Il faisait partie du clan des réalisateurs du Nouvel Hollywood, celui de la première vague, incluant Peter Bogdanovich, Robert Altman, Arthur Penn, Al Ashby ou John Cassavetes. William Friedkin était né en 1935 à Chicago, dans une famille modeste d’origine ukrainienne. Sa grande taille (1m 83) et son talent de basketteur lui ont fait, un temps, envisager une carrière de sportif professionnel. Il changera d’avis en découvrant Citizen Kane. Le film d’Orson Welles va exercer sur lui une véritable fascination et déclencher sa vocation de cinéaste. À seize ans, il est coursier pour une chaîne de télévision locale. Il ne mettra pas longtemps avant de réaliser des émissions en direct. Cette expérience va forger son style, très proche du documentaire, qui le distinguera tout au long de son parcours.
C’est d’ailleurs avec un documentaire qu’il se fait remarquer en 1962 : The People Vs Paul Crump est un plaidoyer en faveur d’un jeune homme noir condamné à mort pour avoir tué un vigile. Le téléfilm va mettre en exergue les défaillances de l’enquête au point que le dossier sera réévalué, permettant à l’accusé d’échapper à la peine capitale. Comme ses compatriotes réalisateurs, Friedkin n’échappe pas à l’influence de la Nouvelle Vague française et du cinéma italien en pleine effervescence (Godard et Fellini en tête) et ses premiers longs-métrages en seront fortement influencés. Le journaliste Peter Biskind, spécialiste du Nouvel Hollywood, raconte que c’est la rencontre avec le vétéran Howard Hawks, dont il fréquentait la fille Kitty, qui va pousser le jeune cinéaste à stopper là ses divagations. En 1971, il fait volte-face et réalise un monument, The French Connection. Ce polar urbain, réaliste et quasi-révolutionnaire dans son approche, va remporter cinq Oscars dont ceux du Meilleur film et du Meilleur réalisateur. Dès lors, William Friedkin devient incontournable. Courtisé par les studios, il sait néanmoins imposer sa vision. En 1973, il enfonce le clou en portant à l’écran L’exorciste, le best-seller casse-gueule de William Peter Blatty publié deux ans plus tôt, et signe ni plus ni moins, l’un des films d’horreur les plus terrifiants de tous les temps. Mais il ne deviendra pas le chouchou des majors. Car Billy Friedkin est un franc-tireur. Sa force de caractère, son humour acerbe, il les met au service de son art qui flirte volontiers avec la noirceur. Les heurts sur ses tournages étaient légion et sa carrière ne sera pas un chemin pavé de roses.
Cinéaste éclectique, prisant les atmosphères troubles et les personnages ambigus, Friedkin sera souvent incompris de la critique. Il connaîtra un échec cuisant en 1977 avec le remake du Salaire de la peur de Clouzot, l’un de ses films fétiches. The Sorcerer, rebaptisé pour la France Le convoi de la peur, œuvre maudite en son temps, a été réhabilité depuis. Trois ans plus tard, c’est le dérangeant Cruising, l’histoire d’un flic infiltré (campé par Al Pacino) dans le milieu sado-maso gay de New York qui fera scandale. Chéri des cinéphiles, Friedkin laisse à la postérité des œuvres provocantes, et un film (bleu) noir culte, le sublime Police Fédérale, Los Angeles, qui annonce les polars de Michael Mann, originaire de Chicago lui aussi. Ce séducteur a été marié à quatre reprises, dont une fois à Jeanne Moreau, et était père de deux enfants. Une pneumonie doublée d’une insuffisance cardiaque a terrassé ce dur à cuire. Lundi 7 août, la productrice Sherry Lansing, son épouse depuis 1991, a annoncé le décès de William Friedkin à Los Angeles. Il avait 87 ans. Il venait d’achever le remake d’Ouragan sur le Caine, d’après le roman de Herman Wouk magnifiquement porté à l’écran par Edward Dmytryk en 1954. The Caine Mutiny Court-Martial, avec Kiefer Sutherland (dans le rôle autrefois tenu par Humphrey Bogart) et Jason Clarke, sera présenté à la Mostra de Venise en septembre.
7 FILMS INCONTOURNABLES
1971 – French Connection (The French Connection)
Inspecteurs de la brigade des stups de New York, l’énervé Popeye Doyle (Gene Hackman), raciste et violent, et son adjoint Sonny Grosso (Roy Scheider) tentent de démanteler un réseau de trafic de drogue reliant Marseille à la métropole américaine. Inspiré de faits réels, le film, réaliste et tourné en lumière naturelle, bénéficie d’une mise en scène incroyablement nerveuse. Il comprend l’une des plus belles courses-poursuites de l’histoire du cinéma (avec celle de Bullitt), ici entre une voiture et le métro aérien de New York. French Connection a permis à Gene Hackman de remporter le premier Oscar de sa carrière. L’acteur rempilera pour la suite, French Connection 2, réalisée par John Frankenheimer en 1975.
1973 – L’exorciste (The Exorcist)
Une adolescente de douze ans (Linda Blair) est soumise à des manifestations si terrifiantes que sa mère (Ellen Burstyn), désespérée, décide d’avoir recours à un exorciste (Max Von Sydow). Cette bataille contre les forces du mal, telle que l’a imaginée l’écrivain William Peter Blatty, est prodigieusement filmée par Friedkin. Effets spéciaux efficaces, musique de Jack Nitzsche ad hoc, « Tubular Bell » de Mike Oldfield en thème creepy … Des scènes d’anthologie et une vraie épreuve physique et psychologique pour le spectateur (malaises en série dans les salles). Linda Blair ne s’en serait jamais vraiment remise.
