REDÉCOUVRIR TRUFFAUT : Le dernier métro/La peau douce en Blu-ray

François Truffaut photographié par Pierre Zucca 

De tous les cinéastes de la Nouvelle Vague, c’est François Truffaut que je préfère. De toute cette bande de jeunes loups, il est avec Chabrol celui dont le cinéma s’est révélé le plus romanesque, le plus accessible aussi. Mais il est surtout celui pour lequel j’éprouve, depuis toujours, une vraie tendresse. Probablement parce que cet homme qui ne vivait que pour le cinéma aimait, non seulement les femmes, mais les gens. L’enfant terrible de la critique, autrefois provocateur et arrogant, s’est métamorphosé en réalisateur attentif aux autres, bienveillant et généreux. Alors que douze de ses œuvres majeures sont disponibles sur Netflix, deux films sont récemment parus en Blu-ray chez Carlotta, en versions magnifiquement restaurées et truffées d’excellents suppléments.

(Click on the planet above to switch language.) 

 

« Alors voilà, il y a deux femmes en vous…
– Oui, mais malheureusement, aucune des deux n’a envie de coucher avec vous. »

 

LE DERNIER MÉTRO

François Truffaut
1980
Disponible en Blu-ray, DVD et Coffret Collector chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

1942. Paris est occupé. Lucas Steiner (Heinz Bennent), le directeur juif du Théâtre Montmartre, a officiellement fui la France, confiant à son épouse Marion (Catherine Deneuve) les rênes de l’endroit qu’elle dirige avec ses collaborateurs les plus fidèles. Ainsi, l’acteur et réalisateur Jean-Loup Cottins (Jean Poiret) est charger de mettre en scène la nouvelle pièce, La disparue, en s’appuyant sur les consignes laissées par Lucas Steiner. Marion en partage la vedette avec une nouvelle recrue, le jeune et entreprenant comédien Bernard Granger (Gérard Depardieu)…

Malgré ses dix César obtenus en 1981, le plus grand succès au box-office de François Truffaut (avec les Quatre cents coups) a parfois décontenancé la critique, jugeant (comme le réalisateur lui-même d’ailleurs) que la retenue du cinéaste avait un peu nui à l’émotion. Pourtant, comme Les quatre cents coups – encore –, Le dernier métro est un des films les plus personnels du réalisateur « né de père inconnu », qui avait dix ans en 1942 et a découvert, bien plus tard, que son père biologique était juif. Il lui tenait à cœur d’évoquer cette période particulière à travers le prisme du théâtre et d’en montrer la confusion, les compromis, les petits arrangements plus ou moins douteux, l’héroïsme et la lâcheté ordinaire, et le sentiment d’insécurité permanent. Ainsi, la réussite du Dernier métroprovient moins des aléas de l’histoire d’amour que des détails de cette reconstitution documentée et de l’authenticité des personnages secondaires, les petites mains : l’ingénue pleine d’ambition campée par Sabine Haudepin, la fidèle habilleuse jouée par Paulette Dubost, le régisseur débrouillard (Maurice Risch) ou la décoratrice aux mœurs libres (Andréa Ferréol). Si le cinéaste avait puisé dans ses souvenirs personnels et de son entourage, il s’était aussi beaucoup inspiré des anecdotes racontées par les artistes de l’époque, Jean Marais et Sacha Guitry en tête. Ainsi, le critique collabo et antisémite incarné par Jean-Louis Richard, complice d’écriture de longue date de Truffaut, est une émanation d’un véritable journaliste auquel Jean Marais a un jour cassé la figure, comme le fait le personnage de Gérard Depardieu dans le film. La précision de l’écriture et des dialogues se retrouve dans la mise en scène épurée. La photo du génial Nestor Almendros sublime la mise en abyme et les trompe-l’œil qui entremêlent savamment la vie et le théâtre, le réel et l’illusion. Muse du cinéaste depuis La sirène du Mississippi, Catherine Deneuve excelle dans la peau de ce personnage écrit tout spécialement pour elle, tenu au double-jeu, froid seulement en apparence, car aussi passionné que celui que campe le jeune, fougueux et formidable Depardieu. D’ailleurs, en clin d’œil à La sirène du Mississippiqui avait subi un échec cuisant en 1969, François Truffaut a replacé quelques-uns de ses dialogues dont celui-ci, devenu culte :

