Mis au rebut pendant des années et désavoué par son auteur, le deuxième long-métrage de John Cassavetes arrive en Blu-ray/DVD en France pour la première fois, dans une édition d’excellente facture. Si le film n’égale pas les chefs-d’œuvre à venir, il mérite amplement une re(découverte) tant il porte les stigmates du génie du réalisateur de Faces, Une femme sous influence ou Opening Night.
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« It’s about people I know — my age, my generation — the night people : the jazz musicians, the drifters and dreamers, the floaters, the chicks, the smilers, the hangers-on, the phonies… Too much sex, not enough love… and they live in the world of too late blues. » John Cassavetes
LA BALLADE DES SANS-ESPOIRS (Too Late Blues)
John Cassavetes
1961
Combo Blu-ray/DVD disponible depuis le 6 juin 2023 chez Rimini
John « Ghost » Wakefield (Bobby Darin) est un pianiste idéaliste, leader d’une modeste formation de jazz qui, faute de mieux, se produit dans les orphelinats et les galas de charité. Un soir, il rencontre Jess Polanski (Stella Stevens), une jolie chanteuse sans grand talent dont il tombe instantanément amoureux. Bien décidé à l’intégrer au groupe, Ghost demande à Benny (Everett Chambers), l’agent de Jess qui est aussi le sien, de ne plus s’occuper de la jeune femme. Mais ce dernier, lui-même épris de la chanteuse, va en prendre ombrage…
Plus connu sous son titre original, Too Late Blues, paru en 1961, est le deuxième long-métrage réalisé par John Cassavetes, et sa troisième incursion dans l’univers du jazz, après Shadows et la série Johnny Staccato. Avec Shadows, qui, bousculant les codes du cinéma traditionnel, avait fait sensation deux ans plus tôt dans les milieux cinéphiles, le cinéaste avait piqué la curiosité des dirigeants des studios hollywoodiens. Et puisque sa notoriété grandissait, entre-temps, grâce à son rôle de détective privé dans Johnny Staccato, Cassavetes s’est vu proposer un contrat par Martin Rackin, directeur de production chez Paramount. Co-écrit par le réalisateur et Richard Carr, l’un des scénaristes de Johnny Staccato, Too Late Blues aborde un thème récurrent dans l’œuvre cassavetienne : l’intégrité artistique. Comment concilier l’idéalisme et la réussite sociale et financière ? Hélas, la forme du film, plus classique que celle du précédent, et les images léchées (une magnifique photo signée Lionel Lindon) ont hérissé les poils des fans de Shadows, qui n’ont pas retrouvé ici la liberté de ton, le naturalisme et le côté foutraque qui caractérisait et caractérisera le style de celui qui deviendra l’emblème du cinéma indépendant. Mécontent d’avoir dû s’adapter à des contraintes bureaucratiques, Cassavetes lui-même aura un jugement sévère envers ce film. S’il a réussi à y imposer des amis – dont les fidèles Seymour Cassel et Val Avery –, son projet de confier les rôles principaux à Montgomery Clift et Gena Rowlands fera chou blanc. L’un n’étant plus en état et l’autre, pas assez connue pour répondre aux exigences du studio, c’est le chanteur vedette Bobby Darin (dont le charisme n’est pas le point fort), et la playmate Stella Stevens qui seront retenus. Le cinéaste n’obtiendra pas non plus le final cut (l’épilogue du film n’est pas celui qu’il avait envisagé). Il n’en reste pas moins que Too Late Blues est loin d’être honteux. Il s’inscrit parfaitement dans la filmographie du réalisateur. Stella Stevens se révèle étonnante dans bien des scènes. Les altercations entre Ghost et son agent belliqueux, ou avec les membres de son groupe, ne manquent pas de pertinence. Le milieu du jazz West Coast est même dépeint avec un certain réalisme. Déjà, Cassavetes met l’accent sur l’incommunicabilité entre les hommes et les femmes, sur l’alcool et sur cette manière infantile qu’ont les personnages masculins de se comporter. Et si le jazz ici n’a pas la vigueur de celui de Shadows (celui de Charlie Mingus et Shafi Hadi), la musique du vétéran David Raksin (Laura…) est de toute beauté. Et puis, on s’émerveille toujours devant ce générique d’ouverture filmé façon documentaire. Les visages des enfants souriants se mêlent à ceux des musiciens, et la vie déborde de l’écran. Shadows n’est pas si loin.
1 h 43 Et avec Nick Dennis, Marilyn Clark, James Joyce, Rupert Crosse, Mario Gallo, Cliff Carnell, Richard Chambers…
TEST BLU-RAY
La restauration de cette image en noir et blanc est bluffante (format 1/78). Elle est issue d’un master HD à partir de la pellicule 35 mm du film. La piste audio en 2.0 mono, plus harmonieuse sur la version originale, met en valeur la musique de David Raksin et se révèle correctement équilibrée.
Bonus : On peut découvrir, la bande-annonce originale (le film est présenté par John Cassavetes lui-même) et une analyse pertinente par Quentin Victory Leydier, auteur d’un livre sur le cinéaste (19 minutes).
Et pour en savoir plus sur le film et sur son auteur, n’hésitez pas à vous tourner vers mon livre, L’impossible Monsieur Cassavetes (Séguier), toujours disponible dans les bonnes librairies.