L’ANNÉE DU DRAGON et Sélection DVD/Blu-ray

Pont 
« I guess if you fight a war long enough, you end up marrying the enemy. »

 

L’année du dragon (Year Of The Dragon)

Rourke

Michael Cimino
1985 (en DVD et Blu-ray restaurés depuis le 9 mars 2016 chez Carlotta)
Nommé pour le César du Meilleur film étranger en 1986

Vétéran du Vietnam et policier le plus décoré de New York, Stanley White (Mickey Rourke) est muté à Chinatown où un parrain de la mafia chinoise vient de se faire assassiner. Conronté à la vague de violence qui s’abat sur le quartier, White, qui ne fait pas dans la dentelle, entreprend de déclarer la guerre aux bandes criminelles et trafiquants de drogue à la solde des triades qui gangrènent Chinatown. Il soupçonne notamment Joey Tai (John Lone), un jeune et ambitieux homme d’affaires, de vouloir s’approprier le territoire…

Après quatre années de purgatoire, consécutives au fiasco de La porte du Paradis, Michael Cimino se voit confier par le célèbre producteur Dino De Laurentiis l’adaptation de L’année du dragon, roman publié en 1981 par Robert Daley, journaliste au New York Times (il est également l’auteur du Prince de New York). Cimino saute sur l’occasion, mais obtient la liberté de revoir le scénario, avec la complicité d’Oliver Stone. Ainsi, si L’année du dragon, qui paraît en 1985, brosse un tableau très authentique de ce Chinatown aux mains des triades chinoises, il est également empreint des obsessions du réalisateur et de son scénariste, hantés par la guerre du Vietnam, la question de l’idéal américain et du rôle néfaste des médias dans la société américaine. Conçu comme un western urbain, le film tourne vite à l’affrontement entre deux hommes : un flic d’origine polonaise, arrogant et tête brûlée, et un gangster d’origine chinoise déguisé en homme d’affaires raffiné et élégant. Pour coincer Joey Tai, Stanley White ne fait pas de quartier, et refuse les petits arrangements avec l’ennemi suggérés par sa hiérarchie, quitte à mettre en danger sa femme, sa maîtresse, son équipe, et bien sûr, au mépris de sa propre vie. Dès la scène d’ouverture, spectaculaire, dans un Chinatown sublimé par sa reconstitution en studio, on est subjugué par la beauté des images (le film a été tourné en Scope), et des couleurs, explosives. Toute cette splendeur — les vues de New York sont à couper le souffle, à l’image de l’appartement de la belle journaliste Tracy Tzu — forme un contraste saisissant avec la violence et la sauvagerie des règlements de comptes. Mickey Rourke, alors en pleine gloire, trouve ici l’un de ses meilleurs rôles face à un John Lone extrêmement séduisant, qui campera deux ans plus tard le héros du merveilleux Le dernier empereur, de Bernardo Bertolucci. La rage et la folie des deux personnages confèrent à leur confrontation finale un caractère épique et grandiose, entre le western et le film noir. A sa sortie, L’année du dragon fera les frais de critiques injustifiées, accusant Cimino de racisme éhonté envers la communauté asiatique, assimilant ses convictions à certaines paroles proférées par Stanley White. L’année du dragon essuiera un échec au box office américain (il écopera même de cinq Razzie Awards !), mais obtiendra un joli succès en France. Le film s’impose à ce jour, après Voyage au bout de l’enfer et La porte du Paradis, comme le dernier chef-d’œuvre flamboyant du cinéaste maudit.
2 h 14 Et avec Ariane, Raymond J. Barry, Caroline Cava, Dennis Dun, Victor Wong…

 TracyLone

Test Collector :

