Un peu étouffée par les critiques dithyrambiques qui ont accompagné l’arrivée sur les écrans de la suite du chef-d’œuvre de Ridley Scott, la voix des circonspects voire des franchement déçus s’est malgré tout fait entendre. Blade Runner 2049 a même divisé au sein des rédactions. Quand certains le jugent encore meilleur que le film de 1982, d’autres fustigent la coquille vide. Le public quant à lui regrette surtout sa durée excessive (2 h 44) et aux Etats-Unis, le long-métrage a fait un flop dès le premier week-end de sa sortie (en son temps, Blade Runner avait également été boudé par le public américain). Si l’idée de faire une suite ne s’imposait évidemment pas (toujours cette fâcheuse manie de recycler les classiques plutôt que d’en créer…), il est malgré tout difficile d’échapper au charme hypnotique du film de Denis Villeneuve, très grand concepteur d’atmosphères, comme il l’a brillamment démontré dans Prisoners, Enemy, Sicario ou le récent Premier contact. Il ne surpasse pas peut-être pas son prédécesseur, monument de la culture cyberpunk, mais 2049 lui fait fichtrement honneur. Pas de spoilers dans cette chronique.
« I did your job once. I was good at it »
Blade Runner 2049
Denis Villeneuve
2017
Dans les salles françaises depuis le 4 octobre
Il ne fait pas bon vivre à Los Angeles en 2049, entre la pollution et la solitude urbaine. A cause des incidents survenus trente ans auparavant, la conception des réplicants, androïdes sophistiqués à l’apparence humaine, a été revue et corrigée par un magnat de la bio-ingénierie (Jared Leto, forcément… ), qui les a rendus plus « obéissants ». Les anciens modèles encore en circulation, considérés comme obsolètes et potentiellement dangereux, doivent être traqués puis éliminés. C’est le rôle de K (Ryan Gosling), agent de la LAPD, androïde organique et redoutable blade runner. Mais lors d’une mission, il va faire une découverte qui pourrait précipiter ce qu’il reste de la société dans le chaos…
S’il n’a pas fait preuve de génie, il faut reconnaître au réalisateur canadien prisé Denis Villeneuve d’avoir fait montre d’élégance pour mettre en scène cette suite du cultissime Blade Runner, auquel il rend un hommage quasi constant. Dès le premier plan, on est propulsé dans l’univers visuel merveilleusement imaginé par Ridley Scott en 1982 (le cinéaste est producteur ici), et les clins d’œil vont pulluler tout au long de cette épopée follement mélancolique, dans des paysages apocalyptiques et tarkovskiens à la beauté hallucinante. Faute de pouvoir se libérer d’un cahier des charges écrasant (Blade Runner est considéré comme le long-métrage le plus fondamental du cinéma de science-fiction après 2001, l’odyssée de l’espace), Denis Villeneuve a généreusement exploité l’univers du film et sa symbolique. Dans ce monde qui se meurt des égarements des hommes, un androïde est bouleversé par l’idée qu’il a peut-être une part d’humanité. Le thème de l’androïde en quête de sa conscience et de son âme était déjà au cœur de Blade Runner, comme il l’était dans A. I., le génial Ghost In The Shell ou dans la récente série Westworld. Cette réflexion existentielle et philosophique a toujours stimulé l’imagination des créateurs, et autorisé des élans poétiques et lyriques. Il émane de toutes ces œuvres une tristesse et une profonde mélancolie, et dans 2049, elles sont clairement revendiquées. Cette plongée hypnotique empreinte de nostalgie revêt un aspect crépusculaire saisissant. On peut se féliciter que l’intrigue, cosignée par Hampton Fancher — déjà à l’œuvre sur Blade Runner — soit un prolongement plausible du film de Ridley Scott librement adapté du roman de Philip K. Dick (Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?), et quelques idées sont carrément bluffantes. On se réjouit aussi que Denis Villeneuve n’ait pas fait un usage outrancier des images de synthèse. 2049 n’a certes pas l’aspect un peu crade de son illustre prédécesseur, mais il n’apparaît pas aseptisé non plus (à la photo, Roger Deakins a encore fait des prouesses). On pourra reprocher le manque d’audace de la bande originale signée par l’incontournable Hans Zimmer (épaulé ici par Benjamin Wallfisch), parsemée de clins d’œil à celle de Vangelis sans parvenir à égaler sa puissance, mais il faudrait être sacrément mauvais coucheur pour bouder ce joyau visuel, fabuleusement et désespérément romantique.
2h 44 Et avec Harrison Ford, Ana de Armas, Sylvia Hoeks, Mackenzie Davis, Robin Wright, Dave Bautista, Hiam Habbass, Lennie James…