la carte du réalisme (King s’est inspiré de tableaux des peintres de l’Ouest américain, comme Frederic Remington), ce qui le rend également incroyablement moderne. Aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre, ce western a pourtant fait un four auprès du public. En cause : la moustache de Gregory Peck, idée du scénariste William Bowers et qui avait enthousiasmé l’acteur, mais n’a pas été du goût de ses fans.
1 h 25 Et avec Millard Mitchell, Jean Parker, Karl Malden…

 

 COMBO Blu-ray + DVD 

Le film ici dans une version récemment restaurée et de toute beauté, est assorti d’une formidable présentation par Bertrand Tavernier (26 minutes), grand admirateur de King Vidor (« le cinéaste le plus sentimental du cinéma américain mais dénué de sensiblerie ») et du travail de Gregory Peck, qui raconte avec passion l’histoire de ce tournage. Complémentaire, Patrick Brion arrive en renfort pour évoquer lui aussi ce qu’il considère comme un chef-d’œuvre du western, souvent comparé au fameux Le train sifflera trois fois. Détail amusant, la bande-annonce d’époque est présentée par Gene Tierney.

 

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« C’est gâcher de la bonne charpente, un arbre aurait aussi bien fait l’affaire.
– Ils sont condamnés à être pendus, pas à être lynchés. »

 

LES BRAVADOS (The Bravados)

Henry King
1958
Combo Blu-ray + DVD + Livre disponible chez Sidonis Calysta

Le mystérieux Jim Douglass (Gregory Peck) arrive dans la petite ville de Rio Arriba, près de la frontière mexicaine, la veille de la pendaison de quatre malfrats qui ont attaqué la banque et tué un des employés. Les habitants et le shérif le prennent d’abord pour le bourreau dont ils attendent la venue, puis s’interrogent sur ses motivations. Jim dit vouloir simplement assister à l’exécution de ces meurtriers qu’il pourchasse depuis six mois. Mais alors que Jim assiste à la traditionnelle messe du soir, les bandits parviennent à s’échapper…

Comme Le gaucher et L’homme de la plaine, sur les écrans la même année, Bravados introduit une profondeur psychologique à l’imagerie du western. C’était aussi le cas huit ans plus tôt dans La cible humaine, autre collaboration de Henry King et Gregory Peck. On retrouve ici les thèmes chers au metteur en scène, un peu oublié aujourd’hui par les critiques et cinéphiles. Une désaffection due en grande partie à l’importance de la religion dans son cinéma (il est l’auteur de La vie de Bernadette) et Bravados en est également profondément marqué. Cette messe de veillée de l’exécution, qui permet aux habitants de prier pour les hommes qui vont mourir est assez symbolique. Mais comme l’a souvent souligné Bertrand Tavernier, Henry King est aussi le cinéaste de l’americana, des petites villes de l’Ouest, et ses films sont toujours empreints d’un formidable humanisme. Bravados narre la quête de vengeance d’un individu déterminé à faire justice lui-même, et qui va voir ses convictions s’effondrer. Le combat intérieur de cet homme bon qui s’est écarté de son chemin a quelque chose de fascinant. On ne dévoilera pas les rebondissements de l’intrigue, mais le twist final, plutôt bien amené, donne lieu à une scène magnifique que Gregory Peck joue avec sa sobriété légendaire. A contrario, la subtilité n’est pas le fort de Joan Collins, ici amusante en propriétaire de ranch autrefois éconduite par Jim Douglass, toute en regards énamourés. Parmi les bandits, on reconnaîtra Stephen Boyd (deux ans plus tard, il recevrait le Golden Globe du Meilleur second rôle pour Ben-Hur), le mythique Lee Van Cleef, Henry Silva, et dans un petit rôle, Joe DeRita, qui sera, dès cette année 1958, membre des Three Stooges. Enfin, il faut saluer la beauté de la photographie de Leon Shamroy. La silhouette du cavalier en nuit américaine, qui ouvre le film, est une splendeur.
1 h 38 Et avec Barry Coe, Herbert Rudley, Ken Scott…

 

 COMBO Blu-ray + DVD + Livre

Une fois n’est pas coutume, c’est le monteur Jean-François Giré et non Bertrand Tavernier qui présente le film, proposé dans cette édition dans une version de très belle facture. Il explore avec brio les thématiques de Bravados en insistant sur le caractère religieux du cinéma de King (15 minutes). Patrick Brion revient, entre autres, sur la relation fusionnelle entre le cinéaste et son interprète. On peut découvrir aussi une brève intervention de Joe Dante, qui non sans surprise, préfère les méchants du film, ainsi qu’une petite interview de Joan Collins, qui se remémore avoir été très effrayée par le fait de monter à cheval. Cette fois, la bande-annonce d’époque est présentée par Gregory Peck en personne. L’édition fournit également un livre de 90 pages truffé d’anecdotes et de photos, consacré à l’acteur en tant qu’icône du western.