1977 – Le convoi de la peur (Sorcerer)
Friedkin voulait Steve McQueen, un temps intéressé, mais qui s’est désisté pour raison sentimentale (l’acteur ne voulait pas s’éloigner d’Ali McGraw). Roy Scheider a pris le relais avec brio, mais le public n’avait que faire de ce film sombre, pessimiste, sans véritable star (Bruno Cremer, Amidou et Francisco Rabal étaient de parfaits inconnus pour le public américain), alors que La guerre des étoiles faisait un carton sur les écrans. Pourtant, cette histoire de fugitifs recherchés dans leur pays, acceptant contre une belle somme d’argent de transporter deux camions remplis de nitroglycérine à travers la jungle sud-américaine, était prometteuse. Et Friedkin s’en est donné à cœur joie, dépassant allègrement le budget pour satisfaire sa vision, différente de celle de Clouzot, tandis que Tangerine Dream signait la musique. Mais le territoire hostile de la République Dominicaine a compliqué la donne, et les déboires se sont accumulés, donnant au tournage des allures de celui d’Aguirre d’Herzog. Le cinéaste, perdra vingt-cinq kilos dans l’aventure, sombrera dans la dépression tout en clamant avoir réalisé son chef-d’œuvre. Réhabilité avec le temps, Le convoi de la peur, imprégné d’onirisme et de réalisme poétique, s’impose comme un film fiévreux, à la frontière de la terreur et de la folie, totalement viscéral.
1980 – Cruising
Infiltré dans le milieu sado-maso homosexuel de New York afin d’attraper un tueur en série qui y sévit, un inspecteur censé jouer l’appât va perdre pied. Rebaptisé La chasse en France, Cruising, inspiré du livre de Gerald Walker, a également valu bien des déconvenues à Friedkin. Les rapports entre le réalisateur et Al Pacino, désemparé par ce rôle difficile, vont être tendus. Les associations homosexuelles accuseront le cinéaste de vouloir donner une image avilissante des gays déjà fortement stigmatisés. Les activistes de cette communauté ont d’ailleurs manifesté leur colère en sabotant le tournage. La censure va ensuite se charger d’altérer la vision de Friedkin et le film sera tronqué dans sa version finale (le cinéaste n’aura de cesse de réviser sa copie au gré des sorties vidéo). Peu épargné par la critique qui, à sa sortie, l’a taxé de voyeurisme et d’homophobie, ce polar aux atours de slasher a, depuis, été revu à la hausse. En effet, le caractère sordide de cette descente aux enfers dans les backrooms, juste avant l’arrivée du sida, reste, près d’un quart de siècle plus tard, d’une authenticité troublante.
1985 – Police Fédérale, Los Angeles (To Live And Die In L.A.)
S’il n’en restait qu’un, ce serait celui-là. Cette série B au budget modeste, avec des acteurs inconnus à l’époque, n’avait pourtant pas soulevé l’enthousiasme à sa parution. Mais avec le temps, le film s’est imposé comme un polar magnifique, prisé des cinéphiles. Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Gerald Petievich (ancien agent secret américain), coauteur du scénario avec Friedkin. Il narre la vendetta d’un agent fédéral (William Petersen), après que son coéquipier et ami a été abattu alors qu’il tentait de coincer un faussaire particulièrement retors (Willem Dafoe). Avec la dualité entre le flic tête brûlée qui n’hésite pas à franchir les limites de la légalité et le truand artiste vénéneux et séduisant en diable, la symbolique de la frontière fragile entre le bien et le mal, thème récurrent de l’œuvre de Friedkin, n’a jamais été aussi bien exposée. Emblématique des années 80 – avec la pop new wave de Wang Chung et la photo hyperréaliste de Robby Müller –, Police Fédérale, Los Angeles, tragique et crépusculaire, a fait du magnétique Willem Dafoe une icône.
2006 – Bug
Dans une chambre de motel sordide d’Oklahoma, deux êtres fracassés par la vie (Ashley Judd et Michael Shannon) en couple depuis peu de temps, sont confrontés à une étrange infestation d’insectes. Extrêmement dérangeant, ce thriller psychologique à la lisière du film d’horreur est une adaptation de la pièce à succès de Tracy Letts, dans laquelle brillait déjà Michael Shannon. Bug (insecte ou dérèglement ?) a été tourné quasiment en huis clos. La paranoïa, le combat intérieur entre le bien et le mal sont filmés avec ingéniosité par Friedkin, qui fait monter la tension à la manière d’un David Cronenberg. Les personnages, pris de démence, entrent littéralement en transe et les acteurs, habités tous les deux, sont impressionnants.
2011- Killer Joe
De nouveau, Friedkin s’associe avec Tracy Letts, auteur de la pièce homonyme dont l’humour noir ne pouvait que lui plaire. Au Texas, un petit délinquant (Emile Hirsh) doit rembourser une dette dans les plus brefs délais. Il entreprend de faire tuer sa propre mère pour empocher l’assurance vie. Le tueur à gages engagé est un sacré tordu (Matthew McConaughey, excellent). Il accepte à condition de prendre la petite sœur en garantie sexuelle en attendant sa rétribution. Doté d’une distribution aux petits oignons (Gina Gershon, Juno Temple, Thomas Hayden-Church…), ce film déjanté ne fait pas dans la dentelle. Personnages bas du front de l’Amérique profonde, famille dysfonctionnelle à souhait, tueur froid comme la mort mais sentimental dans le fond… Une farce d’une violence inouïe. Du William Friedkin pur jus.