« Tu es belle. Si belle que te regarder est une souffrance.
– Hier, vous disiez que c’était une joie.
– C’est une joie et une souffrance. »

2 h 11. Et avec Aude Loring, Alain Tasma, Jean-Pierre Klein, René Dupré, Martine Simonet, Richard Borhringer…

 

TEST COFFRET ULTRA COLLECTOR N°19

Le coffret, dont le visuel exclusif est signé Jonathan Burton, inclut le Blu-ray, le DVD et un livre de deux cents pages dirigé par Jérôme Wybon, composé de nombreux documents d’archives et de textes contemporains autour du film.

Interactivité ****
Le programme mêle les suppléments provenant d’anciennes éditions à des documents inédits. On retrouve la présentation et le commentaire audio de Serge Toubiana accompagné de l’historien Jean-Pierre Azéma, auxquels se joint parfois Gérard Depardieu. Ce dernier se souvient de la première rencontre avec Truffaut, qu’il considérait jusqu’alors comme un « bourgeois ». Même si la qualité de l’image n’est pas idéale, on savoure la présence du numéro de l’émission de TF1 Les Nouveaux rendez-vous, datant de septembre 1980. Ève Ruggieri recevait sur son plateau François Truffaut, Catherine Deneuve et Gérard Depardieu (11 mn). Le cinéaste répond ensuite au regretté Claude-Jean Philippe, dans un document audio diffusé en 1980 sur France Culture (46 mn). On ne négligera pas non plus le numéro de L’invité du jeudi, émission présentée en décembre 1980 par Anne Sinclair consacrée à François Truffaut, qui livre beaucoup de ses secrets. Plus récent, le documentaire de Robert Fisher réalisé en 2009 réunit des acteurs et membres de l’équipe du film, qui se remémorent le tournage (Paulette Dubost y est truculente). On peut découvrir également une scène coupée, et Petite Graine, court métrage de Tessa Racine, assistante de Nestor Almendros sur Le dernier métro, un hommage très personnel au réalisateur.

Image ****
Format : 1.66
Restaurée en 2014 par MK2 et la Cinémathèque française, le négatif original a été numérisé en 4K et restauré en 2K image par image sous la supervision du directeur photo Guillaume Schiffman, fils de Suzanne Schiffman, la collaboratrice de François Truffaut. Autant dire que le résultat est magnifique et très fidèle à l’image d’origine.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Une seule piste, propre et très harmonieuse, tout à fait convenable pour ce film intimiste.

 

*******************

 

« Tu sais ce que disait Sacha Guitry ?
– Non.
– “Elle bâillait devant moi. Je lui ai dit : ‘Bâille, bâille’…” »

 

LA PEAU DOUCE

François Truffaut
1964
Disponible en édition Prestige et Blu-ray simple chez Carlotta depuis le 2 juin 2021

Pierre Lachenay (Jean Desailly) est écrivain. Ce quadragénaire mène une existence bien réglée dans le XVIe arrondissement de Paris avec son épouse Franca et leur fille Sabine. Un jour, il se rend à Lisbonne pour donner une conférence sur Balzac. Dans l’hôtel où il est descendu se trouve également Nicole, la jeune et jolie hôtesse de l’air (Françoise Dorléac) qu’il avait remarquée durant le vol….

