C.B. STRIKE/VICTORIA

Alors que la diffusion de la quatrième saison de l’épatante Poldark vient de démarrer outre-Manche, retour sur deux autres petites Anglaises qui, en dépit de leur discrétion médiatique en France, en ont également sous le capot.

  « You could find beauty nearly anywhere if you stopped to look for it. » 

 

C. B. Strike (Strike)


2017
Mini-série en deux saisons diffusée en 2017 et 2018 sur BBC One. Les deux sont disponibles en France sur OCS City depuis le 16 juin 2018.

Vétéran de la guerre d’Afghanistan qui lui a coûté une jambe et ex-flic dans l’armée, Cormoran Strike (Tom Burke) est désormais détective privé à Londres. Ce fils de rock star et d’une groupie top model morte dans des circonstances mystérieuses, vient de se séparer de sa fiancée et passe davantage de temps à broyer du noir au pub du coin qu’à gérer son activité qui périclite. L’arrivée de Robin Ellacott (Holliday Grainger), jeune intérimaire pleine de ressources, va le remettre sur les rails…

 C. B. Strike fait partie de ces séries confortables, à l’ancienne, old school, qui ne révolutionnent pas le genre, mais dont le visionnage procure un plaisir fou. Le charme opère dès le générique, sur la chanson de Beth Rowley « I Walk Beside You ». Contre toute attente, les aventures de ce Sherlock Holmes destroy ont été imaginées par l’auteur de la saga Harry Potter. En effet, c’est sous le pseudonyme de Robert Galbraith que J. K. Rowling en a publié en 2013 le premier tome, L’appel du coucou, passé inaperçu avant que le subterfuge ne soit révélé. Le vers à soie et La carrière du mal ont suivi. Ces trois intrigues adaptées pour la télévision par Tom Edge (The Crown) et Ben Richards (Tunnel) constituent les deux saisons de la série (dont J. K. Rowling est productrice exécutive), en attendant de nouvelles publications. Pour autant, ce ne sont ni les enquêtes, ni la teneur des énigmes qui passionnent, mais plutôt les atmosphères et la personnalité des deux protagonistes dont l’alchimie est indiscutable. Les amoureux de Londres et de l’Angleterre y trouveront également leur compte. La série a été tournée le plus près possible des vrais lieux choisis par la romancière. Ainsi le bureau de Cormoran Strike est situé sur Denmark Street, la rue des magasins de musique vintage prisée des musiciens des années 50 à 70. On reconnaît également Kensington, Oxford Street et le quartier de Fitzrovia. A la manière de la divine série Chapeau melon et bottes de cuir, les enquêtes mènent le tandem à la campagne, dans le Kent, le Yorkshire… Et comme dans la relation entre John Steed et Emma Peel, une tension amoureuse est sous-jacente entre ce privé fracassé et solitaire, et cette détective en herbe sur le point d’en épouser un autre. Tom Burke, vu dans The Hour, Guerre et paix ou The Musketeers, fait un taciturne très séduisant et pousse même la galanterie jusqu’à laisser l’exquise Holliday Grainger, qui fut la Lucrèce Borgia de la série de Neil Jordan, lui voler la vedette.
Sept épisodes d’une heure environ. Et avec Kerr Logan, Ben Crompton, Tara Fitzgerald, Tim McInnerny, Killian Scott, Peter Sullivan…

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« You don’t think I’m too short to be dignified ?
– To me Ma’am, you are every inch a queen. »

Victoria (Saison 1)


2017
Diffusée depuis 2016 sur ITV, en France sur Altice Studio (SFR). Première saison en Blu-ray et DVD chez Koba Films depuis le 6 avril 2018

 En 1837, le roi d’Angleterre Guillaume IV meurt sans héritier légitime. Son frère Ernest-Auguste convoite le trône mais se fait damer le pion par sa nièce Alexandrina Victoria (Jenna Coleman). Agée de dix-huit ans, la jeune fille a été élevée à l’écart du monde par sa mère, la duchesse de Kent, et l’ambitieux régent John Conroy, dont il se murmure qu’il est l’amant. A Buckingham les esprits s’échauffent en évoquant la jeunesse et l’inexpérience de la souveraine dont les gestes sont scrutés à la loupe. Mais Victoria, qui fait preuve d’une force de caractère inattendue, va trouver un allié de poids en la personne du sage et brillant Lord Melbourne (Rufus Sewell)…   