Steven Spielberg revisite son enfance et son adolescence dans cette fable humaniste à la fois intime et universelle. Déclaration d’amour à la famille et au cinéma, le film a fait un four aux États-Unis (comme Babylon), mais a suscité des critiques dithyrambiques en France. Ce n’est peut-être pas le chef-d’œuvre escompté, mais on en sort émerveillé.
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« Movies are dreams that you never forget. »
THE FABELMANS
Steven Spielberg 2002
Dans les salles françaises depuis le 22 février 2023 Golden Globes 2023 du Meilleur film et du Meilleur réalisateur
Le 10 janvier 1952, à Philadelphie, Burt (Paul Dano) et Mitzi (Michelle Williams), les parents du jeune Sam Fabelman (Mateo Zoryon) l’emmènent pour la première fois voir un film au cinéma. Il s’agit de Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show On Earth), de Cecil B. DeMille. L’enfant de six ans, qui appréhende de se retrouver dans une salle obscure, ignore à quel point cet événement va bouleverser sa vie…
« Beaucoup de mes films s’inspirent d’expériences que j’ai vécues. Mais dans The Fabelmans, il ne s’agit plus seulement de métaphores, mais de souvenirs » a déclaré Steven Spielberg en amorce d’une des bandes-annonces de cette autobiographie sur grand écran. L’un des plus importants cinéastes de son temps — cinq de ses œuvres figurent dans la liste de l’American Film Institute des cent meilleurs films américains de l’histoire — revient ici pour la première fois explicitement sur son enfance et son adolescence, et dévoile, dans le même temps, les fondements de son cinéma. Ce projet le taraudait depuis longtemps. Il s’est imposé d’attendre la disparition de ses parents pour s’autoriser à mettre en scène l’histoire intime de sa famille, rebaptisée Fabelman, un nom symbolique pour un récit à valeur de thérapie. Il a écrit le scénario pendant le confinement avec Tony Kushner, auteur de la célèbre pièce Angels In America avec lequel il collabore depuis Munich. Tout commence par une scène grandiose, en quelque sorte la pierre angulaire de l’œuvre du cinéaste. Et puis, on pénètre dans le quotidien de la famille Fabelman. On découvre que si le père est un génie de l’informatique, un geek avant l’heure, c’est la mère qui vampirise le clan. John Cassavetes ferait dire d’elle à Peter Falk qu’elle est « spéciale ». Car Mitzi a beaucoup de points communs avec la Mabel campée par Gena Rowlands dans Une femme sous influence. Artiste contrainte d’abandonner une carrière de concertiste pour devenir femme au foyer et s’occuper de ses quatre enfants (lot de beaucoup de ses congénères à l’époque), elle évacue ses frustrations par un comportement fantasque qui confine à l’hystérie. Contrairement à son scientifique d’époux, Mitzi sera pourtant le soutien indéfectible de son fils et son premier public, celle qui, contre vents et marées, encouragera sa vocation de cinéaste et lui offrira sa première caméra. Certains ont reproché à Spielberg de faire ici l’autocélébration de sa vie (il y a effectivement des longueurs dans la première partie dédiée aux atermoiements de cette famille juive volubile), mais contre toute attente, le réalisateur n’est pas toujours tendre dans son évocation. Il n’élude pas les aspects les plus embarrassants de cette figure fantasque (également inspirée par la mère de Tony Kuschner). Elle est campée par Michelle Williams, ex-vilain petit canard de la série Dawson devenue actrice qui compte. Enlaidie pour le rôle faute à une coupe de cheveux ingrate, la comédienne ne lésine pas sur le côté exalté du personnage ni sur sa propension à susciter le malaise. Il est aisé de comprendre pourquoi le jeune Sam se réfugie dans l’imaginaire… Le cinéma est le moyen d’exorciser ses angoisses face à une situation familiale souvent explosive. L’émerveillement lorsqu’il découvre les classiques du 7ème art va de pair avec son envie de réinventer le monde, comme une façon de contrôler ce qui lui échappe dans le réel. C’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans The Fabelmans : le regard de l’enfant qui projette son film au creux de ses mains, puis de l’adolescent qui scrute la pellicule avec sa loupe, son travail méticuleux sur la table de montage, ou encore l’incrédulité lorsqu’il découvre, dans une scène façon Blow Up, l’infidélité de sa mère, à l’arrière-plan d’un film de pique-nique familial. Les dents de la mer, E. T.,Il faut sauver le soldat Ryan… tout est déjà là, dans les films amateurs de Sam. Le jeune Gabriel LaBelle est bouleversant dans la peau de cet adolescent sage, mais à l’imagination débordante, dévasté par la séparation de ses parents. À ses côtés, Paul Dano est touchant en père introverti et dépassé, incapable de comprendre sa femme et ses enfants qu’il déracine au gré de ses affectations — la famille se déplace ainsi du New Jersey en Arizona jusqu’en Californie, traçant sans le savoir la trajectoire de Sam/Steven vers Hollywood. En ami du clan, Seth Rogen est formidable, à l’instar de tous les jeunes interprètes. Force est de constater qu’à l’heure de Everything Everywhere All At Once, The Fabelmans détonne par son parti pris rétro (les fidèles John Williams et Janusz Kaminski sont respectivement à la musique et la photo). Spielberg ne sacrifie rien de son univers. Il est passé à côté de la révolution pop-rock de son époque et il l’assume. Sur la plage californienne, on n’entend pas les Beach Boys, mais James Darren, et à l’université, on chante plutôt du Burt Bacharach (la sublime « Walk On By »). Le film n’est pas exempt de défauts, mais la scène finale, tirée d’une anecdote vraie, emporte tout sur son passage. 2 h 31 Et avec Judd Hirsh, Jeannie Berlin, Keeley Karsten, Julia Butters, Chloe East, Isabelle Kusman, Sam Rechner, Oakes Fegley, David Lynch…