« La Peau douce, c’est la vieille France contre la Nouvelle Vague » a dit fort justement le critique Nicolas Saada : un bourgeois conformiste typique de la France gaullienne campé par Jean Desailly (parfait dans ce rôle ingrat) contre la jeunesse, la spontanéité et la beauté insolente de Françoise Dorléac. D’après un scénario original écrit par Truffaut et son ami Jean-Louis Richard, le film a été réalisé dans l’urgence, après le merveilleux Jules et Jim et alors que le projet de Fahrenheit 451 peinait à prendre forme. S’il n’a pas rencontré son public à l’époque, c’est que les spectateurs ont eu quelques difficultés à adhérer au personnage de Pierre Lachenay (le nom est emprunté à l’ami d’enfance de Truffaut, Robert Lachenay), maladroit, pathétique souvent, et in fine peu sympathique. François Truffaut en avait pleinement conscience, mais c’était le prix à payer pour ne pas tomber dans une certaine complaisance qui lui faisait horreur. Il y a en effet de la cruauté dans cette peinture de l’adultère, qui apparaît à la fois comme un film noir et un film à suspense. Ce n’est pas un hasard. La peau douce se ressent de l’influence d’Alfred Hitchcock, l’un des maîtres de Truffaut. La mise en scène est précise (découpage au cordeau, éclairages malins, échanges de regards, plans resserrés…), le rythme soutenu et la tension dramatique constante. Le tout est admirablement servi par la musique de Georges Delerue et la photo en noir et blanc de Raoul Coutard. Enfin, on souligne la présence de Françoise Dorléac dans un de ses plus beaux rôles, filmée avec un fétichisme évident par François Truffaut, qui l’adorait. La divine comédienne disparaîtra tragiquement trois ans plus tard, à l’âge de vingt-cinq ans. Les cinéphiles ne s’en sont jamais vraiment remis.
1 h 53. Et avec Nelly Benedetti, Sabine Haudepin, Daniel Ceccaldi, Laurence Badie, Maurice Garrel, Jean-Louis Richard…

 

TEST EDITION BLU-RAY

 

Interactivité ***
L’édition reprend peu ou prou le programme du DVD paru en 2000 chez MK2, c’est-à-dire le commentaire audio du coscénariste Jean-Louis Richard, animé par Serge Toubiana, et la présentation du film par ce dernier. Figurent également au menu : un petit reportage sur Françoise Dorléac et Nelly Benedetti à Cannes en 1964, une analyse de quelques scènes par François Truffaut dans le cadre de l’émission Cinéastes de notre temps (10 mn), une interview croisée du réalisateur et son actrice pour la télévision flamande (4 mn). On aime beaucoup l’analyse pertinente du film par Nicolas Saada, document inédit intitulé fort justement L’ancien et la moderne (10 mn).
 

Image ****
Format : 1.66
Un transfert d’excellente facture. L’image, lumineuse et propre, conserve un grain très cinématographique. Très bonne qualité du piqué et des contrastes.

Son ***
DTS-HD Master Audio 1.0 en français
Un rendu très propre et équilibré.


 Le film est également disponible en DVD simple et Édition Prestige Limitée, combo Blu-ray/DVD incluant de la memorabilia (fac-similé du premier traitement du scénario, du dossier de presse original du film, du dossier sur le film extrait de la revue La cinématographie française, un jeu de cinq photos du film et l’affiche).

 

 

 

 

À signaler également aux amoureux de François Truffaut, cette très jolie bande dessinée parue chez Glénat en 2020, signée Marek et du spécialiste de cinéma Noël Simsolo, qui retrace la vie tumultueuse du réalisateur sentimental et passionné.

 

 

LIENS CONNEXE : CRITIQUE LA SIRÈNE DU MISSISSIPPI

REGARDER LES CÉSAR QUOI QU’IL EN COÛTE

« Au début on l’a appelé “le Covid”, mais quand on a compris que ce serait très très long et très très chiant, on l’a mis au féminin. »

(Click on the planet above to switch language.) 

 

CÉSAR 2021

« Pourquoi moi pour présenter les César ? Cinq nominations, zéro César. C’est quand même un peu sadique de me le proposer, et c’est carrément maso d’accepter. Mais bon, je suis actrice, donc en même temps j’ai un respect de moi-même assez limité. Mais c’est maso. C’est comme avoir une pharmacienne à la culture en temps de pandémie. »

Si quelques vannes méritent d’être relevées, tout ça n’était pas classe et avait un goût amer. Marina Foïs, aidée (ou pas) par les textes trash et cash de Laurent Lafitte et Blanche Gardin, a tenté de donner du peps à une cérémonie forcément singulière (cent cinquante nommés répartis dans la salle de l’Olympia, qui en contient deux mille…). Mais, en dépit de sa jolie robe à paillettes signée Nicolas Ghesquière pour Vuitton, on a compris dès son entrée en scène (elle a ramassé une crotte qui aurait été oubliée par le chien de Florence Foresti) que d’élégance, il n’y aurait point.

