3 X GREGORY PECK (BR/DVD Le pays de la violence, La cible humaine, Les Bravados)

Photo Eileen Darby/The Life/Getty (1946)

 

Quel acteur étrange et fascinant que Gregory Peck ! Il semble à l’écran toujours embarrassé par son physique avantageux. Grand, athlétique, il n’éprouve nul besoin de rouler des mécaniques comme Charlton Heston, son partenaire de l’épatant Les grands espaces (The Big Country). Il ne suscite pas non plus la sympathie immédiate comme un James Stewart ou un Robert Mitchum. S’il a souvent été critiqué pour son jeu singulier, sa raideur et son manque de naturel, c’est que, chez lui, tout est intérieur. Gregory Peck prise les antihéros et excelle dans les personnages tourmentés. Son jeu à l’économie rejaillit sur ses films, qu’il rend « spéciaux », et qui deviennent presque un genre à part entière. Durant toute sa vie, ce progressiste dans l’âme, démocrate engagé épris de justice, a personnifié la droiture morale et l’élégance (comme par hasard, il était l’ami d’Audrey Hepburn…). Et même s’il a brillé en crapule dans Duel au soleil et Ces garçons qui venaient du Brésil, le rôle qui lui colle à la peau restera celui d’Atticus Finch, l’avocat valeureux de Du silence et des ombres… (To Kill a Mockingbird), le film dont il était le plus fier et qui lui a valu l’Oscar en 1963. Trois joyaux de la filmographie de cette icône hollywoodienne, un contre-emploi et deux quasiment sur mesure, sont disponibles en Blu-ray et DVD chez Sidonis Calysta dans des éditions remarquables.

 

(Click on the planet above to switch language.) 

 

I keep a close watch on this heart of mine
I keep my eyes wide open all the time
I keep the ends out for the tie that binds
Because you’re mine, I walk the line…
Johnny Cash

  

LE PAYS DE LA VIOLENCE (I Walk The Line)

John Frankenheimer
1970
Edition Collector Combo DVD + Blu-ray + Livre disponible chez Sidonis Calysta depuis le 5 décembre 2020

Henry Tawes (Gregory Peck) est le shérif respecté d’une petite bourgade rurale du Tennessee où il ne se passe pas grand-chose. Réputé pour sa rigueur, sa droiture et son sens moral, cet homme marié et père d’une adolescente est en fait las de son existence routinière, de son couple, et aspire à autre chose. Sa rencontre avec la jeune et jolie Alma McCain (Tuesday Weld), fille d’une famille de bootleggers récemment arrivés dans le comté, va remettre sa vie en perspective…

Le générique d’ouverture est à lui seul un petit bijou. Tandis que résonne la chanson de Johnny Cash qui a donné son titre au film en version originale, on découvre la bourgade de Gainesboro (à une heure et demie de Nashville) et ses habitants. Ces adultes, vieillards et enfants miséreux et désœuvrés sont le visage de l’Amérique profonde marquée par la Grande Dépression, où le temps semble s’être arrêté. Pour ces séquences criantes de vérité filmées au téléobjectif et au débotté, John Frankenheimer s’est inspiré du travail de la célèbre photographe Dorothea Lange. Dans le film, adapté du roman An Exile, du romancier du cru Madison Jones, cet environnement désenchanté est celui de Henry Tawes, shérif sage et respecté des lieux. Flanqué d’un adjoint vulgaire et fouineur (Charles Durning), d’une épouse dévouée mais qu’il n’aime plus (touchante Estelle Parsons), cet homme au bord de l’implosion continue malgré tout à faire preuve de conscience professionnelle. La rencontre avec la solaire Alma va déclencher un séisme. I Walk The Line, titre à double-sens, narre la chute d’Henry Tawes, qui se confond pour les spectateurs avec celle de la figure iconique de son interprète, défenseur des valeurs morales et image de la décence par excellence. Ironie de l’histoire, Frankenheimer aurait préféré Gene Hackman, avec qui il était davantage en connivence, mais la Columbia lui a imposé Peck. Le réalisateur, mécontent du travail de ce dernier sur le film – le jugeant trop raide –, lui en attribuera l’échec. C’est pourtant tout le contraire. Gene Hackman, génial acteur au demeurant, aurait été bien trop déchiffrable. Voir le noble Gregory Peck sortir de sa zone de confort pour jouer ce personnage désespéré et amoureux transi (d’une très jeune fille, qui plus est) rend Henry Tawes encore plus juste. Mal à l’aise, mutique, il est bouleversant. Le comédien conservera lui aussi une certaine amertume vis-à-vis de ce rôle, aux antipodes de sa personnalité, qui, en prime, lui vaudra à l’époque un vrai rejet de la part du public. Après des années de purgatoire, Le pays de la violence — titre français sujet à caution, mais, pourtant pertinent, choisi par Bertrand Tavernier lors de la première projection en France – a aujourd’hui été réhabilité par la critique, tout comme le film précédent de Frankenheimer — le formidable Les parachutistes arrivent (The Gypsy Moths) — avec lequel il partage de nombreuses similitudes. La mise en scène inventive, la profondeur des personnages, le caractère imprévisible de l’intrigue, tout sauf consensuelle, et la peinture pleine d’humanité des habitants de cette petite ville sans perspective, en font une œuvre cruelle, pertinente et passionnante. Les chansons ad hoc, signées Johnny Cash, écrites et composées spécialement pour le film (même I Walk The Line, enregistrée en 1956, est ici augmentée d’un couplet), sont en quelque sorte la voix intérieure d’Henry Tawes. Et puis, ce film « maudit » permet de redécouvrir aussi Tuesday Weld, « l’ange sauvage d’Hollywood » ainsi que la surnomme Olivier Père (auteur du livret de cette édition), actrice oubliée mais douée, qui campe avec brio cette lolita de campagne toute en fragilité et ambivalence.
1 h 37 Et avec, Ralph Meeker, Jeff Dalton, Lonny Chapman, Freddy McCloud…