Sept ans après le film de Jean-Marc Vallée (Victoria, les jeunes années d’une reine, avec Emily Blunt dans le rôle-titre), celle qui fut une des monarques les plus influentes de l’histoire (soixante-trois ans de règne) revient sous les traits de la jeune et mutine Jenna Coleman, bien connue des fans de la série Doctor Who. Là encore, on entre dans le show créé par Daisy Goodwin par un générique de toute beauté, qui mêle assez astucieusement classicisme et modernité. Il est souligné par le magnifique « Alleluia » composé par Martin Phipps et interprété par l’ensemble vocal anglais féminin Mediæval Bæbes. Victoria semble regarder le spectateur dans les yeux, et le visage de Jenna Goodman reflète tous les aspects de la personnalité de cette reine passionnée, impulsive et à la volonté de fer. A peine sortie d’une enfance dorée mais solitaire, la jeune fille est confrontée aux luttes intestines et aux perfidies de son entourage. La saison 1, celle de la métamorphose, s’attarde sur sa relation avec Lord Melbourne (formidable Rufus Sewell) puis sa rencontre passionnée avec le Prince Albert, campé par un Tom Hugues (The Game, Adieu à Cemetery Junction) irrésistiblement romantique. Aux critiques, qui ont reproché l’excès de scènes sentimentales, on répondra qu’il aurait été absurde d’occulter cet aspect important de la vie de la reine. L’adoration pour son époux est restée légendaire et Victoria sera toute son existence une grande amoureuse. C’est sous l’influence d’Albert, qui s’intéressait à la modernisation de l’industrie autant qu’aux conditions de vie des ouvriers, que Victoria fera entrer l’Angleterre dans une nouvelle ère. Les changements sociaux, économiques et technologiques sont mis en exergue dans la peinture de la vie des domestiques de Buckingham, dont on suit les tribulations et qui ne manquent pas une occasion de débattre de ce qui se passe au Palais. Enfin, la série est une splendeur en termes de photo, costumes et décors. Les intérieurs de Buckingham Palace ont été recréés fidèlement et de manière sensationnelle ; grâce aux effets spéciaux subtils, on est littéralement propulsé dans le Londres victorien. La troisième saison de cette série très populaire outre-Manche est en cours de production.
8 épisodes de 48 minutes. Et avec Nell Hudson, David Oakes, Adrian Schiller, Daniela Holtz, Catherine Flemming, Eve Myles, Ferdinand Kingsley…

 

 

De très belle facture, le coffret 3-DVD propose les huit épisodes en VO et VOST, ainsi qu’un bref making of et des featurettes instructives sur les coulisses de la production.

 

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A noter que Koba Films propose également de redécouvrir en DVD l’excellente mini-série anglaise Sous influence, diffusée sur Arte en mars dernier, avec une Emily Watson impressionnante.

DUEL AU SOLEIL/L’HOMME TRANQUILLE

Deux classiques flamboyants et inclassables viennent de paraître en Blu-ray et DVD, dans des éditions superbement restaurées. Chez Carlotta, Duel au soleil est flanqué d’un livre érudit du spécialiste Pierre Berthomieu qui revient sur la création de cette tragédie épique et baroque aux atours de western vénéneux, amoureusement couvée par son producteur, le magnat David O’Selznick. Edition DVD plus minimaliste chez Films Sans Frontières, mais tout aussi incontournable, celle de L’homme tranquille, ode à l’Irlande qui valut à John Ford le quatrième Oscar de sa carrière. Deux chefs-d’œuvre, et succès populaires, portés par des actrices incandescentes : Jennifer Jones et Maureen O’Hara. 