 

ARIANE (Love In The Afternoon) Coffret Ultra Collector

La ressortie en vidéo d’un film avec Audrey Hepburn est toujours un événement. Les éditions Carlotta ont concocté un écrin magnifique pour la comédie la plus lubitschienne de Billy Wilder, tournée à Paris en 1956 et qui paraît pour la première fois en Blu-ray. On y suit les tribulations de la fille d’un détective privé qui s’éprend du playboy milliardaire de trente ans son aîné que son père est chargé de filer. À l’époque, la bande-annonce ne faisait pas dans la dentelle : « Quand une fille sans aucune expérience entre dans le jeu de l’homme le plus expérimenté au monde… » Piquante, osée et un brin nostalgique, cette comédie romantique brillamment écrite est (comme les robes de Givenchy), cousue sur mesure pour Audrey Hepburn, qui mène ici Gary Cooper par le bout du nez.

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« Tout en vous est parfait.
– Je suis trop maigre. J’ai les oreilles décollées, les dents de travers et le cou bien trop long…
– C’est possible, mais j’adore l’ensemble. »

  

ARIANE (Love In The Afternoon)

Billy Wilder
1957
En coffret Ultra Collector chez Carlotta depuis le 18 novembre, disponible en éditions Blu-ray et DVD séparées

Ariane (Audrey Hepburn), jeune étudiante au Conservatoire, est la fille de Claude Charasse, le détective privé le plus compétent de Paris (Maurice Chevalier). En cachette de son père, elle ne cesse de fouiner dans ses dossiers. Toutes ces affaires d’adultère, qu’elle considère plutôt comme des histoires d’amours contrariées, la font rêver. Un jour, elle entend fortuitement un mari trompé fou de rage (John McGiver) annoncer à son père qu’il compte tuer l’amant de sa femme. L’homme visé est Frank Flannagan (Gary Cooper), un milliardaire américain, businessman et séducteur notoire. Tout doit se passer dans la suite de ce dernier, au Ritz. Sans en toucher un mot à son père, Ariane décide d’intervenir…