The Year DVD

Interactivité ****
Après la magnifique édition Collector consacrée à Body Double de Brian De Palma, Carlotta réitère avec ce beau coffret comprenant le double-DVD et le Blu-ray du film en version restaurée ainsi qu’un livre de 208 pages intitulé L’ordre et le chaos incluant une analyse de François Guérif, des extraits du scénario original, des interviews de Michael Cimino, Mickey Rourke et Robert Daley publiées dans les revues de cinéma à l’époque de la sortie du film, des photos inédites et des notes de production. Les suppléments à proprement dit consistent en une introduction très pertinente de Jean-Baptiste Thoret, et un entretien audio d’environ 30 minutes avec Michael Cimino, qui se remémore le tournage et parle sans langue de bois de ses fiertés et de ses déceptions. L’un des plus grands regrets de sa carrière réside dans le refus de la part du studio de sa réplique finale (« Quand on fait une guerre assez longtemps, on finit par épouser son ennemi. »), qui contenait toute l’essence du film, pour la remplacer par un dialogue d’une banalité confondante.

Image ****
Format : 2.35
La restauration, récente, a fait des merveilles. Il suffit de jeter un œil à la bande-annonce d’époque pour le constater. La définition est quasi parfaite. On ne décèle que de rares flous et fourmillements. Les contrastes sont impressionnants, les couleurs flamboyantes.

Son : ***
DTS-HD Master Audio 5.1 et 2.0 en anglais sous-titré
DTS-HD Master Audio 2.0 en français
Net avantage à la version originale, la seule à disposer d’une piste remixée en 5.1, mais on ne s’en plaindra pas ici. Les puristes préféreront peut-être la version d’origine en 2.0, mais la piste en 5.1 se révèle immersive et harmonieuse. Le caisson de basses soutient efficacement les montées de tension et les effets ajoutés mettent le spectacle en relief.

Rue
Glasses
The Year 2

A noter que le film est également disponible en édition Blu-ray simple.

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Carlotta a publié à la même date, en Blu-ray et DVD, Desperate Hours (La maison des otages), réalisé par Michael Cimino, cinq ans après L’année du dragon, avec le même Mickey Rourke en vedette. Ce film méconnu (et de commande), remake de La maison des otages de William Wyler, a bénéficié lui aussi d’un nouveau master restauré, et est accompagné d’une préface instructive de Jean-Baptiste Thoret.

Desperate

 

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Dragon Hoku

« Je connais un vieil excentrique. Tantôt il dessine un Bodhidharma géant sur une surface de cent vingt tatamis. Et tantôt il dessine deux moineaux sur un grain de riz. »

Miss Hokusai

Seule

Keiichi Hara
2015 (En DVD depuis le 20 janvier 2016 chez Anime)
Prix du Jury 2015 du Festival du film d’animation d’Annecy

En 1814 dans la ville bouillonnante d’Edo (l’actuelle Tokyo), O-Ei, jeune femme indépendante d’une vingtaine d’années, au caractère bien trempé, vit avec son père, le célèbre peintre d’estampes Katsushika Hokusai, qu’elle n’hésite pas à traiter de vieux fou. O-Ei a elle-même un véritable talent de peintre et travaille très souvent sur les œuvres de son père. Elle tente aussi de le convaincre de s’intéresser à son autre fille, la petite O-Nao, aveugle de naissance qui vit dans un temple auprès de religieuses et souffre de l’indifférence de son père à son égard…