 


« Pearl, who was herself a wild flower, sprung from the hard clay, quick to blossom and early to die. » Extrait du prologue dit par Orson Welles, en voix-off

 

Duel au soleil (Duel In The Sun)

King Vidor et quelques autres…
1946
En édition Ultra Collector à tirage limité chez Carlotta depuis le 21 mars 2018

Pearl Chavez (Jennifer Jones) est métisse. La jeune fille a la beauté du diable, mais un bagage familial peu enviable. Scott Chavez (Herbert Marshall), son père blanc, est un homme déchu et faible, affligé par la conduite de son épouse indienne, infidèle et aguicheuse. Un soir, c’est l’humiliation de trop. Scott tue sa femme et l’amant de celle-ci. Condamné à mort, il envoie Pearl se réfugier au Texas, chez sa cousine et seule femme qu’il a aimé, Laura Belle McCanless (Lilian Gish), dont le mari (Lionel Barrymore) est un puissant propriétaire terrien. L’arrivée de la jeune fille va attiser les tensions, notamment entre Jesse et Lewt, les deux fils McCanless (Joseph Cotten et Gregory Peck), dont l’un, diplômé en droit, est aussi pondéré et bienveillant que le second, véritable fripouille, est impulsif et passionné…

 Le temps des folies… C’est sous ce titre que Pierre Berthomieu narre l’épopée du tournage de ce western atypique, qui préfigure ceux des productions pharaoniques qui mettront à terre Francis Ford Coppola et Michael Cimino. Car Duel au soleil est le film de la démesure et le reflet de la folie de son producteur, qui voulait réitérer l’exploit d’Autant en emporte le vent. A la source, il y a le roman, homonyme, écrit en 1944 par Niven Busch. Auteur bien connu du monde du cinéma (L’incendie de Chicago et Les furies ont été portés avec brio à l’écran en 1938 et 1950), Busch est aussi un scénariste prisé. Il a notamment collaboré à La vallée de la peur, de Raoul Walsh, et au Facteur sonne toujours deux fois, de Tay Garnett. C’est lui qui est à l’origine du projet d’adaptation de Duel au soleil, qu’il souhaite produire pour la RKO. Mais la défection des stars sollicitées (Teresa Wright — l’épouse de Busch — Hedy Lamarr, Veronica Lake, John Wayne — dans le rôle de Lewt) vont le pousser à se tourner vers David O’Selznick, dont il pressent que la protégée, Jennifer Jones, sera une Pearl Chavez éblouissante. L’avenir va lui donner raison, mais le fameux producteur ne mettra pas longtemps avant de s’approprier le projet. Fin 1944, il rachète les droits du livre à RKO, et engage King Vidor, chantre de l’Amérique et spécialiste des superproductions, pour le réaliser. David O’Selznick fera remanier plusieurs fois le scénario original écrit par Busch et H. P. Garrett, et rendra fou King Vidor qui, en août 1945, excédé par son ingérence, finira par lui rendre son tablier après sept mois de tournage. Le film sera achevé dans la douleur (en ayant largement affolé budget et calendrier), en grande partie par William Dieterle, puis Otto Brower. D’autres, tel Joseph von Sternberg, filmeront quelques scènes… Duel au soleil est donc un film bancal, rejeton d’un producteur mégalo, mais dont la magnificence crève n’importe quel écran. Le Technicolor confère aux ciels rougeoyants de ces paysages d’Arizona (où le film a été tourné) des accents irréels, accentués par des matte paintings à la fois kitsch, baroques et surréalistes. Les personnages sont excessifs, les cavalcades géantes, la musique de Dimitri Tiomkin, grandiloquente, et les sentiments, exacerbés. A l’histoire de l’Ouest (on notera la présence judicieuse des légendaires Lillian Gish, Lionel Barrymore et Walter Huston) se mêle une tragédie familiale, hantée par de vieilles rancunes et des trahisons. Selznick joue avec le feu, et son mélodrame flirte constamment avec les limites du Code Hays (les censeurs interviendront quand même, et une scène d’une danse suggestive de Pearl sautera au montage ). Soixante-douze ans après, l’audace de ce film, non dénué de sadisme et de cruauté, est encore plus saisissante. Le traitement réservé à Pearl, et le mélange passion-répulsion qui la lie à Lewt ont de quoi faire hurler les féministes et défenseurs des droits des femmes. Qu’importe ! Cette vision, grandiose, des amants qui rampent l’un vers l’autre après s’être entre-tués, reste une scène d’anthologie. En 1986, Etienne Daho lui rendra hommage à sa façon dans sa chanson Duel au soleil, où l’on retrouve la même sensualité torride qui anime cette œuvre fulgurante sur le désir et la passion.
2 h 09 Et avec : Charles Bickford, Harry Carey, Joan Tetzel, Butterfly McQueen, Scott McKay…