En fait, on n’était pas là pour parler de cinéma…

« Comme Dieu merci, à Noël, les salles de spectacles étaient fermées, il y avait moins de flux de gens. On a donc pu organiser des gros flux dans les grands magasins et les centres commerciaux… Tout ça pour soutenir le personnel soignant et pour qu’il y ait du monde en réa. Parce que quoi de plus triste qu’un lit vide ? C’est comme une salle vide pour un artiste. »

Sur la scène de l’Olympia, en cette 46e cérémonie des César présidée par Roschdy Zem (meilleur acteur qu’orateur) et organisée par une nouvelle Académie a priori plus démocratique, l’heure n’était plus à la charge contre Roman Polanski, ni à la défense de la parité ou de la diversité (sauf pour Jean-Pascal Zadi, dans un discours très politique, avec une volonté assumée de vouloir « foutre la merde »), mais à la dénonciation de l’impact des mesures sanitaires sur le monde de la culture. La réouverture des salles se faisant attendre, Marina Foïs et bien d’autres intervenants y sont allés de leurs revendications, avec plus ou moins d’esprit. C’est un fait, le secteur de la culture est en détresse, et beaucoup de situations, dont celle des intermittents, sont alarmantes. Mais on préfèrera retenir le discours d’Anny Duperey (formidable dans la récente série La faute à Rousseau) au numéro « malaisant » de l’insoumise Corinne Masiero. L’interprète du Capitaine Marleau s’est entièrement dénudée, dévoilant sur son corps, côté face, l’inscription « No culture, No futur » (avec une faute donc…) et, côté pile, « Rend nous l’art, Jean ! » (avec une autre faute…). Juste avant, elle était apparue dans le costume de Peau d’âne, portant en dessous une robe ensanglantée, et arborant deux Tampax usagés en guise de boucles d’oreilles, recyclant, quarante-cinq ans plus tard et probablement sans le savoir, le moins relevé des gimmicks punk. À Marina Foïs qui s’étonnait (faussement ou pas) de l’accoutrement, elle a répondu avec mépris : « Pourquoi tu dis que c’est dégueu, t’es vegan ? » Ces derniers ont dû apprécier…

« J’ai une idée étrange qui m’est passée par l’esprit en coulisses. Je me suis dit que c’était extraordinaire quand même que ces derniers mois il y ait tellement de nos grands, de nos aînés, qui soient partis quasiment en même temps. Tous les copains d’ Un éléphant ça trompe (énormément NdlR), Jean-loup, Jean-claude, Bacri, tout ça… Quelle que soit la cause de leur mort, m’est venue l’idée saugrenue qu’ils avaient quelque part choisi de ne pas voir ce qu’on vit. Alors Roselyne, je pense qu’il va falloir se battre plus fort pour nous, avant qu’ils se tirent tous ! »

A noter que la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, a été interpellée maintes fois au cours de la soirée et rhabillée pour l’hiver, mais elle n’était pas présente dans la salle (seulement en coulisses).

Séquence émotion

 

Heureusement, les César, c’est aussi la nostalgie. Le choix de l’affiche en disait déjà long. Les séquences consacrées aux disparus de 2020 ont non seulement insufflé de l’émotion à une soirée militante, mais rappelé que le cinéma français pouvait avoir de la gueule. On a frémi à l’apparition de Jean-Pierre Bacri en personnage animé, lauréat d’un César d’honneur posthume, assis dans le public, mais aussi durant les hommages à Claude Brasseur, Caroline Cellier, Michel Piccoli, Jean-Claude Carrière (par un Louis Garrel très ému), à Ennio Morricone par l’orchestre dirigé pour l’occasion par Benjamin Biolay, plus dandy que jamais, qui a plus tard interprété avec sa classe coutumière « Que reste-t-il de nos amours ? » de Trenet (même si on aurait préféré une chanson de Christophe — un extrait de La route de Salina au hasard —, cinéphile devant l’Éternel, expédié dans le diaporama des disparus).