Il y a comme un air d’Emily In Paris dans le prologue de cette comédie sophistiquée de Billy Wilder où la voix off de Maurice Chevalier décrit la capitale française comme « la ville de l’amour ». Trois ans après Sabrina, qui avait décroché un Oscar et cinq nominations, le génial cinéaste dirige à nouveau l’exquise Audrey Hepburn. Pour la première fois, il s’est affranchi des studios hollywoodiens et c’est en indépendant qu’il produit et réalise Love In The Afternoon (titre bien plus explicite que le chaste Ariane) pour lequel il choisit de travailler avec le scénariste I. A. L. Diamond (Chérie, je me sens rajeunir) qui deviendra dès ce tournage son collaborateur attitré. Ce brillant mathématicien d’origine roumaine (I. A. L. est l’abréviation de Interscholastic Algebra League) qui s’était détourné d’une carrière d’ingénieur pour devenir scénariste, avait un certain génie pour le comique de situation. Avec Billy Wilder, sa mécanique allait se révéler d’une efficacité redoutable. La précision de l’écriture resplendit dans cette comédie souvent poussée jusqu’à l’absurde (comme en témoigne la scène de beuverie de Flannagan, renvoyant sans cesse la table à roulettes aux musiciens tziganes). Le cinéaste s’amuse à faire du Lubitsch, son maître à penser. Mais s’il est fait des allusions aux existentialistes — en témoigne notamment ce portrait d’Ariane fait par Flannagan : « Vous avez ce côté parisien, ce ‘petit quelque chose’ dit-on Rive Gauche, ce piquant soupçon d’apéritif… » —, on peut cependant s’étonner qu’à l’aube de la Nouvelle Vague (la même année, Louis Malle tourne Ascenseur pour l’échafaud), ce film affiche un aspect incroyablement suranné. L’air de Fascination, valse tzigane composée en 1904 par Dante Pilade Marchetti, en guise de gimmick, la présence de Maurice Chevalier, les décors en trompe-l’œil d’Alexandre Trauner… cette vision nostalgique d’un Paris romanesque et qui pétille est celle que réalisateur d’origine autrichienne avait conservée de la capitale française lors de son exil en France dans les années 30, après avoir fui l’Allemagne nazie. D’ailleurs, la comédie est une adaptation du roman Ariane, jeune fille russe, de Claude Anet (auteur de Mayerling), déjà porté à l’écran en 1931 — et de manière plus crue — par Paul Czinner, compatriote de Wilder. Sous ses atours charmants, Love In The Afternoon parle de sexualité et d’une liaison entre une très jeune fille et un homme vieillissant qui pourrait être son père. Ce sujet tabou, licencieux, a fortiori dans un film hollywoodien, fit tiquer la censure, et Wilder dut manœuvrer habilement (les dialogues sont truffés de sous-entendus) et faire quelques concessions, notamment dans l’épilogue. Après Humphrey Bogart et Fred Astaire, c’est à un autre vétéran d’Hollywood que la juvénile Audrey Hepburn donne ici la réplique. Le géant Gary Cooper (deuxième choix du réalisateur qui aurait préféré Cary Grant) n’est pas franchement à l’aise dans ce rôle de vieux séducteur désabusé, même si son personnage est une émanation non fortuite de celui qu’il incarnait en 1938 dans La huitième femme de Barbe-Bleue de Lubitsch, coécrit par… Billy Wilder. L’acteur, qui avait surtout été convaincu par l’idée de tourner à Paris qu’il adorait, a malgré tout « ses petits moments », comme lors de la séquence à l’Opéra, où, par ennui, il ne peut s’empêcher de faire le clown, ou lorsqu’il passe de l’amusement à la jalousie la plus tenace. Quant à Audrey Hepburn, sublime, touchante, gracieuse — Flannagan, ignorant son nom, la surnomme « brindille » (« thin girl ») —, remarquablement mise en valeur par Wilder, elle est à elle seule un enchantement.
2 h 10 Et avec Van Doude, Lise Bourdin, Olga Valéry, Audrey Young (Madame Wilder à la ville)…

 

TEST COFFRET ULTRA COLLECTOR N° 18

Ce coffret dont le visuel est une création de Deanna Hallsall comprend l’édition Blu-ray, le DVD et un livre de 160 pages, Le romanesque triomphant : Ariane de Billy Wilder. Il est constitué de plusieurs interviews, analyses et critiques parues dans Positif depuis les années 70 mettant en lumière le film et le travail de Billy Wilder.

Interactivité ***
Le programme de suppléments reprend peu ou prou celui du DVD de 2009 (le visuel des éditions simples est également le même) et y ajoute un inédit de poids, Portrait d’un homme à « 60% parfait », documentaire sur Billy Wilder réalisé par Annie Tresgot et Michel Ciment en 1980. Ciment avait interviewé le réalisateur chez lui en Californie. Pour le reste, on retrouve le reportage instructif conduit par N. T. Binh, critique à Positif, qui se penche sur les archives papier et photos d’Ariane, conservées comme tant d’autres, à la Cinémathèque française (26 minutes). Il y interviewe également la fille de Michel Kokas, le leader du groupe de musiciens tziganes qui accompagne Flannagan partout où il se rend. Le journaliste revient ensuite sur les thèmes développés dans le film et insiste sur l’influence de Lubitsch chez Billy Wilder (26 minutes). Un entretien avec Hubert de Givenchy permet d’en savoir plus sur sa complicité avec Audrey Hepburn (9 minutes). On y apprend que sollicité pour faire les costumes de Sabrina, il avait accepté pensant qu’il allait enfin habiller Katharine Hepburn, qu’il admirait. Le charme d’Audrey a eu vite raison de son désappointement et seule la mort de l’actrice en 1993 mettra un terme à cette amitié et collaboration devenues légendaires. La bande-annonce d’époque figure également au menu et témoigne de la belle restauration du film.

Image ***
Format : 2.40
La restauration en 2K est probante. Certaines scènes sont d’une netteté, d’une luminosité et d’un contraste sidérants. D’autres sont moins précises. Une inégalité qui ne nuit cependant pas au confort du visionnage.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en VOST et français
Équilibrée, sans souffle ni parasite aucun, la piste mono est tout à fait correcte pour un film de cet âge. Version originale à privilégier.