 

 

 

Test Coffret Ultra Collector (Blu-ray+DVD)

Interactivité ****
Il s’agit du numéro 9 de l’épatante collection des coffrets Ultra Collector Carlotta. Son visuel est l’œuvre du dessinateur et écrivain américain Greg Ruth. Outre le livre de 200 pages sur la «  fabrication » de Duel au soleil, détaillée avec une précision diabolique par Pierre Berthomieu, avec 50 photos inédites à l’appui, le film est enrichi de deux suppléments exceptionnels. Dans le premier, les enfants de Gregory Peck reviennent sur ce rôle de méchant, plutôt rare dans la carrière de leur père, un contre-emploi qu’il a joué avec gourmandise. Le deuxième est une interview du fils de David O’Selznick, qui s’attarde sur la relation tumultueuse entre son père et sa muse, Jennifer Jones. Des bandes-annonces d’époque complètent le programme, identique au Blu-ray et DVD. A noter que le film est proposé avec son prélude et son postlude.

Image Blu-ray ****
Format : 1.33 respecté
Cette image en Haute-Définition est une merveille. Les couleurs explosent à l’écran. Le piqué ne souffre que de très rares imperfections.

Son Blu-ray ***
DTS Master Audio 1.0 en anglais sous-titré et français
Un peu plus puissante dans la version française, cette piste non compressée est claire, équilibrée et dynamique.

Cette édition est parue en tirage limité à 2000 exemplaires, mais des éditions simples, Blu-ray et DVD, sont également disponibles.

 

 

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« Qu’est-ce que The Quiet Man sinon l’histoire d’un type qui a tellement envie d’une fille, qu’il l’épouse sur-le-champ, et passe le reste du film à essayer de coucher avec ? » John Ford (entretien avec Axel Madsen publié dans Les Cahiers du Cinéma en 1966)

  

L’homme tranquille (The Quiet Man)

John Ford
1952
En édition DVD restaurée et remastérisée HD depuis le 26 février chez Films Sans Frontières

Sean Thornton (John Wayne), ancien boxeur qui a fait carrière en Amérique, revient à Inisfree, son village natal, en Irlande. Il a la ferme intention d’acheter le cottage familial pour s’y installer définitivement. Mais cette maison est également convoitée par le colérique Red Will Danaher (Victor McLaglen), qui a une sœur (Maureen O’Hara) au tempérament aussi volcanique que lui, et dont Sean tombe fou amoureux. Le Yankee va découvrir que dans ce Connemara aux traditions ancestrales, le bonheur en passe par le respect des us et coutumes, même les plus absurdes…