Après deux ans de pandémie, et avant la nouvelle vague de Covid-19 annoncée, la 48ème édition du festival de Deauville s’est déroulée (le plus souvent) sous un beau soleil de fin d’été, sans port du masque ni fièvre quelconque. Les commerçants et restaurateurs locaux en témoignent : l’effervescence d’antan n’est plus. Pas croisé d’acteurs ou réalisateurs mythiques sur les planches le matin, ni au kiosque à journaux de la rue Eugène Colas. À l’heure de l’apéro, le soir de l’ouverture, on n’a guère vu que Vincent Lindon et Laurent Gerra au Bar du Normandy, tandis que tard dans la nuit, seul Fianso a dansé comme si sa vie en dépendait à l’O2. Rami Malek était venu sans tambour ni trompette accompagner sa compagne Lucy Boynton, invitée d’honneur de la soirée, étoile montante du Nouvel Hollywood. Côté glamour, en attendant Thandiwe (avec un w dorénavant) Newton et Ana de Armas, clone de Marilyn dans Blonde), seules autres têtes d’affiche de l’édition (avec Jesse Eisenberg…), on s’est contenté des membres des jurys, présidés par Arnaud Desplechin pour l’un et Élodie Bouchez pour celui de la Révélation. Et puis, juste avant la cérémonie, on a eu droit à un hommage à feue Olivia Newton-John, via la scène culte de Grease, dans laquelle elle chante avec John Travolta l’impérissable « You’re The One That I Want ».
PhotoAFP/Loïc Venance
Le président Arnaud Desplechin, entouré des membres du Jury de la sélection officielle. De gauche à droite : Sophie Letourneur, Alex Lutz, Léa Drucker, Yasmina Khadra, Pierre Deladonchamps, Marine Vacth et Jean-Paul Civeyrac.
Photo Jacques Basile
Le jury de la Révélation : Eddy de Pretto, Agathe Rousselle, la présidente Élodie Bouchez, Yolande Zauberman, Andréa Bescond et Nicolas Pariser
Cette désaffection des stars américaines est-elle imputable à la prestigieuse Mostra de Venise qui se déroule la même semaine, et qui, elle, voit défiler tout le gotha du 7ème art en plus d’accueillir un marché du film ? Ou simplement due à la volonté du directeur Bruno Barde de privilégier le cinéma américain indépendant comme un acte de résistance face à la production des blockbusters ? Il n’en reste pas moins que le festival de Deauville est plus que jamais placé sous le signe de la découverte et de la jeunesse. Et le grand public peut ronchonner — « Mais qui est cette Lucy Boynton ? » a-t-on maintes fois entendu le jour de l’ouverture — les cinéphiles, eux, n’y voient rien à redire.
Photo Jacques Basile Lucy Boynton (Sing Street, Bohemian Rhapsody…), étoile montante du Nouvel Hollywood
PALMARÈS
Des treize longs-métrages sélectionnés pour la compétition par Bruno Barde, se dégageait une thématique récurrente : le passage à l’âge adulte et les tourments qui vont avec. Les femmes étaient également à l’honneur, et dans les films, et dans le palmarès.
GRAND PRIX et PRIX DE LA CRITIQUE
AFTERSUN
Charlotte Wells 2022 Prochainement en salles
Fin des années 90. Sophie (Frankie Corio) a onze ans. Ses parents sont séparés. Lors des vacances d’été, Calum, son père (Paul Mescal), l’emmène séjourner dans un club sur la côte turque. Sous le soleil, entre balades et baignades, une tendre complicité s’installe entre eux. Mais Calum, trentenaire dépressif, recèle une part de mystère. Vingt ans après, entre souvenirs et visionnage des films pris sur le vif à l’époque, avec une caméra DV, Sophie tente de concilier le père qu’elle a connu et l’homme qu’il était…
Ce premier long-métrage de l’Écossaise Charlotte Wells (établie aux États-Unis) avait déjà été applaudi au dernier festival de Cannes où il était présenté à la Semaine de la Critique et avait remporté le Prix French Touch du jury. Aftersun ne se dévoile pas immédiatement. Les longs plans fixes du début peuvent même désarçonner. Le contraste entre les séquences de vacances au soleil, anodins, illuminés par l’insouciance de Sophie (magnifique Frankie Corio), et les signes du mal-être de Calum (le Connell de Normal People), crée pourtant un malaise. Au demeurant, rien de spectaculaire. Ce sont pourtant ces petites touches insidieuses qui composeront les indices pour la Sophie adulte. Elle traquera les failles dans ces films de vacances, en apparence idylliques, pour tenter de reconstituer la figure de son père. Cette œuvre autobiographique, intime et poétique joue avec la courbe du temps et la mémoire. Soutenue par une bande-son judicieuse, incluant « Tender » de Blur et « Under Pressure » de Queen et David Bowie (qui génère une scène hallucinante), Aftersun a quelque chose de déchirant, et prend toute sa dimension après sa dernière image.