Miss Hokusai est adaptée du manga Sarusuberi, de la mangaka et historienne Hinako Sugiura, disparue prématurément en 2005, à l’âge de quarante-six ans. Keiichi Hara, réalisateur des remarqués Un été avec Coo et Colorful, rend hommage à l’œuvre originale publiée dans les années 80, en y ajoutant sa patte (dont l’utilisation du rock dans la bande-son) et ses propres réflexions sur l’art, la mort, la religion. Contrairement au biopic traditionnel, le film d’animation se concentre sur quatre saisons de la vie de O-Ei, et immerge dans le quotidien bohème de la jeune fille, troisième des quatre filles du maître, artiste talentueuse et déterminée, gauche dans les relations humaines, et très protectrice envers sa petite sœur malade. C’est par ses yeux que l’on découvre la personnalité fantasque de son père célèbre (notamment pour la série des Trente-six vues du Mont Fuji, où figure la fameuse estampe Sous la vague au large de Kanagawa, plus connue sous le titre La grande vague et à laquelle le film fait un joli clin d’œil). A l’image de la maison-atelier, véritable fourbi, où sa fille et lui dessinent et dorment sur le sol, à même leurs travaux, Katsushika Hokusai apparaît comme un homme excentrique, obsédé par son art, n’ayant que faire de l’argent, et plutôt indifférent aux problèmes de sa famille. Les va-et-vient incessants de O-Ei à travers Edo, ses rêveries sur le pont, ses incursions dans le Yoshiwara (quartier des plaisirs ou « monde flottant ») permettent de découvrir ce pré-Tokyo déjà grouillant de vie, et sujet aux incendies à cause du bois des habitations (une source d’inspiration pour les peintures d’O-Ei). L’humour, la mélancolie et le fantastique s’entremêlent dans cette chronique intime, ponctuée de scènes sublimes et accompagnée par une bande-son anachronique de toute beauté. Si le rythme lancinant et l’aspect un peu décousu de la narration peuvent déstabiliser, Miss Hokusai est une formidable introduction à l’histoire de cette saga familiale artistique et rend justice à une artiste accomplie, restée pour la postérité dans l’ombre de son père.

Fleur Hoku
Pont Hoku
Fourbi

 

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Le film est disponible en DVD et Blu-ray, éditions Simple ou Collector. Seules ces dernières sont enrichies de suppléments, comprenant notamment un making of de deux heures ainsi qu’une interview de Keiichi Hara.

Wave

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Lance
« He recovered from cancer and turned into bloody Superman. Do you think that’s natural ?
– Why are you so obsessed with this ?
– Why are you NOT obsessed with this ? »
 

The Program

Vélo

Stephen Frears
2015 (En Blu-ray et DVD depuis le 26 janvier 2016 chez Studiocanal)

En 1993, Lance Armstrong (Ben Foster), a vingt et un ans et aborde son premier Tour de France. Sa forte personnalité suscite l’intérêt de David Walsh (Chris O’Down), journaliste sportif au Sunday Times, qui a tôt fait de constater qu’ Armstrong fait montre d’un véritable talent sur route, mais beaucoup moins dans les étapes de montagne, où il est invariablement distancé. Révolté en comprenant qu’il n’a aucune chance contre les coureurs consommateurs d’EPO, la substance interdite que leur fournit le médecin italien Michele Ferrari (Guillaume Canet) et qui améliore les performances de manière phénoménale, Armstrong tente de se rapprocher de ce dernier. Au même moment, on lui diagnostique un cancer très virulent…

Stephen Frears n’est pas féru de cyclisme, sport auquel il a même avoué ne pas connaître grand-chose. Mais l’aspect édifiant de l’affaire Lance Armstrong ne lui a pas échappé lorsqu’il est tombé sur une critique de The Secret Race, le livre publié par Tyler Hamilton et Daniel Coyle, ex-coéquipiers du champion déchu, récompensé en 2012 par le Prix William Hill Sports Book Of The Year. The Program sera pourtant adapté d’un autre livre, celui du journaliste David Walsh, qui s’est battu seul contre tous pour que la vérité soit faite. En une heure et quarante-trois minutes, le film de Stephen Frears conte l’ascension et la chute d’un homme dont l’histoire était bien trop belle pour être vraie, et en parallèle, le combat acharné de Walsh, alors que les instances du sport et ses propres confrères préféraient fermer les yeux. Si, en infâme Michele Ferrari, Guillaume Canet tourne son personnage en dérision, l’ensemble de la distribution est un sans-faute. Ben Foster, qui s’est entraîné pour le rôle, est très convaincant en cycliste professionnel. Il l’est aussi en Lance Armstrong mégalo, rusé, calculateur, qu’il rend particulièrement antipathique. On pourra reprocher à la démonstration, étayée par de nombreuses séquences d’archives, de manquer de profondeur et d’ambition artistique, mais ce thriller efficace, nerveux et caustique brosse un tableau implacable des coulisses étonnamment sordides d’un sport pourtant réputé pour sa noblesse.
1h 43 Et avec Jesse Plemons, Lee Pace, Denis Ménochet, Dustin Hoffman, Elaine Cassidy, Edward Hogg…