 

Une pointe de déception

Le moment attendu, la remise du César Anniversaire, nouveauté de 2021, a un peu fait pschitt. Récompensée pour le quarantième anniversaire de la création du fameux café-théâtre de la Porte Saint-Martin, la troupe du Splendid était sur scène et pour l’occasion, Thierry Lhermitte avait revêtu son costume de Le père Noël est une ordure. Mais tout ce petit monde semblait guindé, et bien moins drôle qu’avant. Christian Clavier a glissé :
« Je remercie l’Académie pour cet honneur. Ils se sont quand même débrouillés pour nous le donner l’année où il n’y a personne. Mais enfin bon… »

Gérard Jugnot, sortant un fatras de papiers au moment de prendre le micro a marmonné « Ah non, c’est pas mon discours, ça, c’est mes tests PCR… » et a terminé par un chaleureux :
« Je remercie la chance, le destin, Dieu peut-être, de nous avoir réunis et d’avoir rencontré ces crétins. Et je m’aperçois quand même que nous sommes depuis plus de cinquante ans… cas contact. »

 

PALMARÈS

Avec ses treize nominations, l’épatant Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, d’Emmanuel Mouret partait favori. A mon grand dam, il n’aura pourtant récolté qu’un seul César, celui du Meilleur second rôle féminin, pour la formidable Émilie Dequenne. Comme Été 85 de François Ozon (douze nominations) et Antoinette dans les Cévennes (huit nominations), le film d’Emmanuel Mouret s’est fait coiffer au poteau par Adieu les cons. La fable burlesque et lyrique d’Albert Dupontel a remporté à elle seule sept statuettes dont celles des Meilleur Film, Meilleure réalisation, Meilleur scénario et Meilleur second rôle (pour Nicolas Marié). Le film — que je n’ai l’ai pas encore vu pour cause de pandémie — a également été récompensé par le César des Lycéens, autre nouveauté de cette édition. Dupontel, qui boude les César depuis ses débuts, a brillé par son absence.

 

Le César du Meilleur premier film a récompensé l’audace de Deux, de Filippo Meneghetti, histoire d’amour entre deux femmes d’âge mûr, campées par deux comédiennes exceptionnelles, Martine Chevallier et Barbara Sukowa.

La fille au bracelet de Stéphane Demoustier, frère d’Anaïs (il était en 2014 le réalisateur de l’intéressant Terre battue) a remporté le César de la Meilleure adaptation (d’un thriller argentin, Accusada, de Gonzalo Tobal).

Sans surprise, le César de la Meilleure actrice est allée à la pétillante et sympathique Laure Calamy, héroïne d’ Antoinette dans les Cévennesla comédie rafraîchissante de Caroline Vignal, qui a fait l’unanimité lors de sa sortie, en septembre dernier. Entre rires et larmes, son bonheur faisait plaisir à voir :

« Je repense à la jeune provinciale que j’étais. Je repense au Centre National Dramatique d’Orléans et au cinéma Les Carmes où j’ai eu mes premières émotions, notamment au festival Frank Capra où j’ai découvert La vie est belle. Je pense du coup à ceux qu’on appelait des fous, qui au sortir de la Seconde guerre mondiale, ont décidé de créer la décentralisation et des théâtres dans les provinces pour que l’accès à l’art ne soit pas uniquement parisien. Sans tous ces James Stewart-là, la provinciale que j’étais aurait eu une vie beaucoup plus sinistre. »

 

Le toujours excellent Sami Bouajila, a été récompensé par le César du Meilleur acteur pour son rôle dans Un fils, drame sur fond de terrorisme de Mehdi M. Barsaoui. Il a ému l’assemblée en évoquant l’histoire de son père récemment décédé, originaire de la région de Tunisie où le film a été tourné.