PRIX DU JURY EX-AEQUO et PRIX FONDATION LOUIS ROEDERER DE LA RÉVÉLATION 2022
WAR PONY
Gina Gammell et Riley Keough 2022 Prochainement en salles
Dans la réserve amérindienne de Pine Bridge (Dakota du Sud), un jeune homme et un gamin de douze ans, tous deux issus de la tribu Oglala Lakota, tentent de se sortir, chacun à sa façon, de la misère…
Caméra d’or du dernier festival de Cannes (qui récompense les premiers films), cette œuvre de Gina Gammell et l’actrice Riley Keough (petite-fille d’Elvis Presley) séduit par son aspect naturaliste. Les comédiens sont tous des débutants (excepté Ashley Shelton), comme l’a expliqué Gina Gammell présente à Deauville lors du débat qui a suivi la projection. Les multiples répétitions (les dialogues très écrits) ont permis à ceux-ci d’obtenir une aisance manifeste devant la caméra, au point qu’ils semblent ne faire qu’un avec leur personnage. L’idée du film a germé dans le cerveau des réalisatrices amies d’enfance après que Riley Keough a rencontré des figurants amérindiens sur le tournage d’American Honey, d’Andrea Arnold, dont elle était l’une des vedettes. Évoquer le quotidien de jeunes dans une réserve indienne et rendre compte de la réalité de cette Amérique invisible est ensuite devenu un projet collectif. Tournée quasiment exclusivement dans la réserve de Pine Bridge avec les Amérindiens qui y vivent, cette chronique met en exergue la ghettoïsation de ceux-ci, déchirés entre leur envie de partager le rêve américain réservé aux blancs, et celui de préserver coûte que coûte leurs traditions ancestrales. Un peu naïf et pas toujours subtil, ce portrait croisé remporte l’adhésion grâce à la fraîcheur de ses comédiens, justes et touchants. 1 h 54 Et avec Iona Red Bar, Jojo Bapteise Whiting, Robert Stover, Sprague Hollander, Jesse Schmockel, Ladainian Crazy Thunder…
2ème PRIX DU JURY
PALM TREES AND POWER LINES De Jamie Dack avec Lily McInerny, Gretchen Mol, Emily Jackson, Jonathan Tucker…
Une adolescente un peu paumée s’éprend d’un homme deux fois plus âgé qu’elle qui l’éloigne peu à peu de sa famille. Elle va découvrir que les intentions de ce dernier ne sont pas aussi innocentes qu’elle le pensait. (prochainement)
PRIX DU PUBLIC DE LA VILLE DE DEAUVILLE
EMILY THE CRIMINAL De John Patton Ford avec Aubrey Plaza, Theo Rosso, Gina Gershon…
Parce qu’elle croule sous les dettes et la malchance, une jeune femme rejoint un réseau d’arnaqueurs à la carte de crédit et plonge dans le milieu criminel de Los Angeles… (prochainement)
PRIX D’ORNANO-VALENTI (qui récompense un premier film français)
FALCON LAKE De Charlotte Le Bon avec Joseph Engel, Sara Montpetit, Monia Chokri…
Une histoire d’amour et de fantômes entre Stand By Me et A Ghost Story… Un teen moviedéjà acclamé au festival de Cannes dernier. Sortie le 22 décembre.
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AUTRES FILMS
PREMIÈRE OUVERTURE DU FESTIVAL DE DEAUVILLE
« Which one of you is Jane ? – We all Jane ! »
CALL JANE
Phyllis Nagy 2022 Prochainement dans les salles françaises
Dans les années 60, Joy (Elizabeth Banks), femme au foyer, mariée et mère d’une adolescente, tombe enceinte. Son gynécologue lui apprend que cette grossesse peut provoquer chez elle une insuffisance cardiaque potentiellement mortelle. L’avortement étant illégal, et la commission de l’hôpital lui refusant une intervention exceptionnelle, Joy n’a pas d’autre choix que de contacter un groupe pratiquant des avortements clandestins…
On ne peut s’empêcher de penser au récent L’événement, adapté du livre d’Annie Ernaux, qui aborde le même sujet, à la même période, en France. La manière de le traiter est cependant aux antipodes. Autant le film d’Audrey Diwan apparaît dur, viscéral et engagé, autant celui de Phyllis Nagy, scénariste du Carol de Todd Haynes, semble lisse. L’épreuve de l’avortement ressemble ici à une promenade de santé, et le parcours de l’héroïne (fictive, elle), pourtant assez édifiant, est un peu trop « aisé ». Call Jane croule sous ses bonnes intentions. Le réseau Jane a réellement existé (un documentaire HBO lui a récemment été consacré) et avec la remise en question du droit à l’avortement aux États-Unis, cette piqûre de rappel n’a rien de superflu. Si Elizabeth Banks et Sigourney Weaver font le job, on regrette cependant que les personnages incarnés par Kate Mara, Chris Messina et Cory Michael Smith, en médecin douteux, ne soient pas davantage exploités. 2 h 01 Et avec Evangeline Young, Wunmi Mosaku, Rebecca Henderson, Grace Edwards…
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PREMIÈRE
« Like sometimes I feel like world would be a better place if people just chilled out and listened to music… you know ? »
WHEN YOU FINISH SAVING THE WORLD Jesse Eisenberg 2022 Prochainement dans les salles
Evelyn (Julianne Moore) est directrice d’un foyer pour femmes battues. Elle qui passe ses journées à se dévouer pour les autres, a du mal à communiquer avec son lycéen de fils. De fait, Ziggy (Finn Wolfhard), forcément musicien, passe son temps libre devant son ordinateur à jouer ses chansons sur sa chaîne Youtube, en ne pensant qu’à se faire de l’argent et à augmenter son nombre de followers…
