OSCARS 2021

Ce dimanche 25 avril 2021, l’actrice et réalisatrice Regina King, en robe bleue brodée de sequins signée Louis Vuitton, a traversé le hall de la gare Union Station de Los Angeles pour rejoindre un plateau glamour aux ambiances de cabaret. Lumières tamisées, distanciation de rigueur entre les alcôves où étaient attablés les invités… Loin des fastes d’antan, pour célébrer un 7ème art certes blessé, mais pas tout à fait mis à terre, le show de la 93ème cérémonie des Oscars, produit par Steven Soderbergh et son équipe, a privilégié l’intime et l’humilité.

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« Nous tombons les masques ce soir. Comment est-ce possible ? Voyez la cérémonie comme un plateau de cinéma, un film qui s’intitulerait Oscars avec une distribution de deux cents nommés. Les participants ont tous été vaccinés, testés, retestés. Les mesures de distanciation physique ont été respectées et nous respectons vigoureusement les mesures du protocole sanitaires qui nous ont permis de reprendre le travail en toute sérénité. »

Sans dire qu’elle était moins guindée qu’auparavant (Questlove, aux platines, a eu du mal à chauffer la salle, et ce n’était pas faute d’essayer…), la cérémonie a eu le mérite d’être plus humaine, en laissant notamment les lauréats libres de leur temps de discours, pour une fois pas chronométrés. Petite innovation cette année, la révélation au cours des remises de prix d’anecdotes sur la vie des nommés. On a ainsi pu découvrir qu’Aaron Sorkin, le créateur de A la maison blanche, réalisateur des Sept de Chicago, avait commencé sa carrière au cinéma de son quartier, en poinçonnant les billets et en préparant du pop-corn.

LE PALMARÈS

Le moins qu’on puisse écrire au vu des nominations, c’est que l’Académie a mis à l’honneur la diversité dans les critères d’attribution des prix. Une première. Hélas, pour cause de pandémie, les films présentés durant la soirée n’ont pratiquement pas été vus en salles. D’autres ont été diffusés sur Netflix, comme Mank de David Fincher. C’est lui qui cumulait le plus grand nombre de nominations (dix au total), suivi par Nomadland de Chloé Zhao, The Father, du Français Florian Zeller, Sound Of Metal de Darius Marder, Les sept de Chicago de Aaron Sorkin et Minari, du Coréen Lee Isaac Chung (six chacun).

Mank, probablement jugé trop pointu et trop cinéphile, n’obtiendra pourtant que deux statuettes, pour la direction artistique et la sublime photographie en noir et blanc de Erik Messerschmidt.

 

Le triomphe Nomadland

On s’y attendait vu les récompenses déjà attribuées il y a quelques mois, le grand vainqueur de la soirée, Oscar du Meilleur film, est Nomadland, de Chloé Zhao, déjà encensée pour son précédent, The Rider en 2017. Hollywood célèbre donc un film indépendant qui narre les tribulations d’une sexagénaire, qui, après avoir tout perdu durant la crise de 2008, se lance dans un voyage à travers l’Ouest américain à bord d’un van. Elle est incarnée par la géniale Frances McDormand qui, après Fargo et 3 Billboards, remporte donc pour la troisième fois l’Oscar de la Meilleure actrice. Seule la grande Katharine Hepburn a fait mieux, avec quatre statuettes glanées au cours de sa carrière. Avant d’imiter le cri du loup, en clin d’œil au film, la comédienne a clamé :

 « S’il vous plaît, regardez notre film sur l’écran le plus grand possible et, dans un futur très proche, emmenez tous vos amis dans les salles, épaule contre épaule dans le noir, pour voir tous les films nommés ce soir. »

Onze ans après Kathryn Bigelow (pour Démineurs), la Chinoise Chloé Zhao, pas encore quadragénaire, décroche l’Oscar de la Meilleure réalisatrice. Passionnée par l’Ouest américain (et du coup désavouée dans son propre pays), elle a révélé un de ses secrets : lorsque ça se passe mal sur un tournage, elle pense à Burden Of Dreams, le documentaire sur Fitzcarraldo, et se demande ce que ferait Werner Herzog.

