En plus d’être le premier marché du film de la planète, le festival de Cannes est un rêve de cinéphile. Celui que le tourbillon de stars sur le tapis rouge rend hystérique, celui qui tuerait père et mère pour découvrir les films tout juste sortis des salles de montage et offerts à la critique affamée et assassine, et celui qui fantasme sur les fêtes nocturnes avec champagne à gogo, où l’on trouve la crème des DJ, des producteurs en mission, des comédiens plus ou moins connus et des personnalités pittoresques. Pour la première fois, grâce à l’invitation d’un ami producteur, j’allais passer de l’autre côté du miroir et tester en temps réel la magie de Cannes. Trois jours dans la tourmente…
Le chauffeur du taxi qui nous conduit de l’aéroport de Nice à Cannes est intarissable. Il s’insurge contre les faux taxis qui racolent les clients et volent le travail des officiels, parle de la météo, du respect qui se perd, du monde qui fout le camp, et finit par se tromper de rue, avant de se confondre en excuses. Heureusement, Jérôme, qui m’accompagne, déjà descendu au festival l’année précédente pour interviewer les Sparks, reconnaît les abords de la villa dans laquelle Alain, notre ami producteur, cofondateur de la société Wild Bunch (avec, entre autres, Vincent Maraval) loue un spacieux appartement pour loger ses invités plus ou moins spéciaux. L’entrée dans Cannes par la banlieue commerciale proche de l’autoroute s’étant avérée quelque peu décevante, c’est un vrai bonheur de découvrir en cet après-midi estival cette villa très fitzgeraldienne, nichée sur les hauteurs, à dix minutes à pied de la Croisette. On embrasse les adorables Julie et Bobbie, deux Anglaises amies de Wild Bunch, tatouées et excentriques, avec lesquelles nous partageons les lieux. On est en plein Absolutely Fabulous. C’est leur dernier jour et elles semblent déjà au bout du rouleau, plus de pieds, plus de dos. Elles travaillent tant, qu’elles n’ont pas eu le temps de voir beaucoup de films (c’est aussi ce que nous dira Alain). La veille, elles ont tout de même fait un saut à la fête Welcome To New York, organisée par Wild Bunch, de laquelle elles ont ramené un doggy bag des plus exquis, et assurent que c’était « totally crazy ». On a à peine le temps de papoter et de boire un verre qu’on nous appelle : rendez-vous dans trente minutes au restaurant, avant de monter les marches pour la projection à 22 h 30 de Coming Home, le film de Zhang Yimou présenté hors compétition. C’est le branle-bas de combat ! L’appartement se transforme en coulisses de l’Alcazar. Lissage et crêpage de cheveux, essayage de robes, pose de vernis. Le dress code est sévère. Les filles doivent être en tenues habillées, flashy si possible, et pas d’accès pour les garçons sans smoking et nœud pap’. Une demi-heure plus tard, les chambres et la salle de bain sont dévastées, mais tout le monde est prêt. La Croisette étant interdite à la circulation, exceptée pour les limo des stars qui roulent au pas, on traverse la ville à pied, brillantes comme des sapins de Noël, en talons aiguilles (enfin surtout moi, mes copines, en habituées, sont en ballerines et ont mis les chaussures dans leur sac) sous le regard un tantinet blasé des autochtones. A l’Affable, une des meilleures tables de la ville selon Alain qui nous a rejoints, l’ambiance est très brasserie parisienne, bruyante et festive. Je lui demande si le procès que Dominique Strauss-Kahn intente au film de Ferrara l’inquiète. Il rigole, et me balance en guise de réponse les chiffres plus qu’encourageants du premier jour de sortie en VOD (48 000 téléchargements). L’équipe d’un film d’horreur fait irruption dans la salle, avec des déguisements et des pancartes ensanglantées. Après le café, Alain distribue places et cartons pour la soirée du film, et direction le Palais. Il fait chaud. Très chaud. Le trottoir face à la Croisette est bondé de touristes et de gens en tenues de soirée qui se font harceler par des photographes. Enfin, on parvient à accéder au contrôle de l’entrée des invités, encadrée par un savant dédale de barrières. On monte les marches sur le côté, l’accès par le tapis rouge en bas étant réservé aux stars et aux équipes des films. Mais tout ce petit monde se rejoint néanmoins en haut pour faire la même chose : des selfies. On a de la chance, nos places sont à l’orchestre, avec la crème des invités. Si Jérôme est impressionné par la fraîcheur de Sophie Marceau, qui vient de le frôler, moi je n’ai d’yeux que pour Adrien Brody qui entre dans la salle sous les applaudissements et s’assoit à quelques rangs du nôtre. C’est ensuite au tour de l’équipe du film de Zhang Yimou, avec Chen Daoming et Gong Li. Cette dernière, drapée dans une robe Roberto Cavalli dont le dos est fermé par plusieurs rangs de perles, est absolument sublime. La lumière s’éteint. Place au film.
