Dans son dixième long-métrage, adapté du best-seller de Gillian Flynn, David Fincher réveille Hitchcock, Lang et tutoie De Palma, mais ne convainc pas tout à fait. Et même s’il a emballé la critique et fait un tabac dans les salles, ce thriller conjugal macabre n’est qu’une semi-réussite. Explications… (pas de spoilers dans cette chronique)
« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées, le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange, mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. » Alfred de Musset On ne badine pas avec l’amour.
Gone Girl
David Fincher
2014 (dans les salles françaises depuis le 8 octobre)
Dans une bourgade du Missouri… Alors qu’il rentre chez lui pour fêter avec son épouse Amy (Rosamund Pike) leur cinquième anniversaire de mariage, Nick Dunne (Ben Affleck) découvre son salon saccagé et constate que celle-ci a disparu. Enlèvement ? Assassinat ? La police, dépêchée sur les lieux, le considère vite comme le suspect numéro un. Aux yeux des médias et de la population qui s’emballent aussitôt pour l’affaire, Nick, beau gosse un peu trop souriant, a tout du coupable idéal, d’autant que jour après jour, les preuves s’accumulent contre lui…
Le dernier film en date de David Fincher fait mentir Alfred de Musset. Le mariage, c’est l’enfer ! Et Gone Girl va apporter de l’eau au moulin des opposants à la vie à deux. Fidèlement adapté d’un best-seller de Gillian Flynn paru en 2012 (Les apparences, Editions Sonatine) – l’écrivain a également signé le scénario — le thriller catapulte dans l’histoire d’un couple, d’abord idyllique, qui se désagrège au gré des déconvenues. Nick découvre qu’il a épousé une femme intelligente mais « compliquée » (« une emmerdeuse » comme le lui rappelle sa sœur, incarnée par l’épatante Carrie Coon), et ce qui lui paraissait ludique dans leur relation ne l’est plus. Quel enfer de devoir chaque jour s’efforcer de rester à la hauteur d’une femme exigeante ! Dans le journal intime d’Amy, retrouvé après sa disparition, elle déplore quant à elle le laisser-aller, la veulerie et la médiocrité de son époux, un loser pour qui la culture ne se résume qu’aux émissions de téléréalité. Certes, le désamour pour son conjoint ne conduit pas pour autant au crime, sauf qu’ici les preuves sont accablantes. Un peu trop peut-être… La manipulation et les faux-semblants n’ont pas de secrets pour le réalisateur de Seven, The Game et Fight Club, lequel semble ici se délecter de fausses pistes, de flash-backs trompeurs, de personnages douteux et de rebondissements spectaculaires. La noirceur et le cynisme ambiants font froid dans le dos (Fincher est aussi le producteur du sommet de cynisme qu’est l’excellente série américaine House Of Cards). C’est à un lynchage, non seulement du couple (parfaitement interprété par Ben Affleck et la British Rosamund Pike), mais de la société du spectacle américaine tout entière qu’on assiste, et Gone Girl, d’une cruauté phénoménale, ne fait pas dans la dentelle. Pourtant, on déchante lorsque l’intrigue policière cède totalement la place à l’horreur, au grand guignol et à la comédie macabre. Le film (de 2 h 29 quand même), perd alors de sa pertinence. L’esbroufe, les invraisemblances et les ellipses faciles finissent par gripper la belle mécanique hitchockienne conçue par Fincher et sa scénariste, suscitant chez le spectateur davantage de frustration que de jubilation.
Et avec : Neil Patrick Harris, Tyler Perry, Kim Dickens, Patrick Fugit, Missi Pyle, Emily Ratajkowski, Sela Ward…