Au début, on frise l’agacement. Le premier long-métrage du comédien Jesse Eisenberg, nerd par excellence, a tous les tics du film indépendant américain. Et puis, on finit par tomber sous le charme de ce tandem improbable, mère et fils d’une famille de la middle class, en totale discordance. Julianne Moore, démocrate jusqu’au bout des ongles, est touchante dans la peau de cette femme maladroite, qui en fait trop à force de vouloir bien faire, et Finn Wolfhard (le Mike de Stranger Things) est impérial en ado satisfait de lui, en décalage avec les siens et souvent à côté de la plaque dans les relations sociales. À l’image de son titre, il émane de cette comédie douce-amère une ironie exquise. Le conflit des générations s’exprime ici sans bruit, à coups de railleries et de piques, mais il n’en est pas moins douloureux. Ziggy est le symbole d’une jeunesse décomplexée, narcissique, qui fait fi de la culture, de la politique et de l’histoire. C’est la lycéenne dont il est tombé amoureux, engagée elle, qui va se charger de le remettre à sa place. Tout cela génère des scènes hilarantes et bien pensées. Mine de rien, le premier film de Jesse Eisenberg est une réflexion drôle, intelligente et subtile, sur notre époque. 1 h 28 Et avec Billy Bryk, Jay O’Sanders, Alisha Boe, Jack Justice…
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PREMIÈRE
« Most folks they handle this sort of things amongst themselves. – I guess I’m not most folks. »
GOD’S COUNTRY
Julian Higgins 2022 Prochainement en salles
Depuis la mort récente de sa mère, Sandra Guidry (Thandiwe Newton), professeur d’université dans une petite ville du Montana, vit seule dans une maison isolée dans la montagne. Un matin d’hiver glacé, elle découvre un pickup garé sur sa propriété. Elle attend le retour des deux hommes, des chasseurs, pour leur demander de choisir un autre endroit pour pratiquer leur activité. La confrontation, houleuse, va déclencher les hostilités…
Il y a beaucoup de similitudes dans ce premier long-métrage de Julian Higgins avec le As Bestas de Rodrigo Sorogoyen. Ici, c’est une femme noire, étrangère à la région, qui doit livrer un bras de fer à des autochtones bas du front, dont l’un est une véritable fripouille. Comme dans le film franco-espagnol, la police est incapable de gérer la situation, faute de moyens et de véritable envie. L’héroïne de la série Westworld, sourcils froncés et visage dur, impressionne dans ce rôle de femme courageuse et déterminée, malgré les obstacles, à faire valoir ses droits. Au fil des événements, on découvre le passé de Sandra, qui éclaire sur son caractère farouchement pugnace. Souvent prévisible, ce western moderne tient en haleine jusqu’à la fin inattendue et moralement discutable. 1 h 42. Jeremy Bobb, Joris Jarsky, Jefferson White, Kai Lennox, Tanaya Beatty…
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PREMIÈRE MONDIALE
BLOOD
Brad Anderson 2022 Prochainement
Jess Stoke (Michelle Monaghan), infirmière récemment séparée, s’installe dans l’ancienne ferme de ses parents, à l’écart de la ville, avec Tyler, sa fille adolescente, et Owen, son fils de huit ans. Un soir, leur chien est attiré par quelque chose dans la forêt alentour et disparaît. Quelques jours après, il ressurgit et se jette sur Owen, en le mordant sauvagement. À l’hôpital, l’enfant est sauvé de justesse. Victime d’une infection inconnue, il voit son état se dégrader. Jess ne va pas tarder à découvrir le remède, qui va l’entraîner dans une spirale infernale…
Que ne ferait pas une mère pour sauver son enfant ? On ignore si le film de Brad Anderson, qu’on a connu plus malin (il est le réalisateur de l’étonnant The Machinist, avec Christian Bale) se veut une métaphore, mais ce film d’horreur sanguinolent joue tellement la surenchère qu’il laisse le spectateur sur le bord de la route. On ne ressent aucune empathie pour cette héroïne en perdition, dont les agissements sont de plus en plus incohérents. Michelle Monaghan, l’actrice douée de Kiss Kiss Bang Bang et reléguée aujourd’hui à la série B, met pourtant du cœur à l’ouvrage. Mais malgré quelques scènes et visuels bien flippants, l’aspect fantastique de Blood n’est pas exploité et les ressorts du mal ne sont jamais véritablement explorés. Quant à la scène finale post-générique, elle suscite davantage d’hilarité que d’effroi. 1 h 48. Et avec Skeet Ulrich, Finlay Wojtak-Hissong, June B. Wilde, Skylar Morgan Jones…
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COMPÉTITION
OVER/UNDER
Sophia Silver 2022 Prochainement
Été 2022, Violet (Emajean Bullock) et Stella (Anastasia Veronica Lee) ont neuf ans et sont inséparables. Elles jouent dans les vagues, attrapent des papillons, adressent des vœux aux fées et espionnent les nudistes des plages voisines. Mais avec la rentrée, la réalité et ses petits désagréments les éloignent. Et les étés suivants, entre les garçons, les crises familiales et le désir de s’intégrer, les adolescentes vont voir leur belle amitié ébranlée…