Canet

Tube 

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Le DVD accompagne le film d’un bouquet de suppléments un peu trop promotionnels qui ont tendance à le paraphraser. On retiendra cependant l’interview de David Walsh, qui souligne qu’Armstrong n’était pas fait pour le Tour de France mais pour « les courses classiques d’un jour », rappelant qu’il était une superstar sur route. Il parle de Michele Ferrari comme d’un « docteur Frankenstein », et ne tarit pas d’éloge sur Betsy Andreu, qui l’a aidé dans son combat. Et de conclure : « La victoire à n’importe quel prix est inacceptable… L’affaire Armstrong est un avertissement gravé dans l’histoire du sport. »

Chris

 

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Main
« Is it you ? Is it ? »

 

Quelque part dans le temps (Somewhere In Time)

Portrait

Jeannot Szwarc
1980 (en Blu-ray et DVD depuis le 24 février 2016 chez Rimini Editions)
Prix de la critique au festival fantastique d’Avoriaz en 1981
Nommé à l’Oscar 1981 des Meilleurs costumes

En 1972 à Chicago, à la fin de la représentation d’une de ses pièces, le jeune dramaturge à succès Richard Collier (Christopher Reeve) est abordé par une vieille dame qui semble le connaître. Elle lui remet une ancienne montre à gousset en lui disant « Reviens-moi ! », avant de disparaître dans la foule. Pensant avoir affaire à une excentrique, Richard n’y prête pas attention. Mais huit ans plus tard, au Grand Hôtel victorien de l’île Mackinac où il est descendu par hasard, il tombe fou amoureux de la photographie d’une jeune femme (Jane Seymour), exposée dans le musée de l’établissement. En effectuant des recherches, il découvre que cette comédienne de théâtre, célèbre au début du siècle, n’est autre que l’étrange vieille dame qui l’avait abordé huit ans plus tôt…

De la carrière du réalisateur franco-américain Jeannot Szwarc, qui s’est principalement consacré à la télévision (il a collaboré à moult séries télévisées populaires telle que Ally McBeal, Smallville, Boston Public, ou la récente Bones), on retiendra quelques films, dont Les dents de la mer 2, Enigma, Supergirl, et ce Quelque part dans le temps, devenu culte avec les années après avoir été massacré par la critique à sa sortie. Cette histoire d’amour fou et de voyage dans temps est librement adaptée du roman Le jeune homme, la mort et le temps (Bid Time Return), écrit en 1975 par Richard Matheson — maître de l’épouvante et de la science-fiction, auteur, entre autres, de Je suis une légende et L’homme qui rétrécit — qui a participé au projet et apparaît ici le temps d’une courte scène. D’un romantisme échevelé, le film, sorte de rêve éveillé, épouse le point de vue de Matheson, plus concerné par l’humain que par la science. Ainsi, plutôt que de recourir aux effets spéciaux classiques d’un voyage temporel, le cinéaste en appelle au pouvoir de la pensée et du rêve, à la manière du Peter Ibbetson d’Henry Hathaway. A l’image du Grand Hotel, personnage à part entière du film, Quelque part dans le temps distille un charme un peu suranné. La belle musique de John Barry et la prestation habitée et sensible de l’attachant Christopher Reeve, révélé deux ans plus tôt par Superman, l’ont rendu inoubliable.
1 h 43 Avec Christopher Plummer, Teresa Wright, Bill Erwin, Susan French…