 

La remise du César du Meilleur espoir féminin a été introduite par une vidéo touchante mais non dénuée de cruauté dans laquelle Jean-Louis Trintignant a cité la chanson de Georges Brassens :

« Marquise, si mon visage a quelques traits un peu vieux
Souvenez-vous qu’à mon âge, vous ne vaudrez guère mieux…
Le temps aux plus belles choses se plaît à faire un affront
Et saura faner vos roses comme il a ridé mon front. »

La statuette est revenue à la jeune Fathia Youssouf, quatorze ans, pour son rôle dans le sulfureux Mignonnes de Maimouna Doucouré. L’adolescente a invité les jeunes de son âge à « suivre leurs rêves ».

 

Le César du Meilleur espoir est allé à Jean-Pascal Zadi, acteur et réalisateur avec John Wax de Tout simplement noir, phénomène de l’été 2020. Ce faux-documentaire inégal, fichu comme une succession de sketches, était bien plus amusant que le discours du lauréat :

« Quand on parle d’humanité on est en droit de se poser la question si l’humanité de certaines personnes n’est pas souvent remise en cause… Dans cette optique, j’ai envie de parler d’Adama Traoré, de Michel Zecler… »

Et aussi

Le César du Meilleur documentaire a couronné Adolescentes, de Sébastien Lifshitz, déjà distingué en 2013 pour Les invisibles. Le réalisateur a suivi durant cinq ans deux jeunes filles, amies d’enfance. Ce portrait sensible de la jeunesse est aussi la chronique pertinente d’une époque. Dans la foulée, le film a également remporté les César du Meilleur montage et du Meilleur son.

 

Évocation de la fuite des Républicains persécutés par la dictature franquiste, et qui vont se retrouver parqués dans des camps dans le sud de la France, Josep, d’Aurel, a remporté le César du Meilleur film d’animation.

 

Drunk, ou la dérive de quatre potes qui décident de vivre dans l’ivresse, du Danois Thomas Vinterberg (Festen, La chasse…) a raflé le César du Meilleur film étranger.

 

Le César de la Meilleure musique est allé à Rone pour la bande originale planante de La nuit venue, premier long-métrage de Frédéric Farrucci, avec Camélia Jordana et la révélation Guang Huo.

 

Glamour

L’ambiance n’était pas à la fête, et pas sûr que le spectacle ait donné envie d’aller au cinéma. Merci tout de même à Fanny Ardant pour sa fougue, à la charmante Catherine Bozorgan, productrice et compagne d’Albert Dupontel, qui ne s’attendait pas à être la star de la soirée, et à la toujours sublime Virginie Efira, pour avoir mis une touche de glamour dans une soirée qui en était fort dépourvue.

 

En attendant, là-haut, ils doivent bien rigoler…

Crédits photos : Villiard-Pool/Sipa, Canal+, Getty Images

PHILIPPE DE BROCA, un monsieur de comédie

Il n’est pas aussi culte que Melville, révéré comme Sautet ou mythique comme Truffaut, mais, comme eux, de Broca avait du génie. Pour tous ceux qui sont nés, comme moi, dans les années 60 et ont été biberonnés à la télévision, il était le cinéaste de l’enfance. On lui doit des comédies d’aventures épatantes, dont le héros était souvent son copain Belmondo (Cartouche, L’homme de Rio, Le Magnifique…). Avec lui il y avait de l’action, du rire, du rocambolesque, et parfois, aussi, de la mélancolie. Durant toute sa carrière, le « cousin farceur de la Nouvelle Vague », ainsi que le surnomme le scénariste Jérôme Tonnerre, n’a eu de cesse de sublimer les femmes à travers ses actrices, les rendant, même (surtout) lorsqu’elles jouent les emmerdeuses, invariablement drôles et spirituelles. Qui n’est pas tombé sous le charme de Marthe Keller dans Les caprices de Marie, ou de Marlène Jobert dans La poudre d’escampette ? Si, à partir des années 80, ses films sont apparus plus inégaux, de Broca, solaire et généreux, restera le cinéaste populaire par excellence, dans le sens noble du terme. Avec ce livre truffé d’interviews paru en novembre aux éditions Neva (le titre est un clin d’œil au film Un monsieur de compagnie), Philippe Sichler et Laurent Benyayer, déjà auteurs d’une anthologie sur Jean-Pierre Mocky (chez le même éditeur), lui rendent un formidable hommage.