Coming Home
Zhang Yimou
Durant la révolution culturelle en Chine, Fen Wanyu (Gong Li) est l’épouse de Lu Yanshi (Chen Daoming, un professeur incarcéré depuis plusieurs années en tant que prisonnier politique. Elle vit avec Dandan (Zhang Huiwen) sa fille adolescente, danseuse prometteuse et fervente communiste, qui n’a jamais connu son père. A la nouvelle de l’évasion de Lu, les deux femmes sont priées de collaborer avec la police. Malgré la désobéissance de sa femme, qui tente de lui venir en aide, Lu est arrêté et reconduit en prison. Lorsqu’il est libéré à la fin de la révolution, il retrouve une épouse amnésique, qui ne le reconnaît pas et continue inlassablement d’attendre le retour de son époux…
Sur l’écran, la muse de Zhang Yimou est moins pimpante que dans la salle. Vieillie, sans maquillage, elle a la gravité idéale requise par le rôle. Un peu trop sans doute, et cette histoire d’amour contrarié sur fond de révolution culturelle donne un peu trop dans le pathos pour convaincre réellement. Plus intimiste que d’ordinaire, la mise en scène du cinéaste d’Epouses et concubines ou de La cité interdite, bien qu’académique, est impressionnante de précision. Les acteurs principaux émeuvent et la jeune Zhang Huiwen dont la beauté froide rappelle celle de la Zhang Ziyi des débuts, est une révélation. La jeune femme devant moi, qui n’a pourtant certainement pas bu le même Châteauneuf-du-Pape que nous au dîner, s’est endormie depuis longtemps. Lorsque les lumières se rallument, sa coiffure sophistiquée ressemble au plumage d’un oiseau rescapé d’une tempête. Adrien Brody a les larmes aux yeux, et se retourne pour féliciter chaleureusement Gong Li. La salle croule sous les applaudissements et aucun sifflet ne se fait entendre. On retrouve les Chinois de Coming Home au Cinematographer, sur la plage du Gray d’Albion, où a lieu la fête pour le film. Dans le carré VIP, Pierre-Ange le Pogam, producteur malheureux de Grace de Monaco, est venu féliciter l’équipe. Avec Mirwais, on échange des impressions sur nos voitures vintage (moi la Mini, lui la Porsche…), mais la conversation prend résolument un tour trop technique, et je laisse là les garçons pour rejoindre nos deux Anglaises, en train de s’extasier devant un danseur asiatique qui se démène devant les platines. Gong Li accepte de faire des selfies avec qui lui demande gentiment, et lorsqu’elle quitte la place, elle salue tout le monde, même les inconnus. Ah ! La politesse asiatique ! A 2 heures, celle du couvre-feu imposé, Alain rassemble ses troupes pour poursuivre la fête au Baron dans le centre-ville. Des gens sont agglutinés devant l’entrée, et si on entre sans problème, c’est bien parce que notre producteur est en terrain conquis (autant dire que sans un sésame, on n’accède pas facilement aux clubs branchés de Cannes). L’endroit est minuscule, archi bondé et je ne sens plus mes pieds. Le DJ vient de découvrir Prince et nous en abreuve — on a même droit à « If A Girl Answers (Don’t Hang Up !) » de Vanity Six. Epuisée, Bobbie nous a lâchement abandonnés, et, avec Julie, on constate que sous l’éclairage tamisé, tous les garçons se ressemblent (trentenaires, barbe de trois jours, cheveux négligés). Je délaisse à regret le champagne pour le coca, parce que ce n’est pas tout ça : dans quelques heures, projection du Godard.