 John Ford aura attendu quinze ans pour réaliser L’homme tranquille, l’hommage au pays d’origine de ses parents, quitté pour émigrer aux Etats-Unis en 1872 (le véritable nom de John Ford était Sean Aloysius O’Feeney). C’est en effet à la fin des années trente que le cinéaste acquiert les droits de la nouvelle éponyme, écrite par l’Irlandais Maurice Walsh, publiée, cette même décennie, dans le Saturday Evening Post. Il envisage même d’associer à ce projet l’écrivain Richard Llewellyn (dont il adaptera le roman Qu’elle était verte ma vallée en 1941). Mais en dépit de son enthousiasme, le réalisateur ne parvient pas à convaincre les studios du potentiel commercial de cette romance irlandaise. Ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, à laquelle il a participé, que Ford peut enfin donner vie au projet. Entre-temps, il a fondé sa propre compagnie de production, Argosy Pictures, avec son complice directeur photo, réalisateur, producteur et aventurier Merian C. Cooper, et réécrit le scénario avec Franck S.Nugent, autre fidèle. Ses deux acteurs préférés, Maureen O’Hara et John Wayne, sont de l’aventure, ainsi que toute l’équipe habituelle du réalisateur. O’Hara était si emballée par le projet que, pour alléger le budget, elle a tapé elle-même les pages du script. Tourné dans une ambiance familiale (un des frères de John Ford et deux de Maureen O’Hara jouent dans le film), dans le Connemara, la région des ancêtres du cinéaste, L’homme tranquille est une des rares comédies de Ford (on y trouve même des accents hawksiens). L’Irlande y est idéalisée, sublimée par le Technicolor (le film remportera l’Oscar de la Meilleure Photo), et les traditions catholiques et gaéliques sont dépeintes avec bienveillance et un humour bon enfant. Cette célébration solaire de la vie et du tempérament irlandais (bagarreur mais chaleureux) aborde avec légèreté et truculence les discordances et les conflits (religion et politique y compris… ) L’homme tranquille est aussi le film de Ford qui traite le plus ouvertement de sexe. Le couple John Wayne-Maureen O’Hara fait littéralement des étincelles et la sensualité de l’actrice à la chevelure flamboyante crève l’écran. Mais même le sexe, en Irlande, se règle en place publique. La frustration de Sean qui ne peut consommer son mariage à cause d’une histoire de dot dans laquelle il refuse d’intervenir, devient l’affaire du village. Malgré ses réticences dues à un drame lié à son passé de boxeur, mais aussi à un certain rejet de ces pratiques archaïques, le Yankee devra se retrousser les manches et gagner ses galons de véritable Irlandais et d’époux légitime. Enfin, le film a son petit mystère : pour les besoins du dernier plan, John Ford avait demandé à Maureen O’Hara de murmurer une petite phrase à l’oreille de John Wayne, qui provoquerait la stupéfaction de ce dernier. Ni le cinéaste, ni ses deux acteurs n’en ont jamais révélé la teneur.
2 h 09 Et avec : Barry Fitzgerald, Ward Bond, Mildred Natwick, Francis Ford, Charles B. Fitzsimons, James O’Hara…

 

Test DVD :

Interactivité
Rien de rien, hélas !

Image ***
Format : 1.33 respecté
Il s’agit probablement de la plus belle image du film à ce jour. Les contrastes sont homogènes, les couleurs chatoyantes. Seul un léger grain subsiste, mais jamais nuisible. En clair : un ravissement !

Son ***
DD 2.0 en anglais et anglais sous-titré français
Une seule piste au programme qui ne propose pas de version doublée en français. Elle se révèle dynamique et équilibrée, tout à fait à la hauteur des attentes.

CÉSAR, OSCARS, RAZZIES 2018

 

CÉSAR 2018, 43ème

 


@Best Image

« Pas impossible que ce soir, le César aille du côté de chez Swann »

Plan-plan. C’est l’adjectif le plus entendu dans la bouche des commentateurs de la 43ème cérémonie des César, qui se déroulait à la salle Pleyel le 2 mars dernier. Et à juste titre. Manu Payet a fait le job, mais sans originalité aucune, et ses tentatives d’humour ont été plus embarrassantes que franchement convaincantes, à l’image de cette introduction façon Broadway tellement ratée qu’elle a mis tout le monde mal à l’aise. Même les allusions à la lutte contre les violences faites aux femmes se sont révélées laborieuses (malgré le ruban blanc arboré par beaucoup d’invités, on ne peut pas dire que l’assistance se soit levée avec enthousiasme pour afficher son soutien à #MaintenantOnAgit, le mouvement lancé par les femmes du cinéma français). La seule à avoir mis véritablement les pieds dans le plat, et avec brio, est la comédienne et humoriste Blanche Gardin.

@Abaca

« Dorénavant, je crois que c’est clair pour tout le monde, les producteurs n’ont plus le droit de violer les actrices. Par contre, ce qu’il va falloir clarifier assez vite, c’est : est-ce que nous, on a encore le droit de coucher pour avoir les rôles ? Parce que si on n’a plus le droit, alors il faudra apprendre des textes… passer des castings… et on n’a pas le temps… franchement… je vous le dis, on n’a pas le temps. »

 

Reflet des préoccupations de la société française, le palmarès a privilégié, cette année encore, les films engagés, sans négliger toutefois les ambitions artistiques. Ont donc été honorés en cette 43ème édition, 120 battements par minute, fresque sur les années Sida et le combat de la fondation Act Up, et Petit Paysan, de Hubert Charuel, thriller rural qui évoque les angoisses d’un éleveur face à la crise de la vache folle.

