Dès Oslo 31 août, petit bijou adapté en 2011 de Pierre Drieu la Rochelle, on a su qu’il allait falloir compter avec Joachim Trier. Le réalisateur norvégien a depuis signé d’excellents films qui n’ont toutefois pas suscité la même émotion ni le même émerveillement. Jusqu’à celui-ci. (Pas de spoilers dans cet article.)
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« Il est temps qu’on se parle, toi et moi. »
VALEUR SENTIMENTALE (Affeksjonsverdi)
Joachim Trier
2025
Dans les salles françaises depuis le 20 août 2025
Grand Prix du festival de Cannes 2025
Le jour des obsèques de leur mère, Nora (Renate Reinsve) et sa jeune sœur Agnes (Inga Ibsdotter Lilleaas) voient débarquer leur père Gustav (Stellan Skarsgård) qui a quitté le foyer lorsqu’elles étaient enfants. Ce dernier, cinéaste reconnu, n’a pas tourné depuis quinze ans et propose à Nora, devenue comédienne de théâtre, le rôle principal du film qu’il vient d’écrire tout spécialement pour elle. Pleine de ressentiment envers ce père absent par le passé, la jeune femme refuse fermement. À la faveur d’une rétrospective de sa carrière au festival de Deauville, Gustav rencontre la star hollywoodienne Rachel Kemp (Elle Fanning), qui rêve de tourner avec lui. Il va lui confier le rôle qu’il avait prévu pour sa fille…
Le début pourrait le laisser supposer, mais le film n’est pas, comme le récent Zemeckis, l’histoire d’une maison, même si celle-ci a son importance. C’est celle d’une relation père/fille, douloureuse, impossible, vécue par cette dernière comme un bras de fer qu’elle ne peut envisager de perdre. La colère de Nora est un frein à sa propre vie, la rend aigrie et injuste. Mais ce drame familial (très bergmanien) se penche aussi sur les affres de la création, sur l’égoïsme et l’égocentrisme d’artistes incapables de se plier aux exigences du réel. Gustav, manipulateur et séducteur, a beau savoir qu’il n’a pas été un père à la hauteur, il feint d’ignorer la souffrance qu’il a causée, affichant une décontraction de façade. Même si Agnes, sa cadette, a trouvé un terrain d’entente, Nora ne se résout pas à pardonner. On peut être sœurs, et ne pas avoir vécu l’enfance de la même façon. La justesse des personnages, des dialogues, des situations, fait de Valeur sentimentale un film en état de grâce. Les atermoiements pénibles de Julie (en douze chapitres), censés rendre palpitants le quotidien d’une trentenaire indécise et déboussolée (campée par la même Renate Reinsve) sont loin. Ce dernier cru, coécrit par Trier et son scénariste Eskil Vogt, séduit d’emblée par son intelligence et les performances de ses comédiens, d’une rare intensité. Si on connaissait le talent de Stellan Skarsgård, de Renate Reinsve et d’Elle Fanning, Inga Ibsdotter Lilleaas, qui fend le cœur, est une révélation. On se réjouit également de la présence, dans des rôles secondaires, des formidables Anders Danielsen Lie et Lena Endre. Mis en beauté par le chef opérateur danois Kasper Tuxen, par la musique originale de Hania Rani et la bande-son éclectique (De Berlioz à Roxy Music en passant par New Order…), Valeur sentimentale bouleverse et éblouit jusqu’à son dernier plan.
2 h 13 Et avec Jesper Christensen, Cory Michael Smith, Lars Varinger, Catherine Cohen, Øyvind Hesjedal Loven, Vilde Søyland, Alix Poisson…