Cinéphiles et amateurs de films noirs en particulier se jetteront sur ce splendide et monumental ouvrage édité par Taschen tout récemment, qui rend un hommage plutôt audacieux à un genre cinématographique esthétique par essence. Introduit par Notes sur le film noir, texte de référence signé Paul Schrader en 1971, le livre répertorie chronologiquement cent des plus belles œuvres du film noir et néo-noir, du Cabinet du Docteur Caligari à Drive, en passant par les classiques Laura ou Le grand sommeil et les plus inattendus The Dark Knight ou Black Swan. Chaque entrée, enrichie d’analyses et extraits de critiques, est généreusement illustrée d’affiches et de photos. Un must have, qui suscitera immanquablement une réflexion sur un genre plus riche et complexe qu’il y paraît.
« A l’instar du film noir classique, le néo-noir nous plonge dans les ténèbres pour mieux nous faire entrevoir la lumière. » Douglas Keesey
Film Noir, 100 All-Time Favorites
Paul Duncan, Jürgen Müller
2014
(21,5 x 27,4 cm), 688 pages, 39,99 €
Même si, selon la légende, le terme a été inventé par un Français, le film noir est, avec le western, le genre le plus emblématique du cinéma américain. On doit l’expression au critique Nino Frank qui l’aurait pour la première fois utilisé en 1946 dans un article publié dans l’Ecran français. Un an plus tôt, Jacques Prévert avait baptisé Série noire la collection de polars éditée par Marcel Duhamel, qui a contribué à populariser le roman noir américain en France. Cet engouement pour le polar venu d’outre-Atlantique est né à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir bouleversé Hollywood, les films noirs débarquent en masse sur les écrans français. Ces histoires de corruption, de trahisons et de crimes, influencées par le pulp, sont pétries de pessimisme et de cynisme, et hantées par les visions expressionnistes des réalisateurs européens expatriés, maîtres du clair-obscur (Fritz Lang en tête).
Dans le film noir, écrit Paul Schrader, scénariste de Taxi Driver, et réalisateur d’ American Gigolo, la forme est toujours plus importante que le fond, et celui-ci ne saurait être assimilé aux films de gangsters, ou réduit à une combinaison d’éléments (femme fatale, détective désabusé, décor urbain, scènes nocturnes, crime… ). « Il ne se définit pas par des compositions et des conflits conventionnels, mais plutôt par de subtils éléments de tonalité et d’atmosphère ». Ainsi, comme s’emploient à le démontrer les deux éditeurs et spécialistes de cinéma Paul Duncan et Jürgen Müller, le film noir, qu’il soit défini comme un genre, un style ou un mouvement, est ouvert. Leur sélection donne la préférence à Quai des brumes, Le trésor de la Sierra Madre, Fenêtre sur cour ou Blade Runner plutôt qu’à Règlement de comptes ou Le carrefour de la mort. Pourquoi pas ? D’autant qu’une liste de mille films figure en index final, histoire de ne pas froisser les susceptibilités.
En avant propos, le livre bénéficie également d’une analyse approfondie de La Dame de Shanghai d’Orson Welles par Jürgen Müller et Jörn Hetebrügge, ainsi que d’une Introduction au néo-noir par Douglas Keesey, professeur de cinéma et de littérature et auteur de nombreux ouvrages sur le 7ème art.
Mon Top 10 perso :
(sans ordre de préférence, mais dominé quand même par Règlement de comptes):
La griffe du passé (Out of the Past), Jacques Tourneur, 1947
La femme aux cigarettes (Road House), Jean Negulesco, 1948
Le démon s’éveille la nuit (Clash By Night), Fritz Lang, 1952
Le port de la drogue (Pickup on South Street), Samuel Fuller, 1953
Règlement de comptes (The Big Heat), Fritz Lang, 1953
Traquenard (Party Girl), Nicholas Ray, 1958
A bout portant (The Killers) Don Siegel, 1964
N’hésitez pas à donner le vôtre…