 

TEST ÉDITION COLLECTOR COMBO

Interactivité *****
Du lourd ! Dans le DVD comme le Blu-ray, le film est enrichi d’une présentation pertinente et truffée d’anecdotes de Thierry Frémaux, qui retrace le destin de ce film mal aimé de son réalisateur, et revient sur l’implication de Bertrand Tavernier qui s’est acharné à le faire découvrir en France (30 mn). Le critique Jean-Baptiste Thoret, grand amoureux du cinéma américain des 70’s fournit un commentaire audio sur des scènes clés (20 minutes). Côté archives, on trouve un court making of et la bande-annonce d’époque, Johnny Cash chantant « The City Of New Orleans » dans le clip Riding The Rails (1974), et deux prestations live du musicien, interprétant deux morceaux du film « I Walk The Line » et « Flesh And Blood ». Enfin, le livre de 96 pages (illustré d’affiches et de photos d’archives), dont 30 sont signées par le critique et journaliste Olivier Père – actuel directeur d’Arte France Cinéma –, est un bonheur. Il revient sur l’histoire du tournage ainsi que sur les carrières de Frankenheimer, Gregory Peck et Tuesday Weld. Le livre se clôt sur une longue interview du réalisateur réalisée par Bertrand Tavernier et Michel Ciment, parue dans le numéro 122 de Positif en décembre 1970.

Image ***
Format : 2.35
Ne pas s’attendre à la restauration du siècle. L’image proposée par le Blu-ray résulte d’un master ancien, probablement le seul à ce jour. La qualité de la définition varie d’une séquence à l’autre mais rien cependant qui n’altère le plaisir de découvrir le film, d’autant que l’ensemble reste très propre

Son ***
DTS-HD Master Audio 2.0 en VOST et français
Idem côté sonore. Une piste stéréo qui ne fait pas de vagues, mais très convenable vu l’âge du film.

 

 

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« What about my boy ? Does he think I’m a hero ?
– No, matter of fact, I heard he’s a Wyatt Earp man. »

 

LA CIBLE HUMAINE (The Gunfighter)

Henry King
1950
Combo DVD + Blu-ray disponible chez Sidonis Calysta

Jimmy Ringo (Gregory Peck) a la réputation d’être le tireur le plus rapide de l’Ouest. Et même s’il a tourné le dos à son passé violent, où qu’il aille, il se trouve toujours un excité pour vouloir se mesurer à lui, afin d’entrer à son tour dans la légende. Las de fuir d’une ville à l’autre, Jimmy aimerait renouer avec son épouse Peggy (Helen Westcott) qu’il a abandonnée il y a quelques années, et faire enfin la connaissance de son jeune fils. Mais alors qu’il se rend à Cayenne pour la retrouver, il fait escale dans un saloon et est provoqué par un jeune irresponsable. Pas de chance, ce dernier avait trois frères. Ceux-ci ne tardent pas à se lancer à sa poursuite avec la ferme intention de le venger…