« Je reviens toujours à une phrase d’un poème ancestral chinois qui a marqué mon enfance : ‘Les personnes sont, à la naissance, profondément bonnes’. Même si parfois, nous traversons des périodes difficiles, j’ai toujours trouvé de la bonté dans les individus que j’ai rencontrés et ce, partout dans le monde. Je dédie cette statuette à toutes celles et ceux qui ont la foi et le courage de s’accrocher à la beauté en eux et à celle qu’ils trouvent chez les autres. » 

 

Olivia Colman et Anthony Hopkins dans The Father

The Father de Florian Zeller se distingue par deux Oscars. Florian Zeller et Christopher Hampton remportent celui de la Meilleure adaptation. Ce portrait subtil d’un homme qui sombre dans la démence est adapté de la pièce de Zeller, qui s’était inspiré de sa grand-mère.

Florian Zeller et sa compagne Marine Delterme à Paris. Lewis Joly/Pool via REUTERS

« J’ai écrit le scénario pour Anthony Hopkins, pour moi c’est le plus grand acteur vivant. » a déclaré Florian Zeller

Et alors que le sacre de feu Chadwick Boseman était attendu par ses fans, c’est justement Anthony Hopkins qui a raflé l’Oscar du Meilleur acteur. Le comédien n’était pas présent à Los Angeles, et n’avait pas préparé de discours. Son couronnement, survenu en fin de soirée, a fait un peu pschitt. L’acteur de quatre-vingt-trois ans s’est fendu plus tard d’une modeste bafouille sur Instagram en direct de son Pays de galles natal. Pour faire taire la polémique, il a d’entrée de jeu rendu hommage à Chadwick Boseman, « parti trop tôt ».

« Je ne m’attendais pas à ça, je me sens vraiment privilégié, merci. »

 

Et aussi

Sound of Metal de Darius Marder, l’histoire du batteur d’un groupe de metal, campé par Riz Ahmed, qui devient peu à peu sourd, remporte logiquement l’Oscar du Meilleur son (on le doit, entre autres, au Français Nicolas Becker) ainsi que celui du Meilleur montage.

 

Histoire vraie de Fred Hampton, leader des Black Panthers de Chicago et du traître infiltré dans ses rangs, Judas And The Black Messiah, premier long-métrage de Shaka King, est récompensé par l’Oscar du Meilleur second rôle masculin attribué par la révélation de Get Out, Daniel Kaluuya. Sous les yeux de sa mère et sa sœur, il a livré un discours plein de fougue :

« Merci Dieu ! Merci à ma mère ! Je partage cet Oscar avec le don de Dieu qu’est Lakey standfield, la lumière qu’il représente. Le président Fred Hampton, man, quel homme ! Il a été sur notre Terre pendant vingt et un ans. Il a nourri des enfants, éduqué des enfants, offert des soins médicaux contre toute attente… Le parti Black Panther m’a appris comment voir l’amour et le pouvoir de l’union, qui a débordé sur la communauté noire. Amour ! Paix ! C’est comme ça qu’on avance ! »

Le titre du générique final du film, « Fight For You » par H.E.R. a été salué par l’Oscar de la Meilleure chanson originale. La chanteuse a remercié ses parents de lui avoir fait écouter Marvin Gaye et tous les génies qui l’ont inspirée.

« La connaissance c’est le pouvoir, la musique c’est le pouvoir. »

 

(Judas And The Black Messiah est disponible sur Canal+)

 

C’est la délicieuse actrice coréenne de soixante-treize ans, Yuh-Jung Young, qui vaut à Minari, de Lee Isaac Chung, son seul Oscar, celui du Meilleur second rôle féminin. Très célèbre dans son pays, elle a livré le discours le plus drôle de la soirée, attribuant sa récompense à l’hospitalité américaine.

« Monsieur Brad Pitt ! Enfin, je vous rencontre ! Où étiez-vous pendant que nous tournions en Oklahoma ? »

 

L’Oscar du scénario original est revenu à la très sympathique Emerald Fennell (la Camilla Parker Bowles de The Crown), qui était enceinte de sept mois au moment du tournage de son Promising Young Woman, un film de vengeance avec une Carey Mulligan impressionnante.

 « J’essaie de ne pas verser de larmes, ça va être difficile mais je suis britannique et on n’a pas le droit de pleurer en public. »

 

 Comme on pouvait également s’y attendre, l’Oscar du Meilleur film étranger est allé à Drunk, du Danois Thomas Vinterberg, à qui l’on doit le discours le plus bouleversant. Il a dédié la statuette à sa fille Ida, décédée à dix-neuf ans des suites d’un accident de voiture en Belgique, au moment du tournage.

