UN PARFAIT INCONNU (A Complete Unknown)

Après avoir rendu hommage à Johnny Cash, le réalisateur américain James Mangold s’attaque à un autre monument de la musique : Bob Dylan, l’un des artistes les plus marquants de son époque, mais aussi l’une de ses figures les plus énigmatiques. Fabuleux !

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« Tous ces gens veulent que je sois quelqu’un d’autre. Qu’ils me laissent…
– Te laissent quoi ?
– Être ce qu’ils ne veulent pas que je sois. »

 

UN PARFAIT INCONNU (A Complete Unknown)

James Mangold
2024
Dans les salles françaises depuis le 29 janvier 2025

En 1961, Bob Dylan (Timothée Chalamet) a vingt ans. Guitare sur le dos, pas un sou en poche, il débarque de son Minnesota natal à New York. Il est bien décidé à rencontrer son maître, Woodie Guthrie, le chantre de la musique populaire américaine. Ce dernier (Scott McNairy), atteint d’une grave maladie dégénérative, réside désormais à l’hôpital. Dans la chambre, Dylan le trouve en compagnie de Pete Seeger (Edward Norton), autre pionnier du folk. Amusés par cette arrivée impromptue, les deux amis invitent le jeune troubadour à leur jouer quelque chose. Ils vont être sidérés…

Il est moins sexy que Elvis Presley ou Mick Jagger, moins glam que David Bowie, et pourtant Bob Dylan est peut-être le plus rock’n’roll d’entre tous. Et, assurément, le plus rebelle. C’est ce qui frappe dans ce biopic de James Mangold qui, entre autres mérites, a celui de permettre d’approcher un peu la psyché de l’icône de la pop music, poète et auteur au génie incontestable (le premier chanteur à avoir remporté un Prix Nobel, qu’il n’est pas venu chercher…), mais à la personnalité insaisissable, presque abstraite. Individualiste forcené, Dylan brouille constamment les pistes, exècre le star-system, les postures, la popularité, et refuse d’entrer dans les cases. Qu’il s’agisse d’art ou de relations humaines. Il traite ses petites amies avec désinvolture et une négligence qui confine à la cruauté. Timothée Chalamet, comme on pouvait s’y attendre, incarne magnifiquement cette figure pleine de contradictions, et parvient, grâce à son charisme naturel, à rendre attachant ce sale gosse insolemment doué qui prétend ne vouloir être que lui-même. Autre prouesse de l’acteur : il chante et joue lui-même les chansons (à l’instar de la plupart des comédiens du film). À ce titre, les séquences musicales sont bluffantes et, on s’en félicite, beaucoup de morceaux sont joués dans leur intégralité. Le cinéaste déjà réalisateur en 2005 d’un magistral film sur Johnny Cash (Walk The Line — voir ma critique ici), s’est focalisé sur une période précise de la vie de Dylan : de son arrivée à New York jusqu’à son passage à la guitare électrique, en 1965, qui a grandement contrarié la communauté folk. Le scénario, écrit par Mangold et Jay Cocks, se base sur le livre du journaliste Elijah Wald paru en 2015, Dylan Goes Electric ! :Newport, Seeger, Dylan And The Night That Split The Sixties (la version française est disponible chez Rivages). Un parfait inconnu, traduction de A Complete Unknown, vers tiré de la monumentale chanson « Like A Rolling Stone » n’est pas la première fiction consacrée à Bob Dylan. En 2007, Todd Haynes avait réalisé un portrait kaléidoscopique de l’artiste aussi audacieux que déroutant (voir ma critique ici). La forme adoptée par Mangold, plus traditionnelle, est susceptible de séduire un public plus large, aficionados comme néophytes. Dès les premiers plans, la reconstitution de ce Greenwich Village mythique et aujourd’hui disparu, éblouit dans les moindres détails. La distribution décoiffe également. Edward Norton émeut en Pete Seeger, le mentor éperdument admiratif de son poulain. Monica Barbaro en Joan Baez, et Boyd Holdbrook en Johnny Cash, sont magnifiques. Elle Fanning fait une bouleversante Suze Rotolo — rebaptisée ici Sylvie Russo à la demande de Bob Dylan lui-même — la petite amie et muse des débuts qui figure sur la pochette de l’album Freewheelin’. Car si Martin Scorsese n’avait pas été autorisé à rencontrer l’artiste lors de la conception du documentaire No Direction Home, James Mangold, lui, a pu échanger avec le musicien, qui a validé le scénario. Il a également adoubé Timothée Chalamet via un tweet. Quant à savoir s’il a pris la peine de voir le film, c’est une autre histoire.
2 h 21 Et avec Joe Tippett, Eriko Atsune, Dan Fogler, Will Harrison, Charlie Tahan, Laura Kariuki…