A 10 heures Julie et Bobbie repartent pour Londres, en traînant leurs valises jusqu’à la gare pour espérer dénicher un hypothétique taxi, impossible à joindre au téléphone. Vu le soleil, on décide d’aller se balader sur la Croisette. Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu l’idée. Les grappes de touristes et les familles se bousculent dans un sens comme dans l’autre. Crise oblige, les restaurants de la plage sont quasiment vides, et les promeneurs ont opté pour le sandwich. On croise aussi des filles avec des jambes de deux kilomètres, et des jeunes gens affairés, portant cartons, affiches et dieu seul sait quoi. Adieu au langage
A 15 h 30, rendez-vous sur le tapis rouge, central cette fois, sous les tubes de Daft Punk, pour la projection de Adieu au langage, de Jean-Luc Godard. Il n’est pas venu, mais ses acteurs (quasiment inconnus) sont là. On reçoit une paire de lunettes en 3D en entrant. Et le délégué général du festival Thierry Frémaux de crier « Tout le monde a ses lunettes ?», avec le ton d’un professeur à ses élèves. Lorsque les lumières s’éteignent, quelqu’un hurle « Godard forever ! » A la fin du film, on aura plutôt envie de hurler « Never again ». Le seul côté positif de cette œuvre sans queue ni tête : sa durée (1 h 10). Il y est question d’un homme, d’une femme, d’un chien qui erre entre la ville et la campagne (les gros plans en 3D de sa gueule qui nous arrive en plein visage sont gratinés). Quand on ne subit pas les petites élucubrations de Godard, assénées d’une voix d’outre-tombe, les comédiens éthérés et souvent nus balancent des petites phrases pertinentes (« Le caca nous rend égaux. »), et tout cela sous une musique classique mais stridente, des plus insupportables. Malgré tout, une partie du public semble ravie, rit des choses les plus débiles, comme touchée par le génie du vieux sage, ou fou, c’est selon. A la fin, la salle est partagée. Les uns applaudissent à tout rompre, les autres, comme nous, arborent des mines atterrées. En sortant, on croise l’ami Geoff Cox, en costume à carreaux, qui crie au chef-d’œuvre avant de se ruer vers l’aéroport. Il exige qu’on se revoie, avant l’année prochaine. J’en profiterai pour lui demander de m’expliquer ce qu’il trouve de tranchant dans le vieux Couteau Suisse. Et, hop, on remonte les marches (sans passer par la case poudrage de nez) pour The Search, le nouveau Michel Hazanavicius, oscarisé deux ans auparavant pour The Artist. Autant dire que les places sont chères. Les cinéphiles sont en quête de tickets. Une dame âgée, en robe de soirée, n’hésite pas à harceler les gens qui font la queue. Elle fait presque de la peine. Une fois assis au balcon du Grand Théâtre Lumière, on assiste sur l’écran gigantesque au défilé des stars sur tapis rouge, commenté par un speaker dont le ton est peu ou prou le même que celui d’un animateur de supermarché. Clara Delevingne, Lara Stone, Clotilde Courau, entre autres, précèdent une Sharon Stone en mini-robe, accueillie chaleureusement en haut des marches par Gilles Jacob, qu’une cruralgie douloureuse aura rendu extrêmement discret durant cette 67ème édition, sa dernière. Enfin, déboule l’équipe de The Search avec une Bérénice Béjo radieuse au bras de son époux réalisateur. Les lumières s’éteignent. On est partis pour 2 h 40 de film.
The Search Michel Hazanavicius
Durant la seconde guerre de Tchétchénie en 1999, quatre destins se croisent. Le jeune Hadji, neuf ans, assiste à l’assassinat de ses parents par les Russes venus détruire son village. Après leur départ, il prend la route, dépose son jeune frère encore bébé sur le pas de la porte d’une maison tchétchène et rejoint le flot de réfugiés. Carole (Bérénice Béjo), une jeune Française chargée de mission pour les Droits de l’homme, va prendre sous son aile ce gamin têtu qui refuse de parler. Pendant ce temps, la sœur aînée de Hadji, qu’il croyait morte, cherche ses deux petits frères dans tout le pays. On suit également le parcours tragique d’un jeune Russe arrêté pour possession de marijuana et qui choisit l’enrôlement dans l’armée plutôt que la prison…
Réalisateur des OSS 117 et The Artist, Michel Hazanavicius change radicalement de registre avec ce mélodrame sur fond de guerre tchétchène, transposition d’un film réalisé en 1948 par Fred Zinnemann, Les anges marqués, avec Montgomery Clift. The Search cru 2014 laisse avec un sentiment mitigé. Le talent du cinéaste, évident, transparaît lors des scènes de bravoure, mais le bât blesse sur les plans de la narration et de l’interprétation. Les histoires mises en parallèles ne sont pas toutes aussi réussies, certaines sont mêmes un peu maladroites, caricaturales et surtout inutiles. Le personnage de Carole, invraisemblable, est interprété par une Bérénice Béjo à côté de la plaque. Sa relation avec le jeune Hadji sonne faux, malgré les efforts du jeune acteur incroyablement émouvant. Et si on entend à peine les sifflets à la fin du film, l’aspect “bancal” de l’œuvre n’aura échappé à personne, et elle sera descendue en flammes par la critique dès le lendemain.