 « Peut-être as-tu tiré les ficelles quelque part et cet Oscar est pour toi. »

 

Le blues de Ma Rainey, de George C. Wolfe adapté d’August Wilson, avec Viola Davis et Chadwick Boseman remporte deux Oscars, Meilleurs maquillage et coiffure, et Meilleurs Costumes.

 

L’oscar du Meilleur film d’animation a été attribué à Soul de Pete Docter et Kemp Powers.

 « On l’a imaginé comme une lettre d’amour au jazz, mais on ne savait pas que le jazz nous en apprendrait sur la vie. On ne maîtrise pas ce qui se passe, mais comme un musicien de jazz, on peut transformer ce qui se passe en quelque chose de précieux et de beau. » a dit Pete Docter.
Le film remporte également l’Oscar de la Meilleure bande originale, signée Trent Treznor, Atticus Ross et Jon Batiste.

 

L’Oscar des effets visuels est revenu à Tenet de Christopher Nolan.


« Christopher Nolan nous donne des occasions incroyables de faire des choses incroyables. » dixit Scott Fisher, seul des quatre lauréats à être présent, et dont le père était déjà un maître du genre. 

 

L’Oscar du Meilleur documentaire est allé au sud-africain La sagesse de la pieuvre de Pippa Ehrlich et James Reed, celui du Meilleur court-métrage documentaire à Colette. Dans ce film américain d’Anthony Giacchino, on suit l’ancienne résistante française Colette Marin-Catherine qui se rend pour la première fois de sa vie en Allemagne, dans le camp de concentration où son jeune frère, à l’âge de dix-sept ans, a perdu la sienne.

 

 

Déceptions

 Les Sept de Chicago, formidable et regorgeant de performances d’acteurs, est reparti bredouille malgré toutes ses qualités et ses nominations. Il est à découvrir absolument sur Netflix.

Même si j’aime beaucoup Juh-Jung Young, c’est Amanda Seyfried qui aurait idéalement dû remporter le trophée de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Mank, où elle brille littéralement.

L’hommage aux disparus, sur une chanson de Stevie Wonder, a défilé à la vitesse de la lumière, bien trop vite. On avait à peine le temps de lire les noms, alors que certaines légendes, comme Olivia de Havilland, auraient mérité qu’on s’attarde sur elles. On a tout de même remarqué que les Frenchies Bertrand Tavernier, Michel Piccoli ou Jean-Claude Carrière n’avaient pas été oubliés.

Miss Congeniality

Le titre revient à Glenn Close, qui a mouché l’humoriste Lil Rel Howery, animateur du blind test des chansons culte des Oscars organisé par Questlove, en répondant brillamment sur « Da Butt » de Experience Unlimited, chanson du film School Daze de Spike Lee. Elle s’est même prêtée à une démonstration de twerk, qui a vite fait le buzz sur la Toile.

 

Paillettes

Carey Mulligan n’a rien gagné pour sa performance dans Promising Young Woman (qu’on a hâte de découvrir en salles), mais elle avait la plus belle robe, signée Valentino. L’Oscar de la Paillette, c’est à elle qu’il revient.

Merci à Getty Images, l’agence Reuters, Canal+, Netflix, ABC… 

 

 

THE ADDICTION en Blu-ray

Les éditions Carlotta exhument en beauté le film culte d’Abel Ferrara paru en 1995. Métaphore de la toxicomanie, ce film de vampires étrangement barré et magnifiquement photographié dans un New York hivernal, est porté par une Lili Taylor habitée. Remarquable, cette édition propose de très bons suppléments dont le formidable Entretien avec les vampires, un documentaire réalisé par le cinéaste lui-même, parti, vingt-trois ans après le tournage, à la rencontre de ses acteurs principaux, dont le génial Christopher Walken.