Les six César, dont celui du Meilleur film, obtenus par le film de Robin Campillo, déjà lauréat du Grand Prix du Jury à Cannes l’année dernière où il avait fait l’unanimité de la critique, ont donné un ton particulièrement grave à la soirée. Notamment lorsque le président d’Act Up Paris est monté sur scène pour souligner l’absence d’un prix pour la bien-pensance avant de clamer « Sida, Migrants, ne détournez pas le regard. »

@Philippe Lopez/AFP

Récompensé par le César de la Meilleure adaptation pour le film d’Albert Dupontel Au revoir, là-haut, l’écrivain Pierre Lemaitre, dont le livre homonyme avait obtenu en 2013 le prix Goncourt, a également asséné en recevant son trophée :

« Au revoir là-haut raconte l’histoire de deux hommes qui ne trouvent pas de place dans la société alors qu’ils n’ont pas démérité. Un demi-siècle plus tard, il est un peu déprimant de se rendre compte que d’autres, qui eux non plus, n’ont pas démérité, se trouvent situés aux marges de la société, et parfois, à la limite de l’exclusion. Nous les appelons aujourd’hui les pauvres, les SDF, les mal logés, les précaires, nous les appelons aussi les réfugiés. »

 

Si les trophées obtenus par les deux jeunes comédiens de 120 battements par minute sont amplement mérités, on ne peut que se féliciter des Césars obtenus par les attachants Sara Giraudeau (l’épatante « Phénomène » du Bureau des légendes) et Swann Arlaud. Partenaires dans Petit Paysan, ils ont respectivement reçus les César du Meilleur second rôle féminin et Meilleur acteur. Le film a reçu le César du Meilleur premier film.

@Benoit Tessier/Reuters

Jeanne Balibar, couronnée Meilleure actrice pour Barbara, de Mathieu Amalric, a été ovationné pour son discours, de loin le plus « barré » et flamboyant de la soirée.

@Benoit Tessier/Reuters

« Merci Mathieu, d’abord je suis très contente, parce que toi, l’homme aux quatre cent vingt-sept mille César et aux quatre-vingt-dix-huit milliards de nominations, je soupçonne tel que je te connais qu’aucun ne te fait plus plaisir que ceux que les autres obtiennent par ton entremise. Et puis je voudrais te dire merci pour l’attention et le regard si constant, mais non seulement constant, mais aussi vraiment précis et concret, et réel, et qui ne sont jamais du bla-bla, même quand personne ne comprend rien à ce que tu dis. Et puis je voudrais te dire merci d’être celui qui toujours ose dire qui il est, c’est-à-dire faire un film de barge, et non pas suivre un cahier des charges, c’est-à-dire faire du cinéma. »

L’hommage aux disparus de l’année a été curieusement découpé en plusieurs séquences, et Aure Atika a créé une drôle de sensation en arrivant sur scène pour remettre le César des Meilleurs costumes avec une robe similaire à celle que portait Mireille Darc dans Le Grand Blond avec une chaussure noire. L’actrice, courageuse sous sa perruque blonde, a dévoilé sa chute de reins, suscitant autant d’admiration que de gêne de la part des spectateurs.

@AFP

Bien plus incontesté était l’hommage à Penelope Cruz, venue recevoir un César d’honneur, qui a eu droit à un « Te Quiero » touchant de Marion Cotillard (vêtue d’un sac-poubelle selon les dires de nombreux internautes, mais signé Michael Halpern tout de même). Pedro Almodovar, son mentor, était au rendez-vous. Son discours enflammé a ému l’actrice espagnole jusqu’aux larmes.

@Best Image

« Elle appartient à cette culture où est née une lignée de femmes fortes et fragiles en même temps, mères toutes-puissantes et imparfaites, personnages viscéraux qui souffrent sans pudeur et se réjouissent sans limites. »

 

I’m Not Your Negro de Raoul Peck, qui reprend les mots de l’écrivain James Baldwin pour retracer la lutte des Noirs américains pour les droits civiques, et le beau Faute d’amour de Andreï Zviaguintsev remportent respectivement les César du Meilleur documentaire et du Meilleur film étranger.