Après Un homme de fer (Twelve O’Clock High), La cible humaine (parfois titré en français L’homme aux abois) est la deuxième collaboration de Gregory Peck et du cinéaste Henry King, qui feront encore quatre films ensemble, dont Bravados, autre western atypique. L’acteur prendra en quelque sorte le relais de Tyrone Power, qui était jusqu’ici le comédien fétiche du réalisateur. Le jeu détaché de Peck, à l’économie, convenait idéalement à King. Son interprétation de cet homme traqué, qui guette constamment la mort, n’en est pas moins saisissante. Le personnage de Jimmy Ringo est un clin d’œil au véritable hors-la-loi Johnny Ringo, mais l’idée du film est plus pittoresque. Elle est venue au célèbre réalisateur André De Toth. Dans le sensationnel livre d’entretiens Amis américains de Bertrand Tavernier, De Toth raconte qu’il avait remarqué, lors de ses virées dans les bars avec Errol Flynn ou Humphrey Bogart, que ceux-ci étaient constamment provoqués par de jeunes écervelés. De Toth y a vu une similitude avec ce que devaient vivre, au quotidien, les as de la gâchette du vieil Ouest. Avec son scénariste de talent William Bowers, le réalisateur rédige un premier synopsis de The Gunfighter et songe à Gary Cooper. Hélas Coop’, contrairement à De Toth, n’est pas en contrat avec Darryl Zanuck. Ce dernier, refusant de dépenser un centime pour débaucher l’acteur, lui impose Gregory Peck. Pour De Toth, ce comédien à l’allure de professeur est un choix rédhibitoire, une erreur de casting. Il ne tarde pas à claquer la porte, laissant la responsabilité du projet à Bowers qui, dès lors, va collaborer avec le cinéaste Henry King, amené sur le projet par Gregory Peck. Tourné en noir et blanc, La cible humaine a une beauté crépusculaire qui resplendit dès le générique. Épuré, intelligemment mis en scène, le film, dénué de musique, démystifie le hors-la-loi et joue la carte du réalisme (King s’est inspiré de tableaux des peintres de l’Ouest américain, comme Frederic Remington), ce qui le rend également incroyablement moderne. Aujourd’hui considéré comme un chef-d’œuvre, ce western a pourtant fait un four auprès du public. En cause : la moustache de Gregory Peck, idée du scénariste William Bowers et qui avait enthousiasmé l’acteur, mais n’a pas été du goût de ses fans.
1 h 25 Et avec Millard Mitchell, Jean Parker, Karl Malden…

 

 COMBO Blu-ray + DVD 

Le film ici dans une version récemment restaurée et de toute beauté, est assorti d’une formidable présentation par Bertrand Tavernier (26 minutes), grand admirateur de King Vidor (« le cinéaste le plus sentimental du cinéma américain mais dénué de sensiblerie ») et du travail de Gregory Peck, qui raconte avec passion l’histoire de ce tournage. Complémentaire, Patrick Brion arrive en renfort pour évoquer lui aussi ce qu’il considère comme un chef-d’œuvre du western, souvent comparé au fameux Le train sifflera trois fois. Détail amusant, la bande-annonce d’époque est présentée par Gene Tierney.

 

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« C’est gâcher de la bonne charpente, un arbre aurait aussi bien fait l’affaire.
– Ils sont condamnés à être pendus, pas à être lynchés. »

 

LES BRAVADOS (The Bravados)

Henry King
1958
Combo Blu-ray + DVD + Livre disponible chez Sidonis Calysta

Le mystérieux Jim Douglass (Gregory Peck) arrive dans la petite ville de Rio Arriba, près de la frontière mexicaine, la veille de la pendaison de quatre malfrats qui ont attaqué la banque et tué un des employés. Les habitants et le shérif le prennent d’abord pour le bourreau dont ils attendent la venue, puis s’interrogent sur ses motivations. Jim dit vouloir simplement assister à l’exécution de ces meurtriers qu’il pourchasse depuis six mois. Mais alors que Jim assiste à la traditionnelle messe du soir, les bandits parviennent à s’échapper…