 

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« Les films qui comptent sont tous en noir et blanc. »
Abel Ferrara

 

THE ADDICTION

Abel Ferrara
1995
Paru le 24 mars chez Carlotta en Blu-ray, avec une nouvelle restauration 4K approuvée par Abel Ferrara et son chef-opérateur Ken Welsch
Également disponible en DVD

Brillante étudiante en philosophie, Kathleen Conklin (Lili Taylor) prépare son doctorat à l’Université de New York. Un soir, en rentrant chez elle, elle croise une séduisante inconnue (Annabella Sciorra) qui l’entraîne brutalement dans une impasse avant de la mordre au cou. Affolée, la jeune femme se rend à l’hôpital, mais ses analyses ne révèlent rien de particulier. Pourtant de jour en jour, son comportement change tandis qu’elle est tenaillée par une insatiable soif de sang humain…

Lorsque je l’avais découvert en salle lors de sa sortie en France en 1996, ce film m’avait fait une très forte impression, celle d’avoir vécu une expérience sensorielle étrange. Vingt-cinq ans après, grâce à cette version magnifiquement restaurée, le visionnage de The Addiction suscite la même fascination. Et pourtant, Ferrara se donne du mal pour décourager le spectateur, notamment par un verbiage philosophique étayé de moult citations (Kierkegaard, Nietzsche, Sartre…), ceci parfois devant des images d’archives de charniers (de My Lai au Vietnam ou de camps de concentration nazis). La réflexion sur le mal  — « Est-on est mauvais parce qu’on fait le mal ou le fait-on parce qu’on est fondamentalement mauvais ? » — ne nécessitait pas ce gloubi-boulga intello (dans un document d’époque fourni par l’édition, on voit même le réalisateur se marrer en regardant les rushes). « Si l’homme ne tire jamais les leçons de l’histoire, dit Kathleen plus simplement, c’est parce qu’il est fondamentalement mauvais. » Il ne peut résister à la tentation. Comme beaucoup d’œuvres de Ferrara (L’ange de la vengeance, New York 2 heures du matin, China Girl, The King Of New York, Snake Eyes…), The Addiction a été écrit par le très catholique Nicholas St. John, ami et complice du réalisateur depuis l’école. On lui doit la connotation chrétienne du film (rédemption, pardon, résurrection…) que Ferrara tempère avec une bonne dose d’humour noir. Ici, les vampires sont vus comme des junkies (à moins que ce ne soit l’inverse). Il est question de dépendance, de manque, de quête de soi, mais aussi de contamination et d’un mal qui se propage, comme dans Body Snatchers, le remake de L’invasion des profanateurs que Ferrara avait réalisé deux ans auparavant. La beauté de ce film à très petit budget (l’équipe a travaillé sans être payée — elle le sera en partie par la suite) saute au visage. Chaque plan est une merveille, qui renvoie au cinéma expressionniste allemand, mais aussi à l’école expérimentale new-yorkaise. Abel Ferrara, natif du Bronx et amoureux transi de la Grosse Pomme, retrouve ici les impulsions de ses débuts, de ses premiers courts-métrages underground des années 70. Beaucoup de séquences ont été tournées en pleine rue (on pense à Shadows, de Cassavetes) et leur dynamisme est palpable. La métamorphose de Lili Taylor, d’étudiante intello en vampire enragée, est glaçante. Tantôt sublime, tantôt grotesque ou effrayante, cette plongée dans les ténèbres réserve au moins deux grands moments d’anthologie : l’apparition de Christopher Walken en vampire millénaire et sage, amateur de Burroughs et Baudelaire, et une incroyable séquence de carnage lors d’une soirée universitaire, où les vampires fondent sauvagement sur les invités sans autre forme de procès. Les discussions ampoulées vont alors céder la place à des hurlements désespérés et des grognements de bêtes enragées. Sale temps pour la philo.
1 h 22 Et avec Edie Falco, Paul Calderon, Fredro Starr, Kathryn Erbe…

 

TEST ÉDITION BLU-RAY

Interactivité ****
Le programme de suppléments est un régal. Le morceau de choix est Entretien avec les vampires, documentaire réalisé par Ferrara en 2018 (31 minutes). Accompagné par son fidèle chef-opérateur Ken Kelsch, il interviewe lui-même Lili Taylor, Christopher Walken et le compositeur Joe Delia. Chacun y va de ses anecdotes et confidences. Christopher Walken évoque son ami Philip Seymour Hoffman récemment décédé. Il confie aussi ne pas s’intéresser à la psychologie de ses personnages, se contentant d’apprendre ses lignes (ceci explique pourquoi il n’est pas devenu complètement cinglé). Abel Ferrara se remémore le tournage dans un entretien de 16 minutes. Il cite Quincy Jones : « Quand l’argent entre dans la pièce, Dieu en sort. » pour affirmer qu’avec un gros budget, on ne peut réaliser un film comme The Addiction. Le critique britannique Brad Stevens fait ensuite une brève analyse du film et s’attarde sur les dissensions entre Ferrara et son scénariste, causes, selon lui du message ambivalent du film. Enfin un court reportage d’époque montre le réalisateur en plein montage, à une heure tardive, et qui ne cesse de clamer son amour pour New York.
 