L’audace du Redoutable de Michel Hazanavicius, de L’atelier, de Laurent Cantet et de Patients, de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, n’a pas été récompensée. Et s’il avait existé, comme aux Golden Globes, un César de la Meilleure comédie, Le sens de la fête, d’Olivier Nakache et Eric Toledano, ne serait pas reparti bredouille. Mais l’Académie a choisi de créer un César du public, en comptabilisant le nombre d’entrées (comme si c’était un gage de qualité), qui est allé cette année à Raid Dingue, sympathique au demeurant, de Dany Boon, ravi, mais pas dupe. Quant à Grave, le premier film horrifique et prometteur de Julia Ducourneau, il devra se contenter de cette belle exposition, et d’avoir fait le buzz toute l’année.

@AFP

Glamour

Doria Tillier, César AFAP de la robe de princesse (Dior Couture)

INTÉGRALITÉ DU PALMARÈS DES CÉSAR 2018 

 

OSCARS 2018, 90ème

 

« Grâce à Guillermo del Toro, on se souviendra que c’est en 2017 que, les hommes ayant tellement déconné, les femmes se sont mises à sortir avec des poissons. »

Elle aussi a été qualifiée de plan-plan par de nombreux observateurs, et pourtant, le 4 mars 2018 au Dolby Theatre de Los Angeles, la célébration du 90ème anniversaire des Oscars s’est révélée fabuleuse à plusieurs titres.

 

Certes, ce n’est pas de Jimmy Kimmel, plutôt en deçà de sa verve habituelle, qu’est venu le piquant. Les blagues sur la bourde de l’année dernière et sur les discriminations ont été plus convenues que prévues, et même les allusions à Harvey Weinstein sont restées sages. Il n’est pas venu non plus du palmarès, prévisible en tous points, même si la diversité a été respectée. En revanche, les cinéphiles ont pu apprécier la part belle faite à l’histoire du 7ème art, avec notamment un montage de rêve pour le 90ème anniversaire, et la présence parmi les remettants, de légendes telles que Rita Moreno, de West Side Story, ou Eva Marie Saint, partenaire de Marlon Brando dans Sur les quais – pour lequel elle avait obtenu l’Oscar – ou de Cary Grant dans La mort aux trousses.

@Getty
« Je viens de remarquer que j’étais plus âgée que l’Académie. »

 

En référence au fiasco de l’année dernière, Jimmy Kimmel a prévenu : « Si vous entendez votre nom, ne vous levez pas tout de suite, attendez une minute. » Pas rancunière, l’Académie a demandé à Warren Beatty et Faye Dunaway, les deux responsables du La La Gate, de venir retenter leur chance, ce qu’ils ont fait avec humour.

@Lucas Jackson/reuters
« It’s lovelier, the second time around ! » 

 

Idéalement, c’est 3 Billboards, les panneaux de la vengeance qui aurait dû remporter l’Oscar du Meilleur film cette année. Mais le bonheur de Guillermo del Toro faisait franchement plaisir à voir. Au total, La forme de l’eau aura obtenu quatre Oscars (sur treize nominations). Meilleurs film, réalisation, musique (superbe, d’Alexandre Desplat) et décors.

@Abaca

« J’étais un petit garçon amoureux du cinéma, amoureux des films, lorsque j’ai grandi au Mexique. Je pensais que gagner un Oscar, c’était bien au-delà de mes rêves. »

 

@Abaca

On remarquera que comme aux César deux jours auparavant, c’est le discours de la lauréate de la Meilleure actrice qui a réveillé la salle. Couronnée pour son rôle de mère en colère dans 3 Billboards, les panneaux de la vengance, de Martin McDonagh, Frances McDormand a fait un de ses numéros survoltés dont elle est coutumière, devant son époux Joel Coen, imperturbable. Elle a invité toutes les professionnelles de l’assistance à se lever. Et Meryl Streep ne s’est pas fait prier.

@Sky

On se réjouit des Oscars obtenus par :

Gary Oldman, Meilleur acteur pour Les heures sombres de Joe Wright, dans lequel il campe un Churchill bluffant de vérité. En bon sujet britannique, il a déclaré :

@Mark Ralston/AFP
« Maman, prépare la bouilloire. Je ramène Oscar et on va se boire une bonne tasse de thé ensemble. »

Sam Rockwell, Meilleur second rôle génial de 3 Billboards, les panneaux de la vengeance a dédié son Oscar à « son vieux pote » Philip Seymour Hoffman. 