(Click on the planet above to switch language.) 

 

Jean-Paul Belmondo et Françoise Dorléac dans L’homme de Rio (1964)

 

« Philippe de Broca a bien raison de ne jamais filmer ses personnages assis ou couchés mais cavalcadant à dix-huit images seconde, toujours en poursuite, toujours en fuite pour échapper à la pesanteur du monde moderne. » François Truffaut

  

Philippe de Broca, un monsieur de comédie

De Philippe Sichler et Laurent Benyayer
Avant-propos de Jean-Paul Belmondo
Préface de Cédric Klapisch
Disponible aux Éditions Neva depuis novembre 2020
Inclus, un DVD consacré à la version inédite des 1001 nuits (destinée au petit écran et composée de quatre épisodes de 52 minutes)

Le mouvement, c’est bien ce mot qui définit le réalisateur de L’homme de Rio qui disait de lui-même « Je suis l’homme pressé, j’aime les choses rapides, j’aime tourner vite. L’arrêt, c’est la mort. C’est ma philosophie : la vie n’existe que par le mouvement. » Né en 1933 à Paris, le jeune de Broca ne rêve que d’aventures, de voyages et, très vite, de cinéma. Débrouillard grâce à ses années de scoutisme, il s’imagine metteur en scène de films de cape et d’épée. Un grand-père peintre, un père photographe… tout naturellement il approche le cinéma par le biais du métier de chef-opérateur. Il obtient « très facilement » son diplôme à l’École Technique de Photographie et de Cinéma de Vaugirard (aujourd’hui, École Louis-Lumière) et débute en tant que réalisateur de films industriels avant d’être happé par le service militaire. C’est alors la guerre d’Algérie, et Philippe de Broca fait ses armes dans la réalisation de films d’informations et de formation pour les jeunes recrues. Cette expérience le rendra définitivement antimilitariste, mais sera riche d’enseignements qu’il va très vite mettre à profit.

 Gérard Blain et Jean-Claude Brialy dans Le beau Serge

En 1958, il est l’assistant-réalisateur de Claude Chabrol, qui tourne son premier long-métrage, Le beau Serge, et avec qui il devient ami. François Truffaut, autre jeune loup de la Nouvelle Vague, le sollicite pour gérer le plateau des Quatre cents coups. Mais c’est encore Chabrol qui permet à De Broca de sauter le pas. Il lui offre de produire son premier film, Les jeux de l’amour, avec le bondissant Jean-Pierre Cassel et Geneviève Cluny, auteure du scénario original. En 1960, en pleine Nouvelle Vague, cette comédie enjouée détonne. De Broca ne le sait pas encore, mais il est déjà écarté de la chapelle des « auteurs », ceux que les critiques des Cahiers du Cinéma encensent : « Il a continué d’incarner pour Les Cahiers un cinéma médiocre et populaire, et ce mépris a duré jusqu’à la fin. » dit le monteur Henri Lanoë, ami et collaborateur du cinéaste. Le temps a réparé cette injustice, le talent de De Broca a aujourd’hui été réévalué par la critique contemporaine et L’homme de Rio, croisement loufoque de Tintin et de La mort aux trousses d’Hitchcock, est unanimement considéré comme un chef-d’œuvre.

Françoise Dorléac et Jean-Paul Belmondo dans L’homme de Rio

 

Si dans les années 60-70, il n’est pas considéré par l’élite des critiques, De Broca n’en a cure : il enchaîne les succès, et surtout, il s’amuse (« Mon but est que les gens en aient pour leurs cinq cents francs lorsqu’ils entrent dans une salle de cinéma »). Il est cul et chemise avec le jeune Jean-Paul Belmondo, icône de la Nouvelle Vague, qu’il a rencontré sur le tournage de À double tour, de Chabrol. Après avoir révélé le talent comique de Jean-Pierre Cassel, l’alter ego de ses premiers films, de Broca se lie d’amitié avec Bebel. Les deux hommes partagent la même espièglerie, le même goût pour la déconnade et la faculté de rien prendre au sérieux, à commencer par eux-mêmes. « Je pourrais le suivre jusqu’au bout du monde » a déclaré l’acteur. Six films dont parmi les meilleurs du cinéaste en découleront : Cartouche, L’homme de Rio, Les tribulations d’un Chinois en Chine, Le magnifique, L’incorrigible, Amazone.