Plage
Plummer

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Pour sa première sortie en Blu-ray, le film profite d’un nouveau master Haute Définition, un peu inégal (visages un peu trop rosés), mais propre, avec de jolis contrastes dans la partie contemporaine. Si côté son, on doit se contenter d’un DTS 2.0, plus harmonieux en anglais, le programme de suppléments est inespéré, même s’il est moins fourni que l’édition américaine. Jeannot Szwarc, au cours d’une interview de 35 minutes, réalisée en 2015, revient sur les aléas du tournage (pas d’argent, mais de la débrouille et un élan de solidarité incroyable) et révèle moult anecdotes (John Barry était l’époux de la meilleure ami de Jane Seymour, d’où sa présence au générique de ce film fauché…). On peut également découvrir un portrait pertinent de Richard Matheson par le professeur et spécialiste Pascal Monteville (30 minutes). Et enfin, les fans du film apprendront qu’un week-end Somewhere In Time se tient tous les deux ans depuis vingt-cinq ans au Grand Hotel de l’île Mackinac, haut lieu du tourisme du Michigan (le lien vers le site de l’hôtel est fourni).

Hotel

 

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Blunt

« Elle vient d’un monde où elle doit justifier chaque balle tirée, et elle se retrouve là où les gens tirent à tout va. »
Emily Blunt évoquant son personnage

Sicario
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Denis Villeneuve
2015 (En Blu-ray et DVD depuis le 8 février chez Metropolitan Vidéo)
Trois nominations aux Oscars 2016

En Arizona, en recherchant des otages, une unité d’élite du FBI découvre de nombreux corps mutilés dans une maison appartenant à narcotrafiquant. Kate Macer (Emily Blunt), l’agent de terrain chargée de l’affaire, se voit aussitôt proposer d’intégrer une cellule d’intervention clandestine dirigée par la CIA et le ministère de la défense, afin d’arrêter le chef du cartel mexicain responsable des meurtres. Mais la jeune femme est vite désemparée par les méthodes de barbouzes du chef de l’opération, l’agent du FBI Matt Graver (Josh Brolin) et par la personnalité trouble du consultant colombien qui l’accompagne (Benicio Del Toro), d’autant que les deux hommes prennent un malin plaisir à la laisser dans le brouillard…

Voir ma critique du film ICI

Benicio

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Le film, doté d’une image magnifique qui restitue l’immense travail sur la photo, et d’une piste DD 5.1 au relief impressionnant, est enrichi sur le DVD d’un bouquet de suppléments courts mais instructifs. Au cours d’un entretien de 12 minutes, Denis Villeneuve revient sur la manière dont il a adapté le scénario de Taylor Sheridan, en accentuant notamment l’antagonisme entre les personnages de Kate et d’Alejandro. Il ne tarit pas d’éloges envers le chef-opérateur du film, Roger Deakins, dont il admire la puissance poétique et narrative, et rend hommage au musicien Jóhann Jóhannsson auquel il avait demandé une musique façon Dents de la mer. L’interview est étayée par un reportage de 16 minutes dans lequel le cinéaste détaille davantage les aspects techniques et le travail sur les visuels (remarquables contrastes et jeux de lumière). On peut également entendre le point de vue de l’équipe technique. Enfin, un court module donne la parole aux acteurs, et notamment à une Emily Blunt très investie.

Jack

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FATIMA

On ne mentira pas ici : on aurait adoré que Marguerite remporte le César du Meilleur film cette année, tant cette œuvre ambitieuse avait quelque chose d’accompli, et des qualités artistiques indéniables. Les votants en ont décidé autrement et ont choisi de couronner Fatima, film social, à petit budget, sur les difficultés de l’intégration d’une femme de ménage arabe. Faut-il pour autant s’en indigner ? Sûrement pas. A fortiori si on n’a l’a pas vu. Parce que malgré sa simplicité formelle et sa modestie apparente, Fatima est un film choc, d’une grande humanité, réalisé par un cinéaste intelligent, dont la mise en scène naturaliste ne laisse rien au hasard. Et comme l’ont expliqué maintes fois les frères Dardenne, donner l’impression de réalisme, de naturel, est le résultat d’un travail méticuleux.