Pour l’heure, on suit Alain jusqu’au sublime hôtel JW Marriott, qui prête son toit à la fête du film. L’endroit est carrément féerique. La piscine octogonale est éclairée par de grands photophores, seule source de lumière. Autrement dit, on n’y voit pas grand-chose, et encore moins ce que contiennent les délicieuses verrines préparées par le club Costes. Jérôme veut féliciter Michel Hazanavicius pour avoir pensé à solliciter Annette Bening (elle interprète avec maestria la directrice du centre d’enfants réfugiés), mais le réalisateur, ahuri, le regarde comme s’il venait de tomber de Mars. Genre. On se tourne alors vers le jeune acteur russe pour savoir s’il n’a pas été traumatisé par son rôle de soldat plutôt éprouvant. On ne lui tirera qu’un laconique « That’s my job » qui coupe court à la conversation. Les jeunes acteurs étrangers du film, retranchés dans un salon VIP, ont l’air de s’ennuyer à cent sous de l’heure. Le petit interprète de Hadji s’en échappe pour déambuler, et reçoit les compliments avec des attitudes de pro qui font sourire. Thomas Langmann, le producteur du film, serre des paluches. Alain Terzian est venu en ami. Mais le vent qui tourbillonne depuis le début de la journée amène une fraîcheur supplémentaire à cette fête un brin guindée, et puisqu’on a perdu notre petite bande dans la bagarre (on apprendra qu’en fait, ils étaient à quelques mètres de nous dans la pénombre), on choisit de rentrer. Un épisode d’Hannibal et au lit !
Troisième jour
Le vent s’est calmé, mais les orages se sont invités à la fête, coupant notre réseau WIFI toute la matinée. Vers 17 heures enfin, la pluie s’arrête. Ça tombe bien, la projection du Ken Loach, Jimmy’s Hall, en sélection officielle, a lieu dans une heure et demie. Prudente, j’opte pour le pantalon. On monte les marches en passant par le tapis rouge, devant la haie de photographes. Après nous, passeront pêle-mêle : Leila Hatami, Christian Clavier et toute l’équipe de Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu?, Marianne Denicourt et Jacques Gamblin, Vincent Lacoste et enfin l’équipe du Ken Loach au grand complet. Pendant ce temps, installée au balcon, je fais connaissance avec mon charmant voisin à l’accent belge, qui me dit être assistant des frères Dardenne. A la question, « Ca consiste en quoi, votre travail d’assistant ? » il répond « Je les fais rire, et je fais leur façon de filmer. » On n’en obtiendra pas plus. Comprenne qui pourra.
En 1932, Jimmy Gralton (Barry Ward) rentre au pays, en Irlande, après dix ans d’exil aux Etats-Unis, pour aider sa mère âgée et seule. Cet ex-fauteur de troubles et sympathisant communiste est convaincu que le nouveau gouvernement mis en place après la guerre civile sera plus tolérant. Décidé à ne pas faire de vagues, il est cependant vite sollicité par les jeunes du comté. Ceux-ci lui supplient de rouvrir « le hall », un foyer où l’on se retrouve pour danser, étudier ou discuter. Mais Jimmy hésite, par crainte de réveiller les vieilles rancunes, et de provoquer la colère du clergé…
Palme d’or en 2006 pour Le vent se lève, Ken Loach est un habitué du festival et un des cinéastes les plus récompensés de Cannes. Ce plaidoyer en faveur de la tolérance, qui dénonce l’obscurantisme dans une Irlande soumise aux diktats d’un clergé rétrograde, est finement ciselé, emprunt de romantisme et d’un humour parfois burlesque. Mineur certes, et moins enlevé que le précédent La part des anges, qui avait obtenu le Prix du jury ici en 2012, ce Footloose irlandais est néanmoins un petit bijou, qui brille de l’humanisme et de l’intelligence du cinéaste. La critique sera plus partagée, mais le tonnerre d’applaudissements qui a suivi la projection témoigne de l’indéfectible amour du public pour Ken Loach. Gare à qui aurait osé siffler !