Image ****
Format : 1.85
Une remasterisation 4K absolument divine avec un grain argentique de toute beauté. Le noir et blanc est somptueux, contrasté, et toujours lumineux même dans les séquences nocturnes.

Son ****
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en VOST
Deux pistes pour la version originale. Celle en 5.1 offre une très belle spatialisation, subtile et impressionnante, qui met en valeur les passages musicaux et les montées en tension.

LAURA ANTONELLI N’EXISTE PLUS

Ce n’est pas un scoop, L’Équipe a longtemps été l’un des journaux les mieux écrits de France. Il ne s’agit pas seulement pour ces rédacteurs de décrire le beau geste ou la liesse des supporters. Ce métier nécessite une connaissance aiguë de la nature humaine. Le sport est un mélange de passion, de discipline, de dépassement de soi, de courage mais aussi de douleur et d’amertume. Il y a du romantisme là-dedans. Tout comme son aîné feu Antoine Blondin, et son collègue Vincent Duluc — spécialiste du foot qui vient de publier une biographie romancée de Carole Lombard et Clark Gable, Philippe Brunel, était, jusqu’à l’été 2020, une plume de L’Équipe. Il a quitté le journal après quatre décennies de bons et loyaux services consacrées à ennoblir le cyclisme, sa passion. L’homme sait raconter les histoires, qui, souvent, finissent mal. Il a signé les essais Vie et mort de Marco Pantani (Grasset, 2009) et Rouler plus vite que la mort (Grasset, 2018). Côté romans, on lui doit déjà La nuit de San Remo (Grasset, 2012), qui revenait sur le suicide présumé du jeune Luigi Tenco, beau chanteur italien et amant de Dalida, retrouvé mystérieusement mort d’une balle dans la tête dans sa chambre d’hôtel en 1967, lors du festival de San Remo. Avec Laura Antonelli n’existe plus, Philippe Brunel explore à nouveau un mythe de l’Italie, sa seconde patrie, et rend un hommage poétique à celle qui fut un sex-symbol des seventies, et dont la destinée fut aussi cruelle que tragique.

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Passion d’amour (Passione D’Amore) d’Ettore Scola (1981)

« On n’est jamais à l’abri de rater sa vie. L’abîme est toujours proche. Un jour, tout se désagrège, s’anéantit dans le vide sans qu’on n’y puisse rien. »

 

 

LAURA ANTONELLI N’EXISTE PLUS

Roman de Philippe Brunel
Publié chez Grasset le 3 février 2021

 

À la suite du coup de fil énigmatique d’un producteur, le narrateur embarque pour Rome investi d’une obscure mission : retrouver Laura Antonelli, l’actrice solaire, oubliée, dont Visconti disait qu’elle était « la plus belle femme du monde »…

Il Maestro, qui lui avait offert en 1976 sont plus beau rôle, dans L’Innocent, disait aussi qu’elle avait « un visage d’ange sur un corps de pécheresse ». Et cela pour son malheur. L’un des films dans lesquels elle a tourné, signé Luigi Comencini, s’intitule Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ? Un titre prémonitoire… Laura Antonelli était née Laura Antonaz en 1941 à Pola, en Istrie alors italienne, (aujourd’hui croate). Sa famille, comme bon nombre de familles italiennes d’Istrie après la Seconde Guerre mondiale, est condamnée à l’exil. En 1962, après des études supérieures à Naples et avec un diplôme de professeur d’éducation physique en poche, Laura s’installe à Rome. Elle passe moins de temps à enseigner qu’à tourner des spots publicitaires qui vont bientôt attirer l’attention des producteurs de cinéma. Son nom d’actrice apparaît pour la première fois, en 1964, au générique de L’espion qui venait du surgelé, de Mario Bava. Ce sera la première d’une longue série de ce que Philippe Brunel décrit comme « des comédies osées, frivoles, des pochades sans prétention ». Car la puissance érotique qui émane de ses courbes et postures va faire de Laura Antonelli un sex-symbol, un fantasme, et lui valoir le surnom de « la Bardot italienne. »