 

Fatima 4

« Ma fille et ses copines vivent dans une société française, et moi je ne parle pas le français. A cause de ça, on est dévalorisé, on n’est pas considéré. C’est ce qui démolit ces enfants. Eux, cherchent la fierté. Elle est où, leur fierté ? Déjà par la langue, ils n’ont pas de parents. Comment veux-tu parler avec ton père ou ta mère, si tu ne connais pas leur langue. »

 

Fatima

Fatima 1

Philippe Faucon
Octobre 2015
En DVD chez Pyramide Vidéo depuis le 1er mars 2016
Nouvelle sortie en salles le 2 mars 2016
Trois César : Meilleur film, Meilleure adaptation, Meilleur espoir féminin (Zita Hanrot)

Depuis que son mari l’a quittée, Fatima (Soria Zeroual), immigrée algérienne qui maîtrise mal le français, élève seule ses deux filles dans la banlieue lyonnaise. Si Souad (Kenza Noah Aïche), quinze ans, est constamment en révolte, Nesrine (Zita Hanrot), dix-huit ans, est studieuse et fait la fierté de sa mère. Pour qu’elle puisse s’inscrire en fac de médecine, Fatima s’épuise en accumulant des heures de ménage, ce qui hérisse Souad, qui ne cesse de lui témoigner du mépris. Alors, le soir, Fatima écrit dans son cahier ce qu’elle ne peut exprimer : ses frustrations, et son désir d’avenir meilleur pour ses filles…

 Au-delà de la polémique, ce César du Meilleur film aura au moins permis au long-métrage de Philippe Faucon de faire sa réapparition sur les écrans, cinq mois après sa sortie officielle (au moment où il paraît également en vidéo) et d’attiser la curiosité d’un public jusqu’ici un peu réticent à se déplacer. Comme La loi du marché, La tête haute, ou Much Loved, Fatima s’inscrit dans la tendance du cinéma français de 2015, dominée par les œuvres sociales et les fictions naturalistes. La Fatima courageuse du film, interprétée par la touchante Soria Zeroual, est inspirée de Fatima Elayoubi et de son livre Prière à la Lune, paru en 2006 aux éditions Bachari. L’écriture, d’une certaine façon, a rendu sa dignité à cette immigrée marocaine, femme de ménage épuisée et combative. Prière à la Lune lui a permis de trouver sa place et de donner une voix à toutes ses semblables, silencieuses et invisibles. Le nerf de la guerre, comme le démontre parfaitement le film, c’est l’absence de maîtrise de la langue française, véritable source d’enfermement pour Fatima. En dépit de scènes parfois violentes (les propos de la fille cadette à l’égard de sa mère sont d’une brutalité inouïe), la chronique humaniste réalisée par Philippe Faucon se révèle étonnamment solaire, pleine d’amour, et plutôt optimiste. En cela, elle pourrait être le contrepoint de La désintégration, son film précédent, qui évoquait la dérive islamiste de jeunes Français. Car le cinéaste franco-marocain, dont l’épouse est d’origine algérienne, connaît les difficultés liées à l’immigration sous tous ses aspects et se fait fort d’en montrer les réalités sans sensationnalisme, pour constituer une sorte d’antidote (« un contrepoison ») au discours ambiant. Avec Fatima, il est parvenu, en une heure et dix-neuf minutes, à brosser un portrait de femme attachant, qui contribuera peut-être à faire ouvrir les yeux sur ces mères courage qui se débattent avec des situations difficiles. Tout en luttant, au quotidien, contre le racisme ordinaire, l’intolérance et la jalousie de ses voisines, Fatima doit concilier ses valeurs avec celles de la société laïque, qui sont celles de ses filles, et respecter le désir d’émancipation de ces dernières. Il lui faut aussi comprendre la souffrance de sa cadette, révoltée par le déclassement de sa mère. Accusé de faire du documentaire plus que du cinéma (à l’instar des frères Dardenne au moment de la Palme d’or remportée par Rosetta à Cannes), Philippe Faucon a beaucoup travaillé avec les interprètes, débutants, professionnels ou non, pour donner vie aux personnages (contrairement à Zita Hanrot, découverte dans Radiostars, Soria Zeroual, repérée dans un casting, n’est pas comédienne professionnelle et joue ici ce qu’elle est dans la vie). C’est ce fil tendu entre le jeu et la réalité qui confère au long-métrage une vérité confondante jusque dans les scènes les plus intimes. Le film, découvert à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, a obtenu trois César et une nomination pour Soria Zeroual. Les médias ont parlé de miracle. Pas de quoi faire tourner cependant la tête à l’interprète de Fatima, qui est sagement retournée à sa vie d’avant, fière d’avoir contribué à ce film porteur d’espoir.
1 h 19 Et avec Chawki Amari, Dalila Bencherif, Isabelle Candelier, Franck Andrieux, Zakaria Ali-Mehidi, Emir El Guerfi… 