Avant de rejoindre la fête, Alain nous dirige vers son autre restaurant préféré de Cannes. Les abords du Palais sont alors envahis par des hordes de jeunes cinéphiles en folie, réclamant des places pour Mommy, le film du jeune prodige Xavier Dolan, projeté en deuxième partie de soirée (les pancartes I Want My Mommy sont légion). Alain tend une place à une jeune fille qui n’en croit pas ses yeux, et se retourne vers ses copines comme si elle avait trouvé le Graal. La Toque d’or, où nous nous dirigeons, est situé à une extrémité de la Croisette, dans le Cannes pittoresque, où on découvre des maisons traditionnelles exquises. Sur la carte du restaurant, il est écrit « La cuisine est un moment de partage ». C’est exactement le sentiment que l’on a au cours de ce dîner, où chaque plat ressemble à une petite œuvre d’art, et où le jeune chef nous explique ses ambitions avec une passion communicative. Si tout le monde s’entend sur la qualité de la nourriture et du vin, personne n’est d’accord sur celle du film de Ken Loach que certains trouvent même « gentillet ». Chacun y va ensuite de son pronostic pour la Palme d’or. Le film africain Timbuktu, que personne d’entre nous n’a vu, semble néanmoins faire l’unanimité, ainsi que le film argentin Relatos Salvajes, seule comédie en lice. On aura tout faux. Lorsque nous sortons, la pluie se met à tomber. Le trajet jusqu’à la Plage Magnum, où Kylie Minogue a fait un concert la veille et qui accueille ce soir la fête Jimmy’s Hall, tient de l’épopée. Le plus courageux part en quête de parapluies, tandis qu’on se resserre sous le seul petit pépin pris fort intelligemment à la villa cet après-midi. Mais la pluie n’est rien à côté de ce qui nous attend. Une queue monumentale d’invités, munis comme nous d’un carton, font le pied de grue devant l’entrée. Et notre baguette magique, Alain, n’est pas là. Le désespoir et l’ennui menacent lorsqu’arrivent Michel Hazanavicius et Bérénice Béjo, sapée en rockeuse de province pour l’occasion. Eux aussi se font refouler par le cerbère qui garde l’entrée, probablement pas très cinéphile. Finalement, nous rentrerons, eux, grâce à un contact à l’intérieur, nous grâce à l’arrivée opportune de notre producteur.
Au bar, c’est la foire d’empoigne.Les flûtes à champagne manquent et les serveurs refusent de le servir dans autre chose. Sous un plafond de ballons roses et violets, l’écran diffuse, sans le son, l’intégralité de Jimmy’s Hall. Ken Loach est déjà reparti, mais ses acteurs lèvent le coude sans se faire prier. Le cinéaste a dû se demander où était le lien entre son film, la musique agressive (le seul morceau notable sera « Groove Is In The Heart » de Dee-Lite) et la dégustation de glaces Magnum. Derrière moi, je crois reconnaître Yaniss Lespert, l’ado fatigué de Fais pas ci fais pas ça dans un jeune homme hirsute qui a l’air malheureux comme les pierres. A deux heures, la tentative d’Alain de faire rouvrir le bar ayant échoué, on se dirige vers le Baron, où l’équipe de Jimmy’s Hall nous a précédés, avant d’opter pour le 3.14, pour rejoindre Asia Argento. « Asia est rentrée se coucher » nous dit le videur à l’entrée. Alain envoie un texto à la belle pas si destroy que ça, qui répond « Je suis dans mon lit. Bisous. » Notre troupe épuisée mais vaillante choisit d’aller finir la soirée au Silencio, la boîte de David Lynch transférée à Cannes, et cela même si mes pieds prisonniers de sandales à talons me font un mal de chien. Passé un dédale de couloirs bondés au deuxième étage d’un immeuble, on arrive à ce qui ressemble à un appartement sous les toits parisiens, avec une piste de danse minuscule. Malgré la pluie, on préfère aller boire notre verre sur la terrasse du haut, un peu humide, mais avec une vue splendide sur la ville. Sous le crachin cannois, on refait le monde. Il est quatre heures. Alain, qu’on embrasse et remercie, a encore des gens à voir. Nous, on a quatre heures de sommeil avant de fermer la villa et le départ pour l’aéroport. C’est jouable. Au cinéma en tout cas.