Judicieux, le titre se rapporte au jeu des jeunes héroïnes dans les vagues. Ce récit initiatique, véritable ode aux amitiés d’enfance, est celui qu’a vécu la réalisatrice. Elle était d’ailleurs présente lors du débat qui a suivi le film, avec l’amie qui a inspiré le rôle de Stella. Ce film à la fois simple et subtil évoque la période délicate du passage à l’adolescence, où la magie de l’enfance s’efface peu à peu. Rien de spectaculaire, les filles sont issues de familles de la classe moyenne, et sont plutôt choyées. D’une grande délicatesse, Over/Under tire sa grâce de la présence de ses deux jeunes actrices sensationnelles, très justes. 1 h 28. Et avec Adam David Thompson, Madeline Wise, Brandon Keener, Christiane Seidel…
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COMPÉTITION
PEACE IN THE VALLEY
Tyler Riggs 2022 Prochainement dans les salles
Ashley Rhodes (Brit Shaw), son mari John (Michael Abbott Jr) et leur fils de dix ans font leurs courses dans un petit supermarché lorsqu’un homme armé fait irruption et tire à l’aveugle sur les clients. John, vétéran de l’armée devenu pompier, met sa femme et son fils à l’abri avant de revenir stopper le tireur. Il meurt dans l’assaut. Cette action héroïque ne donne que peu de réconfort à Ashley, qui se noie dans le chagrin et délaisse son fils, qui manifeste soudainement un intérêt pour les armes…
Contrairement à ce que son titre, emprunté à une chanson de Johnny Cash, suggère, Peace In The Valley n’aborde jamais frontalement la question de la violence ni du penchant de l’Amérique pour les armes à feu. Le premier film de l’acteur Tyler Riggs explore surtout les tourments d’une jeune veuve d’un héros qui ne parvient pas à faire son deuil. Submergée par la peine et la colère, Ashley va sombrer jusqu’à toucher le fond, négligeant le chagrin de son fils. La présence du frère jumeau de son époux apporte un trouble et une tension qui hélas ne font pas beaucoup évoluer l’intrigue. C’est pourtant dans le refus du spectaculaire que ce drame psychologique, plutôt juste, fait mouche. Il a aussi le mérite de révéler une actrice magnifique, Brit Shaw, bouleversante. 1 h 28 Et avec Michael Abbott Jr, William Samiri, Dendrie Taylor…
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COMPETITION
« I think you might be a bad influence on each other.»
THE SILENT TWINS
Agnieszka Smoceyńska 2022 Prochainement dans les salles
Au début des années 70, au Pays de Galles, les jeunes June et Jennifer Gibbons, deux jumelles monozygotes totalement fusionnelles, ont décidé de se murer dans le silence. Elles ont fait le pacte de rester muettes, qu’elles soient en famille, à l’école ou dans le monde extérieur. Il n’y a que dans leur chambre, à l’abri des regards, qu’elles s’expriment, et laissent libre cours à leur imagination foisonnante. Le temps passe et leur comportement de plus en plus incontrôlable rend la situation intolérable pour leur famille…
L’histoire vraie et étrange des sœurs Gibbons avait fait en 1986 l’objet d’un livre, Les jumelles du silence, écrit par Marjorie Wallace. L’auteur avait rencontré les protagonistes alors qu’elles étaient pensionnaires du tristement célèbre hôpital psychiatrique de Broadmoor, près de Londres, et avait été émue par leur sort. Dans cette adaptation réalisée par la cinéaste polonaise Agnieszka Smoceyńska, Marjorie Wallace est campée par la toujours excellente Jodhi May. Véritablement tragique, le récit de The Silent Twinsn’est pas une partie de plaisir. Et pour le spectateur, le film a parfois des allures de chemin de croix. Les jumelles enfants sont aussi flippantes que les gamines de Shining et, devenues adolescentes, elles dérangent tout autant. La prestation hallucinée de Tamara Lawrence et Leticia Wright impressionne. Les sœurs s’aiment autant qu’elles se haïssent : leur complicité étant pervertie par la jalousie et la colère qui rongent Jennifer (Tamara Lawrence). Spécialiste de drames psychologiques voire horrifiques, Agnieszka Smoceyńska s’est attachée à juxtaposer le sordide de la réalité avec l’univers fantasmagorique de ces jeunes filles aux tendances psychopathes. Il en résulte des scènes visuellement magnifiques. Si elle charge parfois un peu la mule dans le pathos, la cinéaste ne tente jamais de rendre ses héroïnes « aimables ». Il est donc parfois difficile de ressentir de l’empathie pour ces sœurs tourmentées, qui auraient mérité davantage de considération de la part des institutions qui se sont contentées de leur couper les ailes. 1 h 53 Et avec Jack Bandeira, Nadine Marshall, Treva Etienne, Declan Joyce…
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LES DOCS DE L’ONCLE SAM
« Ever since I was sixteen, I was determined to have the greatest adventure any one person could ever have. » David Bowie
MOONAGE DAYDREAM
Brett Morgen 2022 Depuis le 21 septembre dans les salles françaises
Une odyssée cinématographique à travers l’œuvre créative et musicale de David Bowie, l’un des artistes les plus prolifiques et marquants de notre époque.