BANDE-ANNONCE

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THE REVENANT

Evénement cinématographique de ce début 2016, The Revenant a suscité autant d’enthousiasme que de critiques. Tantôt loué pour sa virtuosité, tantôt fustigé pour sa grandiloquence et sa vanité, le film épique d’ Alejandro González Iñárritu n’a peut-être pas la folie ni la dimension mystique que son sujet pouvait laisser espérer, mais il peut se flatter d’être une expérience sensorielle hors du commun. Ce survival aux allures de western glacé, doublé d’un film de vengeance sauvage et viscéral, tient en haleine et éblouit durant ses deux heures et trente-six minutes. Et pas plus que le réalisateur mexicain et son compatriote Emmanuel Lubezki, responsable de la lumière extraordinaire du film, Leonardo DiCaprio, qui y a mis son cœur et ses tripes, n’a volé son Oscar.

Froid
« He’s afraid. He knows how far I came to find him. »

 

The Revenant

Cri

Alejandro González Iñárritu
2015 Dans les salles françaises depuis le 24 février 2016
Oscars 2016 du Meilleur acteur, du Meilleur réalisateur et de la Meilleure photo (12 nominations)

Au début du XIXe siècle, dans l’Amérique du Nord encore sauvage, Hugh Glass (Leonardo DiCaprio) et Hawk (Forrest Goodluck), son fils amérindien, sont éclaireurs pour une expédition de trappeurs américains dirigée par le capitaine Henry (Domhnall Gleeson). Dans les Rocheuses, Glass se laisse surprendre par une femelle grizzly qui l’attaque violemment. Ses compagnons le retrouvent déchiqueté, dans un état critique. Le capitaine Henry, estimant qu’il est intransportable et jugeant sa mort imminente, propose alors une belle somme d’argent aux deux hommes qui resteront avec lui jusqu’à la fin et l’enterreront dignement. Par appât du gain, John Fitzgerald (Tom Hardy), qui hait Glass et son sang-mêlé de fils, accepte la mission…