Divine créature, de Giuseppe Patroni Griffi (1975)

« Laura n’a pas la splendeur sculpturale d’Anita Ekberg, la déesse païenne, phosphorescente de la Dolce Vita, ni les pâleurs diaphanes d’une Monica Vitti insatisfaite, existentialisée par Antonioni, mais elle incarnait quelque chose de plus rare, la femme du peuple « pasta e fagioli » accessible et désirable, à la beauté embarrassante, qui vous remuait les sangs. »

 

Malicia (Malizia)

 

En 1973, Malicia, de Salvatore Samperi, va même l’ériger en icône du cinéma érotique. Elle y campe une domestique fraîchement engagée par un veuf, et dont la sensualité ne tarde pas à mettre en émoi toute la maisonnée, dont un adolescent de quatorze ans. Le succès, phénoménal, va aussi cantonner la comédienne, excellente au demeurant, à ce genre de rôle. Rares sont les films qui en réchappent. On retient surtout Les mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau qu’elle tourne en 1971 aux côtés de Marlène Jobert et Jean-Paul Belmondo (qui sera son compagnon durant huit ans), Sans Mobile apparent de Philippe Labro, L’innocent, et Passion d’amour d’Ettore Scola. Après avoir connu l’ivresse de la gloire durant la décennie 70, Laura Antonelli va peu à peu basculer du côté obscur au cours de la suivante. La chute sera inexorable.

Les mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau (1971)

Avec Jean-Paul Belmondo au Festival de Cannes en 1974

L’innocent (L’innocente) de Luchino Visconti (1976)

Péché véniel (Peccato Veniale) de Salvatore Samperi (1974)

 « La mélancolie, c’est comme une maladie, on ne s’en débarrasse jamais… »

En 1991, elle est arrêtée pour possession de cocaïne et fait la une de la presse à scandale. Cette exposition malsaine lui vaut d’être sollicitée pour reprendre son rôle de soubrette dans le piètre remake de Malicia, Malicia 2000, paresseusement réalisé par le même Salvatore Samperi. Sur le tournage, des injections de collagène destinées à atténuer ses rides vont lui provoquer une allergie si sévère qu’elle sera quasiment défigurée. Laura Antonelli, fragile, mal entourée, va dès lors entamer une lente descente aux enfers. Elle s’isole, se débarrasse de tous ses biens matériels et se tourne vers la religion. Jusqu’à sa mort, survenue en 2015 (à soixante-treize ans), elle vivra en ermite, méconnaissable, dans un modeste deux-pièces de Ladispoli, ville côtière à quarante kilomètres de Rome.

Voyage en Italie

Au moment où Philippe Brunel écrit le livre, Laura Antonelli est encore de ce monde. Au dernier journaliste qui avait souhaité la rencontrer elle avait répondu : « Laissez-moi. Laura Antonelli n’existe plus. » Le récit de cette quête fiévreuse transporte dans une Italie écrasée de soleil, des plages de Maccarese à Ladispoli en passant par la villa de Cerveteri, autrefois demeure de l’actrice et de tous les scandales. Les quartiers de Rome n’ont pas de secrets pour l’auteur. On y croise les fantômes de Luchino Visconti, Danilo Donati, Pier Paolo Pasolini, Alida Valli, Anna Magnani, mais aussi des amis de Laura Antonelli, tel Marco Risi, fils de Dino, ou l’acteur Lino Banfi. Toutes ces rencontres, ces rendez-vous dans des lieux insolites parfois, finissent par lever le voile sur le mystère Laura Antonelli. À l’expérience de journaliste viennent se mêler les souvenirs de jeunesse. La plume à la fois alerte et poétique de Philippe Brunel bouleverse et tient le lecteur en haleine. Jusqu’à la fin, le suspense est total.

 

« Je n’ai toujours pas résolu ce qui m’attirait dans cette histoire, au-delà de cette fascination qu’on éprouve devant l’absurdité de notre présence au monde… »

Laura Antonelli