Présenté hors compétition au festival de Cannes dernier, le film de Brett Morgen s’est pris une volée de bois vert de la part d’une grande partie de la critique française, pour le moins divisée. Lors de la projection officielle à Deauville le réalisateur est monté sur scène pour préciser ses intentions : « Vous ne trouverez pas de faits, de dates, mais il y aura beaucoup de David Bowie dedans. » Le cinéaste n’est pas un débutant dans le domaine du documentaire. Il est, entre autres, le coréalisateur avec Nanette Burstein des acclamés The Kid Stay In The Picture, sur le producteur Robert Evans, et de Cobain : Montage Of Heck, portrait intime du leader de Nirvana. Moonage Daydream, dont le titre est inspiré de la chanson homonyme du musicien composée en 1971, est une œuvre de commande, à l’initiative du David Bowie Estate (qui gère le patrimoine artistique du musicien). Morgen a eu (quasiment) carte blanche et accès à une montagne d’archives (sélectionnées au préalable quand même). Cinq années de travail auront été nécessaires pour mener à bien ce projet. Il en résulte un film à l’opposé d’un biopic, qui immerge dans l’univers et personnifie l’artiste plus qu’il ne l’analyse. Ceci explique les absences remarquées, à l’écran, de proches cruciaux du musicien (Iggy Pop, Tony Visconti, Ken Scott, Hermione, Angie) qui ont pourtant contribué grandement à son œuvre. Cinéaste intuitif, Brett Morgen propose « sa vision » de David Bowie. Il s’est attaché au génie créatif de l’artiste et à ses obsessions pour le vieillissement et la mortalité, dont découle probablement son besoin de changement continuel. La voix off du musicien est la seule de cette œuvre kaléidoscopique et envoûtante, où s’enchaînent interviews à travers les âges, extraits de films remis en musique (L’homme qui venait d’ailleurs, Furyo…) et de documentaires (et en particulier des fameux Ziggy Stardust And The Spiders From Mars The Motion Picture, de D. A. Pennebaker, ou Ricochet de Gerry Troyna). Finalement peu d’images inédites malgré la durée du film (on aurait souhaité voir davantage de ce que David Hemmings avait tourné en 1978), mais on ne boudera pas son plaisir tant le montage visuel et sonore (supervisé par Visconti) est magnifique. 2 h 14
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PREMIÈRE
« Marilyn n’existe pas. »
BLONDE
Andrew Dominik 2022 Depuis le 28 septembre sur Netflix
De l’enfance difficile de la petite Norma Jean à l’ascension vers la gloire, la vie mouvementée de Marilyn Monroe. Inspiré du best-seller de Joyce Carol Oates, le film brouille la frontière entre réalité et fiction pour explorer le décalage entre l’image publique et la véritable nature de l’icône…
Je n’ai pas eu la chance de découvrir Blonde à Deauville, où il était présenté quelques semaines avant sa diffusion sur Netflix. C’était peut-être le film dont j’attendais le plus. Sur le papier, l’association du cinéaste néo-zélandais, — réalisateur en 2007 du magnifique L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford — avec l’exquise comédienne cubano-espagnole Ana de Armas et la figure légendaire de Marilyn Monroe, avait de quoi susciter l’enthousiasme. Tout l’été, on avait été bluffé par les photos de l’actrice métamorphosée en Marilyn parues dans la presse. La déception est d’autant plus grande. Le postulat d’Andrew Dominik — explorer la face sombre d’une icône pétrie de traumatismes – était louable. « Comment une enfant non désirée a-t-elle géré le fait de devenir la femme la plus désirée du monde ? » Mais il a beau avoir répété à l’envi qu’il s’agissait d’un anti-biopic, avec une part de fiction, il est impossible pour le spectateur de se détacher de la figure de Marilyn Monroe, actrice au talent sous-estimé, attachante et bouleversante, admirablement incarnée ici par Ana de Armas. Sa performance est tout simplement vertigineuse. La beauté de la photographie (signée Chayse Irvin), des images qui passent de la couleur au noir et blanc ou changent de format, et cette manière de redonner vie aux photos et séquences iconiques, enveloppées par la partition de Nick Cave et Warren Ellis, forcent l’admiration. Tout ça pour quoi ? Non pas pour illustrer la phrase de Madame de Staël : « La gloire est le deuil éclatant du bonheur », mais pour « un film d’horreur onirique » (dixit le réalisateur) dont l’aspect racoleur dérange au plus haut point. Marilyn Monroe est réduite à l’état de victime, de martyr, quand ce n’est pas de traînée, et le film enchaîne les séquences sordides plus ou moins imaginées et assurément fantasmées (on a droit à la caméra placée dans le vagin pendant une IVG, à un dialogue de l’actrice avec son fœtus, à une fellation de JFK d’un glauque absolu…). Triste et morbide d’un bout à l’autre, Blonde s’apparente à un long calvaire (2 h 46 tout de même…), redondant, cauchemardesque et extrêmement pénible, tant on ressent une volonté d’avilir l’icône, comme si elle n’avait pas déjà assez morflé de son vivant. Dans une interview (à Télérama), Andrew Dominik a déclaré qu’avant avoir lu l’ouvrage de Joyce Carol Oates, Marilyn ne l’intéressait pas du tout. Ceci explique peut-être cela. 2 h 46 Et avec Bobby Cannavale, Adrien Brody, Julianne Nicholson, Evan Williams, Xavier Samuel, Tygh Runyan, Lily Fisher…