Même si The Revenant est librement adapté du roman homonyme écrit en 2002 par l’Américain Michael Punke, on ne peut négliger de le rattacher au Convoi sauvage (Man In The Wilderness), réalisé en 1971 par Richard C. Sarafian. Quarante-quatre ans avant Alejandro González Iñárritu, le réalisateur du film culte Point limite zéro (Vanishing Point) s’était en effet déjà emparé de l’histoire vraie du trappeur Hugh Glass, survenue en 1823 sur les rives de la rivière Missouri, et devenue légendaire. Interprété par Richard Harris, vedette d’Un homme nommé Cheval l’année précédente, Le convoi sauvage s’inscrivait dans la veine des westerns socio-écolo des années 70, tels Jeremiah Johnson, de Sydney Pollack ou Little Big Man, d’Arthur Penn, qui remettaient en cause les valeurs américaines et œuvraient pour la réhabilitation du peuple indien. Il existe de nombreuses similitudes entre les films de Sarafian et d’Iñárritu (certaines scènes sont même quasiment identiques), mais les deux films véhiculent un message différent. Contemplatif et épuré, Le convoi sauvage (dont la scène d’ouverture préfigure le futur Fitzcarraldo d’Herzog) s’attachait à la rédemption de son héros (nommé Zack Bass), qui, en revenant à la vie, portait un regard différent sur le monde, la nature et les Indiens. Cette leçon de vie lui faisait oublier son ressentiment envers ses compagnons. The Revenant parle, quant à lui, de vengeance. C’est cette soif qui fait se raccrocher Hugh Glass à la vie. Dès le départ, il est acquis que cet homme pacifique est en adéquation avec la nature et le peuple indien. Alejandro Gonzáles Iñárritu et son coscénariste Mark L. Smith ont donc imaginé un élément imparable, appelant à une vengeance inexorable. Dès lors, les scènes oniriques illustrant les états d’âme du héros (qui semblent parfois littéralement volées à Andrei Tarkovski, dont le cinéaste est un grand admirateur) sont moins probantes que les séquences d’action, grande réussite du film. En ouverture, le plan-séquence d’une attaque d’Indiens, d’une sauvagerie inouïe, apparaît comme un véritable morceau de bravoure, comme le sera celle du grizzly, d’un réalisme saississant. Avec un perfectionnisme hallucinant, et aidé par un chef-opérateur génie de la lumière, ici naturelle (Emmanuel Lubezki est aussi le directeur photo d’un certain Terrence Malick), Iñárritu a totalement maîtrisé ce film épique, tourné dans des conditions extrêmes. D’un côté, l’immensité des paysages et leur beauté vertigineuse, de l’autre, la cruauté et la vénalité des hommes. Le bruit de l’eau, du vent, les craquements des arbres, et le souffle du héros, blessé et transi de froid, se confondent avec la musique organique signée Ryuichi Sakamoto et Alva Noto (alias Carsten Nicolai, son collaborateur récurrent depuis 2002). Les souffrances de Hugh Glass, campé par un Leonardo DiCaprio plus christique que jamais, sont palpables. Contrairement à Birdman, exercice de style prétentieux un tantinet pénible, qui a pourtant valu à Iñárritu l’Oscar du Meilleur film l’année dernière, la mise en scène et la narration ici sont dénués d’afféterie et jouent l’efficacité pour mieux servir l’histoire. S’il y est question de foi et de morale (et de la manière dont la confrontation avec la nature sauvage affecte la nature humaine), The Revenant n’a pas la profondeur de certaines œuvres de Tarkovski ou de Terrence Malik. Mais son caractère brutal, radical, et ses images d’une beauté à couper le souffle, en font un film puissant et une expérience cinématographique rare.
2 h 36 Et avec Will Poulter, Paul Anderson, Duane Howard, Joshua Burge, Kristoffer Joner, Lukas Haas…

BANDE-ANNONCE

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Neige
Poult
Glee
Cours
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Chef

 

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On conseillera à ceux qui souhaiterait en savoir plus sur Le convoi sauvage de se tourner vers ce coffret sensationnel consacré à Richard C. Sarafian paru en 2011 dans la collection Classics Confidential éditée par Wild Side Video. Intitulé L’âme de l’Ouest, il réunit Le convoi sauvage, Le fantôme de Cat Dancing, et un livre de Philippe Garnier.
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