Comme Le gaucher et L’homme de la plaine, sur les écrans la même année, Bravados introduit une profondeur psychologique à l’imagerie du western. C’était aussi le cas huit ans plus tôt dans La cible humaine, autre collaboration de Henry King et Gregory Peck. On retrouve ici les thèmes chers au metteur en scène, un peu oublié aujourd’hui par les critiques et cinéphiles. Une désaffection due en grande partie à l’importance de la religion dans son cinéma (il est l’auteur de La vie de Bernadette) et Bravados en est également profondément marqué. Cette messe de veillée de l’exécution, qui permet aux habitants de prier pour les hommes qui vont mourir est assez symbolique. Mais comme l’a souvent souligné Bertrand Tavernier, Henry King est aussi le cinéaste de l’americana, des petites villes de l’Ouest, et ses films sont toujours empreints d’un formidable humanisme. Bravados narre la quête de vengeance d’un individu déterminé à faire justice lui-même, et qui va voir ses convictions s’effondrer. Le combat intérieur de cet homme bon qui s’est écarté de son chemin a quelque chose de fascinant. On ne dévoilera pas les rebondissements de l’intrigue, mais le twist final, plutôt bien amené, donne lieu à une scène magnifique que Gregory Peck joue avec sa sobriété légendaire. A contrario, la subtilité n’est pas le fort de Joan Collins, ici amusante en propriétaire de ranch autrefois éconduite par Jim Douglass, toute en regards énamourés. Parmi les bandits, on reconnaîtra Stephen Boyd (deux ans plus tard, il recevrait le Golden Globe du Meilleur second rôle pour Ben-Hur), le mythique Lee Van Cleef, Henry Silva, et dans un petit rôle, Joe DeRita, qui sera, dès cette année 1958, membre des Three Stooges. Enfin, il faut saluer la beauté de la photographie de Leon Shamroy. La silhouette du cavalier en nuit américaine, qui ouvre le film, est une splendeur.
1 h 38 Et avec Barry Coe, Herbert Rudley, Ken Scott…

 

 COMBO Blu-ray + DVD + Livre

Une fois n’est pas coutume, c’est le monteur Jean-François Giré et non Bertrand Tavernier qui présente le film, proposé dans cette édition dans une version de très belle facture. Il explore avec brio les thématiques de Bravados en insistant sur le caractère religieux du cinéma de King (15 minutes). Patrick Brion revient, entre autres, sur la relation fusionnelle entre le cinéaste et son interprète. On peut découvrir aussi une brève intervention de Joe Dante, qui non sans surprise, préfère les méchants du film, ainsi qu’une petite interview de Joan Collins, qui se remémore avoir été très effrayée par le fait de monter à cheval. Cette fois, la bande-annonce d’époque est présentée par Gregory Peck en personne. L’édition fournit également un livre de 90 pages truffé d’anecdotes et de photos, consacré à l’acteur en tant qu’icône du western.

 

DUEL AU SOLEIL/L’HOMME TRANQUILLE

Deux classiques flamboyants et inclassables viennent de paraître en Blu-ray et DVD, dans des éditions superbement restaurées. Chez Carlotta, Duel au soleil est flanqué d’un livre érudit du spécialiste Pierre Berthomieu qui revient sur la création de cette tragédie épique et baroque aux atours de western vénéneux, amoureusement couvée par son producteur, le magnat David O’Selznick. Edition DVD plus minimaliste chez Films Sans Frontières, mais tout aussi incontournable, celle de L’homme tranquille, ode à l’Irlande qui valut à John Ford le quatrième Oscar de sa carrière. Deux chefs-d’œuvre, et succès populaires, portés par des actrices incandescentes : Jennifer Jones et Maureen O’Hara. 