DUNE 2021

Après s’être emparé avec brio du Blade Runner de Ridley Scott, le temps d’un remake époustouflant, le Québécois Denis Villeneuve a relevé le défi d’adapter le roman de science-fiction culte de Frank Herbert, sur lequel Alejandro Jodorowsky et David Lynch se sont respectivement cassé les dents en 1975 et 1984. Résultat : la critique crie au chef-d’œuvre et les fans du livre sont aux anges. Verdict :
(sans spoilers)

 

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« Dreams make good stories, but everything important happens when we’re awake. »

 

DUNE

Denis Villeneuve
2021
Dans les salles depuis le 15 septembre 2021

En 10191, sur la planète Caladan, le puissant duc Leto Atréides (Oscar Isaac) se voit confier par l’Empereur la mission de prendre la gestion de la planète Arrakis, jusqu’alors aux mains de la Maison Arkonnen, ennemis héréditaires des Atréides. Arrakis, planète de sable, surnommée Dune par ses habitants autochtones, est la seule sur laquelle on peut extraire l’Épice, une substance aux propriétés miraculeuses et, surtout, indispensable à la navigation interstellaire. Leto se méfie de ce contrat de dupes, mais il ne peut refuser. Il emmène ses meilleurs guerriers, sa compagne (Rebecca Ferguson), qui possède de mystérieuses aptitudes mentales, et leur fils Paul (Timothée Chalamet). Formé à l’art du combat, ce dernier commence également à développer les mêmes capacités psychiques que sa mère…

Le problème du Dune de Villeneuve, c’est qu’il arrive après Star Wars. George Lucas a tellement emprunté à l’œuvre de Frank Herbert, écrite au milieu des années 60, que les similitudes de ce Dune avec les films de l’épique franchise (sans compter la série Le Mandalorian), dans la forme et même le fond, sont légion (un jeune élu, des pouvoirs psychiques, une planète désertique, un empereur…). Le choix du directeur photo, Greig Fraser, au lieu de l’habituel Roger Deakins, était également risqué : l’homme a travaillé sur Rogue One et Le Mandalorian. Les fans de la saga intergalactique auront inévitablement une impression de « déjà-vu ». On serait à peine surpris de voir apparaître Bébé Yoda dans un coin de l’écran. Denis Villeneuve, fan du livre depuis l’adolescence, a déclaré lui-même qu’il considérait son film comme un « Star Wars pour adultes ». L’univers complexe et riche du conte philosophique d’Herbert, qui mêle conflits de pouvoirs, tragédie familiale, mysticisme, ésotérisme, géopolitique et écologie, est ici abordé avec limpidité, sobriété voire simplicité. Contrairement à l’adaptation de David Lynch, foutraque et « barrée » (reniée par son réalisateur et aujourd’hui réhabilitée), ce nouveau Dune est un film volontairement humble, d’une grande lisibilité et efficace. Il s’adresse à toutes les générations, aux initiés comme aux néophytes. Blockbuster certes, mais blockbuster d’auteur, ce space opera est consacré à la première partie du roman de Frank Herbert (la mise en chantier du deuxième épisode dépendra du succès de celui-ci). Il se focalise sur le personnage romantique et torturé de Paul Atréides, campé par un Timothée Chalamet égal à lui-même : totalement habité, à la fois juvénile et impérieux. L’acteur « au charisme de rock star », dixit Villeneuve, est l’atout majeur de ce récit initiatique aux accents de drame antique. Oscar Isaac, Jason Momoa et Josh Brolin sont également épatants en figures héroïques, et Rebecca Ferguson est ambiguë à souhait. Porté par la musique de Hans Zimmer, lui aussi admirateur de la première heure de l’œuvre originale (on notera, dans la bande-son, les clins d’œil à son maître Ennio Morricone), Dune est un spectacle magnifique, mais un peu lisse. Les combats sont épiques, les vaisseaux vrombissent, le sable tourbillonne… C’est de la belle ouvrage, où chaque paysage, chaque plan impressionne. Il y manque juste un brin de folie, celui-là même qui aurait fait de cette monumentale adaptation le chef-d’œuvre espéré.
2 h 35. Et avec Zendaya, Stellan Skarsgård, Javier Bardem, Chen Chang, Dave Bautista, Charlotte Rampling, Stephen McKinley Henderson…