@Abaca
« Je remercie l’incroyable distribution de 3 Billboards, et tous ceux qui ont déjà regardé un panneau. »

 

Allison Janney, révélée par la série A la Maison-Blanche, Meilleur second rôle pour Moi, Tonya de Craig Gillespie
@Kevin Winter/Getty Images
« J’ai fait tout ça, toute seule… » 

Dunkerque, de Christopher Nolan, lauréat de trois Oscars (Meilleurs montage, son et mixage sonore)

 

Blade Runner 2049, de Denis Villeneuve, deux Oscars pour la photo de Roger Deakins, et les effets visuels.

 

 

@Kevin Winter/Getty Images

James Ivory, le génial cinéaste de Chambre avec vue reçoit à quatre-vingt-neuf ans son premier Oscar, pour l’adaptation de Call Me By Your Name de Luca Guadagnino, avec Timothée Chalamet et Armie Hammer.

 

Phantom Thread, de Paul Thomas Anderson, avec Daniel Day-Lewis, Oscar logique des Meilleurs costumes

 

Get Out, le premier film de Jordan Peele avec Daniel Kaluuya, phénomène de 2017, a été salué par l’Oscar du Meilleur scénario original

 

L’Oscar du Meilleur film d’animation est revenu à Coco, de Lee Unkrich et Adrian Molina. Cette production Disney-Pixar a également reçu l’Oscar de la Meilleure chanson (« Remember Me » signée Kristen Anderson Lopez et Robert Lopez).

Les Français attendaient Visages, Villages d’Agnès Varda et JR, mais l’Oscar du Meilleur documentaire a été attribué à Icarus, de Bryan Fogel et Dan Cogan, tandis que le trophée du Meilleur film étranger est allé au Chili, pour Une femme fantastique, de Sebastian Lelia, avec Daniela Vega.

Mis sur la touche par le palmarès et repartis bredouilles malgré leurs nominations sont le très bon Pentagon Papers, de Steven Spielberg, Lady Bird, de Greta Gerwig, Mudbound de Dee Rees, Star Wars Episode VIII, de Rian Johnson, et Baby Driver, de Edgar Wright. L’équipe de Star Wars, tout comme Steven Spielberg et son actrice Meryl Streep, peut se consoler puisqu’elle est au-delà des récompenses (venu en compagnie de ses partenaires BB-8, Oscar Isaac et Kelly Marie Tran remettre des trophées sur scène, Mark Hamill a ironisé en évoquant sa retraite de Jedi). Quant à Greta Gerwig, Edgar Wright et Dee Rees, ils doivent déjà savourer le fait d’avoir été nommés.

@Kevin Winter/Getty Images

Oscars AFAP du Glamour

Nicole Kidman (Armani Privé), Margot Robbie (Chanel), Gail Gadot (Givenchy), et Emma Stone en smoking Louis Vuitton.

 

INTÉGRALITÉ DU PALMARÈS DES OSCARS 2018
Critique La forme de l’eau
Critique 3 Billboards, les panneaux de la vengeance
Critique Pentagon Papers

RAZZIE AWARDS 2018, 38ème

 

Comme il est d’usage, la veille des Oscars, avait lieu la remise des Razzie Awards, qui récompensent le pire de l’année.

Le monde secret des Emojis, de Tony Leondis, a raflé les Razzies du pire film de l’année, mais aussi du pire réalisateur, scénario et du pire couple à l’écran.

 

Au nombre de trophées, il est suivi par Cinquante nuances plus sombres, de James Foley, qui a obtenu les razzies de la Pire suite, et du Pire second rôle féminin (Kim Basinger)

 

Tom Cruise a reçu le Razzie du Pire acteur de l’année pour son rôle dans La momie, d’Alex Kurtzman. Il peut toujours se consoler en pensant que Sir Laurence Olivier lui-même avait reçu le même trophée à deux reprises (en 1981 et 1983).

Enfin l’acteur Tyler Perry est élu Pire actrice de l’année pour sa prestation dans Tyler Perry’s Boo 2 : A Madea Halloween, tandis que Mel Gibson est le Pire acteur dans un second rôle pour Daddy’s Home 2.

 

See you next year !

@Kevin Winter/Getty Images