Philippe de Broca et Jean-Paul Belmondo sur le tournage du Magnifique (1973 – @ Droits réservés)

Mais De Broca aura également fait tourner le fleuron des acteurs français (Philippe Noiret, François Périer, Patrick Dewaere, Yves Montand, Jean Rochefort, Lambert Wilson, Jean-Pierre Marielle, Claude Brasseur, Victor Lanoux, Michel Piccoli…), les plus belles actrices (Catherine Deneuve, Marthe Keller, Françoise Dorléac, Marlène Jobert, Jacqueline Bisset, Annie Girardot, Claudia Cardinale, Ursula Andress, Jean Seberg, Sophie Marceau, Catherine Zeta-Jones, Valérie Kaprisky, Marie Gillain… ), a collaboré avec des scénaristes et dialoguistes hors pair (Daniel Boulanger, Michel Audiard, Jean-Paul Rappeneau, Jean-Loup Dabadie, Jérôme Tonnerre…), des musiciens de génie (Georges Delerue en tête). Ils sont quasiment tous présents dans ce livre pour évoquer la figure du réalisateur, révélant des facettes parfois inattendues de sa personnalité.

Philippe de Broca et Jacqueline Bisset sur le tournage du Magnifique (1973 – Photo Henri Lanoë)

 Philippe de Broca et Annie Girardot sur le tournage de Tendre Poulet (1977- Photo Georges Pierre)

Philippe de Broca et Patrick Dewaere sur le tournage de Psy (1981 – Photo Étienne George)

Philippe de Broca, Sophie Marceau et Lambert Wilson sur le tournage de Chouans ! (1988 – Photo Jean-Pierre Fizet)

 

Celles qui ont partagé la vie de ce séducteur invétéré (Le cavaleur est le film qui lui ressemble le plus, même s’il s’en est défendu), témoignent aussi  — Marthe Keller, Michelle de Broca, Alexandra de Broca… — et ses enfants : Alexandre, aujourd’hui chef décorateur et directeur artistique, ainsi que Jade et Chloé qui ont fondé en 2014 en Dordogne un festival de théâtre en plein air, le Théâtre du Roi de Cœur, dont le nom est hommage au film de leur père — Le roi de cœur (1966), celui qu’il préférait, et ironiquement l’un de ses plus grands fours.

« Je lui ai montré certains Bergman, un de mes cinéastes de chevet. Ça l’intéressait, sauf quand un plan de mouette dépassait les quarante secondes. Il explosait : “C’est trop long, il faut couper !” » Marthe Keller

 

Ce livre monumental (336 pages) et richement illustré se consacre également à la filmographie, téléfilms inclus. À chaque œuvre, sa genèse, ses anecdotes, les témoignages de collaborateurs, des photos et documents rares et la réaction des critiques. En annexe, on peut découvrir un parcours sur le box-office, les projets inaboutis, les apparitions du cinéaste en tant qu’acteur et bien d’autres choses encore…

Philippe de Broca s’éteindra en 2004, à soixante et onze ans, quelques semaines après la parution de son dernier film, le sombre Vipère au poing, adapté du classique d’Hervé Bazin. Il est enterré à Belle-Île-en-Mer, en Bretagne. Sur sa sépulture, il est inscrit : « J’ai assez ri ! »

Photo by Patrick Robert/Sygma via Getty Images

« J’ai aimé son rire, son imaginaire, son extrême rigueur dans la loufoquerie, la gravité secrète que dissimulaient ses pirouettes. Nous étions une équipe, nous étions un duo, nous étions frères. »
Jean-Paul Belmondo (Novembre 2019)