Evénement cinématographique de la saison, le neuvième long-métrage de Christopher Nolan charrie des torrents d’émotion en plus d’être une claque visuelle. Plus proche de Spielberg que de Kubrick, ce blockbuster ambitieux et excitant jongle avec l’infiniment grand et l’intime, le spectaculaire et le mélodrame, pas toujours avec subtilité, mais avec une ferveur quasi-homérique.
Do not go gentle into that good night,
Old age should burn and rave at close of day ;
Rage, rage against the dying of the light.
[N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager et s’enrager contre la mort de la lumière.]
Dylan Thomas – 1951
Interstellar : The power of love
La Terre est exsangue. La famine et la pollution condamnent l’humanité à une fin imminente. Seul espoir des scientifiques : coloniser une autre planète habitable. A la faveur d’un trou de ver récemment découvert dans l’espace-temps donnant accès à une galaxie bienveillante, un groupe d’explorateurs entreprend d’y dénicher la planète idéale. Pour les conduire, la Nasa, devenue semi-clandestine, sollicite les services de Cooper (Matthew McConaughey), ancien pilote de la maison reconverti cultivateur. Le dilemme de Cooper, c’est qu’il est aussi veuf et père de deux enfants et qu’il a promis à sa cadette, Murphy (Mackenzie Foy), dévastée par son départ, de revenir…
Après Alfonso Cuaron et son sensationnel Gravity, c’est au tour de Christopher Nolan d’en mettre en plein la vue avec ce blockbuster de science-fiction grandiose et humaniste, écrit avec son frère scénariste Jonathan Nolan, et supervisé par le physicien Kip Thorne, spécialiste de la relativité et des trous noirs. D’emblée, on est étonné par la facture classique du film, tourné en 70 mm IMAX et 35 mm (hélas, il ne sera projeté dans son format d’origine que dans une seule salle en France, le Grand Mercure à Elbeuf, la seule à être équipée d’un projecteur argentique 70 mm). Comme son aîné Steven Spielberg, Christopher Nolan est un conteur efficace. En deux coups de cuillères à pot, il éveille la curiosité et rend plausibles les choses les plus extravagantes. On ne met pas longtemps à se ranger aux côtés de Cooper, véritable space cowboy (rôle qui va comme un gant au Texan Matthew McConaughey), qui se voit assigner la mission ultime : assurer la survie de l’humanité. Parti la fleur au fusil, il ne comprend que trop tard qu’il ne pourra peut-être pas tenir la promesse à sa fille adorée. Car le temps est un redoutable ennemi. Une heure passée sur une planète soumise à d’autres lois physiques équivaut à sept ans sur terre, où les conditions de vie sont de plus en plus effroyables. Entre discours scientifiques plutôt pédagogiques et scènes intimistes touchantes, Interstellar éblouit avec des séquences d’action ébouriffantes (telles ces vagues vertigineuses de la première planète visitée) mises en valeur par des effets sonores saisissants et une musique de Hans Zimmer qui se fait majestueuse dans les hauteurs. Mais plus l’intrigue avance, plus Nolan se détache de la rigueur scientifique. « L’amour est la seule chose qui transcende le temps et l’espace. » Soit ! La poésie prend le dessus et le space opera un tour résolument lyrique, métaphysique et sentimental, au point de dérouter, laissant de nombreuses questions sans réponse (a fortiori lorsqu’on n’est pas astrophysicien soi-même) et des incohérences inconfortables. Qu’importe ! Interstellar n’est certainement pas le nouveau 2001, l’odyssée de l’espace, mais le voyage en vaut la peine. Il tient en haleine, et a le mérite de faire cogiter…
(2 h 49) Et avec Anne Hathaway, Jessica Chastain, Michael Caine, Matt Damon, Casey Affleck, John Lithgow, Wes Bentley, Topher Grace, Ellen Burstyn…