 


« Pearl, who was herself a wild flower, sprung from the hard clay, quick to blossom and early to die. » Extrait du prologue dit par Orson Welles, en voix-off

 

Duel au soleil (Duel In The Sun)

King Vidor et quelques autres…
1946
En édition Ultra Collector à tirage limité chez Carlotta depuis le 21 mars 2018

Pearl Chavez (Jennifer Jones) est métisse. La jeune fille a la beauté du diable, mais un bagage familial peu enviable. Scott Chavez (Herbert Marshall), son père blanc, est un homme déchu et faible, affligé par la conduite de son épouse indienne, infidèle et aguicheuse. Un soir, c’est l’humiliation de trop. Scott tue sa femme et l’amant de celle-ci. Condamné à mort, il envoie Pearl se réfugier au Texas, chez sa cousine et seule femme qu’il a aimé, Laura Belle McCanless (Lilian Gish), dont le mari (Lionel Barrymore) est un puissant propriétaire terrien. L’arrivée de la jeune fille va attiser les tensions, notamment entre Jesse et Lewt, les deux fils McCanless (Joseph Cotten et Gregory Peck), dont l’un, diplômé en droit, est aussi pondéré et bienveillant que le second, véritable fripouille, est impulsif et passionné…

 Le temps des folies… C’est sous ce titre que Pierre Berthomieu narre l’épopée du tournage de ce western atypique, qui préfigure ceux des productions pharaoniques qui mettront à terre Francis Ford Coppola et Michael Cimino. Car Duel au soleil est le film de la démesure et le reflet de la folie de son producteur, qui voulait réitérer l’exploit d’Autant en emporte le vent. A la source, il y a le roman, homonyme, écrit en 1944 par Niven Busch. Auteur bien connu du monde du cinéma (L’incendie de Chicago et Les furies ont été portés avec brio à l’écran en 1938 et 1950), Busch est aussi un scénariste prisé. Il a notamment collaboré à La vallée de la peur, de Raoul Walsh, et au Facteur sonne toujours deux fois, de Tay Garnett. C’est lui qui est à l’origine du projet d’adaptation de Duel au soleil, qu’il souhaite produire pour la RKO. Mais la défection des stars sollicitées (Teresa Wright — l’épouse de Busch — Hedy Lamarr, Veronica Lake, John Wayne — dans le rôle de Lewt) vont le pousser à se tourner vers David O’Selznick, dont il pressent que la protégée, Jennifer Jones, sera une Pearl Chavez éblouissante. L’avenir va lui donner raison, mais le fameux producteur ne mettra pas longtemps avant de s’approprier le projet. Fin 1944, il rachète les droits du livre à RKO, et engage King Vidor, chantre de l’Amérique et spécialiste des superproductions, pour le réaliser. David O’Selznick fera remanier plusieurs fois le scénario original écrit par Busch et H. P. Garrett, et rendra fou King Vidor qui, en août 1945, excédé par son ingérence, finira par lui rendre son tablier après sept mois de tournage. Le film sera achevé dans la douleur (en ayant largement affolé budget et calendrier), en grande partie par William Dieterle, puis Otto Brower. D’autres, tel Joseph von Sternberg, filmeront quelques scènes… Duel au soleil est donc un film bancal, rejeton d’un producteur mégalo, mais dont la magnificence crève n’importe quel écran. Le Technicolor confère aux ciels rougeoyants de ces paysages d’Arizona (où le film a été tourné) des accents irréels, accentués par des matte paintings à la fois kitsch, baroques et surréalistes. Les personnages sont excessifs, les cavalcades géantes, la musique de Dimitri Tiomkin, grandiloquente, et les sentiments, exacerbés. A l’histoire de l’Ouest (on notera la présence judicieuse des légendaires Lillian Gish, Lionel Barrymore et Walter Huston) se mêle une tragédie familiale, hantée par de vieilles rancunes et des trahisons. Selznick joue avec le feu, et son mélodrame flirte constamment avec les limites du Code Hays (les censeurs interviendront quand même, et une scène d’une danse suggestive de Pearl sautera au montage ). Soixante-douze ans après, l’audace de ce film, non dénué de sadisme et de cruauté, est encore plus saisissante. Le traitement réservé à Pearl, et le mélange passion-répulsion qui la lie à Lewt ont de quoi faire hurler les féministes et défenseurs des droits des femmes. Qu’importe ! Cette vision, grandiose, des amants qui rampent l’un vers l’autre après s’être entre-tués, reste une scène d’anthologie. En 1986, Etienne Daho lui rendra hommage à sa façon dans sa chanson Duel au soleil, où l’on retrouve la même sensualité torride qui anime cette œuvre fulgurante sur le désir et la passion.
2 h 09 Et avec : Charles Bickford, Harry Carey, Joan Tetzel, Butterfly McQueen, Scott McKay…

 

 

 

Test Coffret Ultra Collector (Blu-ray+DVD)

Interactivité ****
Il s’agit du numéro 9 de l’épatante collection des coffrets Ultra Collector Carlotta. Son visuel est l’œuvre du dessinateur et écrivain américain Greg Ruth. Outre le livre de 200 pages sur la «  fabrication » de Duel au soleil, détaillée avec une précision diabolique par Pierre Berthomieu, avec 50 photos inédites à l’appui, le film est enrichi de deux suppléments exceptionnels. Dans le premier, les enfants de Gregory Peck reviennent sur ce rôle de méchant, plutôt rare dans la carrière de leur père, un contre-emploi qu’il a joué avec gourmandise. Le deuxième est une interview du fils de David O’Selznick, qui s’attarde sur la relation tumultueuse entre son père et sa muse, Jennifer Jones. Des bandes-annonces d’époque complètent le programme, identique au Blu-ray et DVD. A noter que le film est proposé avec son prélude et son postlude.

Image Blu-ray ****
Format : 1.33 respecté
Cette image en Haute-Définition est une merveille. Les couleurs explosent à l’écran. Le piqué ne souffre que de très rares imperfections.

Son Blu-ray ***
DTS Master Audio 1.0 en anglais sous-titré et français
Un peu plus puissante dans la version française, cette piste non compressée est claire, équilibrée et dynamique.

Cette édition est parue en tirage limité à 2000 exemplaires, mais des éditions simples, Blu-ray et DVD, sont également disponibles.

 

 

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« Qu’est-ce que The Quiet Man sinon l’histoire d’un type qui a tellement envie d’une fille, qu’il l’épouse sur-le-champ, et passe le reste du film à essayer de coucher avec ? » John Ford (entretien avec Axel Madsen publié dans Les Cahiers du Cinéma en 1966)

  

L’homme tranquille (The Quiet Man)

John Ford
1952
En édition DVD restaurée et remastérisée HD depuis le 26 février chez Films Sans Frontières

Sean Thornton (John Wayne), ancien boxeur qui a fait carrière en Amérique, revient à Inisfree, son village natal, en Irlande. Il a la ferme intention d’acheter le cottage familial pour s’y installer définitivement. Mais cette maison est également convoitée par le colérique Red Will Danaher (Victor McLaglen), qui a une sœur (Maureen O’Hara) au tempérament aussi volcanique que lui, et dont Sean tombe fou amoureux. Le Yankee va découvrir que dans ce Connemara aux traditions ancestrales, le bonheur en passe par le respect des us et coutumes, même les plus absurdes…

 John Ford aura attendu quinze ans pour réaliser L’homme tranquille, l’hommage au pays d’origine de ses parents, quitté pour émigrer aux Etats-Unis en 1872 (le véritable nom de John Ford était Sean Aloysius O’Feeney). C’est en effet à la fin des années trente que le cinéaste acquiert les droits de la nouvelle éponyme, écrite par l’Irlandais Maurice Walsh, publiée, cette même décennie, dans le Saturday Evening Post. Il envisage même d’associer à ce projet l’écrivain Richard Llewellyn (dont il adaptera le roman Qu’elle était verte ma vallée en 1941). Mais en dépit de son enthousiasme, le réalisateur ne parvient pas à convaincre les studios du potentiel commercial de cette romance irlandaise. Ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il a participé, que Ford peut enfin donner vie au projet. Entre-temps, il a fondé sa propre compagnie de production, Argosy Pictures, avec son complice directeur photo, réalisateur, producteur et aventurier Merian C. Cooper, et réécrit le scénario avec Franck S.Nugent, autre fidèle. Ses deux acteurs préférés, Maureen O’Hara et John Wayne, sont de l’aventure, ainsi que toute l’équipe habituelle du réalisateur. O’Hara était si emballée par le projet que, pour alléger le budget, elle a tapé elle-même les pages du script. Tourné dans une ambiance familiale (un des frères de John Ford et deux de Maureen O’Hara jouent dans le film), dans le Connemara, la région des ancêtres du cinéaste, L’homme tranquille est une des rares comédies de Ford (on y trouve même des accents hawksiens). L’Irlande y est idéalisée, sublimée par le Technicolor (le film remportera l’Oscar de la Meilleure Photo), et les traditions catholiques et gaéliques sont dépeintes avec bienveillance et un humour bon enfant. Cette célébration solaire de la vie et du tempérament irlandais (bagarreur mais chaleureux) aborde avec légèreté et truculence les discordances et les conflits (religion et politique y compris… ) L’homme tranquille est aussi le film de Ford qui traite le plus ouvertement de sexe. Le couple John Wayne-Maureen O’Hara fait littéralement des étincelles et la sensualité de l’actrice à la chevelure flamboyante crève l’écran. Mais même le sexe, en Irlande, se règle en place publique. La frustration de Sean qui ne peut consommer son mariage à cause d’une histoire de dot dans laquelle il refuse d’intervenir, devient l’affaire du village. Malgré ses réticences dues à un drame lié à son passé de boxeur, mais aussi à un certain rejet de ces pratiques archaïques, le Yankee devra se retrousser les manches et gagner ses galons de véritable Irlandais et d’époux légitime. Enfin, le film a son petit mystère : pour les besoins du dernier plan, John Ford avait demandé à Maureen O’Hara de murmurer une petite phrase à l’oreille de John Wayne, qui provoquerait la stupéfaction de ce dernier. Ni le cinéaste, ni ses deux acteurs n’en ont jamais révélé la teneur.
2 h 09 Et avec : Barry Fitzgerald, Ward Bond, Mildred Natwick, Francis Ford, Charles B. Fitzsimons, James O’Hara…

 

Test DVD :

Interactivité
Rien de rien, hélas !

Image ***
Format : 1.33 respecté
Il s’agit probablement de la plus belle image du film à ce jour. Les contrastes sont homogènes, les couleurs chatoyantes. Seul un léger grain subsiste, mais jamais nuisible. En clair : un ravissement !

Son ***
DD 2.0 en anglais et anglais sous-titré français
Une seule piste au programme qui ne propose pas de version doublée en français. Elle se révèle dynamique et équilibrée, tout à fait à la hauteur des attentes.

LA VILLE ABANDONNÉE (Yellow Sky)

Quand Bertrand Tavernier parle de western, c’est un peu comme lorsque Raymond Depardon évoque la France profonde : c’est un régal. Non seulement le réalisateur connaît le genre comme sa poche, mais il a rencontré ses légendes (réalisateurs, acteurs, directeurs photo…). Une mémoire précieuse pour un genre fabuleux, dont on ne se lasse pas de revoir les chefs-d’œuvre, et qui est l’une des spécialités de l’éditeur vidéo Sidonis Calysta. Plusieurs fois par an, sa collection Western de légende, dirigée par Alain Carradore, propose, en Blu-ray ou DVD, une rivière de joyaux en versions restaurées. Parmi ces éditions remarquables, enrichies d’interventions de Bertrand Tavernier et/ou Patrick Brion, autre grand amoureux du western, on retient particulièrement celle de La ville abandonnée. En premier lieu parce que le film est un bijou, ici superbement restauré, mais aussi parce que le documentaire sur son génial réalisateur, William A. Wellman, est passionnant et donne envie de jeter immédiatement sur toute sa filmographie.

Yellow 

 La ville abandonnée (Yellow Sky)

Yellow 1

William A. Wellman
1948
En Blu-ray et DVD restaurés chez Sidonis depuis le 28 février

En 1867, au Nevada… Après avoir cambriolé la banque de Rameyville, des renégats menés par James « Stretch » Dawson (Gregory Peck) sont pris en chasse par la cavalerie à laquelle ils échappent en traversant la Vallée de la mort. Au bout de quelques jours, sous un soleil de plomb et assoiffés, les six bandits parviennent à Yellow Sky, une petite ville fantôme, où ne vivent plus qu’un vieux chercheur d’or et sa petite-fille (Ann Baxter), au caractère bien trempé. Si cette dernière sème le trouble parmi les hommes, c’est l’or qui tente davantage Dude (Richard Widmark), qui ne va pas tarder à s’opposer à Stretch…

Classique du western, La ville abandonnée, qui a parfois pris le titre Nevada, est paru la même année que Le trésor de la Sierra Madre, de John Huston, dans lequel les personnages sont aveuglés par la cupidité, comme l’est ici celui qu’interprète, avec le brio qu’on lui connaît, Richard Widmark. Le film est dirigé par William A. Wellman, cinéaste éclectique de l’âge d’or d’Hollywood, qui avait servi dans la fameuse Escadrille Lafayette durant la Première Guerre mondiale, et qui a signé, au cours de sa prolifique carrière, quelques œuvres parmi les plus belles du cinéma américain : des Ailes (Wings) en 1927 à Convoi de femmes, écrit en 1951 avec son ami Frank Capra, en passant par L’ennemi public, Une étoile est née (version originale de 1937), La joyeuse suicidée, Beau geste, L’étrange incident ou Les forçats de la gloire. Western atypique parce qu’étonnamment âpre et dépouillé, La ville abandonnée se distingue aussi par ses paysages naturels magnifiques, sa lumière presque aveuglante, et son noir et blanc savamment contrasté. Wellman dirige de main de maître ce récit imaginé par W. R. Burnett auquel on doit aussi ceux de Quand la ville dort ou La grande évasion. Les dialogues sont réduits à l’essentiel, et les acteurs eux-mêmes affectent une certaine brutalité. L’élégant Gregory Peck trouve là un de ses rares rôles de bad guy, deux ans après celui du fils cynique et vaurien de Duel au soleil de King Vidor. Au début du film, Stretch apparaît cruel, un tantinet sadique, ce qui rend son changement radical d’attitude par la suite un peu artificiel. Même si on ne peut s’empêcher d’y voir l’influence du studio, il faut aussi y reconnaître la patte de Wellman et son humanisme à tous crins, qui le pousse à « sauver » ses personnages. Très attaché aux personnages féminins de tempérament, le cinéaste a particulièrement soigné celui d’Ann Baxter, actrice douée et future Eve de Mankiewicz. Les joutes entre la jeune Constance Mae, dite Mike, et Stretch ne manquent pas de piquant, et débordent d’une sensualité anachronique. En défiant son autorité, et en le remettant vertement à sa place, la jeune femme gagne non seulement le cœur du renégat, mais lui rend aussi son humanité et sa sagesse. Stretch cédera peu à peu sa place de salaud à Dude, Richard Widmark, le méchant qu’on adorait détester depuis le mémorable Carrefour de la mort d’Hathaway. La ville abandonnée avait valu à William A. Wellman le Prix du Meilleur réalisateur au festival de Locarno en 1949, et son scénario (de Lamar Trotti) avait remporté en 1950 celui du Meilleur western, décerné par la vénérable Writers Guild Of America.
1 h 38 Et avec Robert Arthur, John Russell, James Barton, Charles Kemper…

Horse

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Yellow 4

Test Blu-ray :  

blu-ray-la-ville-abandonnee-sidonis-calysta

Interactivité ****
Le Blu-ray reprend le programme de l’édition DVD parue il y a cinq ans chez les mêmes éditeurs. Bertrand Tavernier évoque le film et son réalisateur avec passion durant une vingtaine de minutes. On se réjouit ensuite de découvrir l’hommage à William Wellman intitulé Wild Bill : Hollywood Maverick, produit en 1995 par le fils du cinéaste. Truffé de témoignages de proches, de réalisateurs (Scorsese, Clint Eastwood…) et d’acteurs (Gregory Peck, Richard Widmark, Sidney Poitier, Jane Wyman, Robert Redford…), le documentaire d’une heure est tout bonnement fabuleux. L’incroyable et prolifique carrière de Wellman retrace aussi une page fondamentale de l’histoire du cinéma américain et de l’Amérique elle-même.

Image ***
Format : 1.33
La restauration n’est pas 4K, mais la définition est superbe dans son ensemble. Les contrastes sont magnifiquement gérés. Une splendeur !

Son ***
DD Master Audio 2.0 en anglais sous-titré et français
Une piste 2.0 claire et profonde. Beau travail de restauration ici aussi.

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Parmi les autres pépites du western parues cette année en Blu-ray chez Sidonis, il ne faut pas manquer :

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La dernière caravane (The Last Wagon) 1956, de Delmer Daves, qui donne, pour une fois, le beau rôle à Richard Widmark.

Wid


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Comanche Station, l’un des chefs-d’œuvre de Budd Boetticher, avec son acteur fétiche Randolph Scott (1960)

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L’homme de la plaine (The Man From Laramie), chef-d’œuvre du genre par l’un de ses maîtres, Anthony Mann, avec le génial James Stewart (1955)

Richie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Site officiel de l’éditeur Sidonis Calysta

Blog de